Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LFT_2/LFT297
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE QUATRIÈME
IV
LES TROQUEURS
Le changement de mets réjouit l’homme : 4+6 a
Quand je dis l’homme, entendez qu’en ceci 4+6 b
La femme doit être comprise aussi ; 4+6 b
Et ne sais pas comme il ne vient de Rome 4+6 a
5 Permission de troquer en hymen ; 4+6 c
Non si souvent qu’on en aurait envie, 4+6 d
Mais tout au moins une fois en sa vie. 4+6 d
Peut-être un jour, nous l’obtiendrons. Amen. 4+6 c
Ainsi soit-il ! Semblable induit en France 4+6 e
10 Viendrait fort bien, j’en réponds ; car nos gens 4+6 f
Sont grands troqueurs : Dieu nous créa changeants. 4+6 f
Près de Rouen, pays de sapience ; 4+6 e
Deux villageois avoient, chacun chez soi, 4+6 g
Forte femelle et d’assez bon aloi. 4+6 g
15 Pour telles gens qui n’y raffinent guère, 4+6 h
Chacun sait bien qu’il n’est pas nécessaire 4+6 h
Qu’Amour les traite ainsi que des prélats. 4+6 i
Avint pourtant que, tous deux étant las 4+6 i
De leurs moitiés, leur voisin le notaire, 4+6 h
20 Un jour de fête, avec eux chopinoit. 4+6 j
Un des manants lui dit : « Sire Oudinet, 4+6 j
J’ai dans l’esprit une plaisante affaire. 4+6 h
Vous avez fait sans doute en votre temps 4+6 f
Plusieurs contrats de diverse nature ; 4+6 k
25 No peut-on point en faire un où les gens 4+6 f
Troquent de femme ainsi que de monture ? 4+6 k
Notre pasteur a bien changé de cure : 4+6 k
La femme est-elle un cas si différent ? 4+6 l
Et pargué non ; car messire Grégoire 4+6 m
30 Disoit toujours, si j’ai bonne mémoire : 4+6 m
Mes brebis sont ma femme. Cependant 4+6 l
Il a changé : changeons aussi, compère ? 4+6 h
— Très-volontiers, reprit l’autre manant ; 4+6 l
Mais tu sais bien que notre ménagère 4+6 h
35 Est la plus belle : or çà, sire Oudinet, 4+6 j
Sera-ce trop, s’il donne son mulet 4+6 j
Pour le retour ? — Mon mulet ? Eh ! parguenne, 4+6 n
Dit le premier des villageois susdits, 4+6 o
Chacune vaut en ce monde son prix ; 4+6 o
40 La mienne ira but à but pour la tienne : 4+6 n
On ne regarde aux femmes de si près. 4+6 q
Point de retour, vois-tu, compère Étienne. 4+6 n
Mon mulet, c’est… c’est le roi des mulets. 4+6 q
Tu ne devrais me demander mon âne 4+6 r
45 Tant seulement : troc pour troc ; touche là ! » 4+6 s
Sire Oudinet, raisonnant sur cela, 4+6 s
Dit : « Il est vrai que Tiennette a sur Jeanne 4+6 r
De l’avantage, à ce qu’il semble aux gens ; 4+6 f
Mais le meilleur de la bête, à mon sens, 4+6 f
50 N’est ce qu’on voit : femmes ont maintes choses 4+6 t
Que je préfère, et qui sont lettres closes ; 4+6 t
Femmes aussi trompent assez souvent ; 4+6 l
Jà ne les faut éplucher trop avant. 4+6 l
Or sus, voisins, faisons les choses nettes. 4+6 u
55 Vous ne voulez chat en poche donner, 4+6 v
Ni l’un ni l’autre ; allons donc confronter 4+6 v
Vos deux moitiés comme Dieu les a faites. 4+6 u
« L’expédient ne fut gté de tous. 4+6 w
Trop bien voi messieurs les deux époux 4+6 w
60 Qui sur ce point triomphent de s’étendre : 4+6 y
Tiennette n’a ni suros ni malandre, 4+6 y
Dit le second. — Jeanne, dit le premier, 4+6 v
A le corps net comme un petit denier ; 4+6 v
Ma foi ! c’est bâme. — Et Tiennette est ambroise, 4+6 z
65 Dit son époux : telle je la maintien. » 4+6 a
L’autre reprit : « Compère, tiens-toi bien ; 4+6 a
Tu ne connois Jeanne ma villageoise ? 4+6 z
Je t’avertis qu’à ce jeu… m’entends-tu ? » 4+6 b
L’autre manant jura : « Par la vertu ! 4+6 b
70 Tiennette et moi, nous n’avons qu’une noise : 4+6 z
C’est qui des deux y sait de meilleurs tours ; 4+6 c
Tu m’en diras quelques mots dans deux jours. 4+6 c
À toi compère ! » Et de prendre la tasse, 4+6 z
Et de trinquer.Allons, sire Oudinet, 4+6 j
75 À Jeanne, top ! puis à Tiennette, mâsse ! » 4+6 z
Somme qu’enfin la soute du mulet 4+6 j
Fut accordée, et voilà marché fait. 4+6 j
Notre notaire assura l’un et l’autre, 4+6 e
Que tels traités alloient leur grand chemin. 4+6 a
80 Sire Oudinet étoit un bon apôtre, 4+6 e
Qui se fit bien payer son parchemin. 4+6 a
Par qui payer ? Par Jeanne et par Tiennette : 4+6 f
Il ne voulut rien prendre des maris. 4+6 o
Les villageois furent tous deux d’avis 4+6 o
85 Que pour un temps la chose fût secrète ; 4+6 f
Mais il en vint au curé quelque vent. 4+6 l
Il prit aussi son droit : je n’en assure, 4+6 k
Et n’y étois ;’mais la vérité pure 4+6 k
Est que curés y manquent peu souvent. 4+6 l
90 Le clerc, non plus, ne fit du sien remise : 4+6 g
Rien ne se perd entre les gens d’Église. 4+6 g
Les permuteurs ne pouvoient bonnement 4+6 l
Exécuter un pareil changement 4+6 l
Dans le village, à moins que.de scandale : 4+6 h
95 Ainsi bientôt l’un et l’autre détale, 4+6 h
Et va planter le piquet en un lieu 4+6 i
Où tout fut bien d’abord, moyennant Dieu. 4+6 i
C’étoit plaisir que de les voir.ensemble. 4+6 j
Les femmes même, à l’envi des maris, 4+6 o
100 S’entre-disoient en leurs menus devis : 4+6 o
Bon fait troquer, commère ; à ton avis ? 4+6 o
Si nous troquions de valet ? Que t’en semble ? » 4+6 j
Ce dernier troc, s’il se fit, fut secret. 4+6 j
L’autre d’abord eut un très-bon effet ; 4+6 j
105 Le premier mois, très-bien ils s’en trouvèrent : 4+6 k
Mais à la fin nos gens se dégtèrent. 4+6 k
Compère Étienne, ainsi qu’on peut penser, 4+6 v
Fut le premier des deux à se lasser, 4+6 v
Pleurant Tiennette : il y perdoit sans doute. 4+6 l
110 Compère Gille eut regret à sa soute, 4+6 l
Il ne voulut retroquer toutefois. 4+6 m
Qu’en avint-il ? Un jour, parmi les bois, 4+6 m
Étienne vit toute fine seulette, 4+6 f
Près d’un ruisseau, sa défunte Tiennette, 4+6 f
115 Qui, par hasard, dormoit sous la coudrette. 4+6 f
Il s’approcha, l’éveillant en sursaut. 4+6 n
Elle, du troc, ne se souvint pour l’heure, 4+6 o
Dont le galant, sans plus longue demeure, 4+6 o
En vint au point. Bref, ils firent le saut. 4+6 n
120 Le conte dit qu’il la trouva meilleure 4+6 o
Qu’au premier jour. — Pourquoi cela ? — Pourquoi ? 4+6 g
Belle demande ! En l’amoureuse loi, 4+6 g
Pain qu’on dérobe et qu’on mange en cachette 4+6 f
Vaut mieux que pain qu’on cuit ou qu’on achète : 4+6 f
125 Je m’en rapporte aux plus savants que moi. 4+6 g
Il faut pourtant que la chose soit vraie, 4+6 p
Et qu’après tout, Hyménée et l’Amour 4+6 q
Ne soient pas gens à cuire en même four : 4+6 q
Témoin l’ébat qu’on prit sous la coudraie. 4+6 p
130 On y fit chère ; il ne s’y servit plat, 4+6 r
Où maître Amour, cuisinier délicat, 4+6 r
Et plus savant que n’est maître Hyménée, 4+6 s
N’eût mis la main. Tiennette retournée, 4+6 s
Compère Étienne, homme neuf en ce fait, 4+6 j
135 Dit à part soi :Gille a quelque secret ; 4+6 j
J’ai retrou Tiennette plus jolie 4+6 d
Qu’elle ne fut onc en jour de sa, vie. 4+6 d
Reprenons-la, faisons tour de Normand ; 4+6 l
Dédisons-nous ; usons du privilège, 4+6 u
140 « Voilà l’exploit qui trotte incontinent, 4+6 l
Aux fins de voir le troc et changement 4+6 l
Déclaré nul, et cassé nettement. 4+6 l
Gille, assigné, de son mieux se défend. 4+6 l
Un promoteur intervient pour le siège 4+6 u
145 Épiscopal, et vendique le cas. 4+6 i
Grand bruit partout, ainsi que d’ordinaire ; 4+6 h
Le Parlement évoque à soi l’affaire. 4+6 h
Sire Oudinet, le faiseur de contrats, 4+6 i
Est amené ; l’on l’entend sur la chose. 4+6 v
150 Voilà l’état où l’on dit qu’est la cause ; 4+6 v
Car c’est un fait arrivé depuis peu. 4+6 i
Pauvre ignorant que le compère Étienne ! 4+6 n
Contre ses fins, cet homme, en premier lieu 4+6 i
Va de droit fil ; car, s’il prit à ce jeu 4+6 i
155 Quelque plaisir, c’est qu’alors la chrétienne 4+6 n
N’étoit à lui : le bon sens vouloit donc 4+6 w
Que, pour toujours, il la laissât à Gille ; 4+6 x
Sauf la coudraie, où Tiennette, dit-on, 4+6 w
Alloit souvent en chantant sa chanson : 4+6 w
160 L’y rencontrer étoit chose facile ; 4+6 x
Et suppo que facile ne fût, 4+6 z
Falloit qu’alors son plaisir d’autant crût. 4+6 z
Mais allez-moi prêcher cette doctrine 4+6 a
À des manants ! Ceux-ci pourtant avaient 4+6 b
165 Fait un bon four, et très-bien s’en trouvaient, 4+6 b
Sans le dédit ; c’étoit pièce assez fine 4+6 a
Pour en devoir l’exemple à d’autres gens. 4+6 f
J’ai grand regret de n’en avoir les gants, 4+6 f
Et dis parfois, alors que j’y rumine : 4+6 a
170 Auroit-on pris des croquants pour troquants, 4+6 f
En fait de femme ? Il faut être honnête homme 4+6 a
Pour s’aviser d’un pareil changement. 4+6 f
Or n’est l’affaire allée en cour de Rome ; 4+6 a
Trop bien est-elle au sénat de Rouen. 4+6 f
175 Là le notaire aura du moins sa gamme, 4+6 d
En plein bureau : Dieu gard’sire Oudinet 4+6 j
D’un rapporteur barbon et bien en femme, 4+6 d
Qui fasse aller la chose du bonnet ! 4+6 j
mètre profil métrique : 4+6
logo du CRISCO logo de l'université