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LFT_2/LFT284
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE TROISIÈME – 1671
V
LE FAUCON
NOUVELLE TIRÉE DE BOCCACE
Je me souviens d’avoir damné jadis 4+6 a
L’amant avare ; et je ne m’en dédis. 4+6 a
Si la raison des contraires est bonne, 4+6 b
Le libéral doit être en paradis : 4+6 a
5 Je m’en rapporte à messieurs de Sorbonne. 4+6 b
Il étoit donc autrefois un amant, 4+6 a
Qui dans Florence aima certaine femme. 4+6 b
Comment, aimer ? C’étoit si follement, 4+6 a
Que, pour lui plaire, il eût vendu son âme. 4+6 b
10 S’agissoit-il de divertir la.dame, 4+6 b
À pleines mains il vous jetoit l’argent : 4+6 a
Sachant très-bien qu’en amour comme en guerre, 4+6 a
On ne doit plaindre un métal qui fait tout, 4+6 b
Renverse murs, jette portes par terre, 4+6 a
15 N’entreprend rien dont il ne vienne à bout, 4+6 b
Fait taire chiens, et, quand il veut, servantes, 4+6 c
Et, quand il veut, les.rend plus éloquentes 4+6 c
Que Cicéron, et mieux persuadantes ; 4+6 c
Bref, ne voudroit avoir laissé debout 4+6 b
20 Aucune place, et tant forte fût-elle. 4+6 a
Si laissa-t-il sur ses pieds notre belle. 4+6 a
Elle tint bon ; Fédéric échoua 4+6 a
Près de ce roc, et le nez s’y cassa ; 4+6 a
Sans fruit aucun, vendit et fricassa 4+6 a
25 Tout son avoir, comme l’on pourroit dire : 4+6 a
Belles comtés, beaux marquisats de Dieu, 4+6 b
Qu’il possédoit en plus et plus d’un lieu. 4+6 b
Avant qu’aimer, on l’appeloit messire 4+6 a
À longue queue ; enfin, grâce à l’amour, 4+6 a
30 Il ne fut plus que messire tout court. 4+6 a
Rien ne resta qu’une ferme au pauvre homme, 4+6 a
Et peu d’amis, même amis Dieu sait comme ! 4+6 a
Le plus zélé de tous se contenta, 4+6 a
Comme chacun, de dire : « C’est dommage ! » 4+6 b
35 Chacun le dit, et chacun s’en tint là ; 4+6 a
Car, de prêter, à moins que sur bon gage, 4+6 b
Point de nouvelle : on oublia les dons, 4+6 a
Et le mérite, et les belles raisons 4+6 a
De Fédéric, et sa première vie. 4+6 b
40 Le protestant de madame Clitie 4+6 b
N’eut du crédit qu’autant qu’il eut du fonds. 4+6 a
Tant qu’il dura, le bal, la comédie 4+6 b
Ne manqua point à cet heureux objet ; 4+6 a
De maints tournois elle fut le sujet ; 4+6 a
45 Faisant gagner marchands de toutes guises, 4+6 a
Faiseurs d’habits, et faiseurs de devises, 4+6 a
Musiciens, gens du sacré vallon : 4+6 a
Fédéric eut à sa table Apollon. 4+6 a
Femme n’étoit ni fille dans Florence, 4+6 a
50 Qui n’employât, pour débaucher le cœur 4+6 b
Du cavalier, l’une, un mot suborneur ; 4+6 b
L’autre, un coup d’oeil ; l’autre, quelque autre avance : 4+6 a
Mais tout cela ne faisoit que blanchir. 4+6 a
Il aimoit mieux Clitie inexorable, 4+6 b
55 Qu’il n’auroit fait Hélène favorable. 4+6 b
Conclusion, qu’il ne la put fléchir. 4+6 a
Or, en ce train de dépense effroyable, 4+6 a
Il envoya les marquisats au diable 4+6 a
Premièrement ; puis, en vint aux comtés, 4+6 a
60 Titres par lui plus qu’aucuns regrettés, 4+6 a
Et dont alors on faisoit plus de compte. 4+6 a
Delà les monts, chacun veut être comte ; 4+6 a
Ici, marquis ; baron, peut-être ailleurs. 4+6 a
Je ne sais pas lesquels sont les meilleurs ; 4+6 a
65 Mais je sais bien qu’avecque la patente 4+6 a
De ces beaux noms on s’en aille au marché, 4+6 b
L’on reviendra comme on étoit allé : 4+6 b
Prenez le titre, et laissez-moi la rente. 4+6 a
Clitie avoit aussi beaucoup de bien ; 4+6 a
70 Son mari même étoit grand terrien 4+6 a
Ainsi jamais la belle ne prit rien, 4+6 a
Argent ni dons, mais souffrit la dépense 4+6 a
Et les cadeaux, sans croire, pour cela, 4+6 b
Être obligée à nulle récompense. 4+6 a
75 S’il m’en souvient, j’ai dit qu’il ne resta 4+6 b
Au pauvre amant rien qu’une métairie, 4+6 a
Chétive encore, et pauvrement bâtie. 4+6 a
Là, Fédéric alla se confiner, 4+6 a
Honteux qu’on vît sa misère en Florence ; 4+6 b
80 Honteux encor de n’avoir su gagner, 4+6 a
Ni par amour, ni par magnificence, 4+6 b
Ni par six ans de devoirs et de soins, 4+6 a
Une beauté qu’il n’en aimoit pas moins. 4+6 a
Il s’en prenoit à son pou de mérite, 4+6 a
85 Non à Clitie ; elle n’ouït jamais, 4+6 b
Ni pour froideurs, ni pour autres sujets, 4+6 b
Plainte de lui, ni grande ni petite. 4+6 a
Notre amoureux subsista comme il put 4+6 a
Dans sa retraite, où le pauvre homme n’eut, 4+6 a
90 Pour le servir, qu’une vieille édentée ; 4+6 a
Cuisine froide et fort peu fréquentée ; 4+6 a
À l’écurie, un cheval assez bon, 4+6 a
Mais non pas fin ; sur la perche, un faucon, 4+6 a
Dont, à l’entour de cette métairie, 4+6 a
95 Défunt marquis s’en alloit, sans valets, 4+6 b
Sacrifiant à sa mélancolie 4+6 a
Mainte perdrix, qui, las ! ne pouvoit mais 4+6 b
Des cruautés de madame Clitie. 4+6 a
Ainsi vivoit le malheureux amant ; 4+6 a
100 Sage, s’il eût, en perdant sa fortune, 4+6 b
Perdu l’amour qui l’alloit consumant : 4+6 a
Mais de ses feux la mémoire importune 4+6 b
Le talonnoit : toujours un double ennui 4+6 a
Alloit en croupe à la chasse avec lui. 4+6 a
105 Mort vint saisir le mari de Clitie. 4+6 a
Comme ils n’avoient qu’un fils pour tous enfants, 4+6 b
Fils n’ayant pas pour un pouce de vie, 4+6 a
Et que l’époux, dont les biens étoient grands, 4+6 b
Avoit toujours considéré sa femme, 4+6 a
110 Par testament il déclare la dame 4+6 a
Son héritière, arrivant le décès 4+6 a
De l’enfançon, qui peu de temps après 4+6 a
Devint malade. On sait que, d’ordinaire, 4+6 a
À ses enfants, mère ne sait que faire 4+6 a
115 Pour leur montrer l’amour qu’elle a pour eux ; 4+6 a
Zèle souvent aux enfants dangereux. 4+6 a
Celle-ci, tendre et fort passionnée, 4+6 a
Autour du sien est toute la journée, 4+6 a
Lui demandant ce qu’il veut, ce qu’il a, 4+6 a
120 S’il mangeroit volontiers de cela, 4+6 a
Si ce jouet, enfin si cette chose 4+6 a
Est à son gré. Quoi que l’on lui propose, 4+6 a
Il le refuse, et, pour toute raison, 4+6 a
Il dit qu’il veut seulement le faucon 4+6 a
125 De Fédéric ; pleure et mène une vie 4+6 a
À faire gens de bon cœur détester. 4+6 b
Ce qu’un enfant a dans la fantaisie, 4+6 a
Incontinent il faut l’exécuter, 4+6 b
Si l’on ne veut l’ouïr toujours crier. 4+6 b
130 Or il est bon de savoir que Clitie, 4+6 a
À cinq cents pas de celte métairie, 4+6 a
Avoit du bien, possédoit un château : 4+6 a
Ainsi l’enfant avoit pu de l’oiseau 4+6 a
Ouïr parler. On en disoit merveilles ; 4+6 a
135 On en contoit des choses non pareilles : 4+6 a
Que devant lui jamais une perdrix 4+6 a
Ne se sauvoit, et qu’il en avoit pris 4+6 a
Tant ce matin, tant cette après-dînée. 4+6 a
Son maître n’eût donné pour un trésor 4+6 b
140 Un tel faucon. Qui fut bien empêchée ? 4+6 a
Ce fut Clitie. Aller ôter encor 4+6 b
À Fédéric l’unique et seule chose 4+6 a
Qui lui restoit ! Et supposé qu’elle ose 4+6 a
Lui demander ce qu’il a pour tout bien 4+6 a
145 Auprès de lui méritoit-elle rien ? 4+6 a
Elle l’avoit payé d’ingratitude ; 4+6 a
Point de faveurs, toujours hautaine et rude 4+6 a
En son endroit. De quel front s’en aller, 4+6 a
Après cela, le voir et lui parler, 4+6 a
150 Ayant été cause de sa ruine ? 4+6 a
D’autre côté, l’enfant s’en va mourir, 4+6 b
Refuse tout, tient tout pour médecine ; 4+6 a
Afin qu’il mange, il faut l’entretenir 4+6 b
De ce faucon ; il se tourmente, il crie : 4+6 a
155 S’il n’a l’oiseau, c’est fait que de sa vie. 4+6 a
Ces raisons-ci l’emportèrent enfin. 4+6 a
Chez Fédéric, la dame, un beau malin, 4+6 a
S’en va sans suite et sans nul équipage. 4+6 a
Fédéric prend pour un ange des cieux 4+6 b
160 Celle qui vient d’apparoître à ses yeux ; 4+6 b
Mais cependant il a honte, il enrage 4+6 a
De n’avoir pas chez soi pour lui donner 4+6 a
Tant seulement un malheureux dîner. 4+6 a
Le pauvre état où sa dame le treuve 4+6 a
165 Le rend confus. Il dit donc à la veuve : 4+6 a
« Quoi ! venir voir le plus humble de ceux 4+6 a
Que vos beautés ont rendus amoureux, 4+6 a
Un villageois, un hère, un misérable ! 4+6 a
C’est trop d’honneur ; votre bonté m’accable. 4+6 a
170 Assurément, vous alliez autre part ? » 4+6 a
À ce propos, notre veuve repart : 4+6 a
» Non, non, seigneur, c’est pour vous la visite ; 4+6 a
Je viens manger avec vous ce matin. 4+6 b
— Je n’ai, dit-il, cuisinier ni marmite : 4+6 a
175 Que vous donner ? — N’avez-vous pas du pain ? » 4+6 b
Reprit la dame. Incontinent, lui-même, 4+6 a
Il va chercher quelque oeuf au poulailler, 4+6 b
Quelque morceau de lard en son grenier. 4+6 b
Le pauvre amant, en ce besoin extrême, 4+6 a
180 Voit son faucon, sans raisonner le prend, 4+6 a
Lui tord le cou, le plume, le fricasse, 4+6 b
Et l’assaisonne, et court de place en place. 4+6 b
Tandis, la vieille a soin du demeurant, 4+6 a
Fouille au bahut, choisit pour cette fête 4+6 a
185 Ce qu’ils avoient de linge plus honnête, 4+6 a
Met le couvert, va cueillir au jardin 4+6 a
Du serpolet, un peu de romarin, 4+6 a
Cinq ou six fleurs, dont la table est jonchée. 4+6 a
Pour abréger, on sert la fricassée. 4+6 a
190 La dame en mange, et feint d’y prendre goût. 4+6 a
Le repas fait, cette femme résout 4+6 a
De hasarder l’incivile requête, 4+6 a
Et parle ainsi : « Je suis folle, seigneur, 4+6 b
De m’en venir vous arracher le cœur : 4+6 b
195 Encore un coup, il ne m’est guère honnête 4+6 a
De demander à mon défunt amant 4+6 a
L’oiseau qui fait son seul contentement : 4+6 a
Doit-il pour moi s’en priver un moment ? 4+6 a
Hais excusez une mère affligée : 4+6 a
200 Mon fils se meurt ; il veut votre faucon. 4+6 b
Mon procédé ne mérite un tel don ; 4+6 b
La raison veut que je sois refusée : 4+6 a
Je ne vous ai jamais accordé rien. 4+6 a
Votre repos, votre honneur, votre bien, 4+6 a
205 S’en sont allés aux plaisirs de Clitie. 4+6 a
Vous m’aimiez plus que votre propre vie : 4+6 a
À cet amour, j’ai très-mal répondu ; 4+6 a
Et je m’en viens, pour comble d’injustice, 4+6 b
Vous demander… et quoi ? C’est temps perdu…. 4+6 a
210 Votre faucon ! Mais non : plutôt périsse 4+6 b
L’enfant, la mère, avec le demeurant, 4+6 a
Que de vous faire un déplaisir si grand ! 4+6 a
Souffrez, sans plus, que cette triste mère, 4+6 a
Aimant d’amour la chose la plus chère 4+6 a
215 Que jamais femme au monde puisse avoir, 4+6 a
Un fils unique, une unique espérance, 4+6 b
S’en vienne au moins s’acquitter du devoir 4+6 a
De la nature, et, pour toute allégeance, 4+6 b
En votre sein décharge sa douleur : 4+6 c
220 Vous savez bien, par votre expérience, 4+6 b
Que c’est d’aimer ; vous le savez, seigneur ? 4+6 c
Ainsi je crois trouver chez vous excuse. 4+6 a
— Hélas ! reprit l’amant infortuné, 4+6 b
L’oiseau n’est plus ; vous en avez dîné. 4+6 b
225 — L’oiseau n’est plus ! dit la veuve confuse. 4+6 a
— Non, reprit-il : plût au ciel vous avoir 4+6 a
Servi mon cœur, et qu’il eût pris la place 4+6 b
De ce faucon ! Mais le sort me fait voir 4+6 a
Qu’il ne sera jamais en mon pouvoir 4+6 a
230 De mériter de vous aucune grâce. 4+6 b
En mon pailler rien ne m’étoit resté : 4+6 a
Depuis deux jours la bête a tout mangé. 4+6 a
J’ai vu l’oiseau ; je l’ai tué sans peine : 4+6 a
Rien coûte-t-il, quand on reçoit sa reine ? 4+6 a
235 Ce que je puis pour vous est de chercher 4+6 a
Un bon faucon : ce n’est chose si rare, 4+6 b
Que dès demain nous n’en puissions trouver. 4+6 a
— Non, Fédéric, dit-elle ; je déclare 4+6 b
Que c’est assez. Vous ne m’avez jamais 4+6 a
240 De votre amour donné plus grande marque. 4+6 b
Que mon fils soit enlevé par la Parque, 4+6 b
Ou que le ciel le rende à mes souhaits, 4+6 a
J’aurai pour vous de la reconnoissance. 4+6 a
Venez me voir, donnez-m’en l’espérance : 4+6 a
245 Encore un coup, venez nous visiter ? » 4+6 a
Elle partit, non sans lui présenter 4+6 a
Une main blanche, unique témoignage 4+6 a
Qu’Amour avoit amolli ce courage. 4+6 a
Le pauvre amant prit la main, la baisa, 4+6 a
250 Et de ses pleurs quelque temps l’arrosa. 4+6 a
Deux jours après, l’enfant suivit le père. 4+6 a
Le deuil fut grand ; la trop dolente mère 4+6 a
Fit dans l’abord force larmes couler. 4+6 a
Mais, comme il n’est peine d’âme si forte, 4+6 b
255 Qu’il ne s’en faille à la fin consoler, 4+6 a
Deux médecins la traitèrent de sorte 4+6 b
Que sa douleur eut un terme assez court : 4+6 a
L’un fut le Temps, et l’autre fut l’Amour. 4+6 a
On épousa Fédéric en grand’pompe, 4+6 a
260 Non-seulement par obligation, 4+6 b
Mais, qui plus est, par inclination, 4+6 b
Par amour même. Il ne faut qu’on se trompe 4+6 a
À cet exemple, et qu’un pareil espoir 4+6 a
Nous fasse ainsi consumer notre avoir : 4+6 a
265 Femmes ne sont toutes reconnoissantes. 4+6 a
À cela près, ce sont choses charmantes ; 4+6 a
Sous le ciel n’est un plus bel animal. 4+6 a
Je n’y comprends le sexe, en général : 4+6 a
Loin de cela ; j’en vois peu d’avenantes. 4+6 a
270 Pour celles-ci, quand elles sont aimantes, 4+6 a
J’ai les desseins du monde les meilleurs : 4+6 a
Les autres n’ont qu’à se pourvoir ailleurs. 4+6 a
mètre profil métrique : 4+6
forme globale type : suite de strophes
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