Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LFT_2/LFT283
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE TROISIÈME – 1671
IV
LA COUPE ENCHANTÉE
NOUVELLE TIRÉE DE L’ARIOSTE
Les maux les plus cruels ne sont que des chansons 6+6 a
Près de ceux qu’aux maris cause la jalousie. 6+6 b
Figurez-vous un fou, chez qui tous les soupçons 6+6 a
Sont bienvenus, quoi qu’on lui die. 8 b
5 Il n’a pas un moment de repos en sa vie : 6+6 b
Si l’oreille lui tinte, ô dieux ! tout est perdu. 6+6 c
Ses songes sont toujours que l’on le fait cocu ; 6+6 c
Pourvu qu’il songe, c’est l’affaire : 8 d
Je ne vous voudrais pas un tel point garantir ; 6+6 e
10 Car, pour songer, il faut dormir, 8 e
Et les jaloux ne dorment guère. 8 d
Le moindre bruit éveille un mari soupçonneux : 6+6 f
Qu’à l’entour de sa femme une mouche bourdonne, 6+6 g
C’est cocuage qu’en personne, 8 g
15 Il a vu de ses propres yeux, 8 f
Si bien vu, que l’erreur n’en peut être effacée. 6+6 h
Il’veut à toute force être au nombre des sots. 6+6 i
Il se maintient cocu, du/moins de la pensée, 6+6 h
S’il ne l’est en chair et.en os. 8 i
20 Pauvres gens, dites-moi ! qu’est-ce que cocuage ? 6+6 j
Quel tort vous fait-il ? quel dommage ? 8 j
Qu’est-ce enfin que ce mal, dont tant de gens de bien 6+6 k
Se moquent avec juste cause ? 8 l
Quand on l’ignore, ce n’est rien ; 8 k
25 Quand on le sait, c’est peu de chose. 8 l
Vous croyez cependant que c’est un fort grand cas : 6+6 m
Tâchez donc d’en douter, et ne ressemblez pas 6+6 m
À celui-là qui but dans la coupe enchantée. 6+6 h
Profitez du malheur d’autrui. 8 n
30 Si cette histoire peut soulager votre ennui, 6+6 n
Je vous l’aurai bientôt contée. 8 h
Mais je vous veux premièrement 8 o
Prouver, par bon raisonnement, 8 o
Que ce mal, dont la peur vous mine et vous consume, 6+6 p
35 N’est mal qu’en votre idée, et non point dans l’effet. 6+6 q
En mettez-vous votre bonnet 8 q
Moins aisément que de coutume ? 8 p
Cela s’en va-t-il pas tout net ? 8 q
Voyez-vous qu’il en reste une seule apparence, 6+6 r
40 Une tache qui nuise à vos plaisirs secrets ? 6+6 q
Ne retrouvez-vous pas toujours les mêmes traits ? 6+6 q
Vous apercevez-vous d’aucune différence ? 6+6 r
Je tire donc ma conséquence, 8 r
Et dis, malgré le peuple ignorant et brutal : 6+6 t
45 Cocuage n’est point un mal. 8 t
— Oui, mais l’honneur est une étrange affaire ! 4+6 d
— Qui vous soutient que non ? Ai-je dit le contraire ? 6+6 d
Eh bien, l’honneur ! l’honneur ! Je n’entends que ce mot. 6+6 u
Apprenez qu’à Paris ce n’est pas comme à Rome : 6+6 v
50 Le cocu qui s’afflige y passe pour un sot, 6+6 u
Et le cocu qui rit pour un fort honnête homme. 6+6 v
Quand on prend comme il faut cet accident fatal, 6+6 t
Cocuage n’est point un mal. 8 t
Prouvons que c’est un bien : la chose est fort facile. 6+6 w
55 Tout vous rit ; votre femme est souple comme un gant ; 6+6 o
Et vous pourriez avoir vingt mignonnes en ville, 6+6 w
Qu’on n’en sonneroit pas deux mots en tout un an. 6+6 o
Quand vous parlez, c’est dit notable ; 8 y
On vous met le premier à table ; 8 y
60 C’est pour vous la place d’honneur ; 8 z
Pour vous, le morceau du seigneur ; 8 z
Heureux qui vous le sert ! La blondine chiorme, 6+6 a
Afin de vous gagner, n’épargne aucun moyen ; 6+6 k
Vous êtes le patron ; dont je conclus en forme : 6+6 a
65 Cocuage est un bien. 6 k
Quand vous perdez au jeu, l’on vous donne revanche ; 6+6 b
Même votre homme écarte et ses as et ses rois. 6+6 c
Avez-vous sur les bras quelque monsieur Dimanche ? 6+6 b
Mille bourses vous sont ouvertes à la fois. 6+6 c
70 Ajoutez que l’on tient votre femme en haleine : 6+6 d
Elle n’en vaut que mieux, n’en a que plus d’appas. 6+6 m
Ménélas rencontra des charmes dans Hélène, 6+6 d
Qu’avant qu’être à Pâris la belle n’avoit pas. 6+6 m
Ainsi de votre épouse : on veut qu’elle vous plaise. 6+6 e
75 Qui dit prude, au contraire : il dit laide ou mauvaise, 6+6 e
Incapable en amour d’apprendre jamais rien. 6+6 k
Pour toutes ces raisons, je persiste en ma thèse : 6+6 e
Cocuage est un bien. 6 k
Si ce prologue est long, la matière en est cause. 6+6 l
80 Ce n’est pas en passant qu’on traite cette chose. 6+6 l
Venons à notre histoire. Il étoit un quidam, 6+6 o
Dont je tairai le nom, l’état et la patrie. 6+6 b
Celui-ci, de peur d’accident, 8 o
Avoit juré que, de sa vie, 8 b
85 Femme ne lui seroit autre que bonne amie, 6+6 b
Nymphe, si vous voulez, bergère, et caetera ; 6+6 f
Pour épouse, jamais il n’en vint jusque-là. 6+6 f
S’il eut tort ou raison, c’est un point que je passe. 6+6 g
Quoi qu’il en soit, Hymen n’ayant pu trouver grâce 6+6 g
90 Devant cet homme, il fallut que l’Amour 4+6 h
Se mêlât seul de ses affaires, 8 i
Eût soin de le fournir des choses nécessaires, 6+6 i
Soit pour la nuit, soit pour le jour. 8 h
Il lui procura donc les faveurs d’une belle, 6+6 j
95 Qui d’une fille naturelle 8 j
Le fit père, et mourut. Le pauvre homme en pleura, 6+6 f
Se plaignit, gémit, soupira, 8 f
Non comme qui perdroit sa femme 8 k
(Tel deuil n’est bien.souvent que changement d’habits), 6+6 l
100 Mais comme qui perdroit tous ses meilleurs amis, 6+6 l
Son plaisir, son cœur et son âme. 8 k
La fille crût, se fit : on pouvoit déjà voir 6+6 m
Hausser et baisser son mouchoir. 8 m
Le temps coule ; on n’est pas sitôt à la bavette, 6+6 n
105 Qu’on trotte, qu’on raisonne ; on devient grandelette, 6+6 n
Puis grande tout à fait, et puis le serviteur. 6+6 z
Le père, avec raison, eut peur 8 z
Que sa fille, chassant de race, 8 g
Ne le prévînt, et ne prévînt encor 4+6 o
110 Prêtre, notaire, hymen, accord ; 8 o
Choses qui d’ordinaire ôtent toute la grâce 6+6 g
Au présent que l’on fait de soi. 8 q
La laisser sur sa bonne foi, 8 q
Ce n’étoit pas chose trop sûre. 8 r
115 Il vous mit donc la créature 8 r
Dans un couvent. Là, cette belle apprit 4+6 s
Ce qu’on apprend, à manier l’aiguille. 4+6 w
Point de ces livres qu’une fille 8 w
Ne lit qu’avec danger, et qui gâtent l’esprit ; 6+6 s
120 Le langage d’amour étoit jargon pour elle : 6+6 j
On n’eût su tirer de la belle 8 j
Un seul mot, que de sainteté ; 8 u
En spiritualité 7 u
Elle auroit confondu le plus grand personnage. 6+6 j
125 Si l’une des nonnains la louoit de beauté : 6+6 u
« Mon Dieu, fi ! disoit-elle ; ah ! ma sœur, soyez sage : 6+6 j
Ne considérez point des traits qui périront ; 6+6 v
C’est terre que cela, les vers le mangeront. » 6+6 v
Au reste, elle n’avoit au monde sa pareille 6+6 w
130 À manier un canevas, 8 m
Filoit mieux que Cloton, brodoit mieux que Pallas, 6+6 m
Tapissoit mieux qu’Arachne, et mainte autre merveille. 6+6 w
Sa sagesse, son bien, le bruit de ses beautés, 6+6 x
Mais le bien plus que tout, y fit mettre la presse ; 6+6 e
135 Car la belle étoit là comme en lieux empruntés, 6+6 x
Attendant mieux, ainsi que l’on y laisse 4+6 e
Les bons partis, qui vont souvent 8 o
Au moutier, sortant du couvent. 8 o
Vous saurez que le père avoit, longtemps devant, 6+6 o
140 Cette fille légitimée. 8 h
Caliste (c’est le nom de notre renfermée) 6+6 h
N’eut pas la clef des champs, qu’adieu les livres saints. 6+6 y
Il se présenta des blondins, 8 y
De bons bourgeois, des paladins, 8 y
145 Des gens de tous étais, de tout poil, de tout âge. 6+6 j
La belle en choisit tin, bien fait, beau personnage, 6+6 j
D’humeur commode, à ce qu’il lui sembla : 4+6 f
Et, pour gendre, aussitôt le père l’agréa. 6+6 f
La dot fut ample, ample fut le douaire : 4+6 d
150 La fille étoit unique, et le garçon aussi. 6+6 n
Mais ce ne fut pas là le meilleur de l’affaire : 6+6 d
Les mariés n’avoient souci 8 n
Que de s’aimer et de se plaire. 8 d
Deux ans de paradis s’étant passés ainsi, 6+6 n
155 L’enfer des enfers vint ensuite. 8 z
Une jalouse humeur saisit soudainement 6+6 o
Notre époux, qui fort sottement 8 o
S’alla mettre en l’esprit de craindre la poursuite 6+6 z
D’un amant, qui sans lui se seroit morfondu : 6+6 c
160 Sans lui, le pauvre homme eût perdu 8 c
Son temps à l’entour de la dame, 8 k
Quoique, pour la gagner, il tentât tout moyen. 6+6 k
Que doit faire un mari, quand on aime sa femme ? 6+6 k
Rien. 1 k
165 Voici pourquoi je lui conseille 8 w
De dormir, s’il se peut, d’un et d’autre côté. 6+6 u
Si le galant est écouté, 8 u
Vos soins ne feront pas qu’on lui ferme l’oreille. 6+6 w
Quant à l’occasion, cent pour une. Mais si 6+6 n
170 Des discours du blondin la belle n’a souci, 6+6 n
Vous le lui faites naître, et la chance se tourne. 6+6 a
Volontiers, où soupçon séjourne, 8 a
Cocuage séjourne aussi. 8 n
Damon (c’est notre époux) ne comprit pas ceci. 6+6 n
175 Je l’excuse et le plains, d’autant plus que l’ombrage 6+6 j
Lui vint par conseil seulement. 8 o
Il eût fait un trait d’homme sage, 8 j
S’il n’eût cru que son mouvement. 8 o
Vous allez entendre comment. 8 o
180 L’enchanteresse Nérie 7 b
Fleurissoit lors ; et Circé, 7 u
Au prix d’elle, en diablerie 7 b
N’eût été qu’à l’A B C. 7 u
Car Nérie eut à ses gages 7 b
185 Les intendants des orages, 7 b
Et tint le Destin lié : 7 u
Les Zéphyrs étoient ses pages : 7 b
Quant à ses valets de pied, 7 u
C’étoient messieurs les Borées, 7 d
190 Qui portoient par les contrées 7 d
Ses mandats souventesfois, 7 c
Gens dispos, mais peu courtois. 7 c
Avec toute sa science, 7 r
Elle ne put trouver de remède à l’amour : 6+6 h
195 Damon la captiva. Celle dont la puissance 6+6 r
Eût arrêté l’astre du jour, 8 h
Brûle pour un mortel, qu’en vain elle souhaite 6+6 n
Posséder une nuit à son contentement. 6+6 o
Si Nérie eût voulu des baisers seulement, 6+6 o
200 C’étoit une affaire faite : 7 n
Mais elle alloit au point, et ne marchandoit pas. 6+6 m
Damon, quoiqu’elle eût des appas, 8 m
Ne pouvoit se résoudre à fausser la promesse 6+6 e
D’être fidèle à sa moitié, 8 u
205 Et vouloit que l’enchanteresse 8 e
Se tînt aux marques d’amitié. 8 u
Où sont-ils ces maris ? La race en est cessée, 6+6 h
Et même je ne sais si jamais on en vit. 6+6 s
L’histoire, en cet endroit, est, selon ma pensée, 6+6 h
210 Un peu sujette à contredit. 8 s
L’Hippogriffe n’a rien qui me choque l’esprit, 6+6 s
Non plus que la Lance enchantée ; 8 h
Mais ceci, c’est un point qui d’abord me surprit : 6+6 s
Il passera pourtant ; j’en ai fait passer d’autres. 6+6 e
215 Les gens d’alors étoient d’autres gens que les nôtres : 6+6 e
On ne vivoit pas comme on vit. 8 s
Pour venir à ses fins, l’amoureuse Nérie 6+6 b
Employa philtres et brevets, 8 s
Eut recours aux regards remplis d’afféterie, 6+6 b
220 Enfin n’omit aucuns secrets. 8 s
Damon, à ces ressorts, opposoit l’hyménée. 6+6 h
Nérie en fut fort étonnée. 8 h
Elle lui dit un jour : « Votre fidélité 6+6 u
Vous paroît héroïque et digne de louange ; 6+6 f
225 Mais je voudrais savoir comment de son côté 6+6 u
Caliste en use, et lui rendre le change 4+6 f
Quoi donc ! si votre femme avoit un favori, 6+6 n
Vous feriez l’homme chaste auprès d’une maîtresse ? 6+6 e
Et pendant que Caliste, attrapant son mari, 6+6 n
230 Pousseroit jusqu’au bout ce qu’on nomme tendresse, 6+6 e
Vous n’iriez qu’à moitié chemin ? 8 k
Je vous croyois beaucoup plus tin, 8 k
Et ne vous tenois pas homme de mariage. 6+6 j
Laissez les bons bourgeois se plaire en leur ménage ; 6+6 j
235 C’est pour eux seuls qu’Hymen fit les plaisirs permis. 6+6 l
Mais, vous, ne pas chercher ce qu’Amour a d’exquis ! 6+6 l
Les plaisirs défendus n’auront rien qui vous pique ! 6+6 g
Et vous les bannirez de votre république ! 6+6 g
Non, non, je veux qu’ils soient désormais vos amis. 6+6 l
240 Faites-en seulement l’épreuve ; 8 h
Ils vous feront trouver Caliste toute neuve, 6+6 h
Quand vous reviendrez au logis. 8 l
Apprenez, tout au moins, si votre femme est chaste. 6+6 i
Je trouve qu’un certain Éraste 8 i
245 Va chez vous fort assidûment. 8 o
— Seroit-ce en qualité d’amant, 8 o
Reprit Damon, qu’Éraste nous visite ? 4+6 z
Il est trop mon ami pour toucher ce point-là. 6+6 f
— Votre ami, tant qu’il vous plaira ! 8 f
250 Dit Nérie, honteuse et dépite : 8 z
Caliste a des appas, Éraste a du mérite ; 6+6 z
Du côté de l’adresse, il ne leur manque rien ; 6+6 k
Tout cela s’accommode bien. » 8 k
Ce discours porta coup et fit songer notre homme. 6+6 v
255 Une épouse fringante, et jeune, et dans son feu, 6+6 j
Et prenant plaisir à ce jeu 8 j
Qu’il n’est pas besoin que je nomme ; 8 v
Un personnage expert aux choses de l’amour, 6+6 h
Hardi comme un homme de cour, 8 h
260 Bien fait, et promettant beaucoup de sa personne : 6+6
Où Damon jusqu’alors avoit-il mis ses yeux ? 6+6 f
Car d’amis !… Moquez-vous ; c’est une bagatelle. 6+6 j
En est-il de religieux, 8 f
Jusqu’à désemparer, alors que la donzelle 6+6 j
265 Montre à demi son sein, sort du lit un bras blanc, 6+6 o
Se tourne, s’inquiète, et regarde un galant 6+6 o
En cent façons, de qui la moins friponne 4+6 g
Veut dire : « Il y fait bon ; l’heure du berger sonne ; 6+6 g
Êtes-vous sourd ?… » Damon a dans l’esprit 4+6 s
270 Que tout cela s’est fait ; du moins, qu’il s’est pu faire. 6+6 d
Sur ce beau fondement le pauvre homme bâtit 6+6 s
Maint ombrage et mainte chimère. 8 d
Nérie en a bientôt le vent ; 8 o
Et, pour tourner en certitude 8 l
275 Le soupçon et l’inquiétude 8 l
Dont Damon s’est coiffé si malheureusement, 6+6 o
L’enchanteresse lui propose 8 l
Une chose ; 3 l
C’est de se frotter le poignet 8 q
280 D’une eau dont les sorciers ont trouvé le secret, 6+6 q
Et qu’ils appellent l’eau de la Métamorphose, 6+6 l
Ou des Miracles autrement. 8 o
Cette drogue, en moins d’un moment, 8 o
Lui donneroit d’Éraste et l’air et le visage, 6+6 j
285 Et le maintien et le corsage, 8 j
Et la voix ; et Damon, sous ce feint personnage, 6+6 j
Pourrait voir si Caliste en viendrait à l’effet. 6+6 q
Damon n’attend pas davantage : 8 j
Il se frotte ; il devient l’Éraste le mieux fait, 6+6 q
290 Que la Nature ait jamais fait. 8 q
En cet état, il va trouver sa femme, 4+6 k
Met la fleurette au vent, et cachant son ennui : 6+6 n
« Que vous êtes belle aujourd’hui ! 8 n
Lui dit-il ; qu’avez-vous, madame, 8 k
295 Qui vous donne cet air d’un vrai jour de printemps ? » 6+6 m
Caliste, qui savoit les propos des amants, 6+6 m
Tourna la chose en raillerie. 8 b
Damon changea de batterie : 8 b
Pleurs et soupirs furent tentés, 8 x
300 Et pleurs et soupirs rebutés. 8 x
Caliste étoit un roc ; rien n’émouvoit la belle. 6+6 j
Pour dernière machine, à la fin, notre époux 6+6 n
Proposa de l’argent ; et la somme fut telle, 6+6 j
Qu’on ne s’en mit point en courroux. 8 n
305 La quantité rend excusable. 8 y
Caliste enfin l’inexpugnable 8 y
Commença d’écouter raison ; 8 o
Sa chasteté plia : car comment tenir bon 6+6 o
Contre ce dernier adversaire ? 8 d
310 Si tout ne s’ensuivit, il ne tint qu’à Damon ; 6+6 o
L’argent en auroit fait l’affaire. 8 d
Et quelle affaire ne fait point 8 p
Ce bienheureux métal, l’argent, maître du monde ? 6+6 q
Soyez beau, bien disant, ayez perruque blonde, 6+6 q
315 N’omettez un seul petit point : 8 p
Un financier viendra, qui, sous votre moustache, 6+6 r
Enlèvera la belle ; et, dès le premier jour, 6+6 h
Il fera présent du panache ; 8 r
Vous languirez encore après un an d’amour. 6+6 h
320 L’argent sut donc fléchir ce cœur inexorable. 6+6 y
Le rocher disparut : un mouton succéda, 6+6 f
Un mouton qui s’accommoda 8 f
À tout ce qu’on voulut, mouton doux et traitable, 6+6 y
Mouton qui, sur le point de ne rien refuser, 6+6 u
325 Donna pour arrhes un baiser. 8 u
L’époux ne voulut pas pousser plus loin la chose, 6+6 l
Ni de sa propre honte être lui-même cause. 6+6 l
Il reprit donc sa forme, et dit à sa moitié 6+6 u
« Ah ! Caliste, autrefois de Damon si chérie, 6+6 b
330 Caliste, que j’aimai cent fois plus que ma vie, 6+6 b
Caliste, qui m’aimas d’une ardente amitié, 6+6 u
L’argent t’est-il plus cher qu’une union si belle ? 6+6 j
Je devrois dans ton sang éteindre ce forfait : 6+6 q
Je ne puis ; et je t’aime encor tout infidèle : 6+6 j
335 Ma mort seule expiera le tort que tu m’as fait. » 6+6 q
Notre épouse, voyant cette métamorphose, 6+6 l
Demeura bien surprise ; elle dit peu de chose ; 6+6 l
Les pleurs furent son seul recours. 8 s
Le mari passa quelques jours 8 s
340 À raisonner sur cette affaire. 8 d
Un cocu se pouvoit-il faire 8 d
Par la volonté seule, et sans venir au point ? 6+6 p
L’étoit-il ? nel’étoit-il point ? 8 p
Cette difficulté fut encore éclaircie 6+6 b
345 Par Nérie. 3 b
« Si vous êtes, dit-elle, en doute de cela, 6+6 f
Buvez dans cette coupe-là : 8 f
On la fit par tel art, que, dès qu’un personnage 6+6 j
Dûment atteint de cocuage 8 j
350 Y veut porter la lèvre, aussitôt tout s’en va ; 6+6 f
Il n’en avale rien, et répand le breuvage 6+6 j
Sur son sein, sur sa barbe, et sur son vêtement. 6+6 o
Que s’il n’est point censé cocu suffisamment, 6+6 o
Il boit tout, sans répandre goutte. » 8 t
355 Damon, pour éclaircir son doute, 8 t
Porte la lèvre au vase ; il ne se répand rien. 6+6 k
« C’est, dit — il, réconfort ; et pourtant je sais bien 6+6 k
Qu’il n’a tenu qu’à moi. Qu’ai-je affaire de coupe ? 6+6 u
Faites-moi place en votre troupe, 8 u
360 Messieurs de la grand’bande. » Ainsi disoit Damon, 6+6 o
Faisant à sa femelle un étrange sermon. 6+6 o
Misérables humains, si pour des cocuages 6+6 b
Il faut en ces pays faire tant de façon, 6+6 o
Allons-nous-en chez les Sauvages ! 8 b
365 Damon, de peur de pis, établit des Argus 6+6 v
À l’entour de sa femme, et la rendit coquette. 6+6 n
Quand les galants sont défendus, 8 v
C’est alors que l’on les souhaite. 8 n
Le malheureux époux s’informe, s’inquiète, 6+6 n
370 Et de tout son pouvoir court au-devant d’un mal 6+6 t
Que la peur bien souvent rend aux hommes fatal. 6+6 t
De quart d’heure en quart d’heure il consulte la tasse, 6+6 g
Il y boit huit jours sans disgrâce. 8 g
Mais, à la fin, il y boit tant, 8 o
375 Que le breuvage se répand. 8 o
Ce fut bien là le comble. O science fatale ! 6+6 x
Science que Damon eût bien fait d’éviter ! 6+6 u
Il jette de fureur cette coupe infernale ; 6+6 x
Lui-même est sur le point de se précipiter. 6+6 u
380 Il enferme sa femme en une tour carrée ; 6+6 h
Lui va soir et matin reprocher son forfait. 6+6 q
Cette honte, qu’auroit le silence enterrée, 6+6 h
Court le pays et vit du vacarme qu’il fait. 6+6 q
Caliste cependant mène une triste vie. 6+6 b
385 Comme on ne lui laissoit argent ni pierrerie, 6+6 b
Le geôlier fut fidèle ; elle eut beau le tenter. 6+6 u
Enfin la pauvre malheureuse 8 y
Prend son temps, que Damon, plein d’ardeur amoureuse, 6+6 y
Étoit d’humeur à l’écouter, 8 u
390 « J’ai, dit-elle, commis un crime inexcusable ; 6+6 y
Mais quoi ! suis-je la seule ? Hélas ! non. Peu d’époux 6+6 n
Sont exempts, ce dit-on, d’un accident semblable. 6+6 y
Que le moins entaché se moque un peu de vous. 6+6 n
Pourquoi donc être inconsolable ? 8 y
395 — Eh bien ! reprit Damon, je me consolerai, 6+6 a
Et même vous pardonnerai, 8 a
Tout incontinent que j’aurai 8 a
Trouvé de mes pareils une telle légende, 6+6 b
Qu’il s’en puisse former une armée assez grande 6+6 b
400 Pour s’appeler royale. Il ne faut qu’employer 6+6 u
Le vase qui me sut vos secrets révéler. » 6+6 u
Le mari, sans tarder, exécutant la chose, 6+6 l
Attire les passants, tient table en son château ; 6+6 c
Sur la fin des repas, à chacun il propose 6+6 l
405 L’essai de cette coupe, essai rare et nouveau. 6+6 c
« Ma femme, leur dit-il, m’a quitté pour un autre ; 6+6 d
Voulez-vous savoir si la vôtre 8 d
Vous est fidèle ? Il est quelquefois bon 4+6 o
D’apprendre comme tout se passe à la maison. 6+6 o
410 En voici le moyen : Buvez dans cette tasse ; 6+6 g
Si votre femme, de sa grâce, 8 g
Ne vous donne aucun suffragant, 8 o
Vous ne répandrez nullement ; 8 o
Mais si du dieu nommé Vulcan 8 o
415 Vous suivez la bannière, étant de nos confrères 6+6 i
En ces redoutables mystères, 8 i
De part et d’autre la boisson 8 o
Coulera sur votre menton, » 8 o
Autant qu’il s’en rencontre à qui Damon propose 6+6 l
420 Cette pernicieuse chose, 8 l
Autant en font l’essai : presque tous y sont pris. 6+6 l
Tel en rit, tel en pleure ; et, selon les esprits, 6+6 l
Cocuage en plus d’une sorte 8 e
Tient sa morgue parmi ses gens. 8 m
425 Déjà l’armée est assez forte 8 e
Pour faire corps et battre aux champs. 8 m
La voilà tantôt qui menace 8 g
Gouverneurs de petite place, 8 g
Et leur dit qu’ils seront pendus, 8 v
430 Si de tenir ils ont l’audace : 8 g
Car, pour être royale, il ne lui manque plus 6+6 v
Que peu de gens ; c’est une affaire 8 d
Que deux ou trois mois peuvent faire. 8 d
Le nombre croît de jour en jour, 8 h
435 Sans que l’on batte le tambour. 8 h
Les différents degrés où monte Cocuage 6+6 j
Règlent le pas et les emplois. 8 c
Ceux qu’il n’a visités seulement qu’une fois 6+6 c
Sont fantassins pour tout potage ; 8 j
440 On fait les autres cavaliers. 8 x
Quiconque est de ses familiers, 8 x
On ne manque pas de l’élire 8 f
Ou capitaine, ou lieutenant ; 8 o
Ou l’on lui donne un régiment, 8 o
445 Selon qu’entre les mains du sire, 8 f
Ou plus ou moins subitement, 8 o
La liqueur du vase s’épand. 8 o
Un versa tout en un moment : 8 o
Il fut fait général. Et croyez que l’armée 6+6 h
450 De hauts officiers ne manqua : 8 f
Plus’d’un intendant se trouva ; 8 f
Cette charge fut partagée. 8 h
Le nombre des soldats étant presque complet, 6+6 q
Et plus que suffisant pour se mettre en campagne, 6+6 g
455 Renaud, neveu de Charlemagne, 8 g
Passe par ce château : l’on l’y traite à souhait ; 6+6 q
Puis, le seigneur du lieu lui fait 8 q
Môme harangue qu’à la troupe. 8 u
Renaud dit à Damon : « Grand merci de la coupe ! 6+6 u
460 Je crois ma femme chaste, et cette foi suffit. 6+6 s
Quand la coupé me l’aura dit, 8 s
Que m’en reviendra-t-il ? Cela sera-t-il cause 6+6 l
De me faire dormir de plus que de deux yeux ? 6+6 f
Je dors d’autant, grâces aux dieux. 8 f
465 Puis-je demander autre chose ? 8 l
Que sais-je ? Par hasard, si le vin s’épandoit ? 6+6 h
Si je ne tenois pas votre vase assez droit ? 6+6 h
Je suis quelquefois maladroit : 8 h
Si cette coupe enfin me prenoit pour un autre ? 6+6 d
470 Messire Damon, je suis vôtre : 8 d
Commandez-moi tout, hors ce point. ». 8 p
Ainsi Renaud partit, et ne hasarda point. 6+6 p
Damon dit :Celui-ci, messieurs, est bien plus sage 6+6 j
Que nous n’avons été ! Consolons-nous pourtant ; 6+6 o
475 Nous avons des pareils ; c’est un grand avantage. » 6+6 j
Il s’en rencontra tant et tant, 8 o
Que, l’armée à la fin royale devenue, 6+6 i
Caliste eut liberté, selon le convenant ; 6+6 o
Par son mari chère tenue, 8 i
480 Tout de même qu’auparavant. 8 o
Époux, Renaud vous montre à vivre : 8 j
Pour Damon, gardez de le suivre. 8 j
Peut-être le premier eût eu charge de l’ost : 6+6 k
Que sait-on ? Nul mortel, soit Roland, soit Renaud, 6+6 k
485 Du danger de répandre exempt ne se peut croire : 6+6 m
Charlemagne lui-même auroit eu tort de boire. 6+6 m
mètre profils métriques : 8, 7, 3, 6+6, 4+6, (6), (1)
logo du CRISCO logo de l'université