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LFT_2/LFT282
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE TROISIÈME – 1671
III
LES RÉMOIS
Il n’est ci que je préfère à Reims : 4+6 a
C’est l’ornement et l’honneur de la France ; 4+6 b
Car, sans compter l’Ampoule et les bons vins, 4+6 a
Charmants objets y sont en abondance. 4+6 b
5 Par ce point-là, je n’entends, quant à moi, 4+6 a
Tours ni portaux, mais gentilles galoises ; 4+6 b
Ayant trou telle de nos Rémoises 4+6 b
Friande assez pour la bouche d’un roi. 4+6 a
Une avoit pris un peintre en mariage, 4+6 a
10 Homme esti dans sa profession : 4+6 b
Il en vivoit ; que faut-il davantage ? 4+6 a
C’étoit assez pour sa condition. 4+6 b
Chacun trouvoit sa femme fort heureuse : 4+6 a
Le drôle étoit, grâce à certain talent, 4+6 b
15 Très-bon époux, encor meilleur galant. 4+6 b
De son travail mainte dame amoureuse 4+6 a
L’alloit trouver ; et le tout à deux fins : 4+6 a
C’étoit le bruit, à ce que dit l’histoire. 4+6 b
Moi qui ne suis, en cela, des plus fins, 4+6 a
20 Je m’en rapporte à ce qu’il en faut croire. 4+6 b
Dès que le sire avoit donzelle en main, 4+6 a
Il en rioit avecque son épouse. 4+6 b
Les droits d’hymen allant toujours leur train, 4+6 a
Besoin n’étoit qu’elle fit là jalouse. 4+6 b
25 Même elle eût pu le payer de ses tours, 4+6 a
Et comme lui voyager en amours ; 4+6 a
Sauf d’en user avec plus de prudence, 4+6 a
Ne lui faisant la même confidence. 4+6 a
Entre les gens qu’elle sut attirer, 4+6 a
30 Deux siens voisins se laissèrent leurrer 4+6 a
À l’entretien libre et gai de la dame ; 4+6 b
Car c’étoit bien la plus trompeuse femme 4+6 b
Qu’en ce point-là l’on eût su rencontrer, 4+6 a
Sage surtout, mais aimant fort à rire. 4+6 a
35 Elle ne manque incontinent de dire 4+6 a
À son mari l’amour des deux bourgeois 4+6 a
(Tous deux gens sots, tous deux gens à sornettes) ; 4+6 b
Lui raconta mot pour mot leurs fleurettes, 4+6 b
Pleurs et soupirs, gémissements gaulois. 4+6 a
40 Ils avoient lu, ou plutôt ouï dire, 4+6 a
Que d’ordinaire en amour on soupire ; 4+6 a
Ils tâchoient donc d’en faire leur devoir, 4+6 a
Que bien, que mal, et selon leur pouvoir : 4+6 a
À frais communs se conduisoit l’affaire. 4+6 a
45 Ils ne devoient nulle chose se taire : 4+6 a
Le premier d’eux qu’on favoriseroit, 4+6 a
De son bonheur part à l’autre feroit. 4+6 a
Femmes, voi souvent comme on vous traite ! 4+6 a
Le seul plaisir est ce que l’on souhaite ; 4+6 a
50 Amour est mort : le pauvre compagnon 4+6 a
Fut enterré sur les bords du Lignon ; 4+6 a
Nous n’en avons ici ni vent ni voie. 4+6 a
Vous y servez de jouet et de proie 4+6 a
À jeunes gens indiscrets, scélérats : 4+6 a
55 C’est bien raison qu’au double on le leur rende : 4+6 b
Le beau premier qui sera dans vos lacs, 4+6 a
Plumez-le-moi, je vous le recommande. 4+6 b
La dame donc, pour tromper ses voisins, 4+6 a
Leur dit un jour : « Vous boirez de nos vins, 4+6 a
60 Ce soir, chez nous. Mon mari s’en va faire 4+6 a
Un tour aux champs ; et le bon de l’affaire, 4+6 a
C’est qu’il ne doit au gîte revenir. 4+6 a
Nous nous pourrons à l’aise entretenir. 4+6 a
— Bon ! dirent-ils. Nous viendrons sur la brune. » 4+6 a
65 Or, les voi compagnons de fortune. 4+6 a
La nuit venue, ils vont au rendez-vous. 4+6 a
Eux introduits, croyant ville gagnée, 4+6 b
Un bruit survint, la fête fut troublée ; 4+6 b
On frappe à l’huis. Le logis aux verrous 4+6 a
70 Étoit fermé : la femme, à la fenêtre, 4+6 c
Court, en disant : « Celui-là frappe en maître ! 4+6 c
Seroit-ce point, par malheur, mon époux ? 4+6 a
Oui ; cachez-vous, dit-elle ; c’est lui-même. 4+6 a
Quelque accident, ou bien quelque soupçon, 4+6 b
75 Le font venir coucher à la maison, 4+6 b
Nos deux galants, dans ce péril extrême, 4+6 a
Se jettent vite en certain cabinet : 4+6 a
Car s’en aller, comment auroient-ils fait ? 4+6 a
Ils n’avoient pas le pied hors de la chambre, 4+6 a
80 Que l’époux entre, et voit au feu le membre 4+6 a
Accompagné de maint et maint pigeon ; 4+6 a
L’un au hâtier, les autres au chaudron. 4+6 a
Oh ! oh ! dit-il, voilà bonne cuisine ! 4+6 a
Qui traitez-vous ?Alis, notre voisine, 4+6 a
85 Reprit l’épouse, et Simonette aussi. 4+6 a
Loué soit Dieu qui vous ramène ici ! 4+6 a
La compagnie en sera plus complète. 4+6 a
Madame Alis, madame Simonette, 4+6 a
N’y perdront rien. Il faut les avertir 4+6 a
90 Que tout est prêt, qu’elles n’ont qu’à venir 4+6 a
J’y cours moi-même. » Alors la créature. 4+6 a
Les va prier. Or, c’étaient les moitiés 4+6 b
De nos galants et chercheurs d’aventure, 4+6 a
Qui, fort chagrins de se voir enfermés, 4+6 b
95 Ne laissoient pas de louer leur hôtesse 4+6 a
De s’être ainsi tirée avec adresse 4+6 a
De cet apprêt. Avec elle, à l’instant, 4+6 a
Leurs deux moitiés entrent, tout en chantant 4+6 a
On les salue, on les baise, on les loue 4+6 a
100 De leur beauté, de leur ajustement ; 4+6 b
On les contemple, on patine, on se joue. 4+6 a
Cela ne plut aux maris nullement. 4+6 b
Du cabinet la porte à demi close 4+6 a
Leur laissant voir le tout distinctement, 4+6 b
105 Ils ne prenoient aucun goût à la chose : 4+6 a
Mais passe encoreencor pour ce commencement. 4+6 b
Le souper mis presque au même moment, 4+6 b
Le peintre prit par la main les deux femmes, 4+6 a
Les fit asseoir, entre elles se plaça. 4+6 b
110 « Je bois, dit-il, à la santé des dames ! 4+6 a
« Et de trinquer : passe encor pour cela. 4+6 b
On fit raison : le vin ne dura guère. 4+6 a
L’hôtesse, étant alors sans chambrière, 4+6 a
Court à la cave, et, de peur des esprits, 4+6 a
115 Mène avec soi madame Simonette, 4+6 b
Le peintre reste avec madame Alis, 4+6 a
Provinciale assez belle, et bien faite, 4+6 b
Et s’en piquant, et qui pour le pays 4+6 a
Se pouvoit dire honnêtement coquette. 4+6 a
120 Le compagnon, vous la tenant seulette, 4+6 a
La conduisit de fleurette en fleurette 4+6 a
Jusqu’au toucher, et puis un peu plus loin ; 4+6 b
Puis, tout à coup levant la collerette, 4+6 a
Prit un baiser, dont l’époux fut témoin. 4+6 b
125 Jusque-là passe : époux, quand ils sont sages, 4+6 a
Ne prennent garde à ces menus suffrages ; 4+6 a
Et d’en tenir registre, c’est abus. 4+6 a
Bien est-il vrai qu’en rencontre pareille 4+6 b
Simples baisers font craindre le surplus ; 4+6 a
130 Car Satan lors vient frapper sur l’oreille 4+6 b
De tel qui dort, et fait tant, qu’il s’éveille. 4+6 b
L’époux vit donc que, tandis qu’une main 4+6 a
Se promenoit sur la gorge à son aise, 4+6 b
L’autre prenoit tout un autre chemin. 4+6 a
135 Ce fut alors, dame ! ne vous déplaise, 4+6 b
Que, le courroux lui montant au cerveau, 4+6 a
Il s’en alloit, enfonçant son chapeau, 4+6 a
Mettre l’alarme en tout le voisinage, 4+6 a
Lattre sa femme, et dire au peintre rage, 4+6 a
140 Et témoigner qu’il n’avoit les bras gourds. » 4+6 a
Gardez-vous bien de faire une sottise, 4+6 b
Lui dit tout bas son compagnon d’amours, 4+6 a
Tenez-vous coi ; le bruit, en nulle guise, 4+6 b
N’est bon ici, d’autant plus qu’en vos lacs 4+6 a
145 Vous êtes pris : ne vous montrez donc pas ; 4+6 a
C’est le moyen d’étouffer cette affaire. 4+6 a
Il est écrit qu’à nul il ne faut faire 4+6 a
Ce qu’on ne veut à soi-même être fait. 4+6 a
Nous ne devons quitter ce cabinet, 4+6 a
150 Que bien à point, et tantôt, quand cet homme, 4+6 a
Étant au lit, prendra son premier somme. 4+6 a
Selon mon sens, c’est le meilleur parti. 4+6 a
À tard viendrait aussi bien la querelle. 4+6 b
N’êtes-vous pas cocu plus qu’à demi ? 4+6 a
155 Madame Alis au fait a consenti : 4+6 a
Cela suffit ; le reste est bagatelle. » 4+6 b
L’époux gta quelque peu ces raisons. 4+6 a
Sa femme fit quelque peu de façons, 4+6 a
N’ayant le temps d’en faire davantage. 4+6 a
160 Et puis ? Et puis, comme personne sage, 4+6 a
Elle remit sa coiffure en état. 4+6 b
On n’eût jamais souonné ce ménage, 4+6 a
Sans qu’il restoit un certain incarnat 4+6 b
Dessus son teint ; mais c’étoit peu de chose ; 4+6 a
165 Dame fleurette en pouvoit être cause. 4+6 a
L’une pourtant des tireuses de vin, 4+6 a
De lui sourire, au retour, ne fit faute : 4+6 b
Ce fut la peintre. On se remit en train ; 4+6 a
On releva grillades et festin : 4+6 a
170 On but encore à la santé de l’hôte, 4+6 b
Et de l’hôtesse, et de celle des trois, 4+6 a
Qui, la première, auroit quelque aventure. 4+6 b
Le vin manqua pour la seconde fois : 4+6 a
L’hôtesse, adroite et fine créature, 4+6 b
175 Soutient toujours qu’il revient des esprits 4+6 a
Chez les voisins. Ainsi madame Alis 4+6 a
Servit d’escorte. Entendez que la dame, 4+6 a
Pour l’autre emploi, inclinoit en son âme, 4+6 a
Mais on l’emmène ; et, par ce moyen-là, 4+6 a
180 De faction Simonette changea. 4+6 a
Celle-ci fait d’abord plus la sévère, 4+6 a
Veut suivre l’autre, ou feint le vouloir faire, 4+6 a
Mais, se sentant par le peintre tirer, 4+6 a
Elle demeure, étant trop ménagère 4+6 b
185 Pour se laisser son habit déchirer. 4+6 a
L’époux, voyant quel train prenoit l’affaire, 4+6 b
Voulut sortir. L’autre lui dit : « Tout doux, 4+6 a
Nous ne voulons sur vous nul avantage. 4+6 b
C’est bien raison que messer Cocuage 4+6 b
190 Sur son état vous couche ainsi que nous : 4+6 a
Sommes-nous pas compagnons de fortune ? 4+6 a
Puisque le peintre en a, caressé l’une, 4+6 a
L’autre doit suivre. Il faut, bon gré mal gré, 4+6 a
Qu’elle entre en danse ; et, s’il est nécessaire, 4+6 b
195 Je m’offrirai de lui tenir le pied : 4+6 a
Vouliez ou non, elle aura son affaire. » 4+6 b
Elle l’eut donc ; notre peintre y pourvut 4+6 a
Tout de son mieux : aussi, le valoit-elle. 4+6 b
Cette dernière eut ce qu’il lui fallut ; 4+6 a
200 On en donna le loisir à la belle. 4+6 b
Quand le vin fut de retour, on conclut 4+6 a
Qu’il ne falloit s’attabler davantage. 4+6 a
Il étoit tard ; et le peintre avoit fait, 4+6 b
Pour ce jour-là, suffisamment d’ouvrage. 4+6 a
205 On dit bonsoir. Le drôle, satisfait, 4+6 b
Se met au lit : nos gens sortent de cage. 4+6 a
L’hôtesse alla tirer du cabinet 4+6 b
Les regardants, honteux, mal contents d’elle, 4+6 a
Cocus de plus. Le pis de leur méchef 4+6 b
210 Fut qu’aucun d’eux ne put venir à chef 4+6 b
De son dessein, ni rendre à la donzelle 4+6 a
Ce qu’elle avoit à, leurs femmes prêté : 4+6 a
Par conséquent, c’est fait, j’ai tout conté. 4+6 a
mètre profil métrique : 4+6
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