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LFT_2/LFT271
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE DEUXIÈME 1667 — 1669
VIII
LE CALENDRIER DES VIEILLARDS
NOUVELLE TIRÉE DE BOCCACE
Plus d’une fois je me suis étonné 4+6 a
Que ce qui fait la paix du mariage 4+6 b
En est le point le moins considéré, 4+6 a
Lorsque l’on met une fille en ménage. 4+6 b
5 Les père et mère ont pour objet le bien ; 4+6 a
Tout le surplus, ils le comptent pour rien : 4+6 a
Jeunes tendrons à vieillards apparient, 4+6 a
Et cependant je vois qu’ils se soucient 4+6 a
D’avoir chevaux à leur char attelés 4+6 a
10 De même taille, et mêmes chiens couplés ; 4+6 a
Ainsi des boeufs, qui de force pareille 4+6 a
Sont toujours pris ; car ce seroit merveille, 4+6 a
Si sans cela la charrue alloit bien. 4+6 a
Comment pourroit celle du mariage 4+6 b
15 Ne mal aller, étant un attelage 4+6 b
Qui bien souvent ne se rapporte en rien ? 4+6 a
J’en vais conter un exemple notable, 4+6 a
On sait qui fut Richard de Quinzica, 4+6 b
Qui mainte fête à sa femme allégua, 4+6 b
20 Mainte vigile, et maint jour fériable, 4+6 a
Et du devoir crut s’échapper par là. 4+6 a
Très lourdement il erroit en cela. 4+6 a
Cettui Richard étoit juge dans Pise, 4+6 a
Homme savant en l’étude des lois, 4+6 b
25 Riche d’ailleurs, mais dont la barbe grise 4+6 a
Montrait assez qu’il devoit faire choix 4+6 b
De quelque femme à peu près de même âge ; 4+6 a
Ce qu’il ne fit, prenant en mariage 4+6 a
La mieux séante et la plus jeune d’ans 4+6 a
30 De la cité ; fille bien alliée, 4+6 b
Belle surtout : c’étoit Bartholomée 4+6 b
De Galandi, qui parmi ses parents 4+6 a
Pouvoit compter les plus gros de la ville. 4+6 a
En ce, ne fit Richard tour d’homme habile ; 4+6 a
35 Et l’on disoit communément de lui, 4+6 a
Que ses enfants ne manqueraient de pères. 4+6 b
Tel fait métier de conseiller autrui, 4+6 a
Qui no voit goutte en ses propres affaires. 4+6 b
Quinzica donc, n’ayant de quoi servir 4+6 a
40 Un tel oiseau qu’étoit Bartholomée, 4+6 b
Pour s’excuser, et pour la contenir, 4+6 a
Ne rencontrait point de jour en l’année, 4+6 b
Selon son compte et son calendrier, 4+6 a
Où l’on se pût sans scrupule appliquer 4+6 a
45 Au fait d’hymen ; chose aux vieillards commode, 4+6 a
Mais dont le sexe abhorre la méthode. 4+6 a
Quand je dis point, je veux dire très-peu : 4+6 a
Encor ce peu lui donnoit de la peine. 4+6 b
Toute en férie il mettoit la semaine, 4+6 b
50 Et bien souvent faisoit venir en jeu 4+6 a
Saint qui ne fut jamais dans la légende. 4+6 a
« Le vendredi, disoit-il, nous demande 4+6 a
D’autres pensers, ainsi que chacun sait : 4+6 a
Pareillement, il faut que l’on retranche 4+6 b
55 Le samedi, non sans juste sujet, 4+6 a
D’autant que c’est la veille du dimanche. 4+6 b
Pour ce dernier, c’est un jour de repos ; 4+6 a
Quant au lundi, je ne trouve à propos 4+6 a
De commencer par ce point la semaine : 4+6 a
60 Ce n’est le fait d’une âme bien chrétienne. » 4+6 a
Les autres jours, autrement s’excusoit : 4+6 a
Et quand venoit aux fêtes solennelles, 4+6 b
C’étoit alors que Richard triomphoit, 4+6 a
Et qu’il donnoit les leçons les plus belles. 4+6 b
65 Long-temps devant, toujours il s’abstenoit ; 4+6 a
Long-temps après, il en usoit de même ; 4+6 b
Aux quatre-temps, autant il en faisoit, 4+6 a
Sans oublier l’avent ni le carême. 4+6 b
Cette saison pour le vieillard étoit 4+6 a
70 Un temps de Dieu ; jamais ne s’en lassoit. 4+6 a
De patrons même il avoit une liste : 4+6 a
Point de quartier pour un évangéliste, 4+6 a
Pour un apôtre, ou bien pour un docteur : 4+6 a
Vierge n’étoit, martyr, et confesseur, 4+6 a
75 Qu’il ne chômât ; tous les savoit par cœur. 4+6 a
Que s’il étoit au bout de son scrupule, 4+6 a
Il alléguoit les jours malencontreux, 4+6 b
Puis les brouillards, et puis la canicule, 4+6 a
De s’excuser n’étant jamais honteux. 4+6 b
80 La chose ainsi presque toujours égale, 4+6 a
Quatre fois l’an, de grâce spéciale, 4+6 a
Notre docteur régaloit sa moitié 4+6 a
Petitement ; enfin c’étoit pitié. 4+6 a
À cela près, il traitoit bien sa femme : 4+6 a
85 Les affiquets, les habits à changer, 4+6 b
Joyaux, bijoux, ne manquoient à la dame. 4+6 a
Mais tout cela n’est que pour amuser 4+6 b
Un peu de temps des esprits de poupée : 4+6 a
Droit au solide alloit Bartholomée. 4+6 a
90 Son seul plaisir dans la belle saison, 4+6 a
C’étoit d’aller à certaine maison 4+6 a
Que son mari possédoit sur la côte : 4+6 a
Ils y couchoient tous les huit jours, sans faute. 4+6 a
Là, quelquefois, sur la mer ils montoient, 4+6 a
95 Et le plaisir de la pêche goûtoient, 4+6 a
Sans s’éloigner que bien peu de la rade. 4+6 a
Arrive donc qu’un jour de promenade, 4+6 a
Bartholomée et messer le docteur 4+6 a
Prennent chacun une barque à pêcheur, 4+6 a
100 Sortent sur mer : ils avoient fait gageure 4+6 b
À qui des deux auroit plus de bonheur, 4+6 a
Et trouverait la meilleure aventure 4+6 b
Dedans sa pêche, et n’avoient avec eux, 4+6 a
Dans chaque barque, en tout, qu’un homme ou deux. 4+6 a
105 Certain corsaire aperçut la chaloupe 4+6 a
De notre épouse, et vint avec sa troupe 4+6 a
Fondre dessus, l’emmena bien et beau ; 4+6 a
Laissa Richard : soit que près du rivage 4+6 b
Il n’osât pas hasarder davantage ; 4+6 b
110 Soit qu’il craignît qu’ayant dans son vaisseau 4+6 a
Notre vieillard, il ne pût de sa proie 4+6 a
Si bien jouir ; car il aimoit la joie 4+6 a
Plus que l’argent ; et toujours avoit fait 4+6 a
Avec honneur son métier de corsaire ; 4+6 b
115 Au jeu d’amour étoit homme d’effet, 4+6 a
Ainsi que sont gens de pareille affaire. 4+6 b
Gens de mer sont toujours prêts à bien faire, 4+6 b
Ce qu’on appelle autrement bons garçons : 4+6 a
On n’en voit point qui les fêtes allègue. 4+6 b
120 Or tel étoit celui dont nous parlons, 4+6 a
Ayant pour nom Pagamin de Monègue. 4+6 b
La belle fit son devoir de pleurer, 4+6 a
Un demi-jour, tant qu’il se pût étendre : 4+6 b
Et Pagamin, de la réconforter ; 4+6 a
125 Et notre épouse, à la fin, de se rendre. 4+6 b
Il la gagna : bien savoit son métier. 4+6 a
Amour s’en mit, Amour, ce bon apôtre, 4+6 b
Dix mille fois plus corsaire que l’autre, 4+6 b
Vivant de rapt, faisant peu de quartier. 4+6 a
130 La belle avoit sa rançon toute prête : 4+6 a
Très-bien lui prit d’avoir de quoi payer ; 4+6 b
Car là n’étoit ni vigile ni fête. 4+6 a
Elle oublia ce beau calendrier 4+6 b
Rouge partout et sans nul jour ouvrable : 4+6 c
135 De la ceinture, on le lui fit tomber ; 4+6 b
Plus n’en fut fait mention qu’à la table. 4+6 c
Notre légiste eût mis son doigt au feu 4+6 a
Que son épouse étoit toujours fidèle, 4+6 b
Entière, et chaste, et que, moyennant Dieu, 4+6 a
140 Pour de l’argent on lui rendroit la belle. 4+6 b
De Pagamin il prit un sauf-conduit, 4+6 a
L’alla trouver, lui mit la carte blanche. 4+6 b
Pagamin dit : « Si je n’ai pas bon bruit, 4+6 a
C’est à grand tort ; je veux vous rendre franche 4+6 b
145 Et sans rançon votre chère moitié. 4+6 a
Ne plaise à Dieu que si belle amitié 4+6 a
Soit, par mon fait, de désastre ainsi pleine ! 4+6 a
Celle pour qui vous prenez tant de peine 4+6 a
Vous reviendra selon votre désir. 4+6 a
150 Je ne veux point vous vendre ce plaisir. 4+6 a
Faites-moi voir seulement qu’elle est vôtre : 4+6 a
Car, si j’allois vous en rendre quelque autre, 4+6 a
Comme il m’en tombe assez entre les mains, 4+6 a
Ce me seroit une espèce de blâme. 4+6 b
155 Ces jours passés, je pris certaine dame, 4+6 b
Dont les cheveux sont quelque peu châtains, 4+6 a
Grande de taille, en bon point, jeune et fraîche ; 4+6 a
Si cette belle, après vous avoir vu, 4+6 b
Dit être à vous, c’est autant de conclu : 4+6 b
160 Reprenez-la, rien ne vous en empêche. » 4+6 a
Richard reprit : « Vous parlez sagement, 4+6 a
Et me traitez trop généreusement. 4+6 a
De son métier, il faut que chacun vive : 4+6 a
Mettez un prix à la pauvre captive, 4+6 a
165 Je le paierai comptant, sans hésiter. 4+6 a
Le compliment n’est ici nécessaire : 4+6 b
Voilà ma bourse, il ne faut que compter. 4+6 a
Ne me traitez que comme on pourroit faire, 4+6 b
En pareil cas, l’homme le moins connu. 4+6 a
170 Seroit-il dit que vous m’eussiez vaincu 4+6 a
D’honnêteté ? Non sera, sur mon âme ! 4+6 a
Vous le verrez. Car, quant à celte dame, 4+6 a
Ne doutez point qu’elle ne soit à moi. 4+6 b
Je ne veux pas que vous m’ajoutiez foi, 4+6 b
175 Mais aux baisers que de la pauvre femme 4+6 a
Je recevrai ; ne craignant qu’un seul point, 4+6 a
C’est qu’à me voir, de joie elle ne meure. » 4+6 b
On fait venir l’épouse tout à l’heure, 4+6 b
Qui, froidement, et ne s’émouvant point, 4+6 a
180 Devant ses yeux voit son mari paroître, 4+6 a
Sans témoigner seulement le connoître, 4+6 a
Non plus qu’un homme arrivé du Pérou, 4+6 a
« Voyez ! dit-il, la pauvrette est honteuse 4+6 b
Devant les gens ; et sa joie amoureuse 4+6 b
185 N’ose éclater : soyez sûr qu’à mon cou, 4+6 a
Si j’étois seul, elle serait sautée. » 4+6 a
Pagamin dit : « Qu’il ne tienne à cela ; 4+6 b
Dedans sa chambre, allez, conduisez-la. » 4+6 b
Ce qui fut fait ; et, la chambre fermée, 4+6 a
190 Richard commence : « Eh ! là, Bartholomée, 4+6 a
Comme tu fais ! Je suis ton Quinzica, 4+6 b
Toujours le même à l’endroit de sa femme. 4+6 a
Regarde-moi ? Trouves-tu, ma chère âme, 4+6 a
En mon visage, un si grand changement ? 4+6 a
195 C’est la douleur de ton enlèvement, 4+6 a
Qui me rend tel ; et toi seule en es cause. 4+6 a
T’ai-je jamais refusé nulle chose, 4+6 a
Soit pour ton jeu, soit pour tes vêlements ? 4+6 a
En étoit-il quelqu’une de plus brave ? 4+6 b
200 De ton vouloir ne me rendois-je esclave ? 4+6 b
Tu le seras, étant avec ces gens. 4+6 a
Et ton honneur, que crois-tu qu’il devienne ? 4+6 a
— Ce qu’il pourra, répondit brusquement 4+6 b
Bartholomée. Est-il temps maintenant 4+6 b
205 D’en avoir soin ? S’en est-on mis en peine 4+6 a
Quand, malgré moi, l’on m’a jointe avec vous ; 4+6 a
Vous, vieux pénard ; moi, fille jeune et drue, 4+6 b
Qui méritois d’être un peu mieux pourvue, 4+6 b
Et de goûter ce qu’hymen a de doux ? 4+6 a
210 Pour cet effet, j’étois assez aimable, 4+6 c
Et me trouvois aussi digne, entre nous, 4+6 a
De ces plaisirs, que j’en étois capable. 4+6 c
Or est le cas allé d’autre façon. 4+6 a
J’ai pris mari qui pour toute chanson 4+6 a
215 N’a jamais eu que ses jours de férie ; 4+6 b
Mais Pagamin, sitôt qu’il m’eut ravie, 4+6 b
Me sut donner bien une autre leçon. 4+6 a
J’ai plus appris des choses de la vie 4+6 b
Depuis deux jours, qu’en quatre ans avec vous. 4+6 a
220 Laissez-moi donc, monsieur mon cher époux ; 4+6 a
Sur mon retour n’insistez davantage. 4+6 a
Calendriers ne sont point en usage 4+6 a
Chez Pagamin, je vous en avertis. 4+6 a
Vous et les miens, avez mérité pis : 4+6 a
225 Vous, pour avoir mal mesuré vos forces 4+6 b
En m’épousant ; eux, pour s’être mépris, 4+6 a
En préférant les légères amorces 4+6 b
De quelque bien à cet autre point-là. 4+6 a
Mais Pagamin, pour tous, y pourvoira. 4+6 a
230 Il ne sait loi, ni digeste, ni code ; 4+6 a
Et cependant très-bonne est sa méthode. 4+6 a
De ce matin, lui-même il vous dira, 4+6 a
Du quart en sus, comme la chose en va. 4+6 a
Un tel aveu vous surprend et vous touche ? 4+6 a
235 Mais faire ici de la petite bouche 4+6 a
Ne sert de rien : l’on n’en croira pas moins. 4+6 a
Et, puisque enfin nous voici sans témoins, 4+6 a
Adieu vous dis, vous et vos jours de fête ! 4+6 a
Je suis de chair ; les habits rien n’y font : 4+6 b
240 Vous savez bien, monsieur, qu’entre la tête 4+6 a
Et le talon, d’autres affaires sont. » 4+6 b
À tant se tut. Richard, tombé des nues, 4+6 a
Fut tout heureux de pouvoir s’en aller. 4+6 b
Bartholomée, ayant ses hontes bues, 4+6 a
245 Ne se fit pas tenir pour demeurer. 4+6 b
Le pauvre époux en eut tant de tristesse, 4+6 a
Outre les maux qui suivent la vieillesse, 4+6 a
Qu’il en mourut à quelques jours de là ; 4+6 a
Et Pagamin prit à femme sa veuve. 4+6 b
250 Ce fut bien fait : nul des deux ne tomba 4+6 a
Dans l’accident du pauvre Quinzica, 4+6 a
S’étant choisis l’un et l’autre à l’épreuve. 4+6 b
Belle leçon pour gens à cheveux gris ! 4+6 a
Sinon qu’ils soient d’humeur accommodante : 4+6 b
255 Car, en ce cas, messieurs les favoris 4+6 a
Font leur ouvrage, et la dame est contente. 4+6 b
mètre profil métrique : 4+6
forme globale type : suite de strophes
schéma : 17[abab] 43[aa] 12[abba] 1[aaa] 2[aabab] 1[ababb] 1[ababcbc] 1[aabba] 1[abbaab] 1[abbacac] 1[aabbab] 1[abaab]
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