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P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LFT_2/LFT267
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE DEUXIÈME 1667 — 1669
IV
LE MULETIER
NOUVELLE TIRÉE DE BOCCACE
Un roi lombard… | (les rois de ce pays 4+6 a
Viennent souvent | s’offrir à ma mémoire) ; 4+6 b
Ce dernier-ci, | dont parle en ses écrits 4+6 a
Maître Boccace, | auteur de cette histoire, 4+6 b
5 Portoit le nom | d’Agiluf en son temps. 4+6 c
Il épousa | Teudelingue la belle, 4+6 d
Veuve du roi | dernier mort sans enfants, 4+6 c
Lequel laissa | l’état sous la tutelle 4+6 d
De celui-ci, | prince sage et prudent. 4+6 e
10 Nulle beauté | n’étoit alors égale 4+6 f
À Teudelingue ; | et la couche royale, 4+6 f
De part et d’autre, | étoit assurément 4+6 e
Aussi complète, | autant bien assortie, 4+6 g
Qu’elle fut onc, | quand messer Cupidon 4+6 h
15 En badinant | fit choir de son brandon, 4+6 h
Chez Agiluf, | droit dessus l’écurie, 4+6 g
Sans prendre garde, | et sans se soucier 4+6 i
En quel endroit ; | dont avec que furie 4+6 g
Le feu se prit | au cœur d’un muletier. 4+6 i
20 Ce muletier | étoit homme de mine, 4+6 j
Et démentoit | en tout son origine, 4+6 j
Bien fait et beau, | même ayant du bon sens. 4+6 c
Bien le montra ; | car, s’étant de la reine 4+6 k
Amouraché, | quand il eut quelque temps 4+6 c
25 Fait ses efforts | et mis toute sa peine 4+6 k
Pour se guérir, | sans pouvoir rien gagner, 4+6 i
Le compagnon | fit un tour d’homme habile. 4+6 l
Maître ne sais | meilleur pour enseigner 4+6 i
Que Cupidon ; | l’âme la moins subtile, 4+6 l
30 Sous sa férule, | apprend plus en un jour, 4+6 m
Qu’un maître ès arts | en dix ans aux écoles. 4+6 n
Aux plus grossiers, | par un chemin bien court, 4+6 m
Il sait montrer | les tours et les paroles. 4+6 n
Le présent conte | en est un bon témoin. 4+6 p
35 Notre amoureux | ne songeoit, près ni loin, 4+6 p
Dedans l’abord, | à jouir de sa mie. 4+6 g
Se déclarer | de bouche ou par écrit 4+6 q
N’étoit pas sûr. | Si se mit dans l’esprit, 4+6 q
Mourût ou non, | d’en passer son envie, 4+6 g
40 Puisque aussi bien | plus vivre ne pouvoit ; 4+6 r
Et, mort pour mort, | toujours mieux lui valoit, 4+6 r
Auparavant | que sortir de la vie, 4+6 g
Éprouver tout, | et tenter le hasard. 4+6 s
L’usage étoit | chez le peuple lombard, 4+6 s
45 Que quand le roi, | qui faisoit lit à part, 4+6 s
Comme tous font, | vouloit avec sa femme 4+6 u
Aller coucher, | seul il se présentoit 4+6 r
Presque en chemise, | et sur son dos n’avoit 4+6 r
Qu’une simarre : | à la porte il frappoit 4+6 r
50 Tout doucement ; | aussitôt une dame 4+6 u
Ouvrait sans bruit ; | et le roi lui mettoit 4+6 r
Entre les mains | la clarté qu’il portoit, 4+6 r
Clarté n’ayant | grand’lueur ni grand’flamme. 4+6 u
D’abord la dame | éteignoit, en sortant, 4+6 e
55 Celte clarté ; | c’étoit le plus souvent 4+6 e
Une lanterne, | ou de simples bougies. 4+6 v
Chaque royaume | a ses cérémonies. 4+6 v
Le muletier | remarqua celle-ci, 4+6 w
Ne manqua pas | de s’ajuster ainsi ; 4+6 w
60 Se présenta | comme c’étoit l’usage, 4+6 x
S’étant caché | quelque peu le visage. 4+6 x
La dame ouvrit, | dormant plus d’à demi. 4+6 w
Nul cas n’étoit | à craindre en l’aventure, 4+6 y
Fors que le roi | ne vînt pareillement. 4+6 e
65 Mais, ce jour-là, | s’étant heureusement 4+6 e
Mis à chasser, | force étoit que nature 4+6 y
Pendant la nuit | cherchât quelque repos, 4+6 z
Le muletier, | frais, gaillard et dispos, 4+6 z
Et parfumé, | se coucha sans rien dire ; 4+6 a
70 Un autre point, | outre ce qu’avons dit, 4+6 q
C’est qu’Agiluf, | s’il avoit en l’esprit 4+6 q
Quelque chagrin, | soit touchant son empire, 4+6 a
Ou sa famille, | ou pour quelque autre cas, 4+6 b
Ne sonnoit mot | en prenant ses ébats. 4+6 b
75 À tout cela | Teudelingue étoit faite. 4+6 c
Notre amoureux | fournit plus d’une traite 4+6 c
(Un muletier, | à ce jeu, vaut trois rois), 4+6 d
Dont Teudelingue | entra par plusieurs fois 4+6 d
En pensement, | et crut que la colère 4+6 e
80 Rendoit le prince, | outre son ordinaire, 4+6 e
Plein de transport, | et qu’il n’y songeoit pas. 4+6 b
En ses présents | le ciel est toujours juste ; 4+6 f
Il ne départ | à gens de tous états 4+6 b
Mêmes talents. | Un empereur auguste 4+6 f
85 A les vertus | propres pour commander ; 4+6 i
Un magistrat | sait les points décider ;’ 4+6 i
Au jeu d’amour | le muletier fait rage. 4+6 x
Chacun son fait ; | nul n’a tout en partage. 4+6 x
Notre galant, | s’étant diligenté, 4+6 i
90 Se retira, | sans bruit et sans clarté, 4+6 i
Devant l’aurore. | Il en sortoit à peine, 4+6 k
Lorsque Agiluf | alla trouver la reine, 4+6 k
Voulut s’ébattre | et l’étonna bien fort. 4+6 g
« Certes, monsieur, | je sais bien, lui dit-elle, 4+6 d
95 Que vous avez | pour moi beaucoup de zèle ; 4+6 d
Mais, de ce lieu, | vous ne faites encor 4+6 g
Que de sortir : | même, outre l’ordinaire 4+6 e
En avez pris, | et beaucoup plus qu’assez. 4+6 i
Pour Dieu, monsieur, | je vous prie, avisez 4+6 i
100 Que ne soit trop ; | votre santé m’est chère. » 4+6 e
Le roi fut sage, | et se douta du tour, 4+6 m
Ne sonna mot, | descendit dans la cour, 4+6 m
Puis de la cour | entra dans l’écurie, 4+6 g
Jugeant en lui | que le cas provenoit 4+6 r
105 D’un muletier, | comme l’on lui parloit. 4+6 r
Toute la troupe | étoit lors endormie, 4+6 g
Fors le galant, | qui trembloit pour sa vie. 4+6 g
Le roi n’avoit | lanterne ni bougie : 4+6 g
En tâtonnant, | il s’approcha de tous ; 4+6 i
110 Crut que l’auteur | de cette tromperie 4+6 g
Se connoîtroit | au battement du pouls. 4+6 i
Point ne faillit | dedans sa conjecture ; 4+6 y
Et le second | qu’il tâta d’aventure 4+6 y
Étoit son homme, | à qui d’émotion, 4+6 h
115 Soit pour la peur, | ou soit pour l’action, 4+6 h
Le cœur battoit, | et le pouls tout ensemble. 4+6 j
Ne sachant pas | où devoit aboutir 4+6 k
Tout ce mystère, | il feignoit de dormir. 4+6 k
Mais quel sommeil ! | Le roi, pendant qu’il tremble, 4+6 j
120 En certain coin | va prendre des ciseaux 4+6 l
Dont on coupoit | le crin à ses chevaux. 4+6 l
« Faisons, dit-il, | au galant une marque, 4+6 m
Pour le pouvoir | demain connoître mieux, » 4+6 n
Incontinent, | de la main du monarque, 4+6 m
125 Il se sent tondre. | Un toupet de cheveux 4+6 n
Lui fut coupé, | droit vers le front du sire ; 4+6 a
Et, cela fait, | le prince se retire. 4+6 a
Il oublia | de serrer le toupet ; 4+6 o
Dont le galant | s’avisa d’un secret 4+6 o
130 Qui d’Agiluf | gâta le stratagème. 4+6 p
Le muletier | alla, sur l’heure même, 4+6 p
En pareil lieu | tondre ses compagnons. 4+6 q
Le jour venu, | le roi vit ces garçons 4+6 q
Sans poil au front. | Lors le prince, en son âme : 4+6 u
135 « Qu’est ceci donc ? |’Qui croiroit que ma femme 4+6 u
Auroit été | si vaillante au déduit ? 4+6 q
Quoi ! Teudelingue | a-t-elle cette nuit 4+6 q
Fourni d’ébats | à plus de quinze ou seize ? » 4+6 r
Autant en vit, | vers le front, de tondus. 4+6 s
140 « Or bien, dit-il, | qui l’a fait, si se taise : 4+6 r
Au demeurant, | qu’il n’y retourne plus ! » 4+6 s
mètre profil métrique : 4+6
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