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P = préposition
C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
LFT_2/LFT266
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE DEUXIÈME 1667 — 1669
III
LE BERCEAU
NOUVELLE TIREE DE BOCCACE
Non loin de Rome | un hôtelier étoit, 4+6 a
Sur le chemin | qui conduit à Florence, 4+6 b
Homme sans bruit, | et qui ne se piquoit 4+6 a
De recevoir | gens de grosse dépense : 4+6 b
5 Même chez lui | rarement on gîtoit. 4+6 a
Sa femme étoit | encor de bonne affaire, 4+6 a
Et ne passoit | de beaucoup les trente ans. 4+6 b
Quant au surplus, | ils avoient deux enfants ; 4+6 b
Garçon d’un an, | fille en âge d’en faire. 4+6 a
10 Comme il arrive, | en allant et venant, 4+6 a
Pinucio, | jeune homme de famille, 4+6 b
Jeta si bien | les yeux sur cette fille, 4+6 b
Tant la trouva | gracieuse et gentille, 4+6 b
D’esprit si doux | et d’air tant attrayant, 4+6 a
15 Qu’il s’en piqua : | très-bien le lui sut dire ; 4+6 a
Muet n’étoit ; | elle, sourde non plus ; 4+6 b
Dont il avint | qu’il sauta par-dessus 4+6 b
Ces longs soupirs | et tout ce vain martyre. 4+6 a
Se sentir pris, | parler, être écouté, 4+6 a
20 Ce fut tout un ; | car la difficulté 4+6 a
Ne gisoit pas | à plaire à cette belle : 4+6 a
Pinuce était | gentilhomme bien fait ; 4+6 b
Et jusque-là | la fille n’avoit fait 4+6 b
Grand cas des gens | de même étoffe qu’elle : 4+6 a
25 Non qu’elle crût | pouvoir changer d’état, 4+6 a
Mais elle avoit, | nonobstant son jeune âge, 4+6 b
Le cœur trop haut, | le goût trop délicat, 4+6 a
Pour s’en tenir | aux amours de village. 4+6 b
Colette donc | (ainsi l’on l’appeloit), 4+6 a
30 En mariage | à l’envi demandée, 4+6 b
Rejetoit l’un, | de l’autre ne vouloit, 4+6 a
Et n’avoit rien | que Pinuce en l’idée. 4+6 b
Longs pourparlers | avec que son amant 4+6 a
N’étoient permis ; | tout leur faisoit obstacle. 4+6 b
35 Les rendez-vous | et le soulagement 4+6 a
Ne se pouvoient, | à moins que d’un miracle. 4+6 b
Cela ne fit | qu’irriter leurs esprits. 4+6 a
Ne gênez point, | je vous en donne avis, 4+6 a
Tant vos enfants, | ô vous, pères et mères ; 4+6 b
40 Tant vos moitiés, | vous, époux et maris : 4+6 a
C’est où l’amour | fait le mieux ses affaires. 4+6 b
Pinucio, | certain soir qu’il faisoit 4+6 a
Un temps fort brun, | s’en vient, en compagnie 4+6 b
D’un sien ami, | dans cette hôtellerie 4+6 b
45 Demander gîte. | On lui dit qu’il venoit 4+6 a
Un peu trop tard, | « Monsieur, ajouta l’hôte, 4+6 a
Vous savez bien | comme on est à l’étroit 4+6 b
Dans ce logis ; | tout est plein jusqu’au toit : 4+6 b
Mieux vous vaudroit | passer outre, sans faute ; 4+6 a
50 Ce gîte n’est | pour gens de votre état. 4+6 a
— N’avez-vous point | encor quelque grabat, 4+6 a
Reprit l’amant, | quelque coin de réserve ? » 4+6 a
L’hôte repart : | « Il ne nous reste plus 4+6 b
Que notre chambre, | où deux lits sont tendus ; 4+6 b
55 Et de ces lits | il n’en est qu’un qui serve 4+6 a
Aux survenants ; | l’autre, nous l’occupons. 4+6 a
Si vous voulez | coucher de compagnie, 4+6 b
Vous et monsieur, | nous vous hébergerons. » 4+6 a
Pinuce dit : | « Volontiers ; je vous prie 4+6 b
60 Que l’on nous serve | à manger au plus tôt ? » 4+6 a
Leur repas fait, | on les conduit en haut. 4+6 a
Pinucio, | sur l’avis de Colette, 4+6 a
Marque de l’oeil | comme la chambre est faite : 4+6 a
Chacun couché, | pour la belle, on mettoit 4+6 a
65 Un lit de camp ; | celui de l’hôte étoit 4+6 a
Contre le mur, | attenant de la porte ; 4+6 a
Et l’on avoit | placé de même sorte, 4+6 a
Tout vis-à-vis, | celui du survenant ; 4+6 a
Entre les deux, | un berceau pour l’enfant, 4+6 a
70 Et toutefois | plus près du lit de l’hôte. 4+6 a
Cela fit faire | une plaisante faute 4+6 a
À cet ami | qu’avoit notre galant. 4+6 a
Sur le minuit, | que l’hôte apparemment 4+6 a
Devoit dormir, | l’hôtesse en faire autant, 4+6 a
75 Pinucio, | qui n’attendait que l’heure, 4+6 a
Et qui comptoit | les moments de la nuit, 4+6 b
Son temps venu, | ne fait longue demeure, 4+6 a
Au lit de camp | s’en va droit et sans bruit. 4+6 b
Pas ne trouva | la pucelle endormie, 4+6 a
80 J’en jurerois. | Colette apprit un jeu 4+6 b
Qui, comme on sait, | lasse plus qu’il n’ennuie. 4+6 a
Trêve se fit ; | mais elle dura peu ; 4+6 b
Larcins d’amour | ne veulent longue pause. 4+6 a
Tout à merveille | alloit au lit de camp, 4+6 b
85 Quand cet ami | qu’avoit noire galant, 4+6 b
Pressé d’aller | mettre ordre à quelque chose 4+6 a
Qu’honnêtement | exprimer je ne puis, 4+6 a
Voulut sortir, | et ne put ouvrir l’huis, 4+6 a
Sans enlever | le berceau de sa place, 4+6 a
90 L’enfant avec, | qu’il mit près de leur lit ; 4+6 b
Le détourner | auroit fait trop de bruit. 4+6 b
Lui revenu, | près de l’enfant il passe, 4+6 a
Sans qu’il daignât | le remettre en son lieu ; 4+6 c
Puis se recouche, | et quand il plut à Dieu 4+6 c
95 Se rendormit. | Après un peu d’espace, 4+6 a
Dans le logis | je ne sais quoi tomba. 4+6 a
Le bruit fut grand ; | l’hôtesse s’éveilla ; 4+6 a
Puis alla voir | ce que ce pouvoit être. 4+6 b
À son retour, | le berceau la trompa. 4+6 a
100 Ne le trouvant | joignant le lit du maître ; 4+6 b
« Saint Jean ! dit-elle | en soi-même aussitôt, 4+6 a
J’ai pensé faire | une étrange bévue : 4+6 b
Près de ces gens | je me suis, peu s’en faut, 4+6 a
Remise au lit | en chemise ainsi nue. 4+6 b
105 C’étoit pour faire | un bon charivari ! 4+6 a
Dieu soit loué | que ce berceau me montre 4+6 b
Que c’est ici | qu’est couché mon mari ! » 4+6 a
Disant ces mots, | auprès de cet ami, 4+6 c
Elle se met. | Fol ne fut, n’étourdi, 4+6 c
110 Le compagnon, | dedans un tel rencontre ; 4+6 b
La mit en œuvre, | et, sans témoigner rien, 4+6 a
Il fit l’époux ; | mais il le fit trop bien. 4+6 a
Trop bien ! je faux, | et c’est tout le contraire, 4+6 a
Il le fit mal ; | car qui le veut bien faire 4+6 a
115 Doit en besogne | aller plus doucement. 4+6 a
Aussi, l’hôtesse | eut quelque étonnement. 4+6 a
« Qu’a mon mari ? | dit-elle ; et quelle joie 4+6 a
Le fait agir | en homme de vingt ans ? 4+6 b
Prenons ceci, | puisque Dieu nous l’envoie ; 4+6 a
120 Nous n’aurons pas | toujours tel passe-temps. » 4+6 b
Elle n’eut dit | ces mois entre ses dents, 4+6 b
Que le galant | recommence la fête. 4+6 a
La dame étoit | de bonne emplette encor ; 4+6 b
J’en ai, je crois, | dit un mol dans l’abord : 4+6 b
125 Chemin faisant, | c’étoit fortune honnête. 4+6 a
Pendant cela, | Colette, appréhendant 4+6 a
D’être surprise | avec que son amant, 4+6 a
Le renvoya, | le jour venant à poindre. 4+6 a
Pinucio, | voulant aller rejoindre 4+6 a
130 Son compagnon, | tomba tout de nouveau 4+6 a
Dans cette erreur | que causoit le berceau, 4+6 a
Et, pour son lit, | il prit le lit de l’hôte. 4+6 a
Il n’y fut pas, | qu’en abaissant sa voix 4+6 b
(Gens trop heureux | font toujours quelque faute) : 4+6 a
135 « Ami, dit-il, | pour beaucoup je voudrois 4+6 b
Te pouvoir dire | à quel point va ma joie. 4+6 a
Je te plains fort | que le ciel ne t’envoie 4+6 a
Tout maintenant | même bonheur qu’à moi. 4+6 a
Ma foi ! Colette | est un morceau de roi. 4+6 a
140 Si tu savois | ce que vaut cette fille ! 4+6 a
J’en ai bien vu, | mais de telle, entre nous, 4+6 b
Il n’en est point. | C’est bien le cuir plus doux, 4+6 b
Le corps mieux fait, | la taille plus gentille ; 4+6 a
Et des tetons ! | Je ne te dis pas tout. 4+6 a
145 Quoi qu’il en soit, | avant que d’être au bout, 4+6 a
Gaillardement | six postes se sont faites ; 4+6 a
Six de bon compte, | et ce ne sont sornettes. » 4+6 a
D’un tel propos | l’hôte tout étourdi, 4+6 a
D’un ton confus, | gronda quelques paroles. 4+6 b
150 L’hôtesse dit | tout bas à cet ami, 4+6 a
Qu’elle prenoit | toujours pour son mari : 4+6 a
« Ne reçois plus | chez loi ces tètes folles ; 4+6 b
N’entends-tu point | comme ils sont en débat ? » 4+6 a
En son séant, | l’hôte, sur son grabat, 4+6 a
155 S’étant levé, | commence à faire éclat : 4+6 a
« Comment ! dit-il | d’un ton plein de colère, 4+6 a
Vous veniez donc | ici pour cette affaire ! 4+6 a
Vous l’entendez ! | Et je vous sais bon gré 4+6 a
De vous moquer | encor comme vous faites ! 4+6 b
160 Prétendez-vous, | beau monsieur que vous êtes, 4+6 b
En demeurer | quitte à si bon marché ? 4+6 a
Quoi ! ne tient-il | qu’à honnir des familles ? 4+6 a
Pour vos ébats, | nous nourrirons nos filles ? 4+6 a
J’en suis d’avis ! | Sortez de ma maison : 4+6 a
165 Je jure Dieu | que j’en aurai raison. 4+6 a
Et toi, coquine, | il faut que je te tue ! » 4+6 a
À ce discours | proféré brusquement, 4+6 b
Pinucio, | plus froid qu’une statue, 4+6 a
Resta sans pouls, | sans voix, sans mouvement. 4+6 b
170 Chacun se tut | l’espace d’un moment. 4+6 b
Colette entra | dans des peurs nonpareilles. 4+6 a
L’hôtesse, ayant | reconnu son erreur, 4+6 b
Tint quelque temps | le loup par les oreilles 4+6 a
Le seul ami | se souvint, par bonheur, 4+6 b
175 De ce berceau, | principe de la chose. 4+6 a
Adressant donc | à Pinuce sa voix : 4+6 b
« T’en tiendras-tu, | dit-il, une autre fois ? 4+6 b
T’ai-je averti | que le vin seroit cause 4+6 a
De ton malheur ? | Tu sais que, quand tu bois, 4+6 b
180 Toute la nuit | tu cours, tu te démènes, 4+6 a
Et vas contant | mille chimères vaines, 4+6 a
Que tu te mets | dans l’esprit en dormant !… 4+6 a
Reviens au lit ? | » Pinuce, au même instant, 4+6 a
Fait le dormeur, | poursuit le stratagème, 4+6 b
185 Que le mari | prit pour argent comptant. 4+6 a
Il ne fut pas | jusqu’à l’hôtesse même, 4+6 b
Qui n’y voulût | aussi contribuer : 4+6 a
Près de sa fille | elle alla se placer ; 4+6 a
Et dans ce poste | elle se sentit forte : 4+6 a
190 « Par quel moyen, | comment, de quelle sorte, 4+6 a
S’écria-t-elle, | auroit-il pu coucher 4+6 a
Avec Colette, | et la déshonorer ? 4+6 a
Je n’ai bougé | toute nuit d’auprès d’elle : 4+6 a
Elle n’a fait | ni pis ni mieux que moi. 4+6 b
195 Pinucio | nous l’alloit donner belle ! » 4+6 a
L’hôte reprit : | « C’est assez ; je vous croi. » 4+6 b
On se leva, | ce ne fut pas sans rire ; 4+6 a
Car chacun d’eux | en avoit sa raison. 4+6 b
Tout fut secret ; | et quiconque eut du bon, 4+6 b
200 Par-devers soi | le garda sans rien dire. 4+6 a
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