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F = "e" féminin
| = césure
LFT_2/LFT255
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE PREMIER — 1665
III
LE COCU BATTU ET CONTENT
NOUVELLE TIRÉE DE BOCCACE
N’a pas longtemps, de Rome revenoit 4+6 a
Certain cadet, qui n’y profita guère, 4+6 b
Et volontiers en chemin séjournoit, 4+6 a
Quand par hasard le galant rencontroit 4+6 a
5 Bon vin, bon gîte, et belle chambrière. 4+6 b
Avint qu’un jour, en un bourg arrêté, 4+6 c
Il vit passer une dame jolie, 4+6 d
Leste, pimpante, et d’un page suivie ; 4+6 d
Et la voyant, il en fut enchanté, 4+6 c
10 La convoita, comme bien savoit faire. 4+6 b
Prou de pardons il avoit rapporté ; 4+6 c
De vertu peu : chose assez ordinaire. 4+6 b
La dame étoit de gracieux maintien, 4+6 e
De doux regard, jeune, fringante, et belle, 4+6 f
15 Somme, qu’enfin il ne lui manquent rien, 4+6 e
Fors que d’avoir un ami digne d’elle. 4+6 f
Tant se la mit le drôle en la cervelle, 4+6 f
Que dans sa peau peu ni point ne duroit : 4+6 a
Et, s’informant comment on l’appeloit : 4+6 a
20 « C’est, lui dit-on, la dame du village ; 4+6 g
Messire Bon l’a prise en mariage, 4+6 g
Quoiqu’il n’ait plus que quatre cheveux gris : 4+6 h
Mais, comme il est des premiers du pays, 4+6 h
Son bien supplée au défaut de son âge. » 4+6 g
25 Notre cadet tout ce détail apprit, 4+6 i
Dont il conçut espérance certaine. 4+6 j
Voici comment le pèlerin s’y prit. 4+6 i
Il renvoya dans la ville prochaine 4+6 j
Tous ses valets, puis s’en fut au château ; 4+6 k
30 Dit qu’il étoit un jeune jouvenceau 4+6 k
Qui cherchoit maître, et qui savoit tout faire. 4+6 b
Messire Bon, fort content de l’affaire, 4+6 b
Pour fauconnier le loua bien et beau, 4+6 k
Non toutefois sans l’avis de sa femme. 4+6 l
35 Le fauconnier plut très-fort à la dame ; 4+6 l
Et, n’étant homme en tel pourchas nouveau, 4+6 k
Guère ne mit à déclarer sa flamme. 4+6 l
Ce fut beaucoup ; car le vieillard étoit 4+6 a
Fou de sa femme’, et fort peu la quittait, 4+6 c
40 Sinon les jours qu’il alloit à la chasse. 4+6 n
Son fauconnier, qui pour lors le suivoit. 4+6 a
Eût demeuré volontiers en sa place ; 4+6 n
La jeune dame en était bien d’accord ; 4+6 o
Ils n’attendoient que le temps de mieux faire 4+6 b
45 Quand je dirois qu’il leur en tardoit fort, 4+6 o
Nul n’osera soutenir le contraire. 4+6 b
Amour enfin, qui prit cœur à l’affaire, 4+6 b
Leur inspira la ruse que voici. 4+6 q
La dame dit un soir à son mari : 4+6 q
50 « Qui croyez-vous le plus rempli de zèle 4+6 f
De tous vos gens ? » Ce propos entendu, 4+6 r
Messire Bon lui dit : « J’ai toujours cru 4+6 r
Le fauconnier garçon sage et fidèle ; 4+6 f
Et c’est à lui que plus je me fierois. 4+6 s
55 — Vous auriez tort, répartit cette belle ; 4+6 f
C’est un méchant : il me tint l’autre fois 4+6 s
Propos d’amour, dont je fus si surprise, 4+6 t
Que je pensai tomber tout de mon haut ; 4+6 u
Car qui croiroit une telle entreprise ? 4+6 t
60 Dedans l’esprit il me vint aussitôt 4+6 u
De l’étrangler, de lui manger la vue : 4+6 v
Il tint à peu ; je n’en fus retenue, 4+6 v
Que pour n’oser un tel cas publier ; 4+6 c
Même, à dessein qu’il ne le pût nier, 4+6 c
65 Je fis semblant.d’y vouloir condescendre ; 4+6 w
Et, cette nuit, sous un certain poirier, 4+6 c
Dans le jardin je lui dis de m’attendre. 4+6 w
Mon mari, dis-je, est toujours avec moi, 4+6 x
« Plus par amour, que doutant de ma foi ; 4+6 x
70 Je ne me puis dépêtrer de cet homme, 4+6 y
Sinon la nuit, pendant son premier somme : 4+6 y
D’auprès de lui tâchant de me lever, 4+6 c
Dans le jardin je vous irai trouver, 4+6 c
Voilà l’état où j’ai laissé l’affaire, 4+6 b
75 Messire Bon se mit fort en colère. 4+6 b
Sa femme dit : « Mon mari, mon époux, 4+6 z
Jusqu’à tantôt cachez votre courroux ; 4+6 z
Dans le jardin, attrapez-le vous-même : 4+6 a
Vous le pourrez trouver fort aisément ; 4+6 b
80 Le poirier est à main gauche, en entrant. 4+6 b
Mais il vous faut user de stratagème : 4+6 a
Prenez ma jupe, et contrefaites-vous ; 4+6 c
Vous entendrez son insolence extrême : 4+6 a
Lors, d’un bâton donnez-lui tant de coups, 4+6 c
85 Que le galant demeure sur la place. 4+6 n
Je suis d’avis que le friponneau fasse 4+6 n
Tel compliment à des femmes d’honneur ! » 4+6 d
L’époux retint cette leçon par cœur. 4+6 d
Onc il ne fut une plus forte dupe 4+6 e
90 Que ce vieillard, bonhomme au demeurant. 4+6 b
Le temps venu d’attraper le galant, 4+6 b
Messire Bon se couvrit d’une jupe, 4+6 e
S’encornetta, courut incontinent 4+6 b
Dans le jardin, où ne trouva personne : 4+6 f
95 Garde n’avoit ; car, tandis qu’il frissonne, 4+6 f
Claque des dents, et meurt quasi de froid, 4+6 a
Le pèlerin, qui le tout observoit, 4+6 a
Va voir la dame, avec elle se donne 4+6 f
Tout le bon temps qu’on a, comme je croi, 4+6 x
100 Lorsque, amour seul étant de la partie, 4+6 d
Entre deux draps on tient femme jolie, 4+6 d
Femme jolie, et qui n’est point à soi. 4+6 x
Quand le galant, un assez bon espace, 4+6 n
Avec la dame eut été dans ce lieu, 4+6 h
105 Force lui fut d’abandonner la place ; 4+6 n
Ce ne fut pas sans le vin de l’adieu. 4+6 h
Dans le jardin, il court en diligence. 4+6 i
Messire Bon, rempli d’impatience, 4+6 i
À tous moments sa paresse maudit. 4+6 i
110 Le pèlerin, d’aussi loin qu’il le vit, 4+6 i
Feignit de croire apercevoir la dame, 4+6 l
Et lui cria : « Quoi donc ! méchante femme, 4+6 l
À ton mari tu brassois un tel tour ? 4+6 j
Est-ce le fruit de son parfait amour ? 4+6 j
115 Dieu soit témoin que pour toi j’en ai honte, 4+6 k
Et de venir ne tenois quasi compte, 4+6 k
Ne te croyant le cœur si perverti, 4+6 q
Que de vouloir tromper un tel mari. 4+6 q
Or bien, je vois qu’il te faut un ami ; 4+6 q
120 Trouvé ne l’as en moi, je t’en assure. 4+6 l
Si j’ai tiré ce rendez-vous de toi, 4+6 x
C’est seulement pour éprouver ta foi. 4+6 x
Et ne t’attends de m’induire à luxure : 4+6 l
Grand pécheur suis ; mais j’ai là, Dieu merci, 4+6 q
125 De ton honneur encor quelque souci. 4+6 q
À monseigneur ferois-je un tel outrage ? 4+6 g
Pour toi, tu viens avec un front de page ! 4+6 g
Mais, foi de Dieu ! ce bras te châtiera ; 4+6 m
Et monseigneur puis après le saura. 4+6 m
130 « Pendant ces mots, l’époux pleuroit de joie, 4+6 n
Et, tout ravi, disoit entre ses dents : 4+6 o
Loué soit Dieu, dont la bonté m’envoie 4+6 n
Femme et valet si chastes, si prudents ! » 4+6 o
Ce ne fut tout, car à grands coups de gaule 4+6 p
135 Le pèlerin vous lui froisse une épaule ; 4+6 p
De horions laidement l’accoutra ; 4+6 m
Jusqu’au logis ainsi le convoya. 4+6 m
Messire Bon eût voulu que le zèle 4+6 f
De son valet n’eût été jusque-là ; 4+6 m
140 Mais, le voyant si sage et si fidèle, 4+6 f
Le bonhommeau des coups se consola. 4+6 m
Dedans le lit sa femme il retrouva ; 4+6 m
Lui conta tout, en lui disant : « M’amie, 4+6 d
Quand nous pourrions vivre cent ans encor, 4+6 q
145 Ni vous ni moi n’aurions de notre vie 4+6 d
Un tel valet ; c’est sans doute un trésor. 4+6 q
Dans notre bourg je veux qu’il prenne femme ; 4+6 l
À l’avenir, traitez-le ainsi que moi. 4+6 x
— Pas n’y faudrai, lui repartit la dame, 4+6 l
150 Et de ceci je vous donne ma foi. » 4+6 x
mètre profil métrique : 4+6
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