Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LFT_2/LFT253
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE PREMIER — 1665
I
JOCONDE
NOUVELLE TIRÉE DE L’ARIOSTE
Jadis régnoit en Lombardie, 8 a
Un prince aussi beau que le jour, 8 b
Et tel, que des beautés | qui régnoient à sa cour 6+6 b
La moitié lui portoit envie, 8 a
5 L’autre moitié | brûloit pour lui d’amour. 4+6 b
Un jour, en se mirant : | « Je fais, dit-il, gageure 6+6 a
Qu’il n’est mortel dans la nature 8 a
Qui me soit égal en appas, 8 a
Et gage, si l’on veut, | la meilleure province 6+6 b
10 De mes États ; 4 a
Et, s’il s’en rencontre un, | je promets, foi de prince, 6+6 b
De le traiter si bien, | qu’il ne s’en plaindra pas. » 6+6 a
À ce propos, s’avance | un certain gentilhomme 6+6 a
D’auprès de Rome. 4 a
15 « Sire, dit-il, | si Votre Majesté 4+6 a
Est curieuse de beauté, 8 a
Qu’elle fasse venir mon frère : 8 a
Aux plus charmants il n’en doit guère ; 8 a
Je m’y connois un peu, | soit dit sans vanité. 6+6 a
20 Toutefois, en cela | pouvant m’être flatté, 6+6 a
Que je n’en sois pas cru, | mais les cœurs de l’os dames ! 6+6 a
Du soin de guérir leurs flammes 7 a
Il vous soulagera, | si vous le trouvez bon : 6+6 a
Car, de pourvoir vous seul | au tourment de chacune, 6+6 b
25 Outre que tant d’amour | vous seroit importune, 6+6 b
Vous n’auriez jamais fait ; | il vous faut un second, » 6+6 a
Là-dessus, Astolphe répond 8 a
(C’est ainsi qu’on nommoit | ce roi de Lombardie) ; 6+6 b
« Votre discours me donne | une terrible envie 6+6 b
30 De connoître ce frère : | amenez-le-nous donc. 6+6 a
Voyons si nos beautés | en seront amoureuses, 6+6 a
Si ses appas | le mettront en crédit ; 4+6 b
Nous en croirons les connoisseuses, 8 a
Comme très-bien vous avez dit. » 8 b
35 Le gentilhomme part, | et va querir Joconde 6+6 a
(C’est le nom que ce frère avoit) : 8 b
À la campagne il vivoit, 7 b
Loin du commerce et du monde : 7 a
Marié depuis peu ; | content, je n’en sais rien. 6+6 a
40 Sa femme avoit de la jeunesse, 8 b
De la beauté, | de la délicatesse ; 4+6 b
Il ne tenoit qu’à lui | qu’il ne s’en trouvât bien. 6+6 a
Son frère arrive, | et lui fait l’ambassade ; 4+6 a
Enfin il le persuade. 7 a
45 Joconde, d’une part, | regardoit l’amitié 6+6 a
D’un roi puissant, | et d’ailleurs fort aimable ; 4+6 b
Et, d’autre part aussi, | sa charmante moitié 6+6 a
Triomphoit d’être inconsolable, 8 b
Et de lui faire des adieux 8 a
50 À tirer les larmes des yeux. 8 a
Quoi ! tu me quittes ! disoit-elle ; 8 a
As-tu bien l’âme assez cruelle 8 a
Pour préférer | à ma constante amour 4+6 a
Les faveurs de la cour ? 6 a
55 Tu sais qu’à peine | elles durent un jour ; 4+6 a
Qu’on les conserve | avec inquiétude, 4+6 a
Pour les perdre avec désespoir. 8 b
Si tu te lasses de me voir, 8 b
Songe au moins qu’en la solitude 8 a
60 Le repos règne jour et nuit ; 8 a
Que les ruisseaux n’y font du bruit, 8 a
Qu’afin de t’inviter | à fermer la paupière. 6+6 a
Crois-moi, ne quitte point | les hôtes de tes bois, 6+6 b
Ces fertiles vallons, | ces ombrages si cois, 6+6 b
65 Enfin, moi, qui devrais | me nommer la première : 6+6 a
Mais ce n’est plus le temps ; | tu ris de mon amour : 6+6 a
Va, cruel, va montrer | ta beauté singulière ; 6+6 b
Je mourrai, je l’espère, | avant la fin du jour ! » 6+6 a
L’histoire ne dit point, | ni de quelle manière 6+6 b
70 Joconde put partir, | ni ce qu’il répondit, 6+6 a
Ni ce qu’il fit, ni ce qu’il dit ; 8 a
Je m’en tais donc aussi, | de crainte de pis faire. 6+6 a
Disons que la douleur | l’empêcha de parler ; 6+6 b
C’est un fort bon moyen | de se tirer d’affaire. 6+6 a
75 Sa femme, le voyant | tout près de s’en aller, 6+6 b
L’accable de baisers, | et, pour comble, lui donne 6+6 a
Un bracelet | de façon fort mignonne, 4+6 a
En lui disant :Ne le perds pas, 8 a
Et qu’il soit toujours à ton bras, 8 a
80 Pour te ressouvenir | de mon amour extrême ; 6+6 a
Il est de mes cheveux, | je l’ai tissu moi-même : 6+6 a
Et voilà, de plus, mon portrait 8 a
Que j’attache à ce bracelet. » 8 a
Vous autres bonnes gens, | eussiez cru que la dame 6+6 a
85 Une heure après eût rendu l’âme ? 8 a
Moi, qui sais ce que c’est | que l’esprit d’une femme, 6+6 a
Je m’en serois | à bon droit défié. 4+6 a
Joconde partit donc ; | mais, ayant oublié 6+6 a
Le bracelet et la peinture, 8 a
90 Par je ne sais quelle aventure, 8 a
Le matin même il s’en souvient : 8 a
Au grand galop | sur ses pas il revient, 4+6 a
Ne sachant quelle excuse | il feroit à sa femme. 6+6 a
Sans rencontrer personne, | et sans être entendu, 6+6 b
95 Il monte dans sa chambre, | et voit près de la dame 6+6 a
Un lourdaud de valet, | sur son sein étendu. 6+6 b
Tous deux dormoient. | Dans cet abord, Joconde 4+6 a
Voulut les envoyer | dormir en l’autre monde ; 6+6 a
Mais cependant il n’en fit rien ; 8 a
100 Et mon avis est qu’il fit bien. 8 a
Le moins de bruit que l’on peut faire 8 a
En telle affaire, 4 a
Est le plus sûr de la moitié. 8 a
Soit par prudence ou par pitié, 8 a
105 Le Romain ne tua personne. 8 a
D’éveiller ces amants, | il ne le falloit pas ; 6+6 b
Car son honneur | l’obligeoit en ce cas 4+6 b
De leur donner le trépas. 7 c
« Vis, méchante, dit-il tout bas ; 8 c
110 À ton remords je t’abandonne ! » 8 a
Joconde, là-dessus, | se remet en chemin, 6+6 a
Rêvant à son malheur | tout le long du voyage. 6+6 b
Bien souvent il s’écrie, | au fort de son chagrin : 6+6 a
« Encor, si c’était un blondin, 8 a
115 Je me consolerois | d’un si sensible outrage ; 6+6 b
Mais un gros lourdaud de valet ! 8 a
C’est à quoi j’ai plus de regret : 8 a
Plus j’y pense, et plus j’en enrage. 8 a
Ou l’Amour est aveugle, | ou bien il n’est pas sage 6+6 a
120 D’avoir assemblé ces amants. 8 a
Ce sont, hélas ! | ses divertissements ; 4+6 a
Et possible est-ce par gageure, 8 a
Qu’il a causé cette aventure. » 8 a
Le souvenir fâcheux | d’un si perfide tour 6+6 a
125 Altéroit fort | la beauté de Joconde. 4+6 b
Ce n’étoit plus | ce miracle d’amour 4+6 a
Qui devoit charmer tout le monde. 8 b
Les dames, le voyant | arriver à la cour, 6+6 a
Dirent d’abord : | « Est-ce là ce Narcisse 4+6 a
130 Qui prétendoit | tous nos cœurs enchaîner ? 4+6 b
Quoi ! le pauvre homme a la jaunisse ! 8 a
Ce n’est pas pour nous la donner. 8 b
À quel propos nous amener 8 a
Un galant qui vient de jeûner 8 a
135 La quarantaine ? 4 a
On se fût bien passé | de prendre tant de peine. » 6+6 a
Astolphe étoit ravi ; | le frère étoit confus, 6+6 a
Et ne savoit | que penser là-dessus ; 4+6 a
Car Joconde cachoit | avec un soin extrême 6+6 a
140 La cause de son ennui. 7 b
On remarquoit pourtant en lui, 8 b
Malgré ses yeux cavés | et son visage blême, 6+6 a
De fort beaux traits, | mais qui ne plaisoient point, 4+6 a
Faute d’éclat et d’embonpoint. 8 a
145 Amour en eut pitié : | d’ailleurs, cette tristesse 6+6 a
Faisoit perdre à ce dieu | trop d’encens et de vœux ; 6+6 b
L’un des plus grands suppôts | de l’empire amoureux 6+6 b
Consumoit en regrets | la fleur de sa jeunesse. 6+6 a
Le Romain se vit donc | à la fin soulagé 6+6 a
150 Par le même pouvoir | qui l’avoit affligé. 6+6 a
Car, un jour, étant seul | en une galerie, 6+6 a
Lieu solitaire | et tenu fort secret, 4+6 b
Il entendit, | en certain cabinet, 4+6 b
Dont la cloison n’était | que de menuiserie, 6+6 a
155 Le propre discours que voici : 8 a
« Mon cher Curtade, mon souci, 8 a
J’ai beau t’aimer, | tu n’es pour moi que glace ! 4+6 b
Je ne vois pourtant, Dieu merci, 8 a
Pas une beauté qui m’efface : 8 b
160 Cent conquérants | voudraient avoir ta place. 4+6 b
Et tu sembles la mépriser, 8 a
Aimant beaucoup mieux t’amuser 8 a
À jouer avec quelque page 8 a
Au lansquenet, 4 b
165 Que me venir trouver | seule en ce cabinet. 6+6 b
Dorimène tantôt | t’en a fait le message ; 6+6 a
Tu t’es mis contre elle à jurer, 8 a
À la maudire, à murmurer, 8 a
Et n’as quitté le jeu | que ta main étant faite, 6+6 a
170 Sans te mettre en souci | de ce que je souhaite ! » 6+6 a
Qui fut bien étonné ? | Ce fut notre Romain. 6+6 a
Je donnerais jusqu’à demain 8 a
Pour deviner | qui tenoit ce langage, 4+6 a
Et quel étoit le personnage 8 a
175 Qui gardoit tant son quant à moi. 8 a
Ce bel Adon | étoit le nain du roi, 4+6 a
Et son amante étoit la reine. 8 a
Le Romain, sans beaucoup de peine, 8 a
Les vit, en approchant les yeux 8 b
180 Des fentes que le bois | laissoit en divers lieux. 6+6 b
Ces amants se fioient | au soin de Dorimène ; 6+6 a
Seule elle avoit toujours | la clef de ce lieu-là : 6+6 a
Mais la laissant tomber, | Joconde la trouva, 6+6 a
Puis s’en servit, puis en tira 8 a
185 Consolation non petite ; 8 b
Car voici comme il raisonna : 8 a
« Je ne suis pas le seul ; | et, puisque même on quitte 6+6 b
Un prince si charmant | pour un nain contrefait, 6+6 c
Il ne faut pas que je m’irrite 8 b
190 D’être quitté pour un valet, » 8 c
Ce penser le console ; | il reprend tous ses charmes ; 6+6 a
Il devient plus beau que jamais : 8 b
Telle pour lui verse des larmes, 8 a
Qui se moquoit de ses attraits. 8 b
195 C’est à qui l’aimera ; | la plus prude s’en pique : 6+6 a
Astolphe y perd mainte pratique. 8 a
Cela n’en fut que mieux ; | il en avoit assez. 6+6 a
Retournons aux amants | que nous avons laissés. 6+6 a
Après avoir tout vu, | le Romain se retire, 6+6 a
200 Bien empêché de ce secret. 8 b
Il ne faut à la cour | ni trop voir ni trop dire ; 6+6 a
Et peu se sont vantés | du don qu’on leur a fait 6+6 b
Pour une semblable nouvelle. 8 a
Mais quoi ! Joconde aimoit | avec que trop de zèle 6+6 a
205 Un prince libéral, | qui le favorisoit, 6+6 a
Pour ne pas l’avertir | du tort qu’on lui faisoit. 6+6 a
Or, comme avec les rois | il faut plus de mystère, 6+6 a
Qu’avec que d’autres gens | sans doute il n’en faudroit, 6+6 b
Et que de but en blanc | leur parler d’une affaire 6+6 a
210 Dont le discours leur doit déplaire, 8 a
Ce seroit être maladroit ; 8 b
Pour adoucir la chose, | il fallut que Joconde, 6+6 a
Depuis l’origine du monde, 8 a
Fît un dénombrement | des rois et des Césars, 6+6 a
215 Qui, sujets comme nous | à ces communs hasards, 6+6 a
Malgré les soins | dont leur grandeur se pique, 4+6 a
Avoient vu leurs femmes tomber 8 b
En telle ou semblable pratique, 8 a
Et l’avoient vu, sans succomber 8 b
220 À la douleur, | sans se mettre en colère, 4+6 a
Et sans en faire pire chère. 8 a
Moi qui vous parle, sire, | ajouta le Romain, 6+6 a
Le jour que pour vous voir | je me mis en chemin, 6+6 a
Je fus forcé par mon destin 8 a
225 De reconnoître Cocuage 8 a
Pour un des dieux du mariage, 8 a
Et, comme tel, | de lui sacrifier, » 4+6 a
Là-dessus, il conta, | sans en rien oublier, 6+6 a
Toute sa déconvenue ; 7 a
230 Puis vint à celle du roi. 7 b
« Je vous tiens, dit Astolphe, | homme digne de foi ; 6+6 b
Mais la chose, pour être crue, 8 a
Mérite bien d’être vue : 7 a
Menez-moi donc sur les lieux ? » 7 a
235 Cela fut fait ; | et, de ses propres yeux, 4+6 a
Astolphe vit des merveilles, 7 a
Comme il en entendit | de ses propres oreilles. 6+6 a
L’énormité du fait | le rendit si confus, 6+6 a
Que d’abord tous ses sens | demeurèrent perclus : 6+6 a
240 Il fut comme accablé | de ce cruel outrage ; 6+6 a
Mais bientôt il le prit | en homme de courage, 6+6 a
En galant homme, | et, pour le faire court, 4+6 a
En véritable homme de cour. 8 a
« Nos femmes, ce dit-il, | nous en ont donné d’une ; 6+6 a
245 Nous voici lâchement trahis : 8 b
Vengeons-nous-en, | et courons le pays ; 4+6 b
Cherchons partout notre fortune. 8 a
Pour réussir dans ce dessein, 8 a
Nous changerons nos noms ; | je laisserai mon train ; 6+6 a
250 Je me dirai votre cousin, 8 a
Et vous ne me rendrez | aucune déférence : 6+6 a
Nous en ferons l’amour | avec plus d’assurance, 6+6 a
Plus de plaisir, | plus de commodité, 4+6 a
Que si j’étois suivi | suivant ma qualité, » 6+6 a
255 Joconde approuva fort | le dessein du voyage. 6+6 a
Il nous faut, dans notre équipage, 8 a
Continua le prince, | avoir un livre blanc, 6+6 a
Pour mettre les noms de celles 7 b
Qui ne seront pas rebelles, 7 b
260 Chacune selon son rang. 7 a
Je consens de perdre la vie, 8 a
Si, devant que sortir | des confins d’Italie, 6+6 a
Tout notre livre ne s’emplit, 8 a
Et si la plus sévère | à nos vœux ne se range. 6+6 b
265 Nous sommes beaux, | nous avons de l’esprit, 4+6 a
Avec cela, | bonnes lettres de change : 4+6 b
Il faudrait être bien étrange 8 b
Pour résister à tant d’appas, 8 a
Et ne pas tomber dans les lacs 8 a
270 De gens qui sèmeront | l’argent et la fleurette, 6+6 a
Et dont la personne est bien faite, » 8 a
Leur bagage étant prêt | et le livre surtout, 6+6 a
Nos galants se mettent en voie. 8 b
Je ne viendrois jamais à bout 8 a
275 De nombrer les faveurs | que l’Amour leur envoie 6+6 b
Nouveaux objets, nouvelle proie ; 8 b
Heureuses les beautés | qui s’offrent à leurs yeux ! 6+6 a
Et plus heureuse encor | celle qui peut leur plaire ! 6+6 b
Il n’est, en la plupart des lieux, 8 a
280 Femme d’échevin, ni de maire, 8 b
De podestat, de gouverneur, 8 a
Qui ne tienne à fort grand honneur 8 a
D’avoir en leur registre place. 8 a
Les cœurs que l’on croyoit de glace 8 a
285 Se fondent tous à leur abord. 8 a
J’entends déjà maint esprit fort 8 a
M’objecter que la vraisemblance 8 a
N’est pas en ceci tout à fait. 8 b
Car, dira-t-on, quelque parfait 8 b
290 Que puisse être un galant | dedans cette science, 6+6 a
Encor faut-il du temps | pour mettre un cœur à bien ! 6+6 a
S’il en faut, je n’en sais rien ; 7 a
Ce n’est pas mon métier | de cajoler personne : 6+6 a
Je le rends comme on me le donne ; 8 a
295 Et l’Arioste ne ment pas. 7 a
Si l’on vouloit à chaque pas 8 a
Arrêter un conteur d’histoire, 8 b
Il n’auroit jamais fait : | suffit qu’en pareil cas, 6+6 a
Je promets à ces gens | quelque jour de les croire. 6+6 b
300 Quand nos aventuriers | eurent goûté de tout 6+6 a
(De tout un peu, | c’est comme il faut l’entendre) : 4+6 b
Nous mettrons, dit Astolphe, | autant de cœurs à bout 6+6 a
Que nous voudrons en entreprendre ; 8 b
Mais je tiens qu’il vaut mieux attendre. 8 b
305 Arrêtons-nous | pour un temps quelque part, 4+6 a
Et cela plus tôt que plus tard ; 8 a
Car, en amour, comme à la table, 8 a
Si l’on en croit la Faculté, 8 b
Diversité de mets | peut nuire à la santé. 6+6 b
310 Le trop d’affaires nous accable. 8 a
Ayons quelque objet en commun ; 8 a
Pour tous les deux, c’est assez d’un. 8 a
— J’y consens, dit Joconde, | et je sais une dame 6+6 a
Près de qui nous aurons | toute commodité. 6+6 b
315 Elle a beaucoup d’esprit, | elle est belle, elle est femme 6+6 a
D’un des premiers de la cité. 8 b
— Rien moins, reprit le roi ; | laissons la qualité : 6+6 a
Sous les cotillons des grisettes 8 b
Peut loger autant de beauté 8 a
320 Que sous les jupes des coquettes. 8 b
D’ailleurs, il n’y faut point | faire tant de façon. 6+6 a
Être en continuel soupçon, 8 a
Dépendre d’une humeur | fière, brusque ou volage, 6+6 a
Chez les dames de haut parage 8 a
325 Ces choses sont à craindre, | et bien d’autres encor : 6+6 a
Une grisette est un trésor ; 8 a
Car, sans se donner de la peine, 8 a
Et sans qu’aux bals on la promène, 8 a
On en vient aisément à bout ; 8 a
330 On lui dit ce qu’on veut, | bien souvent rien du tout. 6+6 a
Le point est d’en trouver | une qui soit fidèle. 6+6 a
Choisissons-la toute nouvelle, 8 a
Qui ne connoisse encor | ni le mal ni le bien ? 6+6 a
— Prenons, dit le Romain, | la fille de notre hôte, 6+6 b
335 Je la tiens pucelle sans faute, 8 b
Et si pucelle, qu’il n’est rien 8 a
De plus puceau que celle belle : 8 a
Sa poupée en, sait autant qu’elle. 8 a
— J’y songeois, dit le roi ; | parlons-lui dès ce soir. 6+6 b
340 Il ne s’agit que de savoir 8 b
Qui de nous doit donner | à cette jouvencelle, 6+6 a
Si son cœur se rend à nos vœux, 8 a
La première leçon | du plaisir amoureux. 6+6 a
Je sais que cet honneur | est pure fantaisie ; 6+6 a
345 Toutefois, étant roi, | l’on me le doit céder : 6+6 b
Du reste, il est aisé | de s’en accommoder. 6+6 b
— Si c’étoit, dit Joconde, | une cérémonie, 6+6 a
Vous auriez droit | de prétendre le pas ; 4+6 a
Mais il s’agit d’un autre cas : 8 a
350 Tirons au sort, c’est la justice ; 8 a
Deux pailles en feront l’office, » 8 a
De la chape à l’évêque, | hélas ! ils se battoient, 6+6 a
Les bonnes gens qu’ils étoient ! 7 a
Quoi qu’il en soit, | Joconde eut l’avantage 4+6 a
355 Du prétendu pucelage. 7 a
La belle étant venue | en leur chambre le soir 6+6 a
Pour quelque petite affaire, 7 b
Nos deux aventuriers | près d’eux la firent seoir, 6+6 a
Louèrent sa beauté, | tâchèrent de lui plaire, 6+6 b
360 Firent briller | une bague à ses yeux. 4+6 a
À cet objet si précieux 8 a
Son cœur fît peu de résistance : 8 a
Le marché se conclut ; | et, dès la même nuit, 6+6 b
Toute l’hôtellerie | étant dans le silence, 6+6 a
365 Elle les vient trouver sans bruit. 8 b
Au milieu d’eux | ils lui font prendre place, 4+6 a
Tant qu’enfin la chose se passe 8 a
Au grand plaisir des trois | et surtout du Romain, 6+6 a
Qui crut avoir rompu la glace. 8 b
370 Je lui pardonne, et c’est en vain 8 a
Que de ce point on s’embarrasse. 8 b
Car il n’est si sotte, après tout, 8 a
Qui ne puisse venir à bout 8 a
De tromper à ce jeu | le plus sage du monde : 6+6 a
375 Salomon, qui grand clerc étoit, 8 b
Le reconnoît en quelque endroit, 8 b
Dont il ne souvint pas | au bonhomme Joconde, 6+6 a
Il se tint content pour le coup, 8 a
Crut qu’Astolphe y perdoit beaucoup. 8 a
380 Tout alla bien, | et maître pucelage 4+6 a
Joua des mieux son personnage. 8 a
Un jeune gars pourtant | en avoit essayé. 6+6 a
Le temps, à cela près, | fut fort bien employé, 6+6 a
Et si bien, que la fille | en demeura contente. 6+6 a
385 Le lendemain | elle le fut encor, 4+6 b
Et même encor la nuit suivante. 8 a
Le jeune gars s’étonna fort 8 b
Du refroidissement | qu’il remarquoit en elle : 6+6 a
Il se douta du fait, | la guetta, la surprit, 6+6 b
390 Et lui fit fort grosse querelle. 8 a
Afin de l’apaiser, | la belle lui promit, 6+6 b
Foi de fille de bien, | que, sans aucune faute, 6+6 a
Leurs hôtes délogés, | elle lui donneroit 6+6 b
Autant de rendez-vous | qu’il en demanderoit : 6+6 b
395 « Je n’ai souci, dit-il, | ni d’hôtesse ni d’hôte ; 6+6 a
Je veux cette nuit même, | ou bien je dirai tout. 6+6 a
— Comment en viendrons-nous à bout ? 8 a
Dit la fille fort affligée : 8 a
De les aller trouver, | je me suis engagée ; 6+6 a
400 Si j’y manque, adieu l’anneau 7 a
Que j’ai gagné bien et beau ! 7 a
— Faisons que l’anneau vous demeure, 8 a
Reprit le garçon tout à l’heure. 8 a
Dites-moi seulement, | dorment-ils fort tous deux ? 6+6 a
405 — Oui, reprit-elle, mais, entre eux, 8 a
Il faut que toute nuit | je demeure couchée ; 6+6 a
Et, tandis que je suis | avec l’un empêchée, 6+6 a
L’autre attend sans mot dire, | et s’endort bien souvent, 6+6 a
Tant que le siège soit vacant ; 8 a
410 C’est là leur mot. | Le gars dit à l’instant : 4+6 a
« Je vous irai trouver | pendant leur premier somme. » 6+6 a
Elle reprit : | « Ah ! gardez-vous-en bien ! 4+6 b
Vous seriez un mauvais homme. 7 a
— Non, non, dit-il, ne craignez rien, 8 b
415 Et laissez ouverte la porte. » 8 a
La porte ouverte elle laissa : 8 b
Le galant vint, et s’approcha 8 b
Des pieds du lit, puis fit en sorte 8 a
Qu’entre les draps il se glissa, 8 a
420 Et Dieu sait comme il se plaça, 8 a
Et comme enfin tout se passa. 8 a
Et de ceci ni de cela 8 a
Ne se douta le moins du monde 8 a
Ni le roi lombard, ni Joconde. 8 a
425 Chacun d’eux pourtant s’éveilla, 8 a
Bien étonné de telle aubade. 8 b
Le roi lombard dit à part soi : 8 a
« Qu’a donc mangé mon camarade ? 8 b
Il en prend trop ; et, sur ma foi, 8 a
430 C’est bien fait, s’il devient malade, » 8 b
Autant en dit, | de sa part, le Romain. 4+6 a
Et le garçon, | ayant repris haleine, 4+6 b
S’en donna pour le jour, | et pour le lendemain, 6+6 a
Enfin pour toute la semaine : 8 b
435 Puis, les voyant tous deux | rendormis à la fin, 6+6 a
Il s’en alla, de grand matin, 8 a
Toujours par le même chemin, 8 a
Et fut suivi de la donzelle, 8 b
Qui craignoit fatigue nouvelle. 8 b
440 Eux éveillés, | le roi dit au Romain : 4+6 a
« Frère, dormez jusqu’à demain ; 8 a
Vous en devez avoir envie, 8 a
Et n’avez à présent | besoin que de repos. 6+6 b
— Comment ? dit le Romain ; | mais, vous-même, à propos, 6+6 b
445 Vous avez fait tantôt | une terrible vie ? 6+6 a
— Moi ! dit le roi ; | j’ai toujours attendu ; 4+6 a
Et puis, voyant | que c’étoit temps perdu, 4+6 a
Que sans pitié ni conscience 8 a
Vous vouliez jusqu’au bout | tourmenter ce tendron, 6+6 b
450 Sans en avoir d’autre raison 8 b
Que d’éprouver ma patience, 8 a
Je me suis, malgré moi, | jusqu’au jour, rendormi. 6+6 a
Que s’il vous eût plu, notre ami, 8 a
J’aurois couru | volontiers quelque poste ; 4+6 a
455 C’eût été tout : | n’ayant pas la riposte 4+6 a
Ainsi que vous, qu’y feroit-on ? 8 a
— Pour Dieu ! reprit son compagnon, 8 a
Cessez de vous railler, | et changeons de matière. 6+6 a
Je suis votre vassal ; | vous l’avez bien fait voir, 6+6 b
460 C’est assez que tantôt | il vous ait plu d’avoir 6+6 b
La fillette tout entière : 7 a
Disposez-en | ainsi qu’il vous plaira, 4+6 a
Nous verrons si ce feu | toujours vous durera ! 6+6 a
Il pourra, dit le roi, | durer toute ma vie, 6+6 a
465 Si j’ai beaucoup de nuits | telles que celle-ci. 6+6 b
— Sire, dit le Romain, | trêve de raillerie ; 6+6 a
Donnez-moi mon congé, | puisqu’il vous plaît ainsi, » 6+6 b
Astolphe se piqua | de cette repartie ; 6+6 a
Et leurs propos s’alloient | de plus en plus aigrir, 6+6 a
470 Si le roi n’eût fait venir 7 a
Tout incontinent la belle. 7 a
Ils lui dirent : « Jugez-nous ! 7 b
En lui contant leur querelle. 7 a
Elle rougit | et se mit à genoux ; 4+6 b
475 Leur confessa tout le mystère. 8 a
Loin de lui faire pire chère, 8 a
Ils en rirent tous deux : | l’anneau lui fut donné, 6+6 a
Et maint bel écu couronné, 8 a
Dont peu de temps après | on la vit mariée, 6+6 a
480 Et pour pucelle employée. 7 a
Ce fut par là | que nos aventuriers 4+6 a
Mirent fin à leurs aventures, 8 b
Se voyant chargés de lauriers 8 a
Qui les rendront fameux | chez les races futures ; 6+6 b
485 Lauriers d’autant plus beaux, | qu’il ne leur en coûta 6+6 a
Qu’un peu d’adresse | et quelques feintes larmes, 4+6 b
Et que, loin des dangers | et du bruit des alarmes, 6+6 b
L’un et l’autre les remporta, 8 a
Tout fiers d’avoir conquis | les cœurs de tant de belles, 6+6 a
490 Et leur livre étant plus que plein, 8 b
Le roi lombard dit au Romain : 8 b
« Retournons au logis | par le plus court chemin. 6+6 b
Si nos femmes sont infidèles, 8 a
Consolons-nous : | bien d’autres le sont, qu’elles ; 4+6 a
495 La constellation | changera quelque jour ; 6+6 a
Un temps viendra | que le flambeau d’Amour 4+6 a
Ne brûlera les cœurs | que de pudiques flammes : 6+6 a
À présent on diroit | que quelque astre malin 6+6 b
Prend plaisir aux bons tours | des maris et des femmes ; 6+6 a
500 D’ailleurs, tout l’univers est plein 8 b
De maudits enchanteurs, | qui des corps et des âmes 6+6 a
Font tout ce qu’il leur plaît : | savons-nous si ces gens, 6+6 a
Comme ils sont traîtres et méchants, 8 a
Et toujours ennemis, | soit de l’un, soit de l’autre, 6+6 a
505 N’ont point ensorcelé | mon épouse et la vôtre ; 6+6 a
Et si, par quelque étrange cas, 8 a
Nous n’avons point cru voir | chose qui n’étoit pas ? 6+6 a
Ainsi que bons bourgeois | achevons notre vie, 6+6 a
Chacun près de sa femme, | et demeurons-en là. 6+6 b
510 Peut-être que l’absence, | ou bien la jalousie, 6+6 a
Nous ont rendu leurs cœurs | que l’hymen nous ôta. » 6+6 b
Astolphe rencontra | dans cette prophétie. 6+6 a
Nos deux aventuriers, | au logis retournés, 6+6 a
Furent très-bien reçus, | pourtant un peu grondés, 6+6 a
515 Mais seulement par bienséance. 8 a
L’un et l’autre se vit | de baisers régalé ; 6+6 b
On se récompensa | des pertes de l’absence. 6+6 a
Il fut dansé, sauté, ballé, 8 b
Et du nain nullement parlé, 8 c
520 Ni du valet, comme je pense. 8 a
Chaque époux, s’attachant | auprès de sa moitié, 6+6 c
Vécut en grand soulas, | en paix, en amitié, 6+6 c
Le plus heureux, | le plus content du monde. 4+6 a
La reine à son devoir | ne manqua d’un seul point ; 6+6 b
525 Autant en fit | la femme de Joconde ; 4+6 a
Autant en font | d’autres qu’on ne sait point. 4+6 b
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