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LFT011/LFT011
Jean de LA FONTAINE
1693
JE VOUS PRENDS SANS VERT
COMÉDIE EN UN ACTE
PERSONNAGES
SAINT-AMANT.
JULIE, sa femme.
DORAME, père de Julie.
MONTREUIL, neveu de Saint-Amant.
CÉLIANE, cousine de Julie.
TOINON, suivante de Julie.
LUBIN, fermier de Saint-Amant.
TROUPE DE PAYSANS.
TROUPE DE PAYSANNES.
BERGERS ET BERGÈRES.
FLORE.
DEUX NYMPHES DES FLEURS.
DEUX ZÉPHYRS.
La scène est dans un jardin qui regarde le château de Saint-Amant.
ACTE I
SCÈNE PREMIÈRE.
SAINT-AMANT, LUBIN.
SAINT-AMANT, lui donnant de l'argent.
Je ne suis nullement en doute de ta foi ; 6+6 a
Mais prends, Lubin.
LUBIN.
Monsieur…
SAINT-AMANT.
Prends, dis-je, oblige-moi. 6+6 a
De ce qu'on fait ici donne-moi connoissance. 6+6 a
LUBIN.
Monsieur le colonel, parlez en conscience. 6+6 a
SAINT-AMANT.
Quoi ?
LUBIN.
N'êtes-vous point mort ?
SAINT-AMANT.
Tu le vois.
LUBIN.
5 Tout de bon, 6+6 a
Ne revenez-vous point de l'autre monde ?
SAINT-AMANT.
Non, 6+6 a
Je te l'ai déjà dit, c'est pour tromper ma femme ; 6+6 a
C'est pour mettre en plein jour tout ce qu'elle a dans l'âme 6+6 a
Que j'ai fait publier le faux bruit de ma mort. 6+6 a
LUBIN.
10 Que vous l'allez, monsieur, surprendre à votre abord ! 6+6 a
Elle ne s'attend pas à ce retour funeste, 6+6 a
Et son cœur bonnement vous croit mort, et le reste. 6+6 a
SAINT-AMANT.
Non, je n'ai pas dessein sitôt de l'affliger ; 6+6 a
Je veux dans les plaisirs la laisser engager, 6+6 a
15 Et faire voir à tous, par ses réjouissances, 6+6 a
Un bon certificat de ses extravagances. 6+6 a
LUBIN.
Je suis ravi de voir que vous avez du cœur. 6+6 a
SAINT-AMANT.
Jusqu'ici je n'ai pu de sa mauvaise humeur 6+6 a
Aux yeux de ses parents dévoiler la malice : 6+6 a
20 Elle a su me confondre avec tant d'artifice, 6+6 a
Qu'elle m'a fait partout passer pour un bourru ; 6+6 a
Mais, grâce à sa folie, enfin je serai cru. 6+6 a
LUBIN.
Tant mieux, la joie en moi fait ce que fit sur elle 6+6 a
De votre feinte mort la première nouvelle. 6+6 a
SAINT-AMANT.
D'où le sais-tu ?
LUBIN.
25 J'étois dans un grand cabinet, 6+6 a
Quand votre courrier vint de Flandre. A lansquenet 6+6 a
Elle avoit tout perdu : qu'elle étoit désolée ! 6+6 a
Mais par votre trépas elle fut consolée. 6+6 a
SAINT-AMANT.
Quelle âme ! chez son père elle fut tout en pleurs, 6+6 a
30 Signaler son devoir par de fausses clameurs ; 6+6 a
Voulant quitter le monde, et cherchant la retraite, 6+6 a
Pour de mon souvenir n'être jamais distraite : 6+6 a
Le bonhomme ébloui donna dans le panneau, 6+6 a
A ses pieux désirs accorda ce château, 6+6 a
35 Lui donnant seulement Toinon pour compagnie. 6+6 a
LUBIN.
Depuis qu'elles y sont, monsieur, Dieu sait la vie 6+6 a
Elle appela d'abord, pour se donner beau jeu, 6+6 a
La jeune Céliane avec votre neveu. 6+6 a
SAINT-AMANT.
Montreuil ?
LUBIN.
Oui, ce beau fils, ce tourneur de prunelle, 6+6 a
40 Qui la lorgnoit, dit-on, et qu'elle lorgnoit, elle. 6+6 a
SAINT-AMANT.
Que font-ils en ces lieux, Lubin ?
LUBIN.
Je ne sais pas, 6+6 a
Et je sais seulement que de votre trépas 6+6 a
Elle ne leur a fait aucune confidence ; 6+6 a
On ne parle que joie et que réjouissance, 6+6 a
45 Tous les jours ce ne sont que plaisirs bout à bout, 6+6 a
Promenades ici, ménétriers partout, 6+6 a
Petits jeux, cotte verte, allégresse, ripailles, 6+6 a
Sérénades, concerts, charivaris, crevailles, 6+6 a
Vous croyant tout de bon gisé dans le cercueil ; 6+6 a
50 Et c'est de la façon qu'elle en porte le deuil. 6+6 a
SAINT-AMANT.
A se perdre elle-même elle s'est engagée ; 6+6 a
Son père qui la croit fortement affligée, 6+6 a
Et que je détrompai cinq ou six jours après, 6+6 a
Avec moi dans ces lieux est venu tout exprès : 6+6 a
55 Témoin de son désordre, il n'aura pas la force, 6+6 a
Entre sa fille et moi, d'empêcher le divorce. 6+6 a
LUBIN.
Vous ne pouviez venir plus à propos tous deux. 6+6 a
Du premier jour de mai renouvelant les jeux, 6+6 a
On ne va voir ici que fêtes bocagères, 6+6 a
60 Printemps, Flore, Zéphyrs, et bergers et bergères, 6+6 a
Pour prendre des plaisirs de toutes les façons, 6+6 a
Mêlant à leurs concerts nos rustiques chansons ; 6+6 a
Nous avons ordre exprès de venir en personne 6+6 a
En tendez-vous déjà comme l'air en résonne ? 6+6 a
SCÈNE II.
DORAME, SAINT-AMANT, LUBIN.
SAINT-AMANT.
65 Pour tout voir, mon beau-père, approchez promptement. 6+6 a
DORAME.
J'en sais plus qu'il ne faut, monsieur de Saint-Amant. 6+6 a
Il suffit.
SAINT-AMANT.
Non. je veux vous la faire connoître 6+6 a
Où nous cacheras-tu, Lubin ?
LUBIN.
Cette fenêtre 6+6 a
Pour voir et pour entendre est un endroit certain : 6+6 a
Vous n'avez qu'à monter.
SAINT-AMANT.
70 J'en sais bien le chemin : 6+6 a
Mais, chut !
LUBIN.
Allez, je vais chanter à pleine tête, 6+6 a
Sans faire aucun semblant, car je suis de la fête. 6+6 a
Saint-Amant et Dorame sortent.
SCÈNE III.
LUBIN, TROUPE DE PAYSANS.
LUBIN.
Allons, courage, enfants, fredonnons ce beau mois ; 6+6 a
Ménétriers, ronflez ; Lucas, joignons nos voix : 6+6 a
75 Chantons le vert printemps, nos plaisirs et nos flammes. 6+6 a
Échos, répondez-nous, et réveillez ces dames. 6+6 a
Il chante.
Vive le printemps, 5 a
Il rend le cœur gai. 5 b
Le mois des amants 5 a
80 Est le mois de mai. 5 b
Badinant sur la fougère, 7 a
Nos plaisirs retentissent partout, 3+6 b
Et si l'on entend crier la bergère, 3+6 a
Ce n'est pas au loup. 5 b
LUCAS, chantant.
85 Allons planter le mai, l'amour nous y convie. 6+6 a
Pour voir de nos bergers l'agréable folie, 6+6 a
Bergères, soyez au gai : 7 a
Heureux amants… Plus heureuses amantes, 4+6 b
O combien vous seriez contentes, 8 b
90 S'il étoit tous les jours le premier jour de mai ! 6+6 a
LUBIN.
Pour chanter vos plaisirs et les entretenir, 6+6 a
Madame, avec le mai nous allons revenir. 6+6 a
Lubin et les paysans s'en vont.
SCÈNE IV.
JULIE, CÉLIANE, MONTREUIL.
JULIE.
Plus agréablement peut-on être éveillée ? 6+6 a
CÉLIANE.
Et plus commodément, madame, être habillée ? 6+6 a
MONTREUIL.
95 Tout s'empresse en ces lieux pour vous faire la cour ; 6+6 a
L'air est serein, le ciel nous promet un beau jour. 6+6 a
SCÈNE V.
JULIE, CÉLIANE, MONTREUIL,
SAINT-AMANT, DORAME, à la fenêtre.
SAINT-AMANT, à Dorine.
Voilà son deuil, par là jugez de sa conduite. 6+6 a
DORAME.
Peut-être est-il au cœur ?
SAINT-AMANT.
Nous verrons dans la suite. 6+6 a
JULIE.
A trouver des plaisirs appliquons nos esprits ; 6+6 a
100 En attendant le mai, j'ai quelques manuscrits 6+6 a
Qu'on vient de m'envoyer sur différents chapitres. 6+6 a
Pour nous désennuyer, Montreuil, lisez les titres. 6+6 a
MONTREUIL lit.
« La pierre philosophale, ou l'art de se faire aimer de sa femme. »
Beau secret !
JULIE.
Il est rare
CÉLIANE.
Il pourroit avoir cours, 6+6 a
Si l'hymen s'allioit avecque les amours. 6+6 a
JULIE.
105 Abus ! l'hymen ternit l'amant le plus aimable, 6+6 a
Et dès qu'il est époux, il devient haïssable. 6+6 a
SAINT-AMANT, à Dorame.
Beau-père
MONTREUIL lit.
« Dialogue de deux fiancées sur les mystères du lit nuptial, par un jeune abbé ; dédié aux vraiment filles. »
JULIE.
L'entretien de voit être ingénu. 6+6 a
MONTREUIL.
J'aurois voulu l'entendre, et ne pas être vu. 6+6 a
CÉLIANE.
Les abbés entrent-ils dans un secret semblable ? 6+6 a
JULIE.
110 Il n'est rien en amour pour eux d'impénétrable ; 6+6 a
Le siècle a peu d'intrigue où ne perce la leur, 6+6 a
Et comme au lansquenet, ils y prennent couleur. 6+6 a
MONTREUIL lit.
« Éloges des dames galantes, conçus et dirigés et mis en lumière chez l'Ami. »
CÉLIANE.
Malheur à qui verra son nom dans cet ouvrage ! 6+6 a
JULIE.
Pour mettre ces portraits dans tout leur étalage, 6+6 a
115 On n'aura pas, je pense, épargné les couleurs. 6+6 a
MONTREUIL.
Chez l'Ami, c'est un lieu fertile en blasonneurs. 6+6 a
Il lit.
« La pompe funèbre d'un mari, et la manière d'en porter le deuil ; par une veuve de fraîche date. »
CÉLIANE.
On crie, on prend le noir ; est-il un autre usage ? 6+6 a
JULIE.
Oui, selon comme vit et meurt le personnage ; 6+6 a
Il faut battre des mains, on doit chanter son sort 6+6 a
120 Quand il perd noblement la vie, et qu'il est mort 6+6 a
De l'approbation du monde et de sa femme. 6+6 a
SAINT-AMANT, à Dorame.
Le livre est de son cru : par là jugez de l'âme. 6+6 a
DORAME.
Elle n'écrit jamais.
MONTREUIL lit.
« L'heure du berger brusquée par un petit-maître entre deux vins. »
L'ouvrage est singulier. 6+6 a
CÉLIANE.
Et l'ouvrage et l'auteur, j'en crois tout cavalier. 6+6 a
MONTREUIL.
Voilà tout.
CÉLIANE.
Vous rêvez ?
JULIE.
125 Il me vient en pensée 6+6 a
De rappeler du mois la coutume passée : 6+6 a
Jouons ensemble au vert ?
CÉLIANE.
Je le veux.
MONTREUIL.
J'y consens. 6+6 a
JULIE.
Si le jeu n'est pas noble, il est divertissant ; 6+6 a
Le premier qui de nous se laissera surprendre, 6+6 a
130 D'obéir au vainqueur ne pourra se défendre 6+6 a
Je jure, je promets d'en observer la loi. 6+6 a
CÉLIANE.
A ces conditions je me soumets.
MONTREUIL.
Et moi. 6+6 a
JULIE.
Allez, pour commencer ces guerres intestines, 6+6 a
Cueillir du rosier : prenez garde aux épines. 6+6 a
CÉLIANE.
135 Nous n'irons point au bois qu'avec précaution. 6+6 a
MONTREUIL.
Et vous ?
JULIE.
J'en ai déjà fait ma provision. 6+6 a
Céliane et Montreuil sortent.
SCÈNE VI.
TOINON, JULIE ; SAINT-AMANT, DORAME, à la fenêtre.
TOINON.
Quel veuvage ! pour moi, madame, je l'admire ! 6+6 a
Quoi ! pleurer un époux en s'étouffant de rire 6+6 a
La mode en est jolie, et pourra faire bruit. 6+6 a
JULIE.
140 De cette mort, Toinon, cueillons, goûtons le fruit : 6+6 a
Jouissons du bonheur que le ciel nous envoie ; 6+6 a
Je n'ai plus de mari ! quel plaisir ! quelle joie ! 6+6 a
Célébrons à jamais le jour de son trépas : 6+6 a
Quoi qu'on dise, Toinon, la guerre a ses appas, 6+6 a
145 Ses heures d'agrément, comme ses douloureuses : 6+6 a
Que d'héritiers contents, que de veuves heureuses ! 6+6 a
SAINT-AMANT, à Dorame.
C'est trop tôt triompher.
TOINON.
Mais on se contrefait, 6+6 a
Seulement pour la forme.
JULIE.
Eh ! ne l'ai-je pas fait ? 6+6 a
Pour dérober ma joie à la commune envie, 6+6 a
150 Je m'enferme au désert : vois quelle modestie ! 6+6 a
TOINON.
Mais il faut à Paris retourner une fois. 6+6 a
JULIE.
Laissez-moi divertir tout le reste du mois ; 6+6 a
Ennuyée à peu près de ces réjouissances, 6+6 a
J'irai me délasser parmi les bienséances, 6+6 a
155 Briller au plus profond d'un noir appartement, 6+6 a
Me parer de l'éclat d'un lugubre ornement, 6+6 a
Promener en spectacle un deuil en grand volume, 6+6 a
Et donner en public des pleurs à la coutume. 6+6 a
TOINON.
Mais, voulant tout le mois déguiser votre deuil, 6+6 a
160 Pourquoi faire venir Céliane et Montreuil ? 6+6 a
JULIE.
Il faut dans le plaisir un peu de compagnie : 6+6 a
On le respire mieux, et sans elle il ennuie. 6+6 a
Outre un dessein que j'ai, que tu n'as pu prévoir, 6+6 a
Ils s'aiment : on le dit ; et je veux le savoir, 6+6 a
165 En être convaincue, et les brouiller ensemble, 6+6 a
Toinon.
TOINON.
Dans ce dessein j'entrevois, ce me semble 6+6 a
Vous voulez pour époux vous donner Montreuil ?
JULIE.
Moi ! 6+6 a
D'un mari, d'un bourru, je reprendrois la loi ? 6+6 a
On peut par des raisons du monde et de famille, 6+6 a
170 Par de certains désirs, et pour sortir de fille, 6+6 a
Une fois en sa vie arborer ce lien ; 6+6 a
Mais aller jusqu'à deux, je m'en garderai bien. 6+6 a
TOINON.
Ma foi ! vous ferez bien de garder le veuvage ; 6+6 a
Car si, par cas fortuit, dans le cours de votre âge, 6+6 a
175 Vous alliez en pleurer un ou deux seulement, 6+6 a
Comme vous avez fait monsieur de Saint-Amant, 6+6 a
Et rendre vos douleurs encore aussi célèbres, 6+6 a
Vous vous ruineriez en dépenses funèbres. 6+6 a
JULIE.
Fi des maris, Toinon ! des amis, des amis ! 6+6 a
180 A. vous plaire, à votre ordre, ils sont toujours soumis. 6+6 a
On sait s'approprier leurs divers caractères ; 6+6 a
Le conseiller se rend utile à vos affaires, 6+6 a
On compte au lansquenet le riche financier, 6+6 a
Le partisan commode est un bon dépensier, 6+6 a
185 Le courtisan grossit la foule aux Tuileries, 6+6 a
L'abbé nous divertit par ses minauderies, 6+6 a
Le bel esprit en vers distingue du commun, 6+6 a
Et, parmi ce ramas, le cœur en regarde un. 6+6 a
TOINON.
J'entends, je vois, madame, où l'estime vous mène. 6+6 a
190 Et Montreuil d'un clin d'œil tout contraire à la haine 6+6 a
Sera le regardé, n'est-ce pas ?
JULIE.
Nous verrons, 6+6 a
S'il répond à mes vœux, ce que nous en ferons. 6+6 a
SAINT-AMANT, à Dorame.
Vous pouvez deviner ce qu'elle en voudra faire. 6+6 a
DORAME.
Eh ! c'est un jeu.
SAINT-AMANT.
Quel jeu !
JULIE.
Voilà tout le mystère. 6+6 a
195 Pour voir de ces amants le cœur à découvert, 6+6 a
Je leur viens d'inspirer exprès le jeu du vert : 6+6 a
C'est dans ce dessein même, et pour le voir éclore, 6+6 a
Que j'emprunte la voix du Printemps et de Flore ; 6+6 a
Et, sous l'appas brillant des jeux et des plaisirs, 6+6 a
200 Je vais adroitement pénétrer leurs désirs, 6+6 a
Et satisfaire aux miens.
DORAME, à Saint-Amant.
C'est assez vous complaire ; 6+6 a
Descendons.
SAINT-AMANT.
Non, il faut en voir la fin, beau-père. 6+6 a
JULIE.
Lubin, pendant les jeux, avec moi de concert, 6+6 a
Feignant de badiner, prendra leur boîte au vert… 6+6 a
Il vient.
SCÈNE VII.
JULIE, LUBIN, TROUPE DE PAYSANS ;
DORAME, SAINT-AMANT, à la fenêtre.
LUBIN.
205 Voici le mai ; rangez-vous, place, place ! 6+6 a
Beau, grand, droit, vert, il vient ombrager cette place. 6+6 a
(Des paysans, en dansant, font avancer le mai jusqu'au milieu du théâtre.)
SCÈNE VIII.
JULIE, MONTREUIL, CÉLIANE, LUBIN, PAYSANS ;
SAINT-AMANT, DORAME, à la fenêtre.
MONTREUIL.
Nous venons près de vous entendre le concert. 6+6 a
CÉLIANE.
Ce mai nous avertit qu'il faut songer au vert. 6+6 a
LUBIN.
Vous y jouez donc ?
CÉLIANE.
Oui.
LUBIN.
Gardez d'être attrapée ! 6+6 a
JULIE.
210 Pour moi, si l'on m'y prend, je serai bien trompée. 6+6 a
LUBIN chante.
Dans ces verts ébats, 5 a
Craignez la surprise : 5 b
Telle est souvent prise, 5 b
Qui n'y pense pas. 5 a
JULIE.
215 Je suis en sûreté, quoi qu'on puisse entreprendre. 6+6 a
LUBIN.
Souvent brebis fringante au loup se laisse prendre. 6+6 a
CÉLIANE.
Qui se garde de tout ne peut être attrapé. 6+6 a
LUBIN.
L'on prend au trébuchet l'oiseau le plus huppé. 6+6 a
Il chante.
Pour dénicher une fauvette, 8 a
220 Lucas dit à Catin : Follette, 8 a
J'irai t'appeler demain, 7 a
Du matin. 3 a
Si je te trouve au lit dormeuse, 8 a
Ma bouche à baiser ton sein 7 b
225 Ne sera pas paresseuse. 7 a
A ces menaces, Catin 7 b
N'en fut pas plus matineuse ; 7 a
Lucas trouva l'huis ouvert : 7 a
Catin fut prise sans vert. 7 a
JULIE.
230 Catin se devoit bien tenir encourtinée. 6+6 a
LUBIN.
Elle aimoit à dormir la grasse matinée : 6+6 a
Pour surprendre les gens, il est plus d'un Lucas… 6+6 a
Mais Flore vient ici avec tous ses appas. 6+6 a
SCÈNE IX.
JULIE, MONTREUIL, CÉLIANE,
LUBIN, ET LES PAYSANS, FLORE, DEUX ZÉPHYRS,
DEUX NYMPHES DES FLEURS ; SAINT-AMANT, DORAME, à la fenêtre.
FLORE chante.
Sur la fougère, au pied des hêtres, 8 a
235 Jouissez des plaisirs champêtres ; 8 a
Le printemps vient ranimer vos ardeurs, 4+6 a
Flore amène à vos yeux les zéphyrs et les fleurs : 6+6 a
Que les Amours soient toujours de vos fêtes. 4+6 b
Les belles conquêtes 5 b
240 Sont celles des cœurs. 5 a
Nymphes, jeunes fleurs naissantes, 7 a
Parfumez ces beaux lieux de vos odeurs charmantes. 6+6 a
Et vous, Zéphyrs, en ce jour, 7 a
De la fraîcheur de vos ailes 7 b
245 Éventez le sein des belles, 7 b
Et n'en chassez pas l'Amour. 7 a
Les Zéphyrs et les Nymphes des fleurs font une entrée, et prennent en dansant les boîtes de Céliane et de Montreuil, qu'ils emportent.
FLORE chante.
Tout renouvelle 4 a
Dans ce beau mois ; 4 b
La plus cruelle 4 a
250 Respire un choix : 4 b
Fière fillette, 4 a
Timide amant, 4 b
A la rangette, 4 a
L'Amour les prend, 4 b
255 Dans une plaine, 4 a
Sous un couvert, 4 b
L'un sans mitaine, 4 a
L'autre sans vert. 4 b
Flore et sa suite, Lubin et les paysans s'en vont.
SCÈNE X.
JULIE, MONTREUIL, CÉLIANE ; SAINT-AMANT,
DORAME, à la fenêtre.
SAINT-AMANT, à Dorame.
Beau-père, on ne saurait mieux pleurer un époux ! 6+6 a
JULIE, à Montreuil et à Céliane.
260 Tout nous dit de songer au vert, en avez-vous ? 6+6 a
Je vous y prends, montrez.
CÉLIANE.
Oh ! qu'à cela ne tienne ! 6+6 a
Ma boîte est perdue, ah !
MONTREUIL.
Le diable a pris la mienne. 6+6 a
JULIE.
A nos conventions je vous soumets tous deux. 6+6 a
Céliane, ouvrez-moi votre cœur, je le veux ; 6+6 a
265 Mais sans fard : de l'amour l'avez-vous su défendre ? 6+6 a
N'est-il point quelque amant qui s'y soit fait entendre ? 6+6 a
CÉLIANE.
Jusqu'à ce jour il est de si peu de valeur, 6+6 a
Qu'aucun ne s'est offert pour y prendre couleur. 6+6 a
JULIE.
Vous mentez : j'en sais un, vous le savez de même, 6+6 a
270 Qui montre avoir pour vous une tendresse extrême ; 6+6 a
Il brûle de vous faire entendre ses amours. 6+6 a
CÉLIANE.
Je vais, pour m'en défendre, appeler du secours. 6+6 a
Elle sort.
SCÈNE XI
JULIE, MONTREUIL, SAINT-AMANT,
DORAME, à la fenêtre.
JULIE.
Vous ne la suivez pas, Montreuil ?
MONTREUIL.
Qui ! moi, madame ? 6+6 a
JULIE.
Il faut, à votre tour, me découvrir votre âme. 6+6 a
275 Je m'en vais exposer une fable à vos yeux : 6+6 a
Si vous n'en devinez le sens mystérieux, 6+6 a
Vous me ferez, Montreuil, une sensible offense ; 6+6 a
Si vous le concevez, redoutez ma vengeance, 6+6 a
Pour peu que vous soyez rebelle à ses clartés. 6+6 a
MONTREUIL.
Il faut savoir.
JULIE.
280 Je vais vous la dire : écoutez. 6+6 a
Une aimable tourterelle 7 a
Fut le partage d'un hibou : 8 b
Jamais paix, toujours querelle : 7 a
Il n'est pas malaisé de deviner par où. 6+6 b
285 Hibou mourut : la veuve, en ces alarmes, 4+6 a
N'étala point des clameurs et des larmes 4+6 a
Le fastueux charivari. 8 a
Larme enlaidit, douleur est folle ; 8 b
Et puis, grâces aux mœurs du siècle, on se console 6+6 b
290 D'un amant tendrement chéri : 8 a
Que ne fait-on point d'un mari ? 8 a
Tourterelle à l'amour rarement est rebelle. 6+6 a
Sa tendresse envisage un moineau digne d'elle. 6+6 a
Pour s'expliquer, regards, discours mystérieux, 6+6 a
295 Sont par elle mis en usage : 8 b
Elle craint, elle n'ose en dire davantage. 6+6 b
C'est au moineau, s'il a des yeux, 8 a
A deviner ce langage. 7 b
Vous entendez, Montreuil ; le comprenez-vous bien ? 6+6 a
Parlez sincèrement.
MONTREUIL.
300 A ne déguiser rien, 6+6 a
Si certain homme étoit dans la nuit éternelle, 6+6 a
Je croirois deviner quelle est la tourterelle ; 6+6 a
Son joug a fait gémir mon cœur plus d'une fois. 6+6 a
Quant à l'heureux moineau, seul digne de son choix, 6+6 a
305 Son bonheur me fait peine à le pouvoir connoître ; 6+6 a
Mais ce que je sais bien, c'est que je voudrais l'être. 6+6 a
JULIE.
Soyez-le, on y consent : le champ vous est ouvert ; 6+6 a
Croyez tout, espérez, et…
SAINT-AMANT, descendu de la fenêtre.
Je vous prends sans vert. 6+6 a
MONTREUIL, s'enfuyant.
Mon oncle !
JULIE.
Mon époux !
SCÈNE XII.
SAINT-AMANT, JULIE, DORAME.
SAINT-AMANT.
Approchez, mon beau-père : 6+6 a
310 Votre fille est d'un prix trop extraordinaire ; 6+6 a
Je m'en sens désormais indigne, et vous la rends. 6+6 a
Adieu !
DORAME.
Tout doux ! il est des accommodements. 6+6 a
SAINT-AMANT.
Vous prétendez, voyant l'humeur qui la possède 6+6 a
DORAME.
Elle a tort ; mais le mal trouvera son remède. 6+6 a
SAINT-AMANT.
315 Et quel remède, après tout ce que devant vous… 6+6 a
DORAME.
D'accord, son procédé choque ; mais, entre nous, 6+6 a
A l'intention près, c'est une bagatelle. 6+6 a
SAINT-AMANT.
Comment ! vous…
JULIE.
Eh ! quoi donc ! suis-je si criminelle 6+6 a
D'un mari que l'on aime on apprend le trépas ; 6+6 a
320 Les premiers mouvements sont de suivre ses pas. 6+6 a
A ce dessein s'oppose un devoir de famille : 6+6 a
Des fruits de cet hymen reste une seule fille ; 6+6 a
Il faut vivre pour elle ; on restreint ses désirs 6+6 a
A chercher sa santé dans d'innocents plaisirs. 6+6 a
SAINT-AMANT.
325 Morbleu ! l'excuse encore est pire que l'offense. 6+6 a
DORAME, à Julie.
Sortez… j'adoucirai son cœur en votre absence. 6+6 a
SAINT-AMANT.
Un cloître punira cette insolence-là. 6+6 a
JULIE.
Mon père
DORAME.
Laissez-moi raccommoder cela. 6+6 a
Julie sort.
SCÈNE XIII.
SAINT-AMANT, DORAME.
SAINT-AMANT.
Non, non.
DORAME.
Écoutez-moi.
SAINT-AMANT.
Si jamais je m'oblige 6+6 a
A revoir votre fille…
DORAME.
330 Écoutez-moi, vous dis-je. 6+6 a
Comme vous je pris femme, et fus gendre autrefois. 6+6 a
Tout ce qui peut réduire un esprit aux abois, 6+6 a
Tout ce qu'un mari craint se trouva dans ma femme. 6+6 a
Elle… Elle est au tombeau ; Dieu veuille avoir son âme ! 6+6 a
335 Je criai, j'y voulus renoncer comme vous. 6+6 a
Mon beau-père, honnête homme, esprit commode et doux, 6+6 a
Me donna, pour calmer ma fureur violente, 6+6 a
Un bon contrat valant deux mille écus de rente, 6+6 a
Que jadis son beau-père, en pareilles douleurs, 6+6 a
340 Lui mit entre les mains. Je cessai mes clameurs. 6+6 a
Mon gendre, le voilà. Je vous remets ce gage : 6+6 a
Il peut dans la famille être d'un bon usage ; 6+6 a
Vous avez une fille : elle a tout votre soin ; 6+6 a
Si vous la mariez, vous en aurez besoin. 6+6 a
345 Croyez-moi, comme nous ayez de la prudence. 6+6 a
Tout ceci, grâce au ciel, s'est fait dans le silence : 6+6 a
Il est certains secrets fâcheux à révéler, 6+6 a
Et qui de rien ne sait, de rien ne peut parler. 6+6 a
SAINT-AMANT, regardant le contrat.
Écueil de tout le monde, or, quelle est ta puissance ! 6+6 a
DORAME.
350 Il faut, mon gendre, il faut tous prendre patience. 6+6 a
Beaucoup d'honnêtes gens sont dans le même cas, 6+6 a
Qu'on ne console point avec de bons contrats : 6+6 a
Reprenez la douceur : c'est la plus belle voie. 6+6 a
SCÈNE XIV.
SAINT-AMANT, DORAME, LUBIN.
LUBIN.
Qu'est-ce donc ? voici bien, monsieur, du rabat-joie : 6+6 a
355 Est-ce que nos plaisirs s'en iront à vau-l'eau ? 6+6 a
Nous sommes attroupés tretous dessous l'ormeau, 6+6 a
N'attendant qu'un signal pour faire ici gambade ; 6+6 a
Et vous venez, dit-on, désaccorder l'aubade ? 6+6 a
Madame votre fille est pleurante en un coin ; 6+6 a
360 Monsieur votre neveu grommelle sur du foin, 6+6 a
Camus en chien d'Artois d'avoir compté sans hôte. 6+6 a
Quel revers ! qui l'auroit pensé ? c'est votre faute ; 6+6 a
Tout franc, ce procédé crie, et vous avez tort, 6+6 a
Après l'avoir mandé, de ne pas être mort. 6+6 a
DORAME.
365 Qu'est-ce à dire ? Non, non, qu'on chante, que l'on danse : 6+6 a
Nous venons prendre part à la réjouissance. 6+6 a
Bergères et bergers, que tout se rende ici, 6+6 a
Et ma fille, et Montreuil, et Céliane aussi. 6+6 a
Reprenez un air gai, voici la compagnie. 6+6 a
SCÈNE XV.
DORAME, SAINT-AMANT, JULIE, CÉLIANE,
MONTREUIL, LUBIN.
DORAME.
370 Allons, ma fille, allons, menez joyeuse vie ; 6+6 a
Votre mari va voir vos plaisirs d'un bon œil. 6+6 a
Ma nièce Céliane et le galant Montreuil 6+6 a
Seront demain unis par un doux hyménée : 6+6 a
Aujourd'hui dans la joie achevons la journée. 6+6 a
SCÈNE DERNIÈRE.
DORAME, SAINT-AMANT,
JULIE, CÉLIANE, MONTREUIL, FLORE,
NYMPHES DES FLEURS, ZÉPHIRS, TROUPE DE BERGERS,
DE BERGÈRES, DE PAYSANS, ET DE PAYSANNES.
FLORE chante
375 Fuyez l'embarras des amours, 8 a
Suivez les folles amourettes : 8 b
Les jeux, les plaisirs, les beaux jours, 8 a
Ne sont que parmi les fleurettes. 8 b
Pour folâtrer avec les ris, 8 a
380 Et des noirs chagrins se défendre, 8 b
Jeunes cœurs, songez à prendre, 7 b
Et jamais à n'être pris. 7 a
Les Nymphes des fleurs et les Zéphyrs dansent.
LUBIN chante
Pour jouer sûrement au vert, 8 a
Beautés, mettez-vous à couvert 8 a
385 D'un curieux désagréable : 8 a
La surprise du favori 8 b
Est aimable ; 3 a
Mais celle du mari, 6 b
C'est le diable. 3 a
ENTRÉE DE PAYSANS.
FLORE ET LUBIN, ensemble.
390 Voulez-vous bannir vos alarmes 8 a
Et goûter un hymen plein de charmes ? 3+6 a
Faites, époux, pour finir vos débats, 4+6 a
Tout ce que vous ne faites pas. 8 a
FLORE.
Soyez-vous apparemment fidèles. 3+6 a
LUBIN.
395 Ne vous empressez point à voir 8 b
Ce qu'il ne faut jamais savoir. 8 b
FLORE.
Passez-vous vos bagatelles. 7 a
ENSEMBLE.
Douce union, charmante paix, 8 a
Repos des cœurs et du ménage 8 b
400 Félicité du mariage, 8 b
Quand ici-bas vous verrons-nous ? jamais. 4+6 a
ENTRÉE DE FLORE ET DE LUBIN, GRANDE ENTRÉE DE TOUS LES PERSONNAGES DANSANTS DE LA COMÉDIE.
LUBIN, aux spectateurs.
A venir voir nos jeux soyez plus de concert : 6+6 a
Plus vous viendrez, et moins vous nous prendrez sans vert. 6+6 a
mètre profils métriques : 5, 7, 8, 3, 4, 6+6, 3+6, 4+6, (6)
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