Métrique en Ligne
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Charles LE GOFFIC
Poésies complètes
1889-1914
IMPRESSIONS ET SOUVENIRS
AILLEURS
MATELOTS
À Jean des Cognets.
[C’est sur un vieux cahier d’école déchiré 6+6 a
Que j’ai trouvé cet âpre et lourd miserere, 6+6 a
Confession d’un cœur défaillant sous la honte. 6+6 b
L’auteur — paix à sa cendre ! — habitait Roscané. 6+6 a
5 Je ne sais ni son nom, ni s’il fut pardonné, 6+6 a
Ni comment, au milieu des chutes qu’il raconte, 6+6 b
Son cœur, son faible cœur de Celte et de marin, 6+6 c
Oublieux de la douce femme au front serein 8+4 c
Qui l’attendait, filant sa laine à la chandelle, 6+6 d
10 Pouvait, en la trompant, se croire encor fidèle. 6+6 d
I
Tout corrodés d’affreux genièvres 8 a
Et gardant sur leurs matelas, 8 b
Dans le pli tourmenté des lèvres, 8 a
Un sourire idiot et las, 8 b
15 On voit au Havre, dans les bouges 8 a
Du triste quartier Saint-François, 8 b
Des matelots aux faces rouges 8 a
Qui sont couchés les bras en croix. 8 b
Pauvres gens qui n’ont pas d’histoire, 8 a
20 Pas même de foyer souvent, 8 b
Dont la vie est un purgatoire 8 a
Dans l’embrun, la houle et le vent ! 8 b
Comment, au sortir de ces geôles, 8 a
Eussent-ils pu, seuls, sans appui, 8 b
25 Flageolant sur leurs jambes molles, 8 a
Parer les pièges de la nuit ? 8 b
Soutiers, chauffeurs, que la consigne 8 a
Bloquait depuis six mois à bord, 8 b
Tels arrivaient en droite ligne 8 a
30 D’Iquique ou de la Corne d’or ; 8 b
Barbes fauves, prunelles claires. 8 a
Couleur des fiords trop contemplés, 8 b
D’autres, vieux baleiniers polaires, 8 a
Débarquaient d’ultimes Thulés ; 8 b
35 Et d’autres, au masque de lie. 8 a
Émergeaient de l’enfer banquais 8 b
Ah ! ce vent, ce vent de folie 8 a
Qui souffle ici le long des quais !… 8 b
Des filles rôdaient sur les berges ; 8 a
40 L’air était lourd d’acres senteurs ; 8 b
Aux devantures des auberges 8 a
Flambaient les alcools tentateurs. 8 b
Et ce fut la grande bordée, 8 a
La ronde ivre qui chaque soir, 8 b
45 Avec des cris de possédée, 8 a
Roule de comptoir en comptoir, 8 b
Jusqu’à l’heure tardive où l’aube 8 a
Monte, virginale et sans bruit, 8 b
Essuyer aux pans de sa robe 8 a
50 Le front profané de la nuit 8 b
II
J’aurais beau dire le contraire, 8 a
Chère femme aux yeux indulgents, 8 b
Tu sens bien que je suis leur frère 8 a
Malgré tout, à ces pauvres gens. 8 b
55 J’ai comme eux sur des mers amies, 8 a
En de nonchalants Hellesponts, 8 b
Connu les longues accalmies, 8 a
Les sommeils lourds des entreponts ; 8 b
Les mêmes vents gonflaient mes voiles 8 a
60 Du même souffle âpre ou joyeux 8 b
Et la paix blanche des étoiles 8 a
Coulait pareille dans mes yeux 8 b
Et voilà que l’on criait : « Terre ! » 8 a
Voilà qu’à ce cri fascinant 8 b
65 Sortaient tout à coup du mystère 8 a
Les villes chaudes du Ponant : 8 b
Le Havre plein de bruits d’enclumes, 8 a
Nantes d’odeurs de caroubiers, 8 b
Et Brest, la Suburre des brumes, 8 a
70 Pâmée aux bras de ses gabiers. 8 b
Elles se levaient frissonnantes 8 a
Sur l’eau morne de mon ennui. 8 b
Était-ce au Havre, à Brest, à Nantes ? 8 a
Ailleurs où là, c’était la nuit 8 b
75 Et, sous l’or de ta toison fauve, 8 a
Immobile comme un bouddha, 8 b
je t’évoque au fond d’une alcôve, 8 a
Monstrueuse et blanche Amanda ; 8 b
D’autres, d’autres, des faces peintes, 8 a
80 Hâves et dont l’œil charbonnait 8 b
Parmi les chopes et les pintes 8 a
De quelque ignoble estaminet ; 8 b
Tout un tas de chairs anonymes, 8 a
Brunes, rousses, les seins pendants, 8 b
85 Des yeux où stagnaient de vieux crimes, 8 a
Des nez ous’ qu’il pleuvait dedans 8 b
Ô dérisoire litanie ! 8 a
Et comment croiras-tu jamais, 8 b
Toi la sage, toi la bénie, 8 a
90 Chère femme, que je t’aimais ? 8 b
Ne me dis pas que je blasphème 8 a
Et tourne tes yeux vers les flots : 8 b
Je t’aimais, hélas ! comme on aime 8 a
Chez mes frères les matelots 8 b
III
95 J’ai jeté l’ancre dans ta rade, 8 a
Sagesse, Paix, Sérénité. 8 b
Accueille-le, ce cœur nomade, 8 a
Que les courants t’ont rapporté. 8 b
Ce n’est plus la folle gabare 8 a
100 Qui dansait sur les flots légers, 8 b
Avec l’Espérance à sa barre 8 a
Et mes vingt ans pour passagers. 8 b
Sa voile en loque où le vent gronde, 8 a
Ses flancs meurtris par tant d’écueils 8 b
105 Disent assez aux yeux du monde 8 a
La défaite de ses orgueils. 8 b
Mais la rade est profonde et sûre 8 a
Où s’est ancré le vieux ponton 8 b
Et, pour étancher sa blessure, 8 a
110 Voici le soir, le soir breton, 8 b
Le soir qui se penche à sa poupe, 8 a
Inspecte son flanc démoli 8 b
Et le calfate avec l’étoupe, 8 a
La grise étoupe de l’oubli 8 b
mètre profils métriques : 8, 6=6
forme globale type : suite périodique
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