Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LEG_1/LEG54
Charles LE GOFFIC
Poésies complètes
1889-1914
LE BOIS DORMANT
ÉPILOGUE
L’ÎLE DES SEPT-SOMMEILS
PIÈCE LYRIQUE EN UN ACTE
À Émile Pouvillon.
PERSONNAGES
LA FÉE URGANDE.
LE LUTIN GWION.
L’ENCHANTEUR MYRDHYNN.
Dragueurs et Sirènes.
L’ÎLE DES SEPT-SOMMEILS
L’île de Sein, — ÉNEZ-SUN, l’île des Sept-Sommeils, — aux premiers temps de la légende celtique. Une dune roussie. L’ajonc ; la mer ; les brisants. Par l’étroite chaussée marine, une petite vieille, tassée, flétrie, se traîne. Le soir tombe : elle atteint la dune, s’arrête et embrasse désespérément le sinistre paysage.
SCÈNE PREMIÈRE
URGANDE, seule.
URGANDE
Ici la terre meurt ;ici finit ma route. 6+6 1
Celui que je cherchais,je ne l’ai pas trouvé. 6+6 2
 Myrdhynn, ma force s’en va toute : 8 1
N’accable pas un cœurdéjà tant éprouvé ! 6+6 2
5 Hélas ! Je pèse moinsdans tes mains redoutables 6+6 3
Qu’au vent des nuits d’hiverla paille des étables 6+6 3
 Ou l’humble grain de sénevé. 8 2
Je t’appartiens. Je suisla cendre au creux de l’urne ; 6+6 4
 Je suis l’agneau, toi le lion. 8 5
10  Ô Ténébreux, ô Taciturne, 8 4
Tu m’as prise sans bruitcomme un voleur nocturne, 6+6 4
Tandis que je dormaisdans les bras de Gwion. 6+6 5
Nos destins sont pareils ;pareils furent nos crimes : 6+6 6
 Perdus au fond de notre amour, 8 7
15  Ni lui, ni moi nous n’entendîmes 8 6
 L’appel magique de tes rimes, 8 6
Tintant sur la forêtdans le déclin du jour 6+6 7
 Fatal oublidont nous portons la peine ! 4+6 8
 Bondissant du sombre ravin. 8 9
20 Tu parais et, foulantnotre lit de verveine, 6+6 8
Tu m’arraches des brasqui me pressaient en vain, 6+6 9
Pour me jeter, pleuranteet nue et qui frissonne, 6+6 10
Sur une route morne ne passait personne. 6+6 10
« Va-t’en devant toi, va,me dis-tu. Marche ainsi 6+6 11
25 Mille ans ! Cherche partout,dans le vent et la brume, 6+6 12
 Dans le labeur et le souci, 8 11
Celui dont le regretvainement te consume 6+6 12
 Et que j’exile aussi. 6 11
Tu ne le trouverasqu’en ta millième année, 6+6 13
30 Quand la fleur de tes seinssera toute fanée 6+6 13
 Et que, pareils aux tambourins 8 14
 Fendant leur peau parcheminée, 8 13
Tes séniles appasdanseront sur tes reins ! » 6+6 14
Et j’allai. Forme vide,argile pantelante, 6+6 15
35 Ton souffle me chassaitsur la route dolente : 6+6 15
La route ne menaitnulle part. Et la nuit 6+6 16
Tombait. Partout le deuilet l’horreur ; aucun bruit 6+6 16
Que celui de mes pasheurtant le grès sonore. 6+6 17
Et la nuit refermaitses yeux noirs, et l’aurore 6+6 17
40 Levait au bord du cielses prunelles d’or fin, 6+6 9
Et je marchais toujourssur la route sans fin ! 6+6 9
Oh ! l’angoisse d’errerainsi, seule, perdue 6+6 18
Irrémissiblementdans la morne étendue, 6+6 18
 Vouée au silence éternel, 8 19
45  Sans une âme compatissante 8 15
 Qui consente 3 15
A rafrchir vos yeuxd’un regard fraternel ! 6+6 19
Mais maintenant voilàque ma force défaille. 6+6 20
 Autour de moi rien que les flots, 8 21
50  Et l’âpre bise qui les fouaille 8 20
Mêle ses sifflementsà leurs rauques sanglots. 6+6 21
suis-je ? La nuit vient.Je ne vois plus ma route. 6+6 1
Prends pitié de mon mal,Myrdhynn : ne frappe plus 6+6 22
Celle dont tout espoira coulé goutte à goutte 6+6 1
55 Et qu’un cœur moins cruelaurait peut-être absoute, 6+6 1
Avant que les mille ansne fussent révolus !… 6+6 22
(Elle tombe évanouie. L’ombre s’épaissit autour d’elle et Gwion, qui vient à pas lents sur la grève, passe à côté de son amie sans la voir. Reclus tout le jour dans la grotte de Minconoc, il est sorti de sa retraite au brun de nuit. Le gracieux lutin est méconnaissable : ses tempes ont blanchi et la douleur a creusé des ornières rougeâtres dans ses joues.)
SCENE II
URGANDE, toujours immobile, GWION
GWION
Encor cette entremetteuse de mensonges ! 11 23
Elle approche à pasétouffés : c’est la Nuit. 5+6 16
Dame d’erreur, gardepour d’autres tes songes. 5−6 23
60  Je sais trop le réveil qui les suit !… 9 16
(Un silence. Gwion se tourne vers la mer.)
 Oh ! quelle tristesse indéfinissable ! 10 24
 Les flots sont partis avec le jusant. 10 25
 Sous son pâle etdoux suaire de sable, 4+6 24
 Oh ! comme la grève esttriste à présent !… 6+4 25
(Il appelle.)
65  Urgande ! Urgande !… 4 26
Rien. La grève est muetteet muette la lande 6+6 26
(Il retombe dans sa rêverie.)
Hélas ! au temps lointaindu stellaire pourpris, 6+6 27
 Avant que tu m’eusses pris, 7 27
 Myrdhynn, empereur des charmes, 7 28
70 Duc des magiciens,prince des nécromans, 6+6 29
Au barbare réseaude tes enchantements, 6+6 29
 Mes yeux ignoraient les larmes. 7 28
 J’étais heureuxdans le céleste chœur. 4+6 30
 Ceint de verveine et de lavande, 8 26
75  Mon jeune front riaitsous sa double guirlande. 6+6 26
J’étais heureux : Urgandehabitait dans mon cœur, 6+6 30
 Et mon cœur habitait Urgande 8 26
 Rentrez-vous,beaux matins de jadis ? 4+6 27
Quand se clora ma longue épreuve ? 8 31
80 Île des Sept-Sommeils,rochers sept fois maudits, 6+6 27
m’enchna le durgeôlier des sept bardits, 6+6 27
 N’est-il donc rien qui vous émeuve ? 8 31
Suis-je votre captifjusqu’à la fin des temps ? 6+6 29
Ne reverrai-je plus,au détour de la sente. 6+6 15
85  Fleurir la rose éblouissante, 8 15
Se lever dans ma nuitl’étoile que j’attends ? 6+6 29
Urgande, chère fée,ô moitié de mon âme, 6+6 32
Que ne suis-je le ventrapide ou bien la flamme 6+6 32
Ou l’écume qui voleou le brin de gazon ? 6+6 5
90 Que n’ai-je seulementvos ailes diaprées, 6+6 33
 Halbrans, que traque vers nos prées 8 33
 Des fonds brumeux de l’horizon, 8 5
 Tel un chasseurque sa poursuite enivre, 4+6 34
L’Hiver casqué de neigeet cuirassé de givre ? 6+6 34
95 Or, devant que Myrdhynnne m’t pris dans ses rets, 6+6 35
J’étais pareil à vous,oiseaux légers. J’errais, 6+6 35
Si rapide que l’œilavait peine à me suivre, 6+6 34
Sur la face des eaux,à la cime des bois. 6+6 36
Des rivières d’azurfilaient entre mes doigts ; 6+6 36
100 Et mon âme multiple,abondante et joyeuse, 6+6 37
Nageant sur les couleurs,les parfums et les chants, 6+6 29
S’éparpillait dans lesarômes de l’yeuse 6−6 37
 Et dans l’or des soleils couchants… 8 29
(La mer commence à monter. Les barques accostent. Dans le lointain, des dragueurs de sable passent en chantant.)
CHŒUR DES DRAGUEURS
 Sur le banc, dans la brise frche. 8 38
105  Nous avons dragué tantde sable roux 6+4 39
 Qu’on en feraitbien avec une bêche 4+6 38
 Un mulon plus haut que la flèche 8 38
 De Saint-Gwénolé, terreur des garous ! 10 40
 Soudain la mer s’est apaisée. 8 13
110  On entend auloin siffler les halbrans. 4−6 29
 Est-ce avril quint parmi la rosée ? 4+6 13
 La dune est comme une épousée 8 13
 Avec ses bouquets de joncs odorants… 10 29
(Les voix s’éloignent. Gwion, aux derniers mots, s’est redressé. Stupéfait, il regarde autour de lui : une floraison merveilleuse vient d’éclore sur la dune et qui, dans sa houle odorante, lui dérobe la fée endormie.)
GWION
C’est vrai. Qu’arrive-t-ilet par quelle merveille 6+6 41
115 Tout un printemps se lèveà l’appel de mes yeux ? 6+6 42
 Ô spectacle prestigieux ! 8 42
 Rêvé-je ou si je veille ? 6 41
(Tonnerre, éclairs. Myrdhynn, dans un buisson de feux, surgit à la corne d’un rocher.)
SCENE III
URGANDE, toujours immobile,, GWION, L’ENCHANTEUR MYRDHYNN
MYRDHYNN
 Triste Gwion, prête l’oreille : 8 41
 Mon cœur enfin s’est adouci, 8 11
120 Gwion, ta bien-aiméeest de retour ici. 6+6 11
 Votre peine fût pareille ; 7 41
 Que votre heur le soit aussi ! 7 11
 Dès que l’orbe de la lune 7 43
 Aura touché l’horizon, 7 5
125  Secouant sa pâmoison, 7 5
 Ici même, sur la dune, 7 43
Urgande rentradans sa jeune saison. 6+6 5
C’était pour reposersa tête endolorie 6+6 44
Que la dune, ce soir,s’était toute fleurie. 6+6 44
130 Éveille-la, Gwion ;puis partez tous les deux. 6+6 42
 Partez, fuyez, âmes légères, 8 45
 Couple charmant et hasardeux. 8 42
Reprenez vos ébatsau milieu des fougères. 6+6 45
 Partez, retenez seulement 8 25
135  De vos épreuves passagères 8 45
Qu’il vous faut obéirà mon commandement 6+6 25
Et qu’on n’offense pasMyrdhynn impunément ! 6+6 25
(L’apparition s’évanouit. Une lune rose s’éveille sur la mer. Et voici que, de sa couche parfumée, Urgande — une Urgande nouvelle, délicieusement jeune et jolie, — s’étire doucement, lentement. Gwion, qui ne peut croire à son bonheur, hésite à la reconnaître. Et, tout à coup, on le voit qui s’élance.)
SCÈNE IV
URGANDE, GWION
GWION, poussant un cri
 Urgande !
URGANDE, se dressant tout à fait.
 Gwion !
GWION
 Urgande, 7 26
 C’était toi !
URGANDE
 C’est toi, Gwion ! 7 5
GWION
140  Comme un ramier, sur la lande, 7 26
 J’errais plein d’affliction 7 5
URGANDE
 Sur les flots de la mer grande, 7 26
 Je voguais, triste alcyon 7 5
GWION
 Urgande !
URGANDE
 Gwion !
GWION
 Urgande, 7 26
 C’était toi !
URGANDE
145  C’est toi, Gwion ! 7 5
GWION
Comment n’ai-je pas vuque c’était toi ? La lune 6+6 43
Se levait…
URGANDE
 L’ombre encorme cachait à demi. 6+6 11
 Doux ami ; 3 11
 Ne te reprocheaucune faute, aucune. 4+6 43
GWION
150  Quel devait être ton effroi, 8 46
 Livrée ainsi aux vents sauvages ! 8 47
 La mort habite ces rivages… 8 47
URGANDE
 Gwion, je pensais à toi !… 7 46
 La nuit était douce 5 48
155  Comme au temps d’avril : 5 49
 Des flots de béryl 5 49
 Chantaient sur la mousse. 5 48
 Et je sommeillais, 5 35
 Mollement couchée 5 13
160  Sur une jonchée 5 13
 De lys et d’œillets ; 5 35
 Quand, durant mon rêve, 5 50
 (Troublant souvenir !) 5 51
 Je te vis venir, 5 51
165  Gwion, sur la grève. 5 50
GWION
 Chère fée, ô mon Urgande, 7 26
 Je mourrai, si je te perds. 7 52
 C’est toi ! Ce sont tes yeux pers, 7 52
 C’est ta bouche de légende. 7 26
170  Et c’est ton rire auroral. 7 53
 Ce sont tes mains : je les touche. 7 54
 Ce sont tes yeux ; c’est ta bouche ; 7 54
C’est toi, coupe d’amour,Urgande, pur graal !… 6+6 53
URGANDE
 Voix qui réconforte, 5 55
175  Chère, ô chère voix ! 5 56
 Sans elle, je crois 5 36
 Que je serais morte. 5 55
GWION
 Rien ne m’était plus. 5 22
 J’errais, le front hâve, 5 57
180  Pareil à l’épave 5 57
 Que pousse le flux. 5 58
URGANDE
 Étreintes liantes, 5 59
 Baisers, mon souci, 5 11
 Je tendais ainsi 5 11
185  Mes mains suppliantes ! 5 59
GWION
 J’appelais sans fin : 5 9
 Urgande ! criais-je. 5 60
 O cher cou de neige ! 5 60
 O beaux yeux d’or fin ! 5 9
URGANDE
190  Va ! Ne pensons plus à ces choses : 8 61
Mes maux sont terminés ;tes chagrins sont finis, 6+6 27
 Puisque nous sommes réunis. 8 27
Slas d’aimer ! Douceurdes ceintures décloses ! 6+6 61
 C’est la nuit des métamorphoses : 8 61
195  Il pleut des corolles de roses ; 8 61
 La mer est lisse comme un pré, 8 2
 Et là-bas, sont les carènes, 8 62
 On entend chanter les Sirènes, 8 62
 Blanches parmi le flot pourpré. 8 2
200  L’une dérive la gabare ; 8 63
L’autre lève aux plats-bordsson jeune front barbare 6+6 63
 Et, riant à l’homme de barre, 8 63
La plus belle des troisse suspend au beaupré. 6+6 2
 Glitonéa,Tironée, Oronoles 4+6 64
205 Sont leurs noms. Quand l’ivoireépand leurs crins soyeux, 6+6 42
Une avalanche d’orcroule sur leurs épaules ; 6+6 65
Leurs seins blancs sont taillésdans la neige des pôles ; 6+6 65
La langueur des nuits d’aoûtse pâme dans leurs yeux. 6+6 42
Matelots, matelots,suivez ces amoureuses 6+6 66
210 Sous les porches d’argentde la glauque cité. 6+6 2
 Croisez vos bras sur vos vareuses, 8 66
Et laissez-les guidervos paresses heureuses 6+6 66
Au pays de la Mortet de la Volupté. 6+6 2
Bien d’autres avant vousont tenté l’aventure ; 6+6 67
215 Un vent mystérieuxchantait dans leur mâture ; 6+6 67
Les cloches de la mertintaient si doucement 6+6 25
Que, pour mieux écouterleur magique langage, 6+6 68
Les hommes se couchaientle long du bastingage 6+6 68
Et qu’ils pensaient ouïrdes voix de diamant. 6+6 25
220 Écoutez-les aussi,ces cloches de promesses. 6+6 69
Leur carillon légersonne d’étranges messes, 6+6 69
Telles qu’aucun de vousjamais n’en entendit. 6+6 16
Ahès est là, près del’évêque qui les dit. 6−6 16
Et tout à coup, selonle rite guibélique, 6+6 70
225  Elle arque son corps immortel 8 19
Et, dans la monstrueuseet sombre basilique, 6+6 70
 On voit s’ouvrirle lotus symbolique, 4+6 70
 Et c’est Ahèsle ciboire et l’autel !… 4+6 19
Nous cependant, couchéssur le sable des grèves, 6+6 71
230 Nous n’imiterons pasle farouche pluvier 6+6 2
Et nous suivrons, d’un œilami, sans l’envier, 6+6 2
 L’appareillage de vos rêves. 8 71
L’hiver chasse l’oiseau :plus fidèles que lui, 6+6 11
Jamais nous ne fuironscette île hospitalière, 6+6 72
235 Et nos cœurs accouplés,demain comme aujourd’hui, 6+6 11
 Ne voudront plus d’autre volière. 8 72
 C’est ici leur dernier retrait, 8 73
 La rive douce et familière. 8 72
 Le nid caché, le nid secret. 8 73
240   s’abriteront sous les branches 8 74
 Leurs deux tendresses toutes blanches, 8 74
Le double amourdont chacun d’eux mourait. 4+6 73
Ah ! Gwion, ne dis pasqu’il faut partir. Chère âme, 6+6 32
Ce soir d’hiver est douxcomme un épithalame. 6+6 32
245 pourrions-nous trouverun tel apaisement ? 6+6 25
Quels bords seraient plus sûrssous un ciel plus clément ? 6+6 25
GWION
Fuyons-les cependant,fuyons-les, mon Urgande. 6+6 26
Tu n’as pas vu l’ajonc,tu n’as pas vu la lande 6+6 26
Se convulser au vent de mer. 8 75
250 C’est de leurs fruits malsainsque cette île est prodigue ; 6+6 76
Mais elle accorde à peineau soc qui la fatigue 6+6 76
 Un peu de seigle ou d’orge amer. 8 75
Fuyons-les ! L’heure presseet la route est ouverte. 6+6 77
Vois ! la douce Phœbéqui rit dans la nuit verte 6+6 77
255 Fait jusqu’au bord de tes pieds blancs 8 29
Couler un pan légerde sa trne fleurie, 6+6 44
Et c’est comme un cheminsemé de pierrerie 6+6 44
Qui s’ouvre à nos rêves tremblants. 8 29
URGANDE
 Mon Gwion, je suis si lasse ! 7 78
260  Comment prendre un tel chemin ? 7 9
 Restons à la même place, 7 78
 Gwion, ta main dans ma main. 7 9
 Sur ces lys, l’âme légère, 7 72
 Nous dormirons jusqu’au jour 7 7
265  La lune est une étrangère 7 72
 Qui se rit de notre amour. 7 7
GWION
Non, regarde-la mieux.Comme sa pâle flamme 6+6 32
Doucement jusqu’à nousglisse de lame en lame ! 6−6 32
Comme son disque est lentà quitter l’horizon ! 6+6 5
270 Regarde encore. Voissi je n’ai pas raison, 6+6 5
Si l’oblique refletqui tremble derrière elle, 6+6 79
On ne le prendrait paspour quelque passerelle 6+6 79
Que des chnes d’argentsuspendraient dans la nuit. 6+6 16
La mer ne fut jamaissi calme ! Pas un bruit, 6+6 16
275 Rien, tout s’est tu : l’appeldes halbrans, le chant vague 6+6 80
Des bateliers de Seinqui déchargeaient leur drague, 6+6 80
Pleine du sable rouxqu’on pêche sur le Banc, 6+6 81
Et qui s’en sont allésavec le soir tombant. 6+6 25
Partons aussi. Fuyonsn’importe ! C’est si triste, 6+6 82
280 Sein ! Vienne l’hiver, pasune fleur qui résiste, 6+6 82
Ni l’œillet sur les caps,ni la rose au jardin : 6+6 9
Toutes, l’hiver venu,s’étiolent soudain, 6+6 9
Et, sur l’horizon gristaché d’un soleil trouble, 6+6 83
Avec le jour qui meurtet le vent qui redouble, 6+6 83
285 C’est comme une montéeéperdue, un flux noir 6+6 84
De landes, des bonds telsaux quatre coins du soir 6+6 84
Qu’on dirait, sous l’horreurde ces couchants funèbres, 6+6 85
L’échevèlement foud’une mer de ténèbres !… 6+6 85
URGANDE
 Gwion, Gwion, se pourrait-il ? 8 49
290  L’ancienne souffrance t’égare : 8 63
  trouver un air plus subtil ? 8 49
 La dune est comme un grand courtil 8 49
 Sous le printemps qui la bigarre. 8 63
GWION
Viens, te dis-je. Là-bas, mènent ces clartés, 6+6 86
295 Il est d’autres printempssuivis de longs étés, 6+6 86
Des jours d’or, une paixlumineuse et chantante. 6+6 15
Tu le connais : c’est lepays de notre attente, 6−6 15
Le lilial Éden luit, fête des yeux, 6+6 42
Hel, le très beau, le puret le victorieux ! 6+6 42
300 Ô chers rayons,route d’amoursurnaturelle, 4+4+4 79
Étends-toi sous nos pas,magique passerelle ! 6+6 79
Et vous, fleurs du pourprisque nos vœux ont élu, 6+6 87
Soleil, clarté parfaite,œil du jour absolu, 6+6 87
Splendeur, et vous, miroirdes eaux, mers odorantes, 6+6 59
305 Beau ciel pareil aux yeuxdes vierges ignorantes, 6+6 59
Bois sacrés, frondaisonspacifiques, et vous, 6+6 40
Vers qui monte au matinl’hymne fidèle et doux 6+6 39
 Des fiancés et des époux. 8 39
Temples de l’indulgentAmour, demeures saintes, 6+6 88
310  Parvis de cinname arrosés, 8 86
 Stèles de candeur toutes ceintes, 8 88
sur la bouche d’ordes molles hyacinthes 6+6 88
Palpitent nuit et jourd’invisibles baisers, 6+6 86
Salut, temples, forêts,soleil, mers lumineuses ! 6+6 66
315  Salut, pourpris d’enchantement, 8 25
 Fleurs que les lèvres de l’amant, 8 25
 Dans la douceur du clos dormant, 8 25
 Cueillaient aux lèvres des faneuses !… 8 66
URGANDE, doucement ironique.
 Volage ami, cœur vagabond, 8 89
320  Je sais ! Je sais ! Mais à quoi bon 8 5
 Changer le cadre du poème ? 8 90
 Ce que nous avons ici même, 8 90
 Pourquoi l’aller chercher ailleurs 8 91
 Et se peut-il d’Édens meilleurs 8 91
325  Que le nid tout fait l’on s’aime ? 8 90
 Foin de ces amours de gala ! 8 92
 Il y faut trop de remuages ; 8 47
 Quitte la lune : laisse-la 8 92
 Garder son troupeau de nuages. 8 47
330  Nous n’avons cure de ses soins : 8 93
 Gwion, pour s’aimer sans témoins, 8 93
 Crois-tu qu’on s’en doive aimer moins ? 8 93
GWION
Urgande, par pitié,cesse ces railleries ! 6+6 94
 Il n’est que temps.Déjà les métairies 4+6 94
335 S’éveillent… Le coq chanteÉcoute !… Cependant 6+6 25
La lune qui décrtva quitter l’Occident, 6+6 25
Et, si nous refusonsde partir avec elle, 6+6 79
 Tout chemin nous sera fermé ! 8 2
URGANDE
 Que nous importe, ô mon aimé ? 8 2
GWION
340 Mais c’est le clos d’antan,le pourpris embaumé, 6+6 2
Et le val et la sourceet les champs d’asphodèle, 6+6 79
C’est tout l’Éden que nousperdons, chère infidèle. 6−6 79
 Si l’aube nous retrouve ici !… 8 11
URGANDE
 Maigre souci ! 4 11
GWION
345 Quoi ! Tu renonceraisà la blanche demeure, 6+6 95
A l’étang qui s’endortparmi les nénuphars ? 6+6 96
Tu leur préféreraisce ciel, ces flots blafards ? 6+6 96
URGANDE
 Hormis l’amour, tout n’est que leurre. 8 95
GWION
Ah ! pour la préféreraux rivages vermeils, 6+6 35
350 Aux flots bleus que le voldes palombes effleure, 6+6 95
Ah ! tu ne connais pasl’île des Sept-Sommeils ! 6+6 35
Tu ne peux pas savoirquelle race l’habite, 6+6 97
Le feu sombre qui couveau creux de son orbite, 6+6 97
 Son rire épais,ses travaux sans loyer, 4+6 2
355  Et la Misère,éternelle Cassandre, 4+6 98
 Accroupie en robe de cendre 8 98
 Sur les dalles de son foyer ! 8 2
URGANDE
Je connais tout cela,Gwion, et d’autres choses 6+6 61
Encor. Mais que veux-tu ?Je suis lasse des roses, 6+6 61
360 Des jours d’or, des flots bleus,des pourpris irisés, 6+6 86
Et je n’aspire plus,Gwion, qu’à tes baisers. 6+6 86
Tu me les donnerasici. Quoi ! Tu t’effraies 6+6 99
De me savoir parmices bonnes gens en braies, 6+6 99
Ces îliens aux cousrenflés, au sang fougueux, 6+6 42
365 Toujours à labourerquelque océan, ces gueux 6+6 42
Qui s’en iraient jusqu’enenfer d’une bordée ! 6−6 13
Moi, je les aime d’êtreainsi. J’ai comme idée 6+6 13
Qu’ils nous accueilleraientfort bien, ces bonnes gens. 6+6 29
Nous leur serions des dieuxtrès doux, très indulgents, 6+6 29
370 De petits dieux, d’aspectnullement redoutable. 6+6 24
Puis ils nous donneraientles miettes de leur table, 6+6 24
Un peu de lait, du miel,et c’est assez pour nous. 6+6 40
Songe donc : tu n’atteindrais pasà leurs genoux ! 8+4 39
Ils ne te craindraient pas,Gwion, tout au contraire. 6+6 72
375 C’est charmant : tu seraiscomme leur petit frère, 6+6 72
Et moi comme leur sœurun peu tendrette encor. 6+6 100
Et le voilà, l’Éden !Les voilà, les jours d’or ! 6+6 100
C’est cela le bonheur,Gwion : lorsque tout change, 6+6 101
Ne point changer, resterici dans quelque grange 6+6 101
380 Bien close, le vent d’ouestne pénétrerait point, 6+6 102
Seuls à s’aimer, parmila bonne odeur du foin, 6+6 103
Au matin s’éveilleravec les bartavelles, 6+6 104
Courir dans le gazon,baller dans les javelles, 6+6 104
Aller, venir, trotter,la bride sur le cou, 6+6 105
385 Du platier de Vaskernaux brisants d’Ifliskou, 6+6 105
Et, pour faire la niqueaux faneuses du Lenne, 6+6 8
Glisser dans leur fichudes fleurs de marjolaine ! 6+6 8
Ah ! les lutins que nousserions, si tu voulais ! 6−6 35
Comme notre greniervaudrait tous les palais ! 6+6 35
390 Quoi ! Tu boudes encore ?Est-ce que d’aventure, 6+6 67
Gwion, tu jugeraistrop noire ma peinture. 6+6 67
Ou si c’est mon babild’oiseau qui t’étourdit ? 6+6 16
Et pourtant, bien-aimé,je ne t’ai pas tout dit. 6+6 16
Pardonne-moi. Durantcet exode farouche, 6+6 54
395 je cherchais partouttes yeux, partout ta bouche, 6+6 54
J’ai vu tant de misère,hélas ! sur mon chemin, 6+6 9
Que j’ai pris en pitiéle pauvre genre humain. 6+6 9
Réellement, il m’apoussé comme une autre âme. 6+6 32
La charité rentre àprésent dans mon programme 6−6 32
400 Et je veux, s’il te plt,le tenir jusqu’au bout. 6+6 106
Donc, mon aimé, faisonsnos paquets et debout ! 6+6 106
Dans la ferme discrète seront nos pénates, 6+6 107
Si les poulains trop vifsont embrouillé leurs nattes, 6+6 107
Si le bœuf a rompusa longe ou le bélier 6+6 2
405 Ses entraves, j’entendsque d’un doigt familier 6+6 2
Et prompt l’un de nous deuxrépare le dommage. 6+6 68
L’agréable métier,Gwion ! Point de chômage ! 6+6 68
Toujours quelque serviceà rendre ! Quant à moi, 6+6 46
Je sais par le menudéjà tout mon emploi : 6+6 46
410 Traire le lait, rouirle chanvre aux grandes pluies, 6+6 94
Souffler le feu, couperle pain, tendre les buies, 6+6 94
Vanner l’orge, garderla ruche des frelons, 6+6 108
Brasser la pâteet l’étalersur les plons 4+4+4 108
D’une éclisse savanteet sûre en sa prestesse 6+6 109
415 Vois-tu d’icil’étonnementde notre hôtesse, 4+4+4 109
Qui se frotte les yeuxet croit rêver encor 6+6 100
Et se signe trois foiscomme à confiteor, 6+6 100
En trouvant au matinsa tâche à moitié faite ! 6+6 110
Tous les jours désormaislui seront jours de fête. 6+6 110
420 Son linge sécheratout seul sur les buissons. 6+6 108
Plus de soucis ! Enfinson homme et ses gaons, 6+6 108
Le ventre creux,ne crieront plusaprès la soupe, 4+4+4 111
Quand ils débarquerontle soir de leur chaloupe ! 6+6 111
Un bon feu pétillantd’ajonc les attendra, 6+6 92
425 Et, sous l’intimitéde leur unique drap 6+6 112
D’étoupe, bien rangésle long de la venelle. 6+6 79
Les lits-clos ouvrirontleur crypte maternelle 6+6 79
Et se feront plus doux,plus chauds et plus discrets. 6+6 35
Quel coup du ciel ! Voilànos gens tout guillerets. 6+6 35
430 Pas un, ma foi,qui s’attendîtà la prébende ! 4+4+4 26
Mais les plus fortunéspeut-être de la bande, 6+6 26
Les plus heureux, Gwion,ce sera nous encor. 6+6 100
Eh ! oui, l’on peut trouverà redire au décor : 6+6 100
Une ferme, une grange,un courtil, ce n’est guère 6+6 72
435 Et nous avions jadisun cadre moins vulgaire. 6+6 72
Mais le bonheur n’est pashors de nous, mon aimé : 6+6 2
Il est en nous. Ton cœurs’est trop vite alarmé ; 6+6 2
Tu ne te sens pas faitpour jouer les apôtres ; 6+6 113
Tu ne sais pas comme ilest doux d’aider les autres 6−6 113
440 Et, dans ton égoïsmeinnocent, tu ne vois 6+6 36
Que mes yeux et n’entendsau monde que ma voix. 6+6 56
Il est des yeux meurtriscomme des ciels d’orage ; 6+6 68
D’autres si transparentsqu’on dirait un vitrage 6+6 68
Et qu’on apeoit l’âmeen se penchant sur eux. 6+6 42
445 Retiens pieusementleur secret douloureux : 6+6 42
Pour t’être pénétrédu deuil qui s’y révèle, 6+6 79
Tu trouveras aux miensune douceur nouvelle. 6+6 79
Il est des voix, échod’un si morne tourment, 6+6 25
Qu’on les prendrait de loinpour un vagissement 6+6 25
450 Et qu’elles n’osent passe détacher des lèvres. 6+6 114
Recueille-les. Entendsce que disent leurs fièvres, 6+6 114
Les âtres morts, l’exil,la souffrance et la faim ; 6+6 9
Connais toutes ces voixgrelottantes, afin 6+6 9
De mieux apprécierle cristal de la mienne. 6+6 8
455 Or, c’est cela, Gwion,la charité chrétienne 6+6 8
Et, quoiqu’un peu païensde tournure et d’esprit. 6+6 16
Nous la pratiqueronsainsi qu’il est écrit… 6+6 16
GWION
 Nous devenir chrétiens, Urgande ! 8 26
Nous, les lutins subtils,fantasques et moqueurs, 6+6 91
460  Céder au vent de propagande 8 26
 Qui dessèche partout les cœurs !… 8 91
URGANDE
 Innocence ! Candeur ! Simplesse ! 8 109
 Eh ! l’on en prend et l’on en laisse, 8 109
Gwion. Puis, entre nous,ta crainte est sans objet 6+6 73
465 Jésus n’est pas un ogre,ami, comme Saturne. 6+6 4
Ceux qui te l’ont dépeintrenfrogné, taciturne, 6+6 4
Cuvant au fond du cielle sang qui le gorgeait, 6+6 73
T’ont menti. C’était bonpour les dieux de la fable, 6+6 24
Cette attitude. Lui,c’est un être ineffable, 6+6 24
470 Qui ne sait que des motsde pardon et d’amour, 6+6 7
Le plus charmant, le plusexquis de tous les êtres. 6+6 115
Accueillant aux petits,dur seulement aux mtres. 6+6 115
Une âme blanche, avecl’immense azur autour !… 6+6 7
GWION
Je veux te croire, Urgande,et cependant j’ai peine 6+6 8
475 A dire oui. L’effroim’étreint. Nouveau venu, 6+6 87
J’hésite sur le seuilet, la main sur le pêne, 6+6 8
 Je n’ose ouvrirpar peur de l’inconnu 4+6 87
Que faire ?
URGANDE
M’obéir,Gwion.
GWION
Chère amoureuse. 6+6 37
Du moins si j’étais sûrque tu serais heureuse, 6+6 37
480 Si, par quelque présageinouï, j’apprenais… 6+6 35
(Un couple d’oiseaux traverse en ce moment le ciel et vient s’abattre auprès d’eux. Gwion ne les remarque pas, mais Urgande tressaille et saisit Gwion par la main.)
URGANDE
 Vois donc, ami, dans les genêts 8 35
 Ces deux blancheurs surnaturelles : 8 104
 Roucoulements, douces querelles, 8 104
 Baisers de-ci, baisers de-là. 8 92
485  Ne sont-ce point deux tourterelles ? 8 104
GWION, s’approchant pour écarter les branches.
Oui. L’on croirait vraimentqu’il a neigé sur elles. 6+6 104
URGANDE, s’approchant à son tour.
Eh bien ! mais le présageattendu, le voilà ! 6+6 92
Regarde encor… Plus près !… De leur bec adorable. 6+6 24
Elles tressent un nid,ce me semble
GWION
En effet !… 6+6 73
URGANDE
490  Un nid, Gwion ! Ah ! c’est parfait ! 8 73
L’augure jusqu’au bouts’est montré favorable 6+6 24
 Et tu n’as plus qu’à t’incliner. 8 2
GWION, qui se résigne.
 Ainsi fais-je sans chicaner, 8 2
Mon Urgande. Les Sortssont pour toi. Je l’avoue. 6+6 116
495 Et donc, quand il est temps,retournons notre proue. 6+6 116
Rentrons au port. Faisonscomme ces beaux oiseaux 6+6 117
De lumière : dans lesgenêts et les roseaux, 6−6 117
Bâtissons notre nidde branchage flexible ; 6+6 118
Comme eux, sans regretterun ciel inaccessible, 6+6 118
500 Laissons s’épanouirnos deux cœurs triomphants. 6+6 29
URGANDE
Et, comme eux, mon amour,ayons beaucoup d’enfants ! 6+6 29
mètre profils métriques : 8, 6, 3, 4, 7, 5, 6=6, 4÷6, 5÷6, (9)
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