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| = césure
LEG_1/LEG50
Charles LE GOFFIC
Poésies complètes
1889-1914
LE BOIS DORMANT
PETITS POÈMES
NOËL À BORD
(RÉCIT DU CAPITAINE)
À Gustave Larroumel.
Nous avions relâché la veille à Ploumanacʼh. 6+6 a
Aucun de nous n’avait consulté l’almanach 6+6 a
Et nous ne savions pas que Noël était proche. 6+6 b
Il ventait doux. Le ciel était comme un jardin, 6+6 c
5 Tant il y fleurissait d’étoiles, quand soudain 6+6 c
La Jeanne-Estève alla donner contre une roche. 6+6 b
Mais, au lieu de s’ouvrir en deux, notre bateau 6+6 a
Demeura là comme pressé dans un étau, 4+4+4 a
Sans pouvoir avancer ni reculer d’un pouce. 6+6 b
10 La brume à ce moment couvrit tout. Il semblait 6+6 c
Que nous étions cernés dans une mer de lait, 6+6 c
D’où montait une plainte douce… 8 b
Une plainte confuse et vague, un chant lointain 6+6 a
Qui tremblait sur la mer du côté de Plestin, 6+6 a
15 Comme exhalé de mille bouches clandestines. 6−6 b
Il approchait avec la brume et le jusant, 6+6 c
Si bien qu’on y pouvait distinguer à présent 6+6 c
Des mots bretons, mêlés de syllabes latines. 6+6 b
Pour être franc, je n’étais pas très rassuré : 4+4+4 a
20 Le vieil Eno criait déMiserere 6+6 a
Et jurait de ne plus s’attarder aux auberges. 6+6 b
Stanis, pauvre innocent, riait d’un rire amer, 6+6 c
Et soudain le brouillard disparut, et la mer 6+6 c
Fut pleine de clartés de cierges. 8 b
25 Il en naissait, il en surgissait de partout ! 6+6 a
Comme on voit sur les blés les abeilles en août, 6+6 a
Leurs feux pâles dansaient à la pointe des lames. 6+6 b
Ils rayaient l’ombre avec des vols brusques d’oiseaux. 6+6 c
Et, tandis que leurs bonds se croisaient sur les eaux, 6+6 c
30 On entendait grossir la prière des Âmes. 6+6 b
Car c’étaient des noyés qui s’en venaient ainsi 6+6 a
Vers la ville à qui Dieu dénia sa merci, 6+6 a
Ker-Is, dont bruissaient les cloches sous-marines. 6+6 b
Trente évêques les précédaient en chapes d’or, 8+4 c
35 Chantant l’Ecce Deus et le Confiteor, 6+6 c
Les mains en croix sur leurs poitrines. 8 b
Ils passèrent si près du bord qu’en nous penchant 6+6 a
Nous aurions pu saisir chaque mot de leur chant. 6+6 a
Hâves, un cierge au poing, le front dans des cagoules, 6+6 b
40 Les noyés se serraient derrière eux, en troupeau, 6+6 c
Et les frocs goémoneux qui claquaient sur leur peau 6+6 c
Avaient trempé sept ans dans l’écume des houles. 6+6 b
Ils levaient tristement sur nous leurs yeux sans fond, 6+6 a
Leurs yeux troubles, pareils à la neige qui fond, 6+6 a
45 Et passaient, marmonnant d’étranges litanies. 6+6 b
Ils disaient : « Bienheureux, quand le Sauveur est né, 6+6 c
Ceux à qui, sur le gouffre amer, fut épargné 6+6 c
L’effroi des lentes agonies ! 8 b
« Voici la radieuse et liliale nuit ! 6+6 a
50 Ô vivants fortunés qu’une étoile conduit, 6+6 a
C’est pour vous que l’on a dressé la sainte table 6+6 b
Et que luit sur l’autel le mystique ostensoir. 6+6 c
Venez, accourez tous par les chemins du soir 6+6 c
Vers le royal Jésus couché dans son étable. 6+6 b
55 « Il est là. Ses beaux yeux, sous ses cheveux bouclés, 6+6 a
Sont comme des bleuets éclos parmi les blés. 6+6 a
Entre ses frêles bras pourrait tenir le monde. 6+6 b
O vivants fortunés qu’une étoile conduit, 6+6 c
Voici la radieuse et liliale nuit, 6+6 c
60 La nuit en miracles féconde ! 8 b
« Mais nous qui n’avons plus que nos yeux pour pleurer, 6+6 a
Nous qu’une fois tous les sept ans on voit errer 6−6 a
Sur l’abîme, perdant notre âme goutte à goutte, 6+6 b
Nos prières ne montent pas jusqu’à Jésus, 8+4 c
65 Et maudits sont les flancs dont nous sommes issus, 6+6 c
Parce qu’aucune main ne nous versa l’absoute… » 6+6 b
Ils disaient, et nos cœurs s’emplissaient de remords. 6+6 a
Ah ! la dure leçon que nous donnaient les morts ! 6+6 a
C’était l’heure bénie où la terre bretonne, 6+6 b
70 Riant comme une aïeule à l’Enfant nouveau-né, 6+6 c
N’est que chansons, de Plouézec à Locminé. 4+4+4 c
Job murmura : « Dieu nous pardonne ! 8 b
« Dieu nous pardonne ! Un voile était sur notre esprit. 6+6 a
Quand l’univers entier dans l’attente du Christ 6+6 a
75 Haletait, comme un corps épuisé par les fièvres, 6+6 b
Oh ! l’oubli révoltant ! seuls parmi les humains. 6+6 c
Nous n’avons pas baissé la tête, joint les mains. 6+6 c
Ingrats ! Aucun de nous n’a desserré les lèvres ! 6+6 b
« Eno, Stanis, et vous, capitaine, jurons 6+6 a
80 De faire un grand pavois avec nos avirons 6+6 a
Et d’entendre la messe à la prochaine escale. 6+6 b
Nous hisserons l’Enfant Jésus sur le pavois 6+6 c
Et nous ferons le tour de l’église trois fois 6+6 c
Et trois fois le tour de la cale… » 8 b
85 Et brusquement tout disparut. L’aube avait lui. 4+4+4 a
Le vieil Eno frottait ses yeux et, près de lui, 6+6 a
Mes autres matelots semblaient sortir d’un rêve… 6+6 b
À trois heures de là nous entrions au port. 6+6 c
Le vent est sud-sud-est et je signe au rapport : 6+6 c
90 Pierre Mainguy, patron du sloop la Jeanne-Estève. 6+6 b
mètre profils métriques : 8, 6=6
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