Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LEC_3/LEC166
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES ANTIQUES
1852
Dies iræ
à A. Lacaussade.
Il est un jour, une heure, où dans le chemin rude, 6+6 a
Courbé sous le fardeau des ans multipliés, 6+6 b
L'esprit humain s'arrête, et pris de lassitude, 6+6 a
Se retourne pensif vers les jours oubliés. 6+6 b
5 La vie a fatigué son attente inféconde ; 6+6 a
Désabusé du dieu qui ne doit point venir, 6+6 b
Il sent renaître en lui la jeunesse du monde ; 6+6 a
Il écoute ta voix, ô sacré souvenir ! 6+6 b
Les astres qu'il aima, d'un rayon pacifique 6+6 a
10 Argentent dans la nuit les bois mystérieux, 6+6 b
Et la sainte montagne et la vallée antique 6+6 a
Où sous les noirs palmiers dormaient ses premiers dieux. 6+6 b
Il voit la terre libre, et les verdeurs sauvages 6+6 a
Flotter comme un encens sur les fleuves sacrés, 6+6 b
15 Et les bleus océans, chantant sur leurs rivages, 6+6 a
Vers l'inconnu divin rouler immesurés. 6+6 b
De la hauteur des monts, berceaux des races pures, 6+6 a
Au murmure des flots, au bruit des dômes verts, 6+6 b
Il écoute grandir, vierge encor de souillures, 6+6 a
20 La jeune humanité sur le jeune univers. 6+6 b
Bienheureux ! Il croyait la terre impérissable, 6+6 a
Il entendait parler au prochain firmament ; 6+6 b
Il n'avait point taché sa robe irréprochable ; 6+6 a
Dans la beauté du monde il vivait fortement. 6+6 b
25 L'éclair qui fait aimer et qui nous illumine 6+6 a
Le brûlait sans faiblir un siècle comme un jour ; 6+6 b
Et la foi confiante et la candeur divine 6+6 a
Veillaient au sanctuaire où rayonnait l'amour. 6+6 b
Pourquoi s'est-il lassé des voluptés connues ? 6+6 a
30 Pourquoi les vains labeurs et l'avenir tenté ? 6+6 b
Les vents ont épaissi là-haut les noires nues ; 6+6 a
Dans une heure d'orage ils ont tout emporté. 6+6 b
Oh ! La tente au désert et sur les monts sublimes, 6+6 a
Les grandes visions sous les cèdres pensifs, 6+6 b
35 Et la liberté vierge et ses cris magnanimes, 6+6 a
Et le débordement des transports primitifs ! 6+6 b
L'angoisse du désir vainement nous convie : 6+6 a
Au livre originel qui lira désormais ? 6+6 b
L'homme a perdu le sens des paroles de vie : 6+6 a
40 L'esprit se tait, la lettre est morte désormais. 6+6 b
Nul n'écartera plus vers les couchants mystiques 6+6 a
La pourpre suspendue au devant de l'autel, 6+6 b
Et n'entendra passer dans les vents prophétiques 6+6 a
Les premiers entretiens de la terre et du ciel. 6+6 b
45 Les lumières d'en haut s'en vont diminuées, 6+6 a
L'impénétrable nuit tombe déjà des cieux. 6+6 b
L'astre du vieil Ormuzd est mort sous les nuées : 6+6 a
L'orient s'est couché dans la cendre des dieux. 6+6 b
L'esprit ne descend plus sur la race choisie ; 6+6 a
50 Il ne consacre plus les justes et les forts. 6+6 b
Dan le sein desséché de l'immobile Asie 6+6 a
Les soleils inféconds brûlent les germes morts. 6+6 b
Les ascètes, assis dans les roseaux du fleuve, 6+6 a
Écoutent murmurer le flot tardif et pur. 6+6 b
55 Pleurez, contemplateurs ; votre sagesse est veuve : 6+6 a
Viçnou ne siège plus sur le lotus d'azur. 6+6 b
L'harmonieuse Hellas, vierge aux tresses dorées, 6+6 a
À qui l'amour d'un monde a dressé des autels, 6+6 b
Gît muette à jamais, au bord des mers sacrées, 6+6 a
60 Sur les membres divins de ses blancs immortels. 6+6 b
Plus de charbon ardent sur la lèvre — Prophète, 6+6 a
Adonaï ! Les vents ont emporté ta voix ; 6+6 b
Et le nazaréen, pâle et baissant la tête, 6+6 a
Pousse un cri de détresse une dernière fois. 6+6 b
65 Figure aux blonds cheveux d'ombre et de paix voilée, 6+6 a
Errante au bord des lacs sous ton nimbe de feu, 6+6 b
Salut ! L'humanité, dans ta tombe scellée, 6+6 a
Ô jeune essénien, garde son dernier dieu. 6+6 b
Et l'occident barbare est saisi de vertige. 6+6 a
70 Les âmes sans vertu dorment d'un lourd sommeil, 6+6 b
Comme des arbrisseaux, viciés dans leur tige, 6+6 a
Qui n'ont verdi qu'un jour et n'ont vu qu'un soleil. 6+6 b
Et les sages couchés sous les secrets portiques, 6+6 a
Regardent, possédant le calme souhaité, 6+6 b
75 Les époques d'orage et les temps pacifiques 6+6 a
Rouler d'un cours égal l'homme à l'éternité. 6+6 b
Mais nous, nous consumés d'une impossible envie, 6+6 a
En proie au mal de croire et d'aimer sans retour, 6+6 b
Répondez, jours nouveaux, nous rendrez-vous la vie ? 6+6 a
80 Dites, ô jours anciens, nous rendrez-nous l'amour ? 6+6 b
Où sont nos lyres d'or d'hyacinthe fleuries, 6+6 a
Et l'hymne aux dieux heureux et les vierges en chœur, 6+6 b
Éleusis et Délos, les jeunes théories, 6+6 a
Et les poèmes saints qui jaillissaient du cœur ? 6+6 b
85 Où sont les dieux promis, les formes idéales, 6+6 a
Les grands cultes de pourpre et de gloire vêtus, 6+6 b
Et dans les cieux ouvrant ses ailes triomphales 6+6 a
La blanche ascension des sereines vertus ? 6+6 b
Les muses, à pas lents, mendiantes divines, 6+6 a
90 S'en vont par les cités en proie au rire amer. 6+6 b
Ah ! C'est assez saigner sous le bandeau d'épines, 6+6 a
Et pousser un sanglot sans fin comme la mer. 6+6 b
Oui ! Le mal éternel est dans sa plénitude ! 6+6 a
L'air du siècle est mauvais aux esprits ulcérés. 6+6 b
95 Salut, oubli du monde et de la multitude ; 6+6 a
Reprends-nous, ô nature, entre tes bras sacrés ! 6+6 b
Dans ta chlamyde d'or, aube mystérieuse, 6+6 a
Éveille un chant d'amour au fond des bois épais ; 6+6 b
Déroule encor, soleil, ta robe glorieuse. 6+6 a
100 Montagne, ouvre ton sein plein d'arôme et de paix ! 6+6 b
Soupirs majestueux des ondes apaisées, 6+6 a
Murmurez plus profonds en nos cœurs soucieux ; 6+6 b
Répandez, ô forêts, vos urnes de rosées ; 6+6 a
Ruisselle en nous, silence étincelant des cieux ! 6+6 b
105 Consolez-nous enfin des espérances vaines : 6+6 a
La route infructueuse a blessé nos pieds nus. 6+6 b
Du sommet des grands caps, loin des rumeurs humaines, 6+6 a
Ô vents ! Emportez-nous vers les dieux inconnus. 6+6 b
Mais si rien ne répond dans l'immense étendue 6+6 a
110 Que le stérile écho de l'éternel désir, 6+6 b
Adieu, déserts où l'âme ouvre une aile éperdue ! 6+6 a
Adieu, songe sublime, impossible à saisir ! 6+6 b
Et toi, divine mort, où tout rentre et s'efface, 6+6 a
Accueille tes enfants dans ton sein étoilé ; 6+6 b
115 Affranchis-nous du temps, du nombre et de l'espace, 6+6 a
Et rends-nous le repos que la vie a troublé. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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