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12 longueur métrique
6-6 mètre
LEC_3/LEC156
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES ANTIQUES
1852
Khiron
POEME
I
Hélios, désertantla campagne infinie, 6+6 a
S'incline plein de gloireaux plaines d'Haimonie. 6+6 a
Sa pourpre flotte encorsur la cime des monts. 6+6 b
Le grand fleuve océanapaise ses poumons ; 6+6 b
5 Et l'invincible nuitde silence chargée 6+6 a
Déjà d'un voile épaiscouvre les flots Égée ; 6+6 a
Mais sur le Boibéisaux rougissantes eaux 6+6 b
le coursier lapithehumecte ses naseaux, 6+6 b
Sur l'Hellade sacréeet la mer de Pagase 6+6 a
10 La robe d'Héliosse déploie et s'embrase. 6+6 a
Non loin du Pélioncouronné de grands pins, 6+6 b
Par les sentiers touffus,par les vagues chemins, 6+6 b
Les pasteurs, beaux enfantsà la robe grossière, 6+6 a
Qui d'un agile élancourent dans la poussière, 6+6 a
15 Ramènent tour à touret les bœufs indolents 6+6 b
Dont la lance hâtiveaiguillonne les flancs, 6+6 b
Les chèvres aux pieds sûrs,dédaigneuses des plaines, 6+6 a
Et les blanches brebisaux florissantes laines. 6+6 a
Sur de rustiques charsles vierges aux bras nus 6+6 b
20 Jettent au vent du soirleurs rires ingénus, 6+6 b
Et tantôt, de narcisseet d'épis couronnées, 6+6 a
Chantent Cérès propiceen chansons alternées. 6+6 a
Durant l'éclat du jour,au milieu des joncs verts, 6+6 b
En d'agrestes cours d'eaude platanes couverts, 6+6 b
25 Les unes ont lavéles toiles transparentes, 6+6 a
Les autres ont coupéles moissons odorantes, 6+6 a
Et toutes, délaissantla fontaine ou les champs, 6+6 b
Charment au loin l'échodu doux bruit de leurs chants. 6+6 b
L'heure fuit, le ciel rouleet la flamme recule. 6+6 a
30 La splendide vapeurdu flottant crépuscule 6+6 a
S'épanche autour des chars,baignant d'un pur reflet 6+6 b
Ces bras le sang luitsous la blancheur du lait, 6+6 b
Ces chastes seins enclospar le lin diaphane, 6+6 a
Qui jamais n'ont bondisous une main profane ; 6+6 a
35 Ces cheveux dénoués,beau voile, heureux trésor, 6+6 b
Que le vent amoureuxdéroule en boucles d'or. 6+6 b
Sur les blés, les tissus,l'une près l'autre assises, 6+6 a
Elles vont unissantleurs chansons indécises, 6+6 a
Leurs rires éclatants !Et les jeunes pasteurs 6+6 b
40 S'empressent pour les voir,et par des mots flatteurs 6+6 b
Caressent en passantleur vanité cachée. 6+6 a
Tels, quittant la montagneen son repos couchée, 6+6 a
Ces enfants de l'Helladeaux immortels échos 6+6 b
Poussent troupeaux et charsvers les murs d'Iolkos. 6+6 b
45 Mais voici qu'au détourde la route poudreuse 6+6 a
Un étranger s'avance ;et cette foule heureuse 6+6 a
Le regarde et s'étonne,et du geste et des yeux 6+6 b
S'interroge aussitôt.Il approche. Les dieux 6+6 b
D'un sceau majestueuxont empreint son visage. 6+6 a
50 Dans ses regards profondsrègne la paix du sage. 6+6 a
Il marche avec fierté.Sur ses membres nerveux 6+6 b
Flotte le lin d'Égypteaux longs plis. Ses cheveux 6+6 b
Couvrent sa vaste épaule,et dans sa main guerrière 6+6 a
Brille aux yeux des pasteursla lance meurtrière. 6+6 a
55 Silencieux, il passe,et les adolescents 6+6 b
Écoutent résonnerau loin ses pas puissants. 6+6 b
C'est un dieu ! Pensent-ils ;et les vierges troublées 6+6 a
S'entretiennent tout basen groupes rassemblées. 6+6 a
Mais semblable au lion,le divin voyageur 6+6 b
60 S'éloigne sans les voir,pacifique et songeur. 6+6 b
La nuit tombe des cieux ;le Pélion énorme 6+6 a
Aux lueurs de Phœbéprojette au loin sa forme ; 6+6 a
Et sur la cime altière dorment les forêts 6+6 b
Les astres immortelsdardent leurs divins traits. 6+6 b
65 Il marche. Il a franchiles roches dispersées, 6+6 a
Formidables témoinsdes querelles passées ; 6+6 a
Alors que les géants,de leurs solides mains 6+6 b
Bâtissaient vers les cieuxd'impossibles chemins, 6+6 b
Et que Zeus, ébranlantl'escalier granitique, 6+6 a
70 De ces monts fracasséscouvrit l'Hellade antique. 6+6 a
Entre deux vastes blocs,au creux d'un noir vallon, 6+6 b
Non loin d'un bois épaisque chérit Apollon, 6+6 b
Un antre ouvre aux regardssa cavité sonore. 6+6 a
Le seuil en est ouvert ;car tout mortel honore 6+6 a
75 Cet asile d'un sage,et l'on dit que les dieux 6+6 b
De leur présence augusteont consacré ces lieux. 6+6 b
Deux torches d'olivierde leur flammeante 6+6 a
Rougissent les paroisde la grotteante. 6+6 a
Là, comme un habitantde l'Olympe éthéré, 6+6 b
80 Mais par le vol des ansfugitifs effleuré, 6+6 b
Khiron aux quatre pieds,roi de la solitude, 6+6 a
Sur la peau d'un lion,couche nocturne et rude, 6+6 a
Est assis, et le filsde Pelée, au beau corps, 6+6 b
Charme le grand vieillardd'harmonieux accords. 6+6 b
85 La lyre entre ses doigtschante comme l'haleine 6+6 a
De l'Euros au matinsur l'écumante plaine. 6+6 a
À ce bruit l'étrangermarche d'un pied hâtif, 6+6 b
Et sur le seuil de pierreil s'arrête attentif. 6+6 b
Mais Khiron l'apeoit ;il délaisse sa couche ; 6+6 a
90 Un rire bienveillantillumine sa bouche ; 6+6 a
Il interrompt Achilleà ses pieds interdit 6+6 b
Et saluant son hôte,il l'embrasse et lui dit : 6+6 b
Orphée aux chants divinsque conçut Kalliope 6+6 a
Entre les bras d'Œagre,aux vallons du Rhodope 6+6 a
95 Que baigne le Strymond'un cours aventureux ; 6+6 b
Ô magnanime roides kylones heureux ! 6+6 b
Dieu mortel de l'Hémos,qui vis le noir rivage, 6+6 a
Ta présence m'honore,et mon antre sauvage 6+6 a
N'a contenu jamaisentre tous les humains 6+6 b
100 Un hôte tel que toi,chantre aux savantes mains. 6+6 b
Ta gloire a retentides plaines de l'Hellade 6+6 a
Jusqu'aux fertiles bords gémit Encelade. 6+6 a
Attentive, souventmon oreille écouta, 6+6 b
De la Thrace glacéeaux cimes de l'Œta, 6+6 b
105 Les sons mélodieuxde ta lyre honorée 6+6 a
Voler dans l'air émusur l'aile de Borée. 6+6 a
Déjà par l'âge éteints,jamais mes faibles yeux 6+6 b
Ne t'avaient contemplé,mortel semblable aux dieux ! 6+6 b
J'en atteste l'Olympeet mon père Saturne, 6+6 a
110 Ta vue a réjouima grotte taciturne. 6+6 a
Entre ! Repose-toisur ces peaux de lion. 6+6 b
Dans les vertes forêtsdu sombre Pélion, 6+6 b
Jadis, en mes beaux joursde force et de courage, 6+6 a
J'immolai de mes mainsces lions pleins de rage. 6+6 a
115 Maintenant leur poil fauveest propice au repos, 6+6 b
Plus que la toison blanchearrachée aux troupeaux. 6+6 b
Et toi, fils de Thétys,Achille au pied agile, 6+6 a
Verse l'onde qui fumeen cette urne d'argile, 6+6 a
Et de mon hôte illustre,aux accents inspirés, 6+6 b
120 D'une pieuse mainlave les pieds sacrés. 6+6 b
Il dit, et le jeune homme,à sa voix vénérée, 6+6 a
Saisit l'urne, d'acantheet de lierre entourée. 6+6 a
Une eau pure et brûlantey coule ; et, gracieux, 6+6 b
Il s'approche d'Orphéeaux chants harmonieux : 6+6 b
125 Ô roi ! Mortel issud'une race divine, 6+6 a
Permets que je te serve.Et son genou s'incline, 6+6 a
Et ses cheveux dorés,au Sperkhios voués, 6+6 b
Sur son front qui rougits'épandent dénoués. 6+6 b
Le sage lui sourit,l'admire et le caresse : 6+6 a
130 Que le grand Zeus, mon fils,à ton sort s'intéresse, 6+6 a
Dit-il. — Achille alorslave ses pieds fumants, 6+6 b
Agrafe le cothurneaux simples ornements, 6+6 b
Puis écoute appuyésur sa pique de hêtre 6+6 a
L'harmonieuse voixqui répond à son mtre. 6+6 a
135 Tel, le jeune Iakkhos,dans les divins conseils 6+6 b
S'accoude sur le thyrseaux longs pampres vermeils. 6+6 b
Interdit devant toi,fils de Khronos, ô sage, 6+6 a
À peine j'ose encorcontempler ton visage ; 6+6 a
Et je doute en mon cœurque les destins amis 6+6 b
140 Aient vers le grand Khironguidé mes pas soumis. 6+6 b
Salut, divin vieillardplein d'un esprit céleste ! 6+6 a
Que jamais Érynnis,dans sa course funeste, 6+6 a
Ne trouble le reposde tes glorieux jours ! 6+6 b
Ô sage, vis sans cesseet sois heureux toujours. 6+6 b
145 La vérité, mon père,a parlé par ta bouche. 6+6 a
Kalliope reçutOeagre dans sa couche : 6+6 a
Je suis né sur l'Hémosde leurs embrassements. 6+6 b
Pour braver Poseidonet les flots écumants 6+6 b
J'ai quitté sans regretsla verte Bistonie 6+6 a
150 des rhythmes sacrésj'enchnais l'harmonie ; 6+6 a
Et la riche Iolkosm'a reçu dans son sein. 6+6 b
Là, sur le bord des mers,comme un bruyant essaim, 6+6 b
Cinquante rois couvertsde brillantes armures, 6+6 a
Poussant jusques aux cieuxde belliqueux murmures, 6+6 a
155 Autour d'un noir navireaux destins hasardeux 6+6 b
Attendent que ma voixte conduise auprès d'eux. 6+6 b
Sur la plage marine j'ai dressé ma tente, 6+6 a
Environnant mon seuilde leur foule éclatante, 6+6 a
Tous m'ont dit : — Fils d'Oeagre,aux paroles de miel, 6+6 b
160 De qui la lyre enchanteet la terre et le ciel, 6+6 b
Va ! Sois de nos désirsle puissant interprète ; 6+6 a
Que le sage Centaureà te suivre s'apprête. 6+6 a
Dis-lui que des myniensles héros assemblés 6+6 b
Au delà des flots noirspar l'orage troublés, 6+6 b
165 Las d'un lâche reposet d'une vie obscure, 6+6 a
Vont ravir la toisondu bélier de Mercure. 6+6 a
Rappelle-lui Phryxosavec la blonde Hellé, 6+6 b
Rejetons d'Athamas,que conçut Néphélé, 6+6 b
Alors qu'abandonnantles rives d'Orkhomène, 6+6 a
170 Ils fuyaient vers Aialeur marâtre inhumaine. 6+6 a
Et le bélier divinles portait sur les mers. 6+6 b
La jeune Hellé tombadans les gouffres amers ; 6+6 b
Et Phryxos, pour calmerson ombre fraternelle, 6+6 a
Immola dans Kolkhosce nageur infidèle. 6+6 a
175 Il suspendit lui-même,au milieu des forêts, 6+6 b
Sa brillante toisondans le temple d'Arès ; 6+6 b
Et depuis, un dragonaux dieux mêmes terrible, 6+6 a
Veille sur ce trésor,gardien incorruptible. 6+6 a
Immense, vomissantla fumée et le feu, 6+6 b
180 De ses mouvants anneauxil entoure ce lieu. 6+6 b
Il n'a dormi jamais,et tout son corps flamboie ; 6+6 a
Il rugit en lion,en molosse il aboie ; 6+6 a
Comme l'aigle, habitantd'Athos aux pics déserts, 6+6 b
Il vole, hérisséd'écailles, dans les airs ! 6+6 b
185 Il rampe, il se redresse,il bondit dans la plaine 6+6 a
Mieux qu'un jeune étalonà la puissante haleine ; 6+6 a
Et dans la sombre nuit,comme aux clartés du ciel, 6+6 b
Il darde incessammentun regard éternel ! 6+6 b
Va donc, cher compagnon,harmonieux Orphée ; 6+6 a
190 Présente à ses regardscet immortel trophée ; 6+6 a
Va ! Qu'il cède à nos vœuxet qu'il règne sur nous. 6+6 b
Ses disciples anciensembrassent ses genoux. 6+6 b
Aux luttes des hérosil forma leur jeunesse, 6+6 a
Et leur âge virilimplore sa sagesse. 6+6 a
195 Vieillard ! Tels m'ont parléces pasteurs des humains 6+6 b
Nourris de ton esprit,élevés par tes mains : 6+6 b
Le puissant Héraclès,fils de Zeus et d'Alkmène, 6+6 a
Qui déploie en tous lieuxsa force surhumaine, 6+6 a
Et qui naquit dans Thèbe,alors que le soleil 6+6 b
200 Cacha durant trois joursson éclat sans pareil ; 6+6 b
Typhis, fils d'Aignias,qui de ses mains habiles 6+6 a
Dirige les vaisseauxsur les ondes mobiles ; 6+6 a
Kastor, fils de Tyndareet dompteur de coursiers ; 6+6 b
Pollux, que l'Eurotasen ses roses lauriers 6+6 b
205 Vit ntre avec Hélène,au berceau renommée, 6+6 a
Sous les baisers du dieudont Léda fut aimée ; 6+6 a
Le léger Méléagre,appui de Kalydon ; 6+6 b
Boutès, à qui Pallasd'un glaive d'or fit don ; 6+6 b
Pélée et Télamon,Amphion de Pallène, 6+6 a
210 Et le bel Eurotoscher au dieu de Kyllène ; 6+6 a
Et le fils de Néléeet Lyncée aux grands yeux 6+6 b
Qui du regard pénètreet la terre et les cieux, 6+6 b
Et les profondes merset les abîmes sombres 6+6 a
l'implacable Aidèsrègne au milieu des ombres ; 6+6 a
215 Et vingt autres héros,avec le fils d'Oeson 6+6 b
Jeune, brave et prudentcomme Athéné, — Jason ! 6+6 b
Je supplie avec euxta sagesse profonde. 6+6 a
Sur leur respect pour toitout leur espoir se fonde ; 6+6 a
Parle ! Que répondrai-jeà ces rois belliqueux ? 6+6 b
220 Ils n'attendent qu'un chef,mais Argo n'attend qu'eux. 6+6 b
J'écoute ; car demain,dès l'aurore naissante, 6+6 a
Il me faut retournervers la mer mugissante. 6+6 a
— Les dieux, dit le Centaure,ont habité parfois 6+6 b
Les bruyantes citéset les monts et les bois, 6+6 b
225 Alors que de l'Olympeabandonnant l'enceinte, 6+6 a
Ils dérobaient l'éclatde leur majesté sainte ; 6+6 a
Ainsi, roi de la Thrace,à tes augustes traits, 6+6 b
Je me souviens du dieuqui lance au loin les traits ; 6+6 b
Tel, exilé des cieux,pasteur de Thessalie, 6+6 a
230 Je le vis s'avancerdans la plaine embellie. 6+6 a
Son port majestueux,ses chants le trahissaient, 6+6 b
Et les nymphes des boissur ses pas s'empressaient. 6+6 b
Ta parole, mon hôte,est douce à mon oreille ; 6+6 a
Nulle voix à la tienneici-bas n'est pareille ; 6+6 a
235 Mais comme un roi puissant,à des enfants épars, 6+6 b
Dispense ses trésorsen d'équitables parts, 6+6 b
L'impassible destin,obéi des dieux mêmes, 6+6 a
Ordonne l'universde ses décrets suprêmes. 6+6 a
Le destin sait, voit, juge !Et tous lui sont soumis, 6+6 b
240 Et jamais il ne tientque ce qu'il a promis. 6+6 b
Repose-toi, mon hôte,et daigne en ma retraite 6+6 a
Calmer la sombre faim.— Fils de Pélée, apprête 6+6 a
Et le miel et le vinet nos agrestes mets. 6+6 b
Bientôt, roi de la Thrace,ô chanteur, qui soumets 6+6 b
245 Au joug mélodieuxles forêts animées, 6+6 a
Les sources des vallonsde tes accents charmées, 6+6 a
Et les rochers émuset les bêtes des bois, 6+6 b
Bientôt le noir destinparlera par ma voix. 6+6 b
Le destin dévorant,sourd comme l'onde amère, 6+6 a
250 Engloutit à son jourtoute chose éphémère, 6+6 a
Ô fils d'Oeagre ! Et moi,par Khronos engendré, 6+6 b
Qui dus être immortel,dont l'âge immesuré 6+6 b
De générationsembrasse un vaste nombre ; 6+6 a
Moi qui de l'avenirperce le voile sombre 6+6 a
255 Il me semble qu'hierj'ai vu les premiers cieux ! 6+6 b
Que Phyllire, ma mère,en son amour joyeux, 6+6 b
Hier en ses doux brasabritait ma faiblesse ! 6+6 a
Ne touché-je donc pasà l'aride vieillesse ? 6+6 a
N'ai-je pas sur la terreusé de mes pieds durs 6+6 b
260 La tombe des hérostombés comme fruits mûrs ? 6+6 b
Et cet âge éternelqu'on daigna me promettre, 6+6 a
Est-ce un rapide jourqui semble toujours ntre ? 6+6 a
Sombre destin, pensée tout est résolu, 6+6 b
Ô destin, tout mourraquand tu l'auras voulu. 6+6 b
265 Et durant ce discours,Orphée aux yeux splendides, 6+6 a
Lisant sur ce grand fronttout sillonné de rides 6+6 a
La profonde penséeet le secret du sort, 6+6 b
Croit voir un dieu couvertdes ombres de la mort. 6+6 b
Cependant il se taitet respecte le sage ; 6+6 a
270 Nul orgueil de savoirne luit sur son visage ; 6+6 a
Il attend que Khiron,assouvissant sa faim, 6+6 b
L'invite à l'écouteret lui réponde enfin. 6+6 b
Le fier adolescentà la tête bouclée, 6+6 a
Fils de l'Océanideet du divin Pélée, 6+6 a
275 Achille au cœur ardent,comme un jeune lion 6+6 b
Qui joue en son repaireaux flancs du Pélion, 6+6 b
S'empresse autour d'Orphéeet du sage Centaure ; 6+6 a
Souriant, il leur verseun doux vin qui restaure, 6+6 a
Puis, sur un disque il sertun tendre agneau fumant, 6+6 b
280 Et des gâteaux de mielavec un pur froment. 6+6 b
Parfois, le grand vieillardqui naquit de Phyllire, 6+6 a
Et le roi de la Thraceà la puissante lyre, 6+6 a
Admirent en secretcet enfant glorieux, 6+6 b
Le plus beau des mortelsissu du sang des dieux. 6+6 b
285 Déjà sa haute tailleavec grâce s'élance 6+6 a
Comme un pin des forêtsque la brise balance ; 6+6 a
Une flamme jaillitde son œil courageux ; 6+6 b
Et, soit qu'il s'abandonneaux héroïques jeux, 6+6 b
Soit qu'il fasse vibrerentre ses mains fécondes 6+6 a
290 La lyre aux chants divins,mélodieuses ondes ; 6+6 a
Comme un nuage d'or,diaphane et mouvant, 6+6 b
À voir ses longs cheveuxflotter au libre vent, 6+6 b
Et sur son cou d'ivoireerrer pleins de mollesse ; 6+6 a
À voir ses reins brillantsde force et de souplesse, 6+6 a
295 Son bras blanc et nerveuxau geste souverain 6+6 b
Qui soutient sans ployerun bouclier d'airain, 6+6 b
Les deux sages déjà,devançant les années, 6+6 a
Déroulent dans leurs cœursses grandes destinées. 6+6 a
Mais le festin s'achève,et sur sa large main 6+6 b
300 Le Centaure pensifpose un front surhumain. 6+6 b
Un long rêve surgitdans son âme profonde ; 6+6 a
Son œil semble chercherun invisible monde ; 6+6 a
Son oreille attentiveaux bruits qui ne sont plus 6+6 b
Entend passer l'essaimdes siècles révolus. 6+6 b
305 Il s'enflamme aux refletsde leur antique gloire, 6+6 a
Comme au vivant soleilluit une tombe noire ! 6+6 a
Tels qu'un écho lointainqui meurt au fond des bois, 6+6 b
Des sons interrompusexpirent dans sa voix, 6+6 b
Et de son cœur troublél'élan involontaire 6+6 a
310 Fait qu'il frappe soudaindes quatre pieds la terre. 6+6 a
Comme pour embrasserdes êtres bien aimés, 6+6 b
Il ouvre à son insudes bras accoutumés ; 6+6 b
Il remonte les temps,il s'écrie, il appelle, 6+6 a
Et sur son front la joieà la douleur se mêle. 6+6 a
315 Enfin sa voix résonneet s'exhale en ces mots, 6+6 b
Comme le vent sonoreémeut les noirs rameaux. 6+6 b
II
— Oui ! J'ai vécu longtempssur le sein de Cybèle 6+6 a
Dans ma jeune saisonque la terre était belle ! 6+6 a
Les grandes eaux naguèreavaient de leurs limons 6+6 b
320 Reverdi dans l'étherles pics altiers des monts. 6+6 b
Du sein des flots fécondsles humides vallées, 6+6 a
De nacre et de corailet de fleurs étoilées, 6+6 a
Sortaient, telles qu'aux yeuxavides des humains, 6+6 b
De beaux corps ruisselantsdu frais baiser des bains, 6+6 b
325 Et fumaient au soleilcomme des urnes pleines 6+6 a
De parfums d'Ionieaux divines haleines ! 6+6 a
Les cieux étaient plus grands !D'un souffle généreux 6+6 b
L'air subtil emplissaitles poumons vigoureux ; 6+6 b
Et plus que tous, baignédes forces éternelles, 6+6 a
330 Des aigles de l'athosje dédaignais les ailes ! 6+6 a
Sur l'écume des mersAphrodite en riant, 6+6 b
Comme un rêve enchantévoguait vers l'orient… 6+6 b
De sa conque, flottantsur l'onde qui l'arrose, 6+6 a
La nacre aux doux rayonsreflétait son corps rose ; 6+6 a
335 Et l'Euros caressaitses cheveux déroulés, 6+6 b
Et l'océan baisaitses pieds immaculés, 6+6 b
Et les grâces en rondsur la mer murmurante 6+6 a
Emperlaient en nageantleur blancheur transparente ; 6+6 a
Et les ris et les jeux,dans leurs jeunes essors, 6+6 b
340 Guidaient la conque bleueet ses divins trésors ! 6+6 b
Ô plaines de la Grèce,ô montagnes sacrées, 6+6 a
De la terre au grand seinmamelles éthérées ! 6+6 a
Ô pourpre des couchants,ô splendeur des matins ! 6+6 b
Ô fleuves immortels,qu'en mes jeux enfantins 6+6 b
345 Je domptais du poitrail,et dont l'onde écumante, 6+6 a
Neige humide, flottaitsur ma croupe fumante ! 6+6 a
Oui ! J'étais jeune et fort ;rien ne bornait mes vœux : 6+6 b
J'étreignais l'universentre mes bras nerveux ; 6+6 b
L'horizon sans limiteaiguillonnait ma course, 6+6 a
350 Et j'étais comme un fleuveélancé de sa source, 6+6 a
Qui, du sommet des montssoudain précipité, 6+6 b
Flot sur flot s'amoncelleet roule avec fierté. 6+6 b
Depuis que sur le sable la mer vient bruire 6+6 a
Khronos m'eut engendrédans le sein de Phyllire, 6+6 a
355 J'avais erré, sauvageet libre sous les airs, 6+6 b
Emplissant mes poumonsdu souffle des déserts, 6+6 b
Et fuyant des mortelsles obscures demeures. 6+6 a
Je laissais s'envolerles innombrables heures ; 6+6 a
De leur rapide essorrival impétueux, 6+6 b
360 L'orage de mon cœurau cours tumultueux 6+6 b
Mieux qu'elles, dans l'espaceet l'ardente durée 6+6 a
Entrnait au hasardma force inaltérée ! 6+6 a
Et pourtant, comme au seindes insondables mers, 6+6 b
Tandis que le notosémeut les flots amers, 6+6 b
365 L'empire de Nérée,à nos yeux invisible, 6+6 a
Ignore la tourmenteet demeure impassible ; 6+6 a
Dans l'abîme inconnude mon cœur troublé, tel 6+6 b
J'étais calme, sachantque j'étais immortel ! 6+6 b
Ô jours de ma jeunesse,ô saint délire, ô force ! 6+6 a
370 Ô chênes dont mes mainsbrisaient la rude écorce, 6+6 a
Lions que j'étouffaiscontre mon sein puissant 6+6 b
Monts témoins de ma gloireet rougis de mon sang ! 6+6 b
Jamais, jamais mes pieds,fatigués de l'espace, 6+6 a
Ne suivront plus d'en basle grand aigle qui passe ; 6+6 a
375 Et, comme aux premiers joursd'un monde nouveau-né, 6+6 b
Jamais plus, de flots noirspartout environné, 6+6 b
Je ne verrai l'olympeet ses neiges dorées 6+6 a
Remonter lentementaux cieux hyperborées ! 6+6 a
Ô Khiron, dit Orphée,éloigne de ton cœur 6+6 b
380 Ces indignes regretsdont le sage est vainqueur. 6+6 b
Ton destin fut si beauparmi nos destins sombres ! 6+6 a
Les siècles de la terreà nos yeux couverts d'ombres 6+6 a
Sous ton large regardont passé si longtemps, 6+6 b
Et ta vie est si pleine,ô fils né du temps ! 6+6 b
385 Que l'auguste scienceen ton sein amassée, 6+6 a
Doit calmer pour jamaista grande âme blessée. 6+6 a
Daigne instruire plutôtmes esprits incertains, 6+6 b
Dis-moi des peuples mortsles antiques destins, 6+6 b
Les luttes des héroset la gloire des sages, 6+6 a
390 Et le déroulementfatidique des âges. 6+6 a
Dis-moi les dieux arméscontre les fils du ciel, 6+6 b
Dans l'olympe asseyantleur empire éternel, 6+6 b
Et les vaincus tombéssous les monts qui s'écroulent, 6+6 a
Et Zeus précipitantses triples feux qui roulent, 6+6 a
395 Et la terre, attentiveà ces combats géants, 6+6 b
Engloutissant les mortsdans ses gouffres béants. 6+6 b
— La sagesse est en toi,fils d'une noble muse ! 6+6 a
Tu dis vrai, car saturneà nos vœux se refuse ; 6+6 a
Implacable, et toujoursavide de son sang, 6+6 b
400 Il m'emporte moi-mêmeen son vol incessant, 6+6 b
Et les larmes jamais,dans sa fuite éternelle, 6+6 a
N'ont fléchi ce dieu sourdqui nous fauche de l'aile. 6+6 a
Tu sais, tu sais déjà,fils d'Oeagre, — Tes yeux 6+6 b
Ont lu jusques au fondde mon cœur soucieux, — 6+6 b
405 Que, comme un voyageurerrant quand la nuit tombe, 6+6 a
Mon immortalités'est heurtée à la tombe ! 6+6 a
Je mourrai ! Le destinm'attend au jour prescrit… 6+6 b
Mais ta voix, ô mon fils,a calmé mon esprit. 6+6 b
Les justes dieux, comblantmon orgueilleuse envie, 6+6 a
410 Bien au delà des tempsont prolongé ma vie ; 6+6 a
Et si je dois tombercomme un guerrier vaincu, 6+6 b
Calme, je veux mourirainsi que j'ai vécu. 6+6 b
Écoute ! Des vieux joursje te dirai l'histoire. 6+6 a
Leurs vastes souvenirsdormaient dans ma mémoire, 6+6 a
415 Mais ta voix les réveille,et ces jours glorieux 6+6 b
Vont éclairer encorleur ciel mystérieux. 6+6 b
Fils d'Oeagre ! Aussi loinque mon regard se plonge ; 6+6 a
Aux bornes du passéqui flotte comme un songe, 6+6 a
Quand a terre était jeuneet que je respirais 6+6 b
420 Les souffles primitifsdes monts et des forêts ; 6+6 b
Des sereines hauteurs s'épandait ma vie, 6+6 a
Quand j'abaissais ma vueétonnée et ravie, 6+6 a
À mes pieds répandu,j'ai contemplé d'abord 6+6 b
Un peuple qui des merscouvrait le vaste bord. 6+6 b
425 De noirs cheveux tombaientsur les larges épaules 6+6 a
De ces graves mortelsavares de paroles, 6+6 a
Et qui, de pelasgos,fils de la terre, issus, 6+6 b
S'abritaient à demide sauvages tissus. 6+6 b
Au sol qui les vit ntreenracinés sans cesse, 6+6 a
430 Ils paissaient leurs troupeaux,pacifique richesse, 6+6 a
Sans que les flots profondsou les sombres hauteurs 6+6 b
Eussent tenté jamaisleurs pas explorateurs. 6+6 b
Arès au casque d'or,aux yeux pleins de courage, 6+6 a
Dans la paix de leurs cœursne jetait point l'orage ; 6+6 a
435 Ignorant les combats,ils taillaient au hasard 6+6 b
De leurs grossières mainsde noirs abris, sans art ; 6+6 b
Et du sein de ces blocs paissaient les cavales 6+6 a
D'inhabiles clameursmontaient par intervalles, 6+6 a
Cris des peuples enfantsqui, simples et pieux, 6+6 b
440 Sentaient bondir leurs cœursen présence des cieux. 6+6 b
Car les temples sacrés,les cités sans pareilles, 6+6 a
Les hymnes qui des dieuxenchantent les oreilles, 6+6 a
Dans le sein de la terreet des mortels futurs 6+6 b
Dormaient, prédestinésà des siècles plus mûrs. 6+6 b
445 Souvent, sur la montagne,au lever de l'aurore 6+6 a
Interrogeant les dieuxqui se taisaient encore 6+6 a
Et dans mon jeune esprit,prêt à le contenir, 6+6 b
Déposaient par éclairsle splendide avenir ; 6+6 b
Souvent je méditais,dans le repos de l'âme, 6+6 a
450 Sur ces peuples pieuxpurs de crime et de blâme, 6+6 a
Et je tournais parfoismes regards réfléchis 6+6 b
Vers les noirs horizonsque le nord a blanchis. 6+6 b
Cependant Artémis,la vierge aux longues tresses, 6+6 a
Menant le chœur légerdes fières chasseresses, 6+6 a
455 Sur la cime des montsà mes pas familiers 6+6 b
Poursuivait les grands cerfsà travers les halliers. 6+6 b
Je rencontrai bientôtla déesse virile 6+6 a
Qui d'un chaste tissucouvre son flanc stérile. 6+6 a
L'arc d'ivoire à la mainet les yeux animés, 6+6 b
460 Excitant de la voixses lévriers aimés, 6+6 b
Et parfois confiantaux échos des montagnes 6+6 a
Les noms mélodieuxde ses belles compagnes, 6+6 a
Elle marchait rapide,et sa robe de lin 6+6 b
Par une agrafe d'orà son genou divin 6+6 b
465 Se nouait ; et les bois,respectant la déesse, 6+6 a
S'écartaient au-devantde sa mâle vitesse. 6+6 a
Je reposais aux piedsd'un chêne aux noirs rameaux 6+6 b
Les mains teintes encordu sang des animaux ; 6+6 b
Car depuis qu'Héliosdont le monde s'éclaire 6+6 a
470 Avait poussé son chardans l'azur circulaire ; 6+6 a
Par les taillis épaisd'arbustes enlacés, 6+6 b
Sur les rochers abruptsde mousses tapissés, 6+6 b
Sans relâche, j'avaisde mes mains meurtrières 6+6 a
Percé les cerfs légerserrants dans les clairières ; 6+6 a
475 Et des fauves lionssuivant les pas empreints, 6+6 b
D'un olivier noueuxbrisé leurs souples reins. 6+6 b
Artémis s'arrêtasous le chêne au tronc rude, 6+6 a
Et d'une voix divineemplit la solitude : 6+6 a
— Khiron, fils de saturne,habitant des forêts, 6+6 b
480 Dont la main est habileà disposer les rêts, 6+6 b
Et qui, sur le sommetde mes vastes domaines, 6+6 a
Coules des jours sereinsloin des rumeurs humaines ; 6+6 a
Centaure, lève-toi,les dieux te sont amis. 6+6 b
Sois le cher compagnonque leurs voix m'ont promis, 6+6 b
485 Et sur le vert Cynthios l'Érymanthe sombre, 6+6 a
Sur le haut Pélionnoirci de pins sans nombre, 6+6 a
Aux crêtes des rochers l'aigle fait son nid, 6+6 b
Viens fouler sur mes pasla mousse et le granit. 6+6 b
Viens ! Que toujours ta flèche,à ton regard fidèle, 6+6 a
490 Atteigne aux cieux l'oiseauqui fuit à tire-d'aile ; 6+6 a
Que jamais dans sa rageun hardi sanglier 6+6 b
Ne baigne de ton sangles ronces du hallier ; 6+6 b
Compagnon d'Artémis,invincible comme elle, 6+6 a
Viens illustrer ton nomd'une gloire immortelle ! 6+6 a
495 Et je dis : — Ô déesseintrépide des bois, 6+6 b
Qui te plais aux soupirsdes cerfs, aux longs abois 6+6 b
Des lévriers lancéssur la trace odorante ; 6+6 a
Vierge au cœur implacable,et qui, toujours errante, 6+6 a
Tantôt pousses des crisféroces, l'arc en main, 6+6 b
500 Œil brillant ; et tantôt,au détour du chemin, 6+6 b
Sous les rameaux touffuset les branches fleuries 6+6 a
Entrelaces le chœurde tes nymphes chéries ; 6+6 a
Artémis ! Je suivraites pas toujours changeants, 6+6 b
J'atteindrai pour te plaire,en mes bonds diligents, 6+6 b
505 Les biches aux pieds promptset les taureaux sauvages 6+6 a
Qui troublent mugissantsles monts et les rivages ; 6+6 a
Si tu daignes, déesse,accorder à mes vœux 6+6 b
La blanche khariklo,la nymphe aux blonds cheveux, 6+6 b
Qui s'élève au milieude ses sœurs effacées, 6+6 a
510 Comme un peuplier vertaux cimes élancées ! 6+6 a
La déesse sourit ;et, chasseur courageux, 6+6 b
Depuis, dans les forêtsje partageai ses jeux. 6+6 b
Mais, quand vers d'autres bords,la fille de Latone 6+6 a
Lasse de la valléeet du mont monotone, 6+6 a
515 De ses nymphes suivie,à l'horizon des flots 6+6 b
Volait vers Ortygieou l'aride Délos ; 6+6 b
Je déposais mon arcet mes flèches sanglantes, 6+6 a
Et le front inclinésur les divines plantes, 6+6 a
Je méditais Cybèleau sein mystérieux, 6+6 b
520 Vénérable à l'esprit,éblouissante aux yeux. 6+6 b
Tels étaient mes loisirs,ô chanteur magnanime ! 6+6 a
Tel je vivais heureuxsur la terre sublime, 6+6 a
Toujours l'oreille ouverteaux bruits universels, 6+6 b
Souffle des cieux, échosdes parvis immortels, 6+6 b
525 Voix humaines, soupirsdes forêts murmurantes, 6+6 a
Chansons de l'hydriadeau sein des eaux courantes ; 6+6 a
Et formant, sans remords,le tissu de mes jours 6+6 b
De force et de sagesseet de chastes amours. 6+6 b
Tel j'étais, fils d'Oeagre,en ma saison superbe ! 6+6 a
530 Je buvais l'eau du cielet je dormais sur l'herbe, 6+6 a
Et parfois, à l'abrides bois mystérieux, 6+6 b
Comme fait un amij'entretenais les dieux ! 6+6 b
En ce temps, sur l'ossaceint d'éclatants orages, 6+6 a
J'errais, et sous mes piedsflottaient les lourds nuages, 6+6 a
535 Quand au large horizonpar ma vue embrassé, 6+6 b
sommeille boréeen son antre glacé, 6+6 b
Je vis, couvrant les montset noircissant les plaines, 6+6 a
Attiédissant les airsd'innombrables haleines, 6+6 a
Incessant, et pareilaux épais bataillons 6+6 b
540 Des avides fourmisdans le creux des sillons, 6+6 b
Un peuple armé surgir !Des chevelures blondes 6+6 a
Sur leurs dos blancs et nus,en boucles vagabondes 6+6 a
Flottaient, et les échosdes monts qui s'ébranlaient 6+6 b
De leurs chants belliqueuxs'emplissaient et roulaient. 6+6 b
545 Tel, le vieil océanaux forces formidables 6+6 a
Amasse un noir courrouxdans ses flancs insondables, 6+6 a
Se gonfle, se déroule,et sous l'effort des vents, 6+6 b
À l'assaut des grands capspousse ses flots mouvants. 6+6 b
L'olympe tremble au bruit,et la rive pressée 6+6 a
550 Palpite sous le poids,d'écume hérissée. 6+6 a
Ainsi, ce peuple fieraux combats sans égaux 6+6 b
Heurte dans son essorl'antique pelasgos ; 6+6 b
Et sur ces bords bercésd'un repos séculaire, 6+6 a
Pour la première foisa rugi la colère. 6+6 a
555 Les troupeaux éperdus,au hasard dispersés, 6+6 b
Mugissent dans la flammeet palpitent percés ; 6+6 b
Comme au vent orageuxvolent les feuilles sèches, 6+6 a
Les airs sont obscurcisd'un nuage de flèches… 6+6 a
Superbe et furieux,l'étalon hennissant 6+6 b
560 Trne les chars d'airaindans un fleuve de sang ; 6+6 b
Et la clameur féroceaux lèvres écumantes, 6+6 a
Les suprêmes soupirs,les poitrines fumantes, 6+6 a
Les têtes bondissantloin du tronc palpitant, 6+6 b
Le brave, aimé des dieux,qui tombe en combattant, 6+6 b
565 Le lâche qui s'enfuit ;la vieillesse, l'enfance, 6+6 a
Et la vierge au corps blancqu'un fer cruel offense, 6+6 a
Tout ! Cris, soupirs, courage,ardeur, efforts virils, 6+6 b
Tout proclame l'instantdes suprêmes périls, 6+6 b
L'heure sombre l'Érèbe,en ses parois profondes, 6+6 a
570 Engloutit par essaimsles races moribondes ; 6+6 a
Jusqu'au jour éternel leurs restes épars 6+6 b
Dans le repos premierrentrent de toutes parts ; 6+6 b
Et, d'une vie antiqueeffaçant le vestige, 6+6 a
Unissent dans la mortles rameaux à la tige. 6+6 a
575 Les pasteurs, refouléspar ces torrents humains, 6+6 b
Se frayaient, gémissants,d'inhabiles chemins. 6+6 b
Emportant de leurs dieuxles géantes images, 6+6 a
Les uns par grands troupeauxfuyaient sur les rivages ; 6+6 a
Les autres, unissantles chênes aux troncs verts, 6+6 b
580 Allaient chercher sur l'ondeun meilleur univers… 6+6 b
Et quand tout disparut,race morte ou vivante, 6+6 a
Moissonnée en monceaux,en proie à l'épouvante ; 6+6 a
Je vis, sur les débrisde ce monde effacé, 6+6 b
Un nouveau monde crtre !Et vers les cieux poussé 6+6 b
585 Comme un chêne noueuxaux racines sans nombre, 6+6 a
Épancher sur le solsa frcheur et son ombre ; 6+6 a
Tandis que du destinle livre originel, 6+6 b
Tournant sa page immenseaux abîmes du ciel, 6+6 b
Sous mes yeux éblouisdéroulait à cette heure 6+6 a
590 Le sort plus glorieuxd'une race meilleure. 6+6 a
Alors je descendisdu mont accoutumé 6+6 b
Chez ce peuple aux beaux corpsdes immortels aimé. 6+6 b
Ainsi l'aigle, lasséde la vte éternelle, 6+6 a
Dans l'ombre des vallonsvient reposer son aile. 6+6 a
595 Roi de l'Hémos ! Ma voixaux superbes dédains, 6+6 b
N'avait frappé jamaisl'oreille des humains ; 6+6 b
Jamais encor mes brasn'avaient de leur étreinte, 6+6 a
Dans un cœur ennemifait palpiter la crainte ; 6+6 a
J'ignorais la colèreet les combats sanglants ; 6+6 b
600 Et fier de quatre piedsaux rapides élans, 6+6 b
De ma force éprouvéeaux lions redoutable, 6+6 a
J'irritai dans sa gloireune race indomptable. 6+6 a
L'insensée ignoraitque le fer ni l'airain 6+6 b
Ne pouvaient entamermon corps pur et serein 6+6 b
605 Semblable, sous sa formeapparente, à l'essence 6+6 a
Des impalpables dieux.Ma céleste naissance, 6+6 a
Le sentiment profondde ma force, ou plutôt 6+6 b
L'inexorable Arèsqui m'enflammait d'en haut, 6+6 b
Excitant mon courageà la lutte guerrière, 6+6 a
610 Rougit d'un sang mortelma flèche meurtrière. 6+6 a
Que de héros anciensdignes de mes regrets, 6+6 b
Sur la rive des mers,dans l'ombre des forêts, 6+6 b
Race hardie, en proieà ma fureur première, 6+6 a
J'arrachai, fils d'Oeagre,à la douce lumière ! 6+6 a
615 Peut-être que vengeantle divin pelasgos, 6+6 b
J'allais d'un peuple entierdéshériter Argos, 6+6 b
Si la grande Athéné,déesse tutélaire, 6+6 a
N't brisé le torrentd'une aveugle colère. 6+6 a
J'ensevelis les mortsque j'avais immolés ; 6+6 b
620 J'honorai leur courageet leurs mânes troublés ; 6+6 b
Et la paix sourianteaux mains toujours fleuries 6+6 a
Apaisa pour jamaisnos âmes aguerries. 6+6 a
Mais à peine échappéeaux combats dévorants, 6+6 b
La terre tressaillitsous des efforts plus grands ; 6+6 b
625 Et comme aux jours anciens tomba Prométhée, 6+6 a
L'éther devint semblableà la mer agitée. 6+6 a
Les astres vacillaientdans l'écume des cieux… 6+6 b
Et la nue au flanc d'or,voile mystérieux, 6+6 b
En des lambeaux de feudéchirée et flottante, 6+6 a
630 Montrait des pâles dieuxla foule palpitante ! 6+6 a
La clameur des mortelsroulait ; les flots grondaient 6+6 b
Et d'eux-mêmes au loinen sanglots s'épandaient 6+6 b
Comme de noirs captifsqui, dans l'ombre nocturne. 6+6 a
Redemandent la vieà l'écho taciturne. 6+6 a
635 D'un vaste ébranlementles jours étaient venus ; 6+6 b
Et la terre vengeaitl'outrage d'Uranus, 6+6 b
Le dieu père des dieux,que de sa faux cruelle 6+6 a
Saturne mutiladans la vte éternelle ; 6+6 a
Alors que débordantcomme un fleuve irrité 6+6 b
640 Le sang d'un dieu tombadu ciel épouvanté, 6+6 b
Et qu'en flots clandestinsla brûlante semence 6+6 a
Féconda lentementla terre au sein immense. 6+6 a
Or, du crime infiniformidables vengeurs, 6+6 b
Naquirent tout armésles géants voyageurs, 6+6 b
645 Monstres de qui la têteétait ceinte de nues, 6+6 a
Dont le bras ébranlaitles montagnes chenues, 6+6 a
Et qui, toujours marchant,secouaient de leur pié 6+6 b
Les entrailles du mondeet l'Hadès effrayé. 6+6 b
De leurs soixante voixl'injure irrésistible 6+6 a
650 Retentit tout à coupdans l'olympe paisible 6+6 a
Mais ne pouvant dresserjusques aux larges cieux, 6+6 b
Terreur des immortels,leurs fronts audacieux, 6+6 b
Les premiers, diophoreet l'informe Encelade, 6+6 a
De l'empire célesteont tenté l'escalade ! 6+6 a
655 L'ossa déracinés'amasse sur l'Hémus, 6+6 b
Et tous deux sur Athos !Puis, dans les airs émus, 6+6 b
Le sombre Pélionsur l'Œta s'amoncelle 6+6 a
L'échelle surhumaineen sa hauteur chancelle ! 6+6 a
Mais, franchissant d'un bondses immenses degrés, 6+6 b
660 Les géants vont heurterles palais éthérés. 6+6 b
Tout tremble ! En vain la foudreau bras de Zeus s'embrase ; 6+6 a
Sous leurs blocs meurtriersdont la lourdeur écrase, 6+6 a
Les enfants d'Uranusvont briser de leurs mains 6+6 b
L'olympe éblouissantvénéré des humains. 6+6 b
665 Des dieux inférieursla foule vagabonde 6+6 a
Par les sentiers du cielfuit aux confins du monde ; 6+6 a
Et peut-être en ce jour,dispersant leurs autels, 6+6 b
L'Érèbe dans son ombret pris les immortels, 6+6 b
Si, changeant d'un seul coupla défaite mobile, 6+6 a
670 Athéné n't percéPallas d'un trait habile. 6+6 a
Alors, du haut ossasoudain précipité, 6+6 b
Encelade recule,et d'un front indompté 6+6 b
Il brave encor des dieuxla colère implacable ; 6+6 a
Mais le fumant Etnade tout son poids l'accable, 6+6 a
675 Il tombe enseveli.Vainement foudroyé 6+6 b
Diophore a saisiPallas pétrifié. 6+6 b
À la fille de Zeus,de son bras athlétique 6+6 a
Il le lance, et le corpsdu géant granitique 6+6 a
Retombe en tournoyantet brise son front dur 6+6 b
680 Comme le pied distraitécrase le fruit mûr. 6+6 b
Polybote éperdufuit dans la mer profonde, 6+6 a
Et ses reins monstrueuxdominent encor l'onde, 6+6 a
Et de ses larges pas,mieux que les lourds vaisseaux, 6+6 b
Il franchit sans tarderl'immensité des eaux. 6+6 b
685 Poseidon l'apeoit ;de ses bras formidables 6+6 a
Il enlève nysireet ses grèves de sables 6+6 a
Et ses rochers moussus ;il la dresse dans l'air, 6+6 b
Et l'île aux noirs contoursvole comme l'éclair, 6+6 b
Gronde, frappe, et les osdu géant qui succombe 6+6 a
690 Blanchissent les parvisde son humide tombe. 6+6 a
Tous croulent au tartare,, neuf fois de ses flots, 6+6 b
Le Styx qui les étreintétouffe leurs sanglots ; 6+6 b
Et les dieux oubliantles discordes funestes, 6+6 a
Gtent d'un long reposles voluptés célestes. 6+6 a
695 Et moi, contemporainde jours prodigieux, 6+6 b
En plaignant les vaincusj'applaudissais aux dieux, 6+6 b
Certain de leur justice,et pourtant, dans mon âme 6+6 a
Roulant un noir secretbrûlant comme la flamme. 6+6 a
Et je laissais flotter,au bord des flots assis, 6+6 b
700 Dans le doute et l'effroimes esprits indécis ; 6+6 b
Songeur, je me disais :— Sur les cimes neigeuses 6+6 a
L'aigle peut déployerses ailes orageuses, 6+6 a
Et, œil vers Héliosincessamment tendu, 6+6 b
Briser l'effort des ventsdans l'espace éperdu ; 6+6 b
705 Car sa force est cachéeen sa lutte éternelle ; 6+6 a
Il se complt, s'admireet s'agrandit en elle. 6+6 a
Avide de lumière,altéré de combats, 6+6 b
Le sol est toujours noir,les cieux sont toujours bas ; 6+6 b
Il vole, il monte, il lutte,et sa serre hardie 6+6 a
710 Saisit le triple éclairdont le feu l'incendie ! 6+6 a
Les sereines forêtsaux silences épais, 6+6 b
Chères au divin pan,ruisselantes de paix ; 6+6 b
Les sereines forêts,immobiles naguères, 6+6 a
Peuvent s'échevelercomme des fronts vulgaires ; 6+6 a
715 L'ouragan qui se rueen bonds tumultueux, 6+6 b
Peut des chênes sacrésbriser les troncs noueux ; 6+6 b
L'astre peut resplendirdans la nue azurée 6+6 a
Et brusquement s'éteindreau sein de l'empyrée ! 6+6 a
L'océan peut rugir ;la terre s'ébranler ; 6+6 b
720 Les races dans l'Hadèspeuvent s'amonceler ; 6+6 b
L'aveugle mouvement,de ses forces profondes, 6+6 a
Faire osciller toujoursles mortels et les mondes… 6+6 a
Mais d' vient que les dieuxqui ne mourront jamais, 6+6 b
Et qui du large étherhabitent les sommets, 6+6 b
725 Les dieux générateursdes astres et des êtres, 6+6 a
Les rois de l'infini,les implacables mtres, 6+6 a
En des combats pareilsaux luttes des héros, 6+6 b
De leur éternitétroublent-ils le repos ? 6+6 b
Est-il donc par delàleur sphère éblouissante, 6+6 a
730 Une force impassibleet plus qu'eux tous puissante, 6+6 a
D'inaltérables dieux,sourds aux cris insulteurs, 6+6 b
Du mobile destinaugustes spectateurs, 6+6 b
Qui n'ont connu jamais,se contemplant eux-mêmes, 6+6 a
Que l'éternelle paixde leurs songes suprêmes ? 6+6 a
735 Répondez, répondez,ô terre, ô flots, ô cieux ! 6+6 b
Que n'ai-je, ô roi d'Athos,ton vol audacieux ! 6+6 b
Que ne puis-je, ô borée,à tes souffles terribles 6+6 a
Confier mon essorvers ces dieux invisibles ! 6+6 a
Ah ! Sans doute, à leurs pieds,pâles olympiens, 6+6 b
740 Vous rampez ! — Faibles dieux,vous n'êtes plus les miens ! 6+6 b
Comme toi, blond Phœbos,qu'honore Lycorée, 6+6 a
Je darde un trait aigud'une main assurée : 6+6 a
Python t succombésous mes coups affermis ! 6+6 b
J'ai devancé ta course,ô légère Artémis ! 6+6 b
745 Comme vous immortel,ma force me protège ; 6+6 a
Les dieux des bois souventont formé mon cortège ; 6+6 a
J'ai porté des lionsdans mes bras étouffants 6+6 b
Et mon père saturneest votre aïeul, enfants ! 6+6 b
Ô Zeus ! Les noirs géantsont balancé ta gloire 6+6 a
750 C'est aux dieux inconnusqu'appartient la victoire ; 6+6 a
Et mon culte, trop fierpour tes autels troublés, 6+6 b
Veut monter vers ceux-ci,de la crainte isolés, 6+6 b
Qui n'ont point combattu ;qui, baignés de lumière, 6+6 a
Dans le sein de la forceéternelle et première 6+6 a
755 Règnent, calmes, heureux,immobiles, sans nom ! 6+6 b
Irrésistibles dieuxà qui nul n'a dit : non ! 6+6 b
Qui contiennent le mondeen leurs seins impalpables 6+6 a
Et qui vous jugeront,hommes et dieux coupables ! 6+6 a
Hélas ! Tel je songeais,chanteur mélodieux ; 6+6 b
760 J'osais délibérersur le destin des dieux ! 6+6 b
Ils m'ont puni. Bientôtles kères indignées 6+6 a
Trancheront le tissude mes longues années ; 6+6 a
La flèche d'Héraclèsfinira mes remords ; 6+6 b
J'irai mêler mon ombreau vain peuple des morts, 6+6 b
765 Et l'antique chasseurdes forêts centenaires 6+6 a
Poursuivra dans l'Hadèsles cerfs imaginaires ! 6+6 a
Et depuis j'ai vécu,mais dans mon sein gardant 6+6 b
Ce souvenir lointaincomme un remords ardent. 6+6 b
Pour adoucir les dieux,pour expier ma faute, 6+6 a
770 J'ai creusé cette grotte tu sièges, mon hôte ; 6+6 a
Et là, durant le coursdes âges, j'ai nourri 6+6 b
De sagesse et d'amourtout un peuple chéri, 6+6 b
Peuple d'adolescentssacrés, race immortelle 6+6 a
Que le lion sauvageengraissait de sa moelle, 6+6 a
775 Et que l'antique Hellade,en des tombeaux pieux, 6+6 b
Tour à tour a couchésauprès de leurs aïeux. 6+6 b
Viens ! Ô toi, le dernierdes nourrissons sublimes 6+6 a
Que mes bras paternelsberceront sur ces cimes, 6+6 a
Ô rejeton des dieux,ô mon fils bien-aimé ! 6+6 b
780 Toi qu'aux mâles vertustout enfant j'ai formé, 6+6 b
Et qui, de mes vieux joursconsolant la tristesse, 6+6 a
Fais mon plus doux orgueilet ma seule richesse. 6+6 a
Fils du brave Pélée,Achille au pied léger, 6+6 b
Puisse ton cœur grandiret ne jamais changer ! 6+6 b
785 Ô mon enfant si cher,l'Hellade est dans l'attente. 6+6 a
Quels feux éclipserontton aurore éclatante ! 6+6 a
Le plus grand des guerriersembrassant tes genoux 6+6 b
Aux pieds des murs d'Ilosexpire sous tes coups… 6+6 b
Un dieu te percerade sa flèche assassine ; 6+6 a
790 Mais comme un chêne altierque l'éclair déracine, 6+6 a
Et qui, régnant parmiles hêtres et les pins, 6+6 b
Émoussa la cognéeà ses rameaux divins ! 6+6 b
Sous le couteau sacréla vierge pélasgique 6+6 a
Baignera de son sangta dépouille héroïque ; 6+6 a
795 Et sur le bord des mersj'entends l'Hellade en pleurs 6+6 b
Troubler les vastes cieuxdu cri de ses douleurs ! 6+6 b
Tu tombes, jeune encor,mais ta rapide vie 6+6 a
D'une gloire immortelle,ô mon fils, est suivie ; 6+6 a
L'avenir tout entier,en sonores échos 6+6 b
800 Fait retentir ton nomdans l'âme des héros 6+6 b
Et l'aride troade, tous viendront descendre, 6+6 a
Les verra tour à tourinclinés sur ta cendre. 6+6 a
— Le centaure se tait.— Dans ses bras vénérés 6+6 b
S'élance le jeune hommeaux longs cheveux dorés ; 6+6 b
805 De son cœur généreuxla fibre est agitée. 6+6 a
Il baise de Khironla face respectée ; 6+6 a
Et, gracieux soutiendu vieillard abattu, 6+6 b
Il le réchauffe au feude sa jeune vertu. 6+6 b
III
Mon hôte, dit Khiron,dès qu'aux vtes profondes, 6+6 a
810 La fille de Thia,l'Aurore aux tresses blondes, 6+6 a
Montera sur son charde perles et d'argent, 6+6 b
Presse vers Iolkosun retour diligent ; 6+6 b
Mais la divine nuit,ceinte d'astres, balance 6+6 a
La terre encor plongéeen un vaste silence ; 6+6 a
815 Et seul, le doux sommeil,le frère d'Atropos, 6+6 b
Plane d'un vol muetdans les cieux en repos. 6+6 b
Je ne foulerai pointArgo chargé de gloire, 6+6 a
Fils d'Oeagre ! J'attendsle jour expiatoire ; 6+6 a
Et mon dernier regard,de tristesse incliné, 6+6 b
820 Contemple pour jamaisla terre je suis né. 6+6 b
L'Euros aux ailes d'or,d'une haleine attendrie 6+6 a
Confira ma poussièreà la douce patrie 6+6 a
fleurit ma jeunesse, se clôront mes yeux ! 6+6 b
Porte au grand Héraclèsmes suprêmes adieux. 6+6 b
825 Dis-lui que résigné,soumis à des lois justes, 6+6 a
Je vois errer ma mortentre ses mains augustes, 6+6 a
Et que nulle colère,en mon cœur paternel, 6+6 b
Ne brûle contre luipour ce jour solennel. 6+6 b
Mais Hélios encor,dans le sein de Nérée, 6+6 a
830 N'entrouvre point des cieuxla barrière dorée ; 6+6 a
Tout repose, l'Olympeet la terre au sein dur. 6+6 b
Tandis que Sélénés'incline dans l'azur, 6+6 b
Daigne, harmonieux roiqu'Apollon même envie, 6+6 a
Charmer d'un chant sacrénotre oreille ravie ; 6+6 a
835 Tel que le noir Hadèsl'entendit autrefois 6+6 b
En rhythmes cadencéss'élancer de ta voix, 6+6 b
Quand le triple gardiendu fleuve aux eaux livides 6+6 a
Referma de plaisirses trois gueules avides, 6+6 a
Et que des pâles mortsla foule suspendit 6+6 b
840 Dans l'abîme sans fondson tourbillon maudit. 6+6 b
Comme aux cimes du PindeApollon Musagète, 6+6 a
Le fils de Kalliopeest debout ! Il rejette 6+6 a
Sur son dos large et blanc,exercé dans les jeux, 6+6 b
Ses cheveux éclatants,sa robe aux plis neigeux ; 6+6 b
845 Il regarde l'Olympe ses yeux savent lire, 6+6 a
Et du fils de Péléeil a saisi la lyre. 6+6 a
Sous ses doigts surhumainsles cordes ont frémi, 6+6 b
Et s'emplissent d'un souffleen leur sein endormi, 6+6 b
Souffle immense, pareilaux plaintes magnanimes 6+6 a
850 Du bleuâtre océanaux sonores abîmes. 6+6 a
Tel, le faible instrumentgémit sous ses grands doigts, 6+6 b
Et roule en chants divinspour la première fois ! 6+6 b
Un dieu du fils d'Oeagreélargit la poitrine ; 6+6 a
D'une ardente lueurson regard s'illumine 6+6 a
855 Il va chanter, il chante !Et l'Olympe charmé 6+6 b
S'abaisse de plaisirsur le monde enflammé ! 6+6 b
Cybèle aux épis d'or,sereine, inépuisable, 6+6 a
Des grèves les flotsexpirent sur le sable 6+6 a
Jusqu'aux âpres sommets dorment les hivers, 6+6 b
860 D'allégresse a sentitressaillir ses flancs verts ! 6+6 b
L'étalon hennissantde volupté palpite ; 6+6 a
De son aire sanglantl'aigle se précipite ; 6+6 a
Le lion étonné,battant ses flancs velus, 6+6 b
S'élance du repaireen bonds irrésolus, 6+6 b
865 Et les timides cerfset les biches agiles, 6+6 a
Les dryades peantles écorces fragiles, 6+6 a
Les satyres guetteursdes nymphes au sein nu ; 6+6 b
Tous se sentent pousséspar un souffle inconnu, 6+6 b
Et vers l'antre la lyreen chantant les rassemble, 6+6 a
870 Des plaines et des monts,ils accourent ensemble. 6+6 a
Ainsi, divin Orphée,ô chanteur inspiré, 6+6 b
Tu déroules ton cœursur un mode sacré ! 6+6 b
Comme un écroulementdes foudres rugissantes, 6+6 a
La colère descendde tes lèvres puissantes, 6+6 a
875 Puis le calme succèdeà l'orage éternel ! 6+6 b
Un chant majestueux,large comme le ciel, 6+6 b
Enveloppe la lyreentre tes bras vibrante ; 6+6 a
Et l'oreille, attachéeà cette âme mourante, 6+6 a
Poursuit dans un échodécroissant et perdu 6+6 b
880 Le chant qui n'étant plusest toujours entendu 6+6 b
Achille écoute encore,et la lyre est muette ! 6+6 a
Altéré d'harmonie,il incline la tête. 6+6 a
Sous l'or de ses cheveux,d'une noble rougeur 6+6 b
L'enthousiasme saintbrûle son front songeur ; 6+6 b
885 Une ardente penséeen son cœur étouffée 6+6 a
L'oppresse de sanglots !Mais il contemple Orphée, 6+6 a
Et, dans un cri sublime,il tend ses bras joyeux 6+6 b
Vers cette face auguste,et ces splendides yeux 6+6 b
, du céleste éclairque ravit Prométhée 6+6 a
890 Jaillit, impérissable,une lueur restée ; 6+6 a
Comme si le destint voulu confier 6+6 b
La flamme tous vont boireet se vivifier 6+6 b
Au fils de Kalliope,au chanteur solitaire 6+6 a
Que chérissent les dieuxet qu'honore la terre ! 6+6 a
895 Mais le sombre horizondes cieux, les monts dormants 6+6 b
Qui baignent leurs pieds lourdsdans les flots écumants, 6+6 b
Les forêts dont l'Eurosfait osciller les branches ; 6+6 a
Tout s'éveille, s'argenteà des clartés plus blanches ; 6+6 a
Et déjà, de la nuitilluminant les pleurs, 6+6 b
900 L'Aurore monte au seind'un nuage de fleurs. 6+6 b
Orphée a vu le jour :Ô toi que je révère, 6+6 a
Ô grand vieillard, dit-il,dont le destin sévère 6+6 a
D'un voile de tristesseobscurcit le déclin, 6+6 b
Je te quitte, ô mon père !Et, comme un orphelin 6+6 b
905 Baigne, au départ, de pleursdes cendres précieuses, 6+6 a
Je t'offre le tributde mes larmes pieuses. 6+6 a
Contemporain sacrédes âges révolus, 6+6 b
Adieu, Centaure, adieu !Je ne te verrai plus ! 6+6 b
Fils de Pélée, adieu.Puissent les dieux permettre 6+6 a
910 Qu'un jour ton cœur atteigneaux vertus de ton mtre. 6+6 a
Sois le plus généreux,le plus beau des mortels, 6+6 b
Le plus brave ! Et des dieuxhonore les autels. 6+6 b
Salut, divin asile,ô grotte hospitalière ! 6+6 a
Salut, lyre docileà ma main familière ! 6+6 a
915 Dépouilles des lionsqu'ici foula mon corps, 6+6 b
Montagnes, bois, vallons,tout pleins de mes accords, 6+6 b
Cieux propices, salut !Ma tâche est terminée. 6+6 a
Il dit, et de Khironla langue est enchnée ; 6+6 a
Il semble qu'un dieu grondeen son sein agité ; 6+6 b
920 Des pleurs baignent sa face :Ô mon fils regretté, 6+6 b
Divin Orphée, adieu !Mon cœur suivra ta trace 6+6 a
Des rives de Pagaseaux fleuves de la Thrace. 6+6 a
Je vois le noir Argosur les flots furieux 6+6 b
S'élancer comme l'aigleà son but glorieux, 6+6 b
925 Et dans le sein des mersles blanches kyanées 6+6 a
Abaisser à ta voixleurs têtes mutinées. 6+6 a
Et Kolkos est vaincue !Et remontant aux lieux 6+6 b
luit l'ourse glacéeà la borne des cieux, 6+6 b
De contrée en contrée,Argo qu'un dieu seconde 6+6 a
930 D'un cours aventureuxenveloppe le monde ! 6+6 a
Mais, ô crime, ô douleuréternelle en sanglots ! 6+6 b
Quelle tête sacréeerrant au gré des flots, 6+6 b
Harmonieuse encoreet d'un sang pur trempée, 6+6 a
Roule et gémit, du thyrseindignement frappée ? 6+6 a
935 Iakkhos, Iakkhos !Dieu bienveillant, trné 6+6 b
Par la fauve panthère ;Iakkhos, couronné 6+6 b
De pampres et de lierreet de vendanges mûres ! 6+6 a
Dieu jeune, qui te plaisaux furieux murmures 6+6 a
Des femmes de l'Édonet du Mimas ! Ô toi 6+6 b
940 Qui déchnes la nuit,sur les monts pleins d'effroi 6+6 b
Comme un torrent de feul'ardente Sabasie 6+6 a
De quels regrets, ton âme,Évan, sera saisie, 6+6 a
Quand ce divin chanteurégorgé dans tes jeux 6+6 b
Rougira de son sangle Strymon orageux ! 6+6 b
945 Ô mon fils ! — Mais sa voixexpire dans les larmes. 6+6 a
Centaure, dit Orphée,apaise tes alarmes ; 6+6 a
Les pleurs me sont sacrésqui tombent de tes yeux, 6+6 b
Mais la vie et la mortsont dans la main des dieux. 6+6 b
Il marche, et reprenantle sentier de la veille 6+6 a
950 S'éloigne. — Le ciel luit,le Pélion s'éveille 6+6 a
Et secoue la roséeattachée à ses flancs. 6+6 b
Au souffle du matinles pins étincelants 6+6 b
S'entretiennent au frontde la montagne immense ; 6+6 a
Le bruit universeldes êtres recommence ! 6+6 a
955 Les grands troupeaux suivisdes agrestes pasteurs 6+6 b
Regagnent la valléehumide ou les hauteurs 6+6 b
Verdoyantes. — Voiciles vierges au doux rire 6+6 a
rayonne la joie, la candeur respire, 6+6 a
Qui retournent, avecleurs naïves chansons, 6+6 b
960 Les unes aux cours d'eau,les autres aux moissons. 6+6 b
Mais, ô jeune trésorde l'Hellade divine, 6+6 a
Quelle crainte soudaineen vos yeux se devine ? 6+6 a
D' vient que votre seins'émeuve et que vos pas 6+6 b
S'arrêtent, et qu'ainsivous vous parliez tout bas, 6+6 b
965 Montrant de vos bras nus, le désir se pose, 6+6 a
Une apparitiondans le lointain éclose ? 6+6 a
Ô vierges, ô pasteurs,de quel trouble assiégés, 6+6 b
Restez-vous, beaux corps nus,en marbre blanc changés ? 6+6 b
Serait-ce qu'un lion,désertant la montagne, 6+6 a
970 Bondisse, l'œil ardent,suivi de sa compagne, 6+6 a
Dévorés de famineet déjà réjouis ! 6+6 b
Un éclair menaçantvous a-t-il éblouis ? 6+6 b
Non ! D'un respect pieuxvotre âme s'est remplie : 6+6 a
C'est ce même étrangerque jamais nul n'oublie, 6+6 a
975 Et qui marche semblableaux dieux ! — Son front serein 6+6 b
Est tourné vers l'Olympe,et d'un pied souverain 6+6 b
Il foule sans le voirle sentier qui serpente. 6+6 a
Déjà du Pélionil a franchi la pente. 6+6 a
Les vierges, les pasteursl'ont vu passer près d'eux ; 6+6 b
980 Mais il s'arrête et dit :Enfants, soyez heureux ! 6+6 b
Pasteurs adolescents,vierges chastes et belles, 6+6 a
Salut ! Puissent vos cœursêtre forts et fidèles ! 6+6 a
Bienheureux vos parents !Honneur de leurs vieux jours, 6+6 b
Entourez-les, enfants,de pieuses amours ; 6+6 b
985 Et que les dieux, contentsde vos vertus naissantes, 6+6 a
Vous prodiguent longtempsleurs faveurs caressantes ! 6+6 a
Il dit et dispart ;mais la sublime voix, 6+6 b
Dans le cours de leur vieentendue une fois, 6+6 b
Ne quitte plus jamaisleurs âmes enchnées ; 6+6 a
990 Et quand l'âge jalouxa fini leurs années, 6+6 a
Des maux et de l'oublice souvenir vainqueur 6+6 b
Fait descendre la paixdivine dans leur cœur. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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