Métrique en Ligne
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| = césure
LEC_3/LEC149
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES ANTIQUES
1852
Niobé
Ville au bouclier d'or, favorite des dieux, 6+6 a
Toi que bâtit la lyre aux sons mélodieux, 6+6 a
Toi que baigne Dircé d'une onde inspiratrice, 6+6 a
D'Héraclès justicier magnanime nourrice, 6+6 a
5 Thèbes ! — Toi qui contins entre tes murs sacrés 6+6 a
Le dieu né de la foudre, aux longs cheveux dorés, 6+6 a
Ceint de pampre, Iacchos, qui, la lèvre rougie, 6+6 a
Danse, le thyrse en main, aux monts de la Phrygie ; 6+6 a
Ville illustre où l'éclair féconda Sémélé, 6+6 a
10 Un peuple immense en toi murmure amoncelé. 6+6 a
Au lever du soleil doucement agitée, 6+6 a
Telle chante la mer, quand Ino-Leucothée, 6+6 a
La fille de Cadmus, déesse à qui tu plais, 6+6 a
Abandonne en riant son humide palais 6+6 a
15 Et déroule à longs plis le voile tutélaire 6+6 a
Qui d'Éole irrité fait tomber la colère. 6+6 a
Les nymphes aux beaux yeux, habitantes des eaux, 6+6 a
Ont couronné leurs fronts d'algues et de roseaux, 6+6 a
Et s'élançant du sein des grottes de Nérée, 6+6 a
20 Suivent la belle Ino, compagne vénérée, 6+6 a
Pareilles sur les mers à des cygnes neigeux, 6+6 a
Elles nagent ! Les flots s'apaisent sous leurs jeux, 6+6 a
Et le puissant soupir des ondes maternelles 6+6 a
Monte par intervalle aux voûtes éternelles. 6+6 a
25 Tel murmure ton peuple, ô cité de Cadmus ! 6+6 a
De joyeuses clameurs tes remparts sont émus ; 6+6 a
Tes temples animés de marbres prophétiques 6+6 a
Ouvrent aux longs regards leurs radieux portiques ; 6+6 a
Aux pieds des grands autels qu'un sang épais rougit 6+6 a
30 Sous le couteau sacré l'hécatombe mugit, 6+6 a
Et vers le ciel propice une brise embaumée 6+6 a
Emporte des trépieds la pieuse fumée. 6+6 a
Phœbos Lycoréen, l'œil mi-clos de sommeil, 6+6 a
De la blonde Thétys touche le sein vermeil : 6+6 a
35 La nuit tranquille couvre, en déployant ses ailes, 6+6 a
La terre de Pélops d'ombres universelles. 6+6 a
Les jeux héracléens, aux bords de l'Isménus, 6+6 a
Finissent, et font place aux banquets de Vénus ; 6+6 a
L'olivier cher aux dieux ceint les fronts héroïques ; 6+6 a
40 Et tous, avec des chants, vers les remparts lyriques, 6+6 a
Reviennent à grand bruit, comme des flots nombreux, 6+6 a
Par les plaines, les monts et les chemins poudreux. 6+6 a
Leur rumeur les devance, et, du berceau d'Alcide, 6+6 a
Jette un écho sonore aux monts de la Phocide. 6+6 a
45 Mille agiles coursiers impatients du frein, 6+6 a
Liés aux chars roulant sur les axes d'airain, 6+6 a
Superbes, contenus dans leur fougue domptée, 6+6 a
Rongent le mors blanchi d'une écume argentée. 6+6 a
Qu'ils sont beaux, asservis, mais fiers sous l'aiguillon, 6+6 a
50 Et creusant dans la poudre un palpitant sillon ! 6+6 a
Les uns, aux crins touffus, aux naseaux intrépides, 6+6 a
De l'amoureux Alphée ont bu les eaux rapides. 6+6 a
Ceux-ci remplis encor de sauvages élans, 6+6 a
Sous le hardi Lapithe assouplissent leurs flancs, 6+6 a
55 Et rêvant, dans leur vol, la libre Thessalie, 6+6 a
Hennissent tout joyeux sous le joug qui les lie. 6+6 a
Ceux-là, près de Pylos, par Zéphyre enfantés, 6+6 a
Nourris d'algue marine, et sans cesse irrités, 6+6 a
S'abandonnant au feu d'un sang irrésistible, 6+6 a
60 Ont du dieu paternel gardé l'aile invisible ; 6+6 a
Et, toujours ruisselants de rage et de sueur, 6+6 a
Jettent de leurs grands yeux une ardente lueur. 6+6 a
Ils entraînent, fumants d'une brûlante haleine, 6+6 a
Les grands vieillards drapés dans la pourpre ou la laine, 6+6 a
65 Graves, majestueux, couronnés de respect ; 6+6 a
Et les jeunes vainqueurs au belliqueux aspect, 6+6 a
Qui, fiers du noble poids de leur gloire première, 6+6 a
Sur leurs casques polis font jouer la lumière. 6+6 a
Les enfants de Cadmus, à leur trace attachés, 6+6 a
70 S'agitent derrière eux, haletants et penchés, 6+6 a
Et dans Thèbes bientôt les coursiers qui frémissent 6+6 a
Déposent les guerriers sous qui les chars gémissent. 6+6 a
Le palais d'Amphion, aux portiques sculptés, 6+6 a
S'entr'ouvre aux lourds essieux l'un par l'autre heurtés. 6+6 a
75 Chaque héros s'élance, et les fortes armures 6+6 a
Ont glacé tous les cœurs par d'effrayants murmures. 6+6 a
Les serviteurs du roi, sur le seuil assemblés, 6+6 a
Servent l'orge et l'avoine aux coursiers dételés ; 6+6 a
Et les chars, recouverts de laines protectrices, 6+6 a
80 S'inclinent lentement contre les murs propices. 6+6 a
Sous des voûtes de marbre, abri mystérieux, 6+6 a
Loin des bruits du palais, de l'oreille et des yeux, 6+6 a
En de limpides bains, nourris de sources vives, 6+6 a
De larges conques d'or reçoivent les convives. 6+6 a
85 L'huile baigne à doux flots leurs membres assouplis ; 6+6 a
De longs tissus de lin les couvrent de leurs plis ; 6+6 a
Puis, aux sons amoureux des lyres ioniques, 6+6 a
Ils entrent, revêtus d'éclatantes tuniques. 6+6 a
Ô surprise ! En la salle aux contours spacieux, 6+6 a
90 L'argent, l'ambre et l'ivoire éblouissent leurs yeux. 6+6 a
Dix nymphes d'or massif, qu'on dirait animées, 6+6 a
Tendent d'un bras brillant dix torches enflammées ; 6+6 a
Mille flambeaux encore, aux voûtes suspendus, 6+6 a
Font jaillir tour à tour leurs feux inattendus ; 6+6 a
95 Et la flamme, inondant l'enceinte rayonnante, 6+6 a
Semant d'ardents reflets la pourpre environnante, 6+6 a
Irradie en éclairs aux lambris de métal. 6+6 a
Comme un dieu que supporte un riche piédestal, 6+6 a
Le divin Amphion, semblable au fils de Rhée, 6+6 a
100 D'un sceptre étincelant charge sa main sacrée, 6+6 a
Et soutient, le front haut, de ses larges genoux, 6+6 a
Sa lyre créatrice aux accents forts et doux. 6+6 a
Le calme et la bonté, la gloire et le génie 6+6 a
Couronnent à la fois ce roi de l'harmonie. 6+6 a
105 Dans sa robe de pourpre, immobile et songeur, 6+6 a
Il suit auprès des dieux son esprit voyageur ; 6+6 a
Il règne, il chante, il rêve. Il est heureux et sage. 6+6 a
Sa barbe, à longs flocons déjà blanchis par l'âge, 6+6 a
Sur sa grande poitrine avec lenteur descend, 6+6 a
110 Et le bandeau royal couvre son front puissant. 6+6 a
Assise à ses côtés sur la pourpre natale, 6+6 a
La fière Niobé, la fille de Tantale, 6+6 a
Blanche dans son orgueil, avec félicité 6+6 a
Contemple les beaux fruits de sa fécondité, 6+6 a
115 Sept filles et sept fils, richesse maternelle 6+6 a
Qu'elle réchauffe encore à l'abri de son aile. 6+6 a
Autour d'elle, à ses pieds, actives, et roulant 6+6 a
La quenouille d'ivoire au gré de leur doigt blanc, 6+6 a
Vingt femmes de Lydie aux riches bandelettes 6+6 a
120 Ourdissent finement les laines violettes. 6+6 a
Telles, près de Thétys, sous les grottes d'azur 6+6 a
Que baigne incessamment un flot tranquille et pur, 6+6 a
En un lit de corail les blanches Néréides 6+6 a
Tournent en souriant leurs quenouilles humides. 6+6 a
125 Pourtant les serviteurs font d'un bras diligent 6+6 a
Couler les vins dorés des cratères d'argent ; 6+6 a
Le miel tombe en rayons des profondes amphores ; 6+6 a
Aux convives du roi les jeunes canéphores 6+6 a
Offrent leurs fruits vermeils. — Sous le festin fumant 6+6 a
130 La table aux ais nombreux a gémi longuement. 6+6 a
Le Chœur
Les héros sont assis, ceints d'un rameau de lierre. 6+6 a
Le tranquille repos rit sur leurs fronts joyeux ; 6+6 b
Et pour charmer encor la table hospitalière, 6+6 a
L'aède aux chants aimés va célébrer les dieux. 6+6 b
135 Le divin Amphion, roi que l'Olympe honore, 6+6 a
Calme les bruits épars, de son sceptre incliné ; 6+6 b
Et vers la voûte immense, éclatante et sonore, 6+6 a
Sur le mode éolien la lyre a résonné. 6+6 b
L'Aède
Toi qui règnes au sein de la voûte azurée, 6+6 a
140 Éther, dominateur de tout, flamme sacrée, 6+6 a
Aliment éternel des astres radieux, 6+6 a
De la terre et des flots, des hommes et des dieux ! 6+6 a
Ardeur vivante ! Éther ! Source immense, invisible, 6+6 a
Qui, pareil en ton cours au torrent invincible, 6+6 a
145 Dispenses, te frayant mille chemins divers, 6+6 a
La chaleur et la vie au multiple univers, 6+6 a
Salut, éther divin, ô substance première ! 6+6 a
Et vous, signaux du ciel, flamboyante lumière, 6+6 a
Compagnons de la nuit, toujours jeunes et beaux, 6+6 a
150 Salut, du vieux Khronos impassibles flambeaux ! 6+6 a
Et toi, nature, habile et sachant toutes choses, 6+6 a
Ceinte d'éclairs, d'épis, d'étoiles et de roses, 6+6 a
Épouse de l'éther ! Toi qui sur nous étends 6+6 a
Comme pour nous bénir tes deux bras éclatants, 6+6 a
155 Nature, ô vierge-mère, ô nourrice éternelle, 6+6 a
La vie à flots profonds coule de ta mamelle, 6+6 a
Et les dieux, adorant ta puissante beauté, 6+6 a
Te partagent leur gloire et leur éternité. 6+6 a
Salut, vieil Ouranos, agitateur des mondes, 6+6 a
160 Qui guides dans l'azur leurs courses vagabondes, 6+6 a
Dieu caché, dieu visible, indomptable et changeant, 6+6 a
Qui ceins les vastes airs de ton vol diligent ! 6+6 a
Salut, Zeus, roi du feu, sous qui le ciel palpite, 6+6 a
Dont le courroux subtil gronde et se précipite, 6+6 a
165 Ô Zeus au noir sourcil, éclatant voyageur, 6+6 a
Salut, fils de Khronos, salut, ô dieu vengeur ! 6+6 a
Le Chœur
Il chante. — En son repos, la mer aux flots mobiles 6+6 a
D'un concert moins sublime émeut ses bords charmés 6+6 b
Les héros suspendus à ses lèvres habiles 6+6 a
170 Ont délaissé la coupe et les mets parfumés. 6+6 b
Cédant aux voluptés de leur joie infinie, 6+6 a
Tels, oubliant la terre et l'encens des autels, 6+6 b
Aux accents d'Apollon, les calmes immortels 6+6 b
S'abreuvent à longs traits d'une immense harmonie. 6+6 a
L'Aède
175 Ô race d'Ouranos, ô Titans monstrueux, 6+6 a
Ô rois découronnés par Zeus, fils de Saturne, 6+6 b
Pleurez et gémissez dans l'abîme nocturne 6+6 b
Du monde aux larges flancs captifs tumultueux ! 6+6 a
Atteste Zeus vainqueur, dieu terrible aux cent têtes, 6+6 a
180 Dernier né de la terre, immense Typhoé 6+6 b
À la bouche fumante, ô père des tempêtes, 6+6 a
De l'immobile Hadès habitant foudroyé ! 6+6 b
Chantez l'immortel Zeus, jeunes océanides 6+6 a
Qui vous jouez en rond sur les perles humides 6+6 a
185 Céto, Callirhoé, Clymène aux pieds charmants, 6+6 a
Cymathoé, Thétys, Glaucé, Cymatolège, 6+6 b
Électre au cou d'albâtre, Eunice aux bras de neige, 6+6 b
Reines des bleus palais sous les flots écumants ! 6+6 a
Saliens vagabonds, retentissants Curètes, 6+6 a
190 Qui gardiez son enfance en d'obscures retraites, 6+6 a
Du choc des boucliers faites trembler les cieux ! 6+6 a
Générateurs des fruits, dieux aux robes tombantes, 6+6 b
Chantez en chœur sa gloire, ô sacrés corybantes, 6+6 b
Indomptables danseurs aux bonds prodigieux ! 6+6 a
195 Et toi qu'il fit jaillir de sa tête infinie, 6+6 a
Déesse au casque d'or, Pallas Tritogénie, 6+6 a
Enseigne sa prudence aux ignorants mortels. 6+6 a
Viens, dis-nous ses amours, blanche fille de l'onde, 6+6 b
Aphrodite au sein rose, ô reine à tête blonde, 6+6 b
200 Volupté, dont le rire a conquis des autels ! 6+6 a
Vous tous, du divin Zeus, salut, enfants sans nombre, 6+6 a
De l'Olympe éthéré jusqu'à l'Érèbe sombre 6+6 a
Fruits de ses mille hymens, monarques étoilés 6+6 b
Qui régnez à ses pieds et brillez à son ombre, 6+6 a
205 Vous ne descendez point aux tombeaux désolés. 6+6 b
Vous êtes sa pensée aux formes innombrables, 6+6 a
Vous êtes son courroux, sa force et sa grandeur. 6+6 b
Salut, déesses, dieux ! Soyez-nous favorables, 6+6 a
Salut, rayons vivants tombés de sa splendeur. 6+6 b
Le Chœur
210 Quel nuage a couvert de son ombre fatale 6+6 a
Ton front majestueux, ô fille de Tantale ? 6+6 a
Ton noir sourcil s'abaisse ; un éclair soucieux, 6+6 a
Précurseur de l'orage, a jailli de tes yeux, 6+6 a
Et de ton sein royal la blancheur palpitante 6+6 a
215 Se gonfle sous les plis de ta robe flottante. 6+6 a
L'Aède
Il en est un pourtant plus illustre et plus beau, 6+6 a
C'est le dieu de Sminthée et de la Méonie : 6+6 b
De l'antique Ouranos il porte le flambeau, 6+6 a
Il verse dans son vol la flamme et l'harmonie. 6+6 b
220 C'est le roi de Pytho, de Milet, de Claros, 6+6 a
C'est le Lycoréen meurtrier de Titye, 6+6 b
Qui sourit, plein d'orgueil, quand sa flèche est partie ; 6+6 b
Le dieu certain du but, protecteur des héros. 6+6 a
Sur le Pinde ombragé, filles de Mnémosyne, 6+6 a
225 Vous unissez vos voix à sa lyre divine ; 6+6 a
Et délaissant son char à la cime des cieux, 6+6 a
Il marche environné d'un chœur harmonieux. 6+6 a
Il est jeune, il est fier ! Les brises vagabondes 6+6 a
Glissent avec amour sur ses cheveux dorés ; 6+6 b
230 Ô muses, et pour vous, de ses lèvres fécondes 6+6 a
Tombent les rhythmes d'or et les chants inspirés ; 6+6 b
Puis, il suspend sa lyre aux temples préférés, 6+6 b
Et plonge étincelant aux écumantes ondes. 6+6 a
Dès qu'aux bords de Délos ses yeux furent ouverts 6+6 a
235 Un arc d'argent frémit dans ses mains magnanimes ; 6+6 b
Et foulant le sommet des montagnes sublimes, 6+6 b
D'un regard lumineux il baigna l'univers ! 6+6 a
Salut ! Je te salue, Apollon, qui, sans cesse, 6+6 a
Sur le Pinde as guidé ma timide jeunesse ; 6+6 a
240 Daigne inspirer ma voix, dieu que j'aime, et permets 6+6 a
Que ma lyre et mes chants ne t'offensent jamais. 6+6 a
Et toi, sœur d'Apollon, ô vierge chasseresse, 6+6 a
Diane aux flèches d'or ! Intrépide déesse, 6+6 a
Tu hantes les sommets battus des sombres vents. 6+6 a
245 Sous la pluie et la neige et de sang altérée, 6+6 b
Tu poursuis sans repos de ta flèche acérée 6+6 b
Les grands lions couchés au fond des bois mouvants. 6+6 a
Nul n'échappe à tes coups, ô reine d'Ortygie ! 6+6 a
La source des forêts lave ta main rougie, 6+6 a
250 Et quand Apollon passe en dardant ses éclairs, 6+6 a
Tu livres ton beau corps aux baisers des flots clairs. 6+6 a
Malheur à qui t'a vue aux sources d'Érymanthe ! 6+6 a
En vain il suppliera son immortelle amante : 6+6 a
Ô vierge inexorable, ô chasseur insensé ! 6+6 a
255 Il ne pressera plus le sein qui l'a bercé ; 6+6 a
Et les blancs lévriers que ses yeux ont vu naître, 6+6 a
Oublieux de sa voix, déchireront leur maître ! 6+6 a
Salut, belle Cynthie aux redoutables mains, 6+6 a
Qui, parfois, délaissant les belliqueuses chasses, 6+6 b
260 Danses aux bords delphiens, mêlée aux jeux des Grâces, 6+6 b
Ô fille du grand Zeus, nourrice des humains ! 6+6 a
Et toi, Léto ! Salut, mère pleine de gloire ! 6+6 a
Tu n'auras point brillé d'un éclat illusoire : 6+6 a
Deux illustres enfants entre tous te sont nés. 6+6 a
265 Par delà les cités, les monts, la mer profonde, 6+6 b
Vénérable déesse aux destins fortunés, 6+6 a
Ils ont porté ta gloire aux limites du monde. 6+6 b
Le Chœur
Ô reine, ô Niobé, Pythie en proie au dieu, 6+6 a
Tu te lèves, superbe, et les regards en feu, 6+6 a
270 Et d'un geste apaisant l'assemblée éperdue, 6+6 a
Vers l'Aède inspiré ta main s'est étendue. 6+6 a
Tu parles ! Ô terreur ! Quels discours insensés 6+6 a
De tes lèvres sans frein tombent à flots pressés ? 6+6 a
Ainsi du froid Hémus les neiges ébranlées 6+6 a
275 S'écroulent avec bruit dans les blanches vallées ; 6+6 a
L'écho gronde en fuyant, et les tristes pasteurs 6+6 a
Hâtent les bœufs tardifs vers les toits protecteurs. 6+6 a
Ton souffle a fait pâlir le divin interprète : 6+6 a
Sur la lyre aux trois voix le plectre d'or s'arrête, 6+6 a
280 Et quelques sons encor, soupirs harmonieux, 6+6 a
S'exhalent en mourant comme une plainte aux dieux ! 6+6 a
Niobé
Silence ! — Un chant funeste a frappé mon oreille 6+6 a
Tout mon cœur s'est troublé d'une audace pareille. 6+6 a
Un mortel, las de vivre, insulta-t-il jamais 6+6 a
285 La fille de Tantale assise en son palais ? 6+6 a
Mieux vaudrait, qu'au berceau, son implacable mère 6+6 a
Eût arrêté le cours de sa vie éphémère, 6+6 a
Que d'attirer ainsi, sur son front insensé, 6+6 a
L'orage qui dormait dans mon cœur offensé. 6+6 a
290 Tais-toi. — Je veux t'offrir un retour tutélaire. 6+6 a
Les louanges de Zeus irritent ma colère 6+6 a
Et c'est assez, sans doute, au tartare cruel 6+6 a
Qu'il attache à mon père un supplice éternel ! 6+6 a
Il était d'autres dieux que les tiens, — Race auguste, 6+6 a
295 Dont le sang était pur, dont l'empire était juste, 6+6 a
Fils de la terre immense et du vieil Ouranos. 6+6 a
Ces monarques régnaient dans les cieux en repos. 6+6 a
Propices aux mortels, tout remplis de largesse, 6+6 a
Ils dispensaient la paix, le bonheur, la sagesse ; 6+6 a
300 Et la terre, bercée en leurs bras caressants, 6+6 a
Vantait la piété de ses fils tout-puissants. 6+6 a
Chante ces dieux déchus des voûtes éthérées, 6+6 a
Qui, frappés dans le sein des batailles sacrées, 6+6 a
Sous les doubles assauts de la foudre et du temps, 6+6 a
305 Gisent au noir Hadès ; chante les dieux Titans ! 6+6 a
Hypérion, Atlas et l'époux de Clymène, 6+6 a
Et celui d'où sortit toute science humaine, 6+6 a
L'illustre Prométhée aux yeux perçants ! Celui 6+6 a
Pour qui seul entre tous l'avenir avait lui. 6+6 a
310 Le ravisseur du feu, cher aux mortels sublimes, 6+6 a
Qui longtemps enchaîné sur de sauvages cimes, 6+6 a
Bâtissait un grand rêve aux serres du vautour ; 6+6 a
Sur qui, durant les nuits, pleuraient, pleines d'amour, 6+6 a
Les filles d'océan aux invisibles ailes ; 6+6 a
315 Qu'Héraclès délivra de ses mains immortelles, 6+6 a
Et qui fera jaillir de son sein indompté 6+6 a
Le jour de la justice et de la liberté. 6+6 a
Chante ces dieux ! Ceux-là furent heureux et sages : 6+6 a
Leur culte au fond des cœurs survit au cours des âges. 6+6 a
320 Dans les flancs maternels de la terre couchés, 6+6 a
Sur le jeune avenir leurs yeux sont attachés, 6+6 a
Certains qu'au jour fatal, précipité du trône, 6+6 a
Zeus s'évanouira sur les ailes de Khrone ; 6+6 a
Qu'un autre dieu plus fort, dans l'Olympe désert, 6+6 a
325 Régnant, enveloppé d'un éternel concert, 6+6 a
Et d'un songe inutile entretenant la terre, 6+6 a
Refusera la coupe aux lèvres qu'il altère ; 6+6 a
Que lui-même, vaincu par de hardis mortels, 6+6 a
Verra le feu sacré mourir sur ses autels ; 6+6 a
330 Que les déshérités gisant dans l'ombre avare, 6+6 a
Franchiront glorieux les fleuves du Tartare 6+6 a
Et que les dieux humains apaisant nos sanglots, 6+6 a
Réuniront la terre à l'antique Ouranos ! 6+6 a
Ô stupide vainqueur du divin Prométhée, 6+6 a
335 Puisse, du ciel, ta race avec toi rejetée, 6+6 a
De ton règne aboli comptant les mornes jours, 6+6 a
Au gouffre originel descendre pour toujours ! 6+6 a
J'ai honte de ton sang qui coule dans mes veines… 6+6 a
Mais toi-même as brisé ces détestables chaînes, 6+6 a
340 Ô Zeus ! Toi que je hais ! Dieu jaloux, dieu pervers, 6+6 a
Implacable fardeau de l'immense univers ! 6+6 a
Quand mon père tomba sous ta force usurpée 6+6 a
Impuissant ennemi, que ne m'as-tu frappée ? 6+6 a
Mais ta colère est vaine à troubler mes destins : 6+6 a
345 Je règne sans terreur assise en mes festins ; 6+6 a
Mon époux me vénère et mon peuple m'honore ! 6+6 a
Sept filles et sept fils à leur brillante aurore 6+6 a
Plus beaux, plus courageux, meilleurs que tes enfants, 6+6 a
Croissent chers à mon cœur, sous mes yeux triomphants. 6+6 a
350 Qui pourrait égaler ma gloire sur la terre ? 6+6 a
Est-ce toi, de Coeos fille errante, adultère, 6+6 a
Oublieuse du sang généreux dont tu sors, 6+6 a
Toi qui ternis la fleur de tes jeunes trésors, 6+6 a
Et dans l'âpre Délos par Héré poursuivie, 6+6 a
355 À deux enfants furtifs vins accorder la vie ! 6+6 a
Je brave ces enfants d'une impure union, 6+6 a
Ce fils usurpateur du char d'Hypérion, 6+6 a
Cette fille imposée à nos forêts paisibles ! 6+6 a
Je défie à la fois leurs colères risibles, 6+6 a
360 J'appelle à moi leurs traits fatals aux cerfs des bois… 6+6 a
Et toi, mère orgueilleuse, aux échos de ma voix 6+6 a
Irrite tes enfants jaloux ! Ô lâche esclave, 6+6 a
Ô Léto, Niobé te défie et te brave ! 6+6 a
Le Chœur
Comme à l'heure où le vent passe au noir firmament, 6+6 a
365 Les grands arbres émus se plaignent sourdement, 6+6 a
À ce défi mortel la craintive assemblée 6+6 a
Fait entendre une voix de mille voix mêlée, 6+6 a
Mais confuse et pareille à ces lointains sanglots 6+6 a
Que poussent dans la nuit les lamentables flots. 6+6 a
370 L'aède est tourmenté d'une ardente pensée ! 6+6 a
Pâle, les yeux hagards, la tête hérissée, 6+6 a
Depuis que sans retour, ô fière Niobé, 6+6 a
Le blasphème divin de ta lèvre est tombé, 6+6 a
Comme la pythonisse errante dans le temple, 6+6 a
375 Il sent venir les dieux ! Et son œil les contemple, 6+6 a
Et sa voix les annonce ! Et ses bras étendus 6+6 a
Semblent guider leurs coups sur nos fronts suspendus ! 6+6 a
La voûte du palais flamboie et se disperse 6+6 a
Comme la foudre fait du ciel noir qu'elle perce 6+6 a
380 Les lambris de métal tombent étincelants 6+6 a
Sur les mets renversés et les hôtes tremblants… 6+6 a
Chacun fuit au hasard, et la foule mouvante 6+6 a
Se heurte avec des cris de suprême épouvante. 6+6 a
Un immortel, un dieu, l'œil ardent, l'arc en main, 6+6 a
385 Sur les murs vacillants pose un pied surhumain : 6+6 a
C'est Apollon ! Diane, ardente à la vengeance, 6+6 a
Au fraternel archer sourit d'intelligence. 6+6 a
L'arc du dieu retentit sous le trait assassin ; 6+6 a
Il vole, et de Tantale il va percer le sein. 6+6 a
390 Comme un jeune arbrisseau dans sa saison première, 6+6 a
La flèche d'Apollon t'arrache à la lumière : 6+6 a
Tu regardes ta mère, ô jeune infortuné, 6+6 a
Et tu meurs ! — Mieux valait ne jamais être né ! 6+6 a
Diane tend son arc, et la flèche altérée 6+6 a
395 Boit le sang de Néère à la tête dorée. 6+6 a
Elle tombe et gémit. Phœbos au carquois d'or 6+6 a
Attache Illionée à son frère Agénor ; 6+6 a
Le fer divin, guidé par une main trop sûre, 6+6 a
Les unit dans la mort parla même blessure. 6+6 a
400 Callirhoé tremblante et pâle de terreur, 6+6 a
Veut éviter des dieux l'implacable fureur… 6+6 a
Elle fuit, et sa mère en son sein la protège, 6+6 a
Mais Diane a rougi son épaule de neige ; 6+6 a
Jusques au cœur glacé le trait mortel l'atteint, 6+6 a
405 Et la vierge aux doux yeux dans un soupir s'éteint. 6+6 a
Sypyle a réuni tout son jeune courage ; 6+6 a
Debout, et œil tranquille, il contemple l'orage. 6+6 a
L'arc sacré frappe en vain son front audacieux, 6+6 a
Le fier adolescent meurt sans baisser les yeux. 6+6 a
410 Du dieu de Méonie innocente victime, 6+6 a
Il révèle en mourant sa race magnanime. 6+6 a
Ismène et Cléodos, Phédime et Pélopis 6+6 a
Chancellent tour à tour, pareils à des épis 6+6 a
Que le gai moissonneur, l'âme de plaisir pleine, 6+6 a
415 Ainsi qu'un blond trésor amasse dans la plaine. 6+6 a
Ils sont tous là sanglants, vierges, jeunes guerriers, 6+6 a
La tête ceinte encor de myrte ou de lauriers ; 6+6 a
Belles et beaux, couchés dans leur blanche khlamyde 6+6 a
Que le sang par endroits teint de sa pourpre humide. 6+6 a
420 L'une garde en tombant le sourire amoureux 6+6 a
Dont ses lèvres brillaient en des jours plus heureux ; 6+6 a
L'autre, calme, et dormant dans sa pose amollie, 6+6 a
Couvre de ses cheveux son jeune flanc qui plie 6+6 a
Leurs frères, à leurs pieds, par la Parque surpris, 6+6 a
425 Gisent amoncelés au milieu des débris. 6+6 a
Amphion, à l'aspect de sa famille éteinte, 6+6 a
Dans l'ardente douleur dont son âme est atteinte, 6+6 a
Ouvre son sein royal, et, sous un coup mortel, 6+6 a
Presse le front des siens de son front paternel. 6+6 a
430 Niobé le contemple, immobile et muette, 6+6 a
Et, de son désespoir, comprimant la tempête, 6+6 a
Seule vivante au sein de ces morts qu'elle aimait, 6+6 a
Elle dresse ce front que nul coup ne soumet. 6+6 a
Comme un grand corps taillé par une main habile, 6+6 a
435 Le marbre te saisit d'une étreinte immobile. 6+6 a
Des pleurs marmoréens ruissellent de tes yeux ; 6+6 a
La neige du Paros ceint ton front soucieux. 6+6 a
En flots pétrifiés ta chevelure épaisse 6+6 a
Arrête sur ton cou l'ombre de chaque tresse ; 6+6 a
440 Et tes vagues regards où s'est éteint le jour, 6+6 a
Ton épaule superbe au sévère contour, 6+6 a
Tes larges flancs, si beaux dans leur splendeur royale, 6+6 a
Qu'ils brillaient à travers la pourpre orientale : 6+6 a
Et tes seins jaillissants, ces futurs nourriciers, 6+6 a
445 Des vengeurs de leur mère et des dieux justiciers, 6+6 a
Tout est marbre ! Un dieu fend la pourpre de ta robe, 6+6 a
Et plus rien désormais aux yeux ne te dérobe ! 6+6 a
Que ta douleur est belle, ô marbre sans pareil ! 6+6 a
Non, jamais corps divins dorés par le soleil, 6+6 a
450 Dans les cités d'Hellas jamais blanches statues 6+6 a
De grâce et de jeunesse et d'amour revêtues, 6+6 a
Du sculpteur palpitant songes mélodieux, 6+6 a
Muets à notre oreille et qui chantent aux yeux ; 6+6 a
Jamais fronts doux et fiers où la joie étincelle 6+6 a
455 N'ont valu ce regard et ce cou qui chancelle, 6+6 a
Ces bras majestueux dans leur geste brisés, 6+6 a
Ces flancs si pleins de vie et d'efforts épuisés, 6+6 a
Ce corps où la beauté, cette flamme éternelle, 6+6 a
Triomphe de la mort et resplendit en elle ! 6+6 a
460 On dirait à te voir, ô marbre désolé, 6+6 a
Que du ciseau sculpteur des larmes ont coulé ! 6+6 a
Tu vis, tu vis encor ! Sous ta robe insensible 6+6 a
Ton cœur est dévoré d'un songe indestructible. 6+6 a
Tu vois de tes grands yeux vides comme la nuit 6+6 a
465 Tes enfants bien-aimés que la haine poursuit. 6+6 a
Ô pâle Tantalide, ô mère de détresse, 6+6 a
Leur regard défaillant t'appelle et te caresse 6+6 a
Ils meurent tour à tour, et renaissant plus beaux 6+6 a
Pour disparaître encor dans leurs sanglants tombeaux, 6+6 a
470 Ils lacèrent ton cœur mieux que les Euménides 6+6 a
Ne flagellent les morts aux demeures livides ! 6+6 a
Oh ! Qui soulèvera le fardeau de tes jours ? 6+6 a
Niobé, Niobé ! Souffriras-tu toujours ? 6+6 a
Les siècles tomberont de l'Olympe, sans nombre ! 6+6 a
475 Khronos les balaîra d'une aile immense et sombre ; 6+6 a
Et, dans le vaste éther, dissipés au soleil, 6+6 a
Ils s'en iront dormir leur éternel sommeil. 6+6 a
Mais toi, tu renaîtras plus sereine et plus belle. 6+6 a
Ton cœur fera bondir ta poitrine immortelle, 6+6 a
480 Ton palais couvrira le monde ! Et sous tes yeux, 6+6 a
Innombrables et beaux et semblables aux dieux, 6+6 a
Tes enfants chanteront, ô mère magnanime, 6+6 a
Le destin glorieux de ton orgueil sublime. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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