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| = césure
LEC_3/LEC148
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES ANTIQUES
1852
Études latines
I
Lydie
La jeunesse nous quitte et les grâces aussi ; 6+6 a
Les désirs amoureux s'envolent après elles, 6+6 b
Et le sommeil facile. À quoi bon le souci 6+6 a
Des espérances éternelles ? 8 b
5 L'aile du vieux Saturne emporte nos beaux jours, 6+6 a
Et la fleur inclinée au vent du soir se fane : 6+6 b
Viens à l'ombre des pins ou sous l'épais platane 6+6 b
Goûter les tardives amours. 8 a
Ceignons nos cheveux blancs de couronnes de roses, 6+6 a
10 Buvons, il en est temps encore, hâtons-nous : 6+6 b
Ta liqueur, ô Bacchus, des tristesses moroses 6+6 a
Est le remède le plus doux. 8 b
Enfant, trempe les vins dans la source prochaine, 6+6 a
Et fais venir Lydie aux rires enjoués, 6+6 b
15 Avec sa blanche lyre et ses cheveux noués 6+6 b
À la mode laconienne. 8 a
II
Licymnie
Tu ne sais point chanter, ô cithare ionique, 6+6 a
En ton mode amolli doux à la volupté, 6+6 b
Les flots siciliens rougis du sang punique, 6+6 a
20 Numance et son mur indompté. 8 b
Ô lyre, tu ne sais chanter que Licymnie, 6+6 a
Et ses jeunes amours, ses yeux étincelants, 6+6 b
L'enjouement de sa voix si pleine d'harmonie, 6+6 a
Ses pieds si légers et si blancs. 8 b
25 Toujours prompte, elle accourt aux fêtes de Diane ; 6+6 a
Aux bras nus de ses sœurs ses bras sont enlacés ; 6+6 b
Elle noue en riant sa robe diaphane, 6+6 a
Et conduit les chœurs cadencés. 8 b
Pour tout l'or de Phrygie et les biens d'Achémène, 6+6 a
30 Qui voudrait échanger ces caresses sans prix, 6+6 b
Et sur ce col si frais ces baisers, ô Mécène, 6+6 a
Refusés, donnés ou surpris ? 8 b
III
Thaliarque
Ne crains pas de puiser aux réduits du cellier 6+6 a
Le vin scellé quatre ans dans l'amphore rustique ; 6+6 b
35 Laisse aux dieux d'apaiser la mer et l'orme antique, 6+6 b
Thaliarque ! Qu'un beau feu s'égaie en ton foyer. 6+6 a
Pour toi, mets à profit la vieillesse tardive : 6+6 a
Il est plus d'une rose aux buissons du chemin ; 6+6 b
Cueille ton jour fleuri sans croire au lendemain ; 6+6 b
40 Prends en souci l'amour et l'heure fugitive. 6+6 a
Les entretiens sont doux sous le portique ami, 6+6 a
Dans les bois où Phœbé glisse ses lueurs pures ; 6+6 b
Il est doux d'effleurer les flottantes ceintures, 6+6 b
Et de baiser des mains rebelles à demi. 6+6 a
IV
Lydé
45 Viens ! C'est le jour d'un dieu. Puisons avec largesse 6+6 a
Le cécube clos au cellier. 8 b
Fière Lydé, permets au plaisir familier 6+6 b
D'amollir un peu ta sagesse. 8 a
L'heure fuit, l'horizon rougit sous le soleil, 6+6 a
50 Hâte-toi. L'amphore remplie 8 b
Sous Bibulus consul repose ensevelie : 6+6 b
Trouble son antique sommeil. 8 a
Je chanterai les flots amers, la verte tresse 6+6 a
Des Néréides ; toi, Lydé, 8 b
55 Sur ta lyre enlacée à ton bras accoudé 6+6 b
Chante Diane chasseresse. 8 a
Puis nous dirons Vénus et son char attelé 6+6 a
De cygnes qu'un lien d'or guide, 8 b
Les Cyclades, Paphos et tes rives, ô Gnide ! 6+6 b
60 Puis, un hymne au ciel étoilé. 8 a
V
Phyllis
Depuis neuf ans et plus dans l'amphore scellée 6+6 a
Mon vin des coteaux d'Albe a lentement mûri ; 6+6 b
Il faut ceindre d'acanthe et de myrte fleuri, 6+6 b
Phyllis, ta tresse déroulée. 8 a
65 L'anis brûle à l'autel, et d'un pied diligent 6+6 a
Tous viennent couronnés de verveine pieuse ; 6+6 b
Et mon humble maison étincelle joyeuse 6+6 b
Aux reflets des coupes d'argent. 8 a
Ô Phyllis, c'est le jour de Vénus, et je t'aime ! 6+6 a
70 Entends-moi. Téléphus brûle et soupire ailleurs ; 6+6 b
Il t'oublie et je t'aime, et nos jours les meilleurs 6+6 b
Vont rentrer dans la nuit suprême. 8 a
C'est toi qui fleuriras en mes derniers beaux jours : 6+6 a
Je ne changerai plus, voici la saison mûre. 6+6 b
75 Chante ! Les vers sont doux quand ta voix les murmure, 6+6 b
Ô belle fin de mes amours ! 8 a
VI
Vile Potabis
En mes coupes d'un prix modique 8 a
Veux-tu tenter mon humble vin ? 8 b
Je l'ai scellé dans l'urne attique 8 a
80 Au sortir du pressoir sabin. 8 b
Il est un peu rude et moderne : 8 a
Cécube, Calès ni Falerne 8 a
Ne mûrissent dans mon cellier ; 8 a
Mais les muses me sont amies, 8 b
85 Et les muses font oublier 8 a
Ta vigne dorée, ô Formies ! 8 b
VII
Glycère
Enfant, pour la lune prochaine, 8 a
Pour le convive inattendu ! 8 b
Votre amant, muses, peut sans peine 8 a
90 Tarir la coupe neuf fois pleine ; 8 a
Mais les Grâces l'ont défendu. 8 b
Inclinez les lourdes amphores, 8 a
Effeuillez la rose des bois ! 8 b
Anime tes flûtes sonores, 8 a
95 Ô Bérécinthe, et ce hautbois ; 8 b
C'est à Glycère que je bois ! 8 b
Téléphus, ta tresse si noire, 8 a
Tes yeux, ton épaule d'ivoire 8 a
Font pâlir Rhodé de langueur ; 8 b
100 Mais Glycère brûle en mon cœur : 8 b
Je t'aime, ô Glycère, et veux boire ! 8 a
VIII
Licymnie
Vierges, louez Diane, et vous, adolescents, 6+6 a
Apollon Cynthien aux cheveux florissants ; 6+6 a
Louez Latone en chœur, cette amante si chère. 6+6 a
105 Vous, celle qui se plaît aux feuillages épais 6+6 b
D'Érymanthe, aux grands cours d'eau vive, ou qui préfère 6+6 a
La verdeur du Cragus ou l'Algide plus frais. 6+6 b
Vous, le carquois sacré, l'épaule, la cithare 6+6 a
Fraternelle, et Tempé, l'honneur thessalien ! 6+6 b
110 Et la mer murmurante et le bord délien. 6+6 b
Louez ces jeunes dieux. Sur le dace barbare 6+6 a
Qu'ils détournent, émus de vos chants alternés, 6+6 a
La fortune incertaine et les maux destinés. 6+6 a
IX
Néère
Il me faut retourner aux anciennes amours : 6+6 a
115 L'immortel qui naquit de la vierge thébaine, 6+6 b
Et les jeunes désirs et leur mère inhumaine 6+6 b
Me commandent d'aimer toujours. 8 a
Blanche comme un beau marbre, avec ses roses joues, 6+6 a
Je brûle pour Néère aux yeux pleins de langueur ; 6+6 b
120 Vénus se précipite et consume mon cœur : 6+6 b
Tu ris, ô Néère, et te joues ! 8 a
Pour apaiser les dieux et pour finir mes maux, 6+6 a
D'un vin mûri deux ans versez vos coupes pleines ; 6+6 b
Et sur l'autel rougi du sang pur des agneaux, 6+6 a
125 Posez l'encens et les verveines. 8 b
X
Phidylé
Offre un encens modeste aux lares familiers. 6+6 a
Phidylé, fruits récents, bandelettes fleuries : 6+6 b
Et tu verras ployer tes riches espaliers 6+6 a
Sous le faix des grappes mûries. 8 b
130 Laisse aux pentes d'Algide, au vert pays albain, 6+6 a
La brebis qui promet une toison prochaine 6+6 b
Paître cytise et thym sous l'yeuse et le chêne ; 6+6 b
Ne rougis pas ta blanche main. 8 a
Unis au romarin le myrte pour tes lares, 6+6 a
135 Offerts d'une main pure aux angles de l'autel, 6+6 b
Souvent, ô Phidylé, mieux que les dons plus rares, 6+6 a
Les dieux aiment l'orge et le sel. 8 b
XI
Plus de neiges aux prés. La nymphe nue et belle 6+6 a
Danse sur le gazon humide et parfumé ; 6+6 b
140 Mais la mort est prochaine, et nous touchant de l'aile 6+6 a
L'heure emporte ce jour aimé. 8 b
Un vent frais amollit l'air aigu de l'espace ; 6+6 a
L'été brûle, et voici, de ses beaux fruits chargé, 6+6 b
L'automne au front pourpré ; puis l'hiver ; et tout passe 6+6 a
145 Pour renaître, et rien n'est changé. 8 b
Tout se répare et chante et fleurit sur la terre ; 6+6 a
Mais quand tu dormiras de l'éternel sommeil, 6+6 b
Ô fier patricien, tes vertus en poussière 6+6 a
Ne te rendront pas le soleil ! 8 b
XII
Salinum
150 Il est doux de garder sur sa table frugale 6+6 a
La salière antique, et d'aimer le sommeil, 6+6 b
Et de ne fuir ni soi ni sa vie inégale, 6+6 a
En changeant toujours de soleil. 8 b
Le souci, plus léger que les vents de l'Épire, 6+6 a
155 Poursuivra sur la mer les carènes d'airain : 6+6 b
L'heure présente est douce ; égayons d'un sourire 6+6 a
L'amertume du lendemain. 8 b
La pourpre par deux fois rougit tes laines fines ; 6+6 a
Ton troupeau de Sicile est immense, et j'ai mieux : 6+6 b
160 Les muses de la Grèce et leurs leçons divines, 6+6 a
Et l'héritage des aïeux. 8 b
XIII
Hymne
Une âme nouvelle m'entraîne 8 a
Dans les antres sacrés, dans l'épaisseur des bois ; 6+6 b
Et les monts entendront ma voix, 8 b
165 Le vent l'emportera vers l'étoile sereine. 6+6 a
Évan ! Ta prêtresse, au réveil, 8 a
Imprime ses pieds nus dans la neige éternelle ; 6+6 b
Évan ! J'aime les monts comme elle, 8 b
Et les halliers divins ignorés du soleil. 6+6 a
170 Dieu des naïades, des bacchantes, 8 a
Qui brises en riant les frênes élevés, 6+6 b
Loin de moi les chants énervés : 8 b
Les cœurs forts sont à toi, dieu couronné d'acanthes ! 6+6 a
Évohé ! Noirs soucis, adieu. 8 a
175 Que votre écume d'or, bons vins, neuf fois ruisselle, 6+6 b
Et le monde enivré chancelle, 8 b
Et je grandis, sentant que je deviens un dieu ! 6+6 a
XIV
Pholoé
Oublie, ô Pholoé, la lyre et les festins, 6+6 a
Les dieux heureux, les nuits si brèves, les bons vins 6+6 a
180 Et les jeunes désirs volant aux lèvres roses. 6+6 a
L'âge vient : il t'effleure en son vol diligent, 6+6 b
Et mêle en tes cheveux semés de fils d'argent 6+6 b
La pâle asphodèle à tes roses. 8 a
XV
Tyndaris
Ô blanche Tyndaris, les dieux me sont amis : 6+6 a
185 Ils aiment les muses latines ; 8 b
Et l'aneth et le myrte et le thym des collines 6+6 b
Croissent aux prés qu'ils m'ont soumis. 8 a
Viens ; mes ramiers chéris aux voluptés plaintives 6+6 a
Ici se plaisent à gémir ; 8 b
190 Et sous l'épais feuillage il est doux de dormir 6+6 b
Au bord des sources fugitives. 8 a
XVI
Pyrrha
Non loin du cours d'eau vive échappé des forêts, 6+6 a
Quel beau jeune homme, ceint de molles bandelettes, 6+6 b
Pyrrha, te tient pressée au fond de l'antre frais 6+6 a
195 Sur la rose et les violettes ? 8 b
Ah ! Ton cœur est semblable aux flots sitôt troublés ; 6+6 a
Et ce crédule enfant enlacé de tes chaînes 6+6 b
Vous connaîtra demain, serments vite envolés, 6+6 a
Dieux trahis et larmes prochaines ! 8 b
XVII
Lydia
200 Lydia, sur tes roses joues, 8 a
Et sur ton col frais, et plus blanc 8 b
Que le lait, roule étincelant 8 b
L'or fluide que tu dénoues. 8 a
Le jour qui luit est le meilleur ; 8 a
205 Oublions l'éternelle tombe ; 8 b
Laisse tes baisers de colombe 8 b
Chanter sur tes lèvres en fleur. 8 a
Un lis caché répand sans cesse 8 a
Une odeur divine en ton sein ; 8 b
210 Les délices, comme un essaim, 8 b
Sortent de toi, jeune déesse ! 8 a
Je t'aime et meurs, ô mes amours ! 8 a
Mon âme en baisers m'est ravie. 8 b
Ô Lydia, rends-moi la vie, 8 b
215 Que je puisse mourir toujours ! 8 a
XVIII
ENVOI
Je n'ai ni trépieds grecs, ni coupes de Sicile, 6+6 a
Ni bronzes d'Étrurie aux contours élégants ; 6+6 b
Pour mon étroit foyer tous les dieux sont trop grands 6+6 b
Que modelait Scopas dans le Paros docile. 6+6 a
220 De ces trésors, Lollius, je ne puis t'offrir rien ; 6+6 a
Mais j'ai des mètres chers à la muse natale : 6+6 b
La lyre en assouplit la cadence inégale. 6+6 b
Je te les donne, ami ; c'est mon unique bien. 6+6 a
mètre profils métriques : 8, 6+6
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