Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LEC_3/LEC138
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES ANTIQUES
1852
Glaucé
I
Sous les grottes de nacre | et les limons épais 6+6 a
Où le fleuve océan | sommeille et rêve en paix, 6+6 a
Vers l'heure où l'immortelle | aux paupières dorées 6+6 b
Rougit le pâle azur, | de ses roses sacrées ; 6+6 b
5 Je suis née, et mes sœurs, | qui nagent aux flots bleus, 6+6 a
M'ont bercée en riant | dans leurs bras onduleux, 6+6 a
Et sur la perle humide | entrelaçant leurs danses, 6+6 b
Instruit mes pieds de neige | aux divines cadences. 6+6 b
Et j'étais déjà grande, | et déjà la beauté 6+6 a
10 Baignait mon souple corps | d'une molle clarté. 6+6 a
Longtemps heureuse, au sein | de l'onde maternelle, 6+6 b
Je coulais doucement | ma jeunesse éternelle ; 6+6 b
Les sourires vermeils | sur mes lèvres flottaient, 6+6 a
Les songes innocents | de l'aile m'abritaient ; 6+6 a
15 Et les dieux vagabonds | de la mer infinie 6+6 b
De mon destin candide | admiraient l'harmonie. 6+6 b
Ô jeune Clytios, | ô pasteur inhumain, 6+6 a
Que Pan aux pieds de chèvre | éleva de sa main, 6+6 a
Quand, sous les bois touffus | où l'abeille butine, 6+6 b
20 Il enseigna Syrinx | à ta lèvre enfantine, 6+6 b
Et, du flot cadencé | de tes belles chansons, 6+6 a
Fit hésiter Diane | au détour des buissons ! 6+6 a
Ô Clytios ! Sitôt | qu'au golfe bleu d'Himère, 6+6 b
Je te vis sur le sable | où blanchit l'onde amère ; 6+6 b
25 Sitôt qu'avec amour | l'abîme murmurant 6+6 a
Eut caressé ton corps | d'un baiser transparent… 6+6 a
Éros ! Éros perça | d'une flèche imprévue 6+6 b
Mon cœur que sous les flots | je cachais à sa vue. 6+6 b
Ô pasteur, je t'attends. | Mes cheveux azurés 6+6 a
30 D'algues et de corail | pour toi se sont parés : 6+6 a
Et déjà, pour bercer | notre doux hyménée, 6+6 b
L'Euros fait palpiter | la mer où je suis née. 6+6 b
II
Salut, vallons aimés | dans la brume tremblants ! 6+6 a
Quand la chèvre indocile | et les béliers blancs 6+6 a
35 Par vos détours connus, | sous vos ombres si douces, 6+6 b
Dès l'aube, sur mes pas | paissent les vertes mousses ; 6+6 b
Que la terre s'éveille | et rit, et que les flots 6+6 a
Prolongent dans les bois | d'harmonieux sanglots ; 6+6 a
Ô nymphe de la mer, | déesse au sein d'albâtre, 6+6 b
40 Des pleurs voilent mes yeux, | et je sens mon cœur battre, 6+6 b
Et des vents inconnus | viennent me caresser, 6+6 a
Et je voudrais saisir | le monde et l'embrasser ! 6+6 a
Hélios resplendit : | à l'abri des grands chênes, 6+6 b
Aux chants entrecoupés | des naïades prochaines, 6+6 b
45 Je repose, et ma lèvre, | habile aux airs divins, 6+6 a
Sur les rameaux ombreux | charme les dieux sylvains. 6+6 a
Blonde fille des eaux, | les vierges de Sicile 6+6 b
Ont émoussé leurs yeux | sur mon cœur indocile ; 6+6 b
Ni les seins palpitants, | ni les soupirs secrets, 6+6 a
50 Ni l'attente incertaine | et ses pleurs indiscrets, 6+6 a
Ni les baisers promis, | ni les voix de syrène, 6+6 b
N'ont troublé de mon cœur | la profondeur sereine. 6+6 b
J'honore Pan qui règne | en ces bois révérés ; 6+6 a
J'offre un agreste hommage | à ses autels sacrés, 6+6 a
55 Et Cybèle aux beaux flancs | est ma divine amante. 6+6 b
Je m'endors en un pli | de sa robe charmante ; 6+6 b
Et dès que luit aux cieux | le matin argenté, 6+6 a
Sur les fleurs de son sein | je bois la volupté ! 6+6 a
Dis, si je t'écoutais, | combien dureraient-elles, 6+6 b
60 Ces ivresses d'un jour, | ces amours immortelles ? 6+6 b
Ô nymphe de la mer, | je ne veux pas t'aimer ! 6+6 a
C'est vous que j'aime, ô bois | qu'un dieu sait animer, 6+6 a
Ô matin rayonnant, | ô nuit immense et belle ! 6+6 b
C'est toi seule que j'aime, | ô féconde Cybèle ! 6+6 b
III
65 Viens, tu seras un dieu ! | Sur ta mâle beauté 6+6 a
Je poserai le sceau | de l'immortalité ; 6+6 a
Je te couronnerai | de jeunesse et de gloire ; 6+6 b
Et sur ton sein de marbre, | entre tes bras d'ivoire, 6+6 b
Appuyant, dans nos jeux, | mon front pâle d'amour, 6+6 a
70 Nous verrons tomber l'ombre | et rayonner le jour, 6+6 a
Sans que jamais l'oubli, | de son aile envieuse, 6+6 b
Brise de nos destins | la chaîne harmonieuse. 6+6 b
J'ai préparé moi-même, | au sein des vastes eaux, 6+6 a
Ta couche de cristal | qu'ombragent des roseaux ; 6+6 a
75 Et les fleuves marins, | aux bleuâtres haleines, 6+6 b
Baigneront tes pieds blancs | de leurs urnes trop pleines. 6+6 b
Ô disciple de Pan, | pasteur aux blonds cheveux, 6+6 a
Sur quels destins plus beaux | se sont portés tes vœux ? 6+6 a
Souviens-toi qu'un dieu sombre, | inexorable, agile, 6+6 b
80 Desséchera ton corps | comme une fleur fragile… 6+6 b
Et tu le supplieras, | et tes pleurs seront vains. 6+6 a
Moi je t'aime, ô pasteur, | et dans mes bras divins 6+6 a
Je sauverai du temps | ta jeunesse embaumée. 6+6 b
Vois ! D'un cruel amour | je languis consumée ; 6+6 b
85 Je puis nager à peine, | et sur ma joue en fleur 6+6 a
Le sommeil en fuyant | a laissé la pâleur. 6+6 a
Viens, et tu connaîtras | les heures de l'ivresse ! 6+6 b
Où les dieux cachent-ils | la jeune enchanteresse 6+6 b
Qui, domptant ton orgueil | d'un sourire vainqueur, 6+6 a
90 D'un regard plus touchant | amollira ton cœur ? 6+6 a
Sais-tu quel est mon nom, | et m'as-tu contemplée ? 6+6 b
Lumineuse et flottant | sur ma conque étoilée ? 6+6 b
N'abaisse point tes yeux. | Ô pasteur insensé, 6+6 a
Pour qui méprises-tu | les larmes de Glaucé ? 6+6 a
95 Daigne m'apprendre, ô marbre | à qui l'amour me lie, 6+6 b
Comme il faut que je vive | ou plutôt que j'oublie ! 6+6 b
IV
Ô nymphe ! S'il est vrai | qu'Éros, le jeune archer, 6+6 a
Ait su d'un trait doré | te suivre et te toucher ; 6+6 a
S'il est vrai que des pleurs, | blanche fille de l'onde, 6+6 b
100 Étincellent pour moi | dans ta paupière blonde ; 6+6 b
Que nul dieu de la mer | n'est ton amant heureux, 6+6 a
Que mon image flotte | en ton rêve amoureux, 6+6 a
Et que moi seul enfin | je flétrisse ta joue ; 6+6 b
Je te plains ! Mais Éros | de notre cœur se joue, 6+6 b
105 Et le trait qui blessa | ton beau sein, ô Glaucé, 6+6 a
Sans même m'effleurer | dans les airs a glissé. 6+6 a
Je te plains. Ne crois pas, | ô ma pâle déesse, 6+6 b
Que mon cœur soit de marbre | et sourd à ta détresse : 6+6 b
Mais je ne puis t'aimer : | Cybèle a pris mes jours, 6+6 a
110 Et rien ne brisera | nos sublimes amours. 6+6 a
Va donc, et tarissant | tes larmes soucieuses, 6+6 b
Danse bientôt, légère, | à tes noces joyeuses ! 6+6 b
Nulle vierge, mortelle | ou déesse, aux beaux corps, 6+6 a
N'ont vos soupirs divins | ni vos profonds accords, 6+6 a
115 Ô bois mystérieux, | temples aux frais portiques, 6+6 b
Chênes qui m'abritez | de rameaux prophétiques, 6+6 b
Dont l'arôme et les chants | vont où s'en vont mes pas, 6+6 a
Vous qu'on aime sans cesse | et qui ne trompez pas ! 6+6 a
Qui d'un calme si pur | enveloppez mon être, 6+6 b
120 Que j'oublie et la mort | et l'heure où j'ai dû naître. 6+6 b
Ô nature, ô Cybèle, | ô sereines forêts, 6+6 a
Gardez-moi le repos | de vos asiles frais ; 6+6 a
Sous le platane épais | d'où le silence tombe, 6+6 b
Auprès de mon berceau | creusez mon humble tombe ; 6+6 b
125 Que pan confonde un jour, | aux lieux où je vous vois, 6+6 a
Mes suprêmes soupirs | avec vos douces voix, 6+6 a
Et que mon ombre encore, | à nos amours fidèle, 6+6 b
Passe dans vos rameaux | comme un battement d'aile ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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