Métrique en Ligne
LEC_3/LEC136
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES ANTIQUES
1852
Hypatie
Au déclin des grandeurs qui dominent la terre, 6+6 a
Quand les cultes divins, sous les siècles ployés, 6+6 b
Reprenant de l'oubli le sentier solitaire, 6+6 a
Regardent s'écrouler leurs autels foudroyés ; 6+6 b
5 Quand du chêne d'Hellas la feuille vagabonde 6+6 a
Des parvis désertés efface le chemin, 6+6 b
Et qu'au delà des mers où l'ombre épaisse abonde, 6+6 a
Vers un jeune soleil flotte l'esprit humain ; 6+6 b
Toujours des dieux vaincus embrassant la fortune, 6+6 a
10 Un grand cœur les défend du sort injurieux ; 6+6 b
L'aube des jours nouveaux le blesse et l'importune : 6+6 a
Il suit à l'horizon l'astre de ses aïeux. 6+6 b
Pour un destin meilleur qu'un autre siècle naisse 6+6 a
Et d'un monde épuisé s'éloigne sans remords ; 6+6 b
15 Fidèle au songe heureux où fleurit sa jeunesse, 6+6 a
Il entend tressaillir la poussière des morts. 6+6 b
Les sages, les héros se lèvent pleins de vie ! 6+6 a
Les poètes en chœur murmurent leurs beaux noms ; 6+6 b
Et l'Olympe idéal qu'un chant sacré convie, 6+6 a
20 Sur l'ivoire s'assied dans les blancs parthénons. 6+6 b
Ô vierge, qui d'un pan de ta robe pieuse 6+6 a
Couvris la tombe auguste où s'endormaient tes dieux : 6+6 b
De leur culte éclipsé prêtresse harmonieuse, 6+6 a
Chaste et dernier rayon détaché de leurs cieux ! 6+6 b
25 Je t'aime et te salue, ô vierge magnanime ! 6+6 a
Quand l'orage ébranla le monde paternel. 6+6 b
Tu suivis dans l'exil cet Œdipe sublime, 6+6 a
Et tu l'enveloppas d'un amour éternel. 6+6 b
Debout, dans ta pâleur, sous les sacrés portiques 6+6 a
30 Que des peuples ingrats abandonnait l'essaim, 6+6 b
Pythonisse enchaînée aux trépieds prophétiques, 6+6 a
Les immortels trahis palpitaient dans ton sein. 6+6 b
Tu les voyais passer dans la nue enflammée ! 6+6 a
De science et d'amour ils t'abreuvaient encor ; 6+6 b
35 Et la terre écoutait, de ton rêve charmée, 6+6 a
Chanter l'abeille attique entre tes lèvres d'or. 6+6 b
Comme un jeune lotos croissant sous l'œil des sages, 6+6 a
Fleur de leur éloquence et de leur équité, 6+6 b
Tu faisais, sur la nuit moins sombre des vieux âges, 6+6 a
40 Resplendir ton génie à travers ta beauté ! 6+6 b
Le grave enseignement des vertus éternelles 6+6 a
S'épanchait de ta lèvre au fond des cœurs charmés ; 6+6 b
Et les galiléens qui te rêvaient des ailes, 6+6 a
Oubliaient leur dieu mort pour tes dieux bien-aimés. 6+6 b
45 Mais le siècle emportait ces âmes insoumises 6+6 a
Qu'un lien trop fragile enchaînait à tes pas ; 6+6 b
Et tu les voyais fuir vers les terres promises ; 6+6 a
Mais toi qui savais tout, tu ne les suivis pas ! 6+6 b
Que t'importait, ô vierge, un semblable délire ? 6+6 a
50 Ne possédais-tu pas cet idéal cherché ? 6+6 b
Va ! Dans ces cœurs troublés tes regards savaient lire, 6+6 a
Et les dieux bienveillants ne t'avaient rien caché. 6+6 b
Ô sage enfant, si pure entre tes sœurs mortelles ! 6+6 a
Ô noble front, sans tache entre les fronts sacrés ! 6+6 b
55 Quelle âme avait chanté sur des lèvres plus belles, 6+6 a
Et brûlé plus limpide en des yeux inspirés ? 6+6 b
Sans effleurer jamais ta robe immaculée, 6+6 a
Les souillures du siècle ont respecté tes mains : 6+6 b
Tu marchais, l'œil tourné vers la vie étoilée, 6+6 a
60 Ignorante des maux et des crimes humains. 6+6 b
L'homme en son cours fougueux t'a frappée et maudite, 6+6 a
Mais tu tombas plus grande ! Et maintenant, hélas ! 6+6 b
Le souffle de Platon et le corps d'Aphrodite 6+6 a
Sont partis à jamais pour les beaux cieux d'Hellas ! 6+6 b
65 Dors, ô blanche victime, en notre âme profonde, 6+6 a
Dans ton linceul de vierge et ceinte de lotos ; 6+6 b
Dors ! L'impure laideur est la reine du monde, 6+6 a
Et nous avons perdu le chemin de Paros. 6+6 b
Les dieux sont en poussière et la terre est muette ; 6+6 a
70 Rien ne parlera plus dans ton ciel déserté. 6+6 b
Dors ! Mais vivante en lui, chante au cœur du poète 6+6 a
L'hymne mélodieux de la sainte beauté. 6+6 b
Elle seule survit, immuable, éternelle. 6+6 a
La mort peut disperser les univers tremblants, 6+6 b
75 Mais la beauté flamboie, et tout renaît en elle, 6+6 a
Et les mondes encor roulent sous ses pieds blancs. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
schéma : 19(abab)
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