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LEC_2/LEC93
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES TRAGIQUES
1884
Le Suaire
de Mohammed ben-Amer-al-Mançour
GÉMIS, noble Yémen, sous tes palmiers si doux ! 6+6 a
Schâmah, lamente-toi sous tes cèdres noirs d'ombre ! 6+6 b
Sous tes immenses cieux emplis d'astres sans nombre, 6+6 b
Dans le sable enflammé cachant ta face sombre, 6+6 b
5 Pleure et rugis, Maghreb, père des lions roux ! 6+6 a
Azraël a fauché de ses ailes funèbres 6+6 a
La fleur de Korthobah, la Rose des guerriers ! 6+6 b
Les braves ont vidé les larges étriers, 6+6 b
Et les corbeaux, claquant de leurs becs meurtriers, 6+6 b
10 Flairent la chair des morts roidis dans les ténèbres. 6+6 a
Ô gorges et rochers de Kalaʼt-al-Noçour, 6+6 a
Qu'Yblis le Lapidé vous dessèche et vous ronge ! 6+6 b
Ce fulgurant éclair, plus rapide qu'un songe, 6+6 b
Qui du Hedjaz natal au couchant se prolonge, 6+6 b
15 La Gloire de l'Islam s'est éteinte en un jour ! 6+6 a
Devant ton souffle, Allah, poussière que nous sommes ! 6+6 a
Vingt mille cavaliers et vingt mille étalons 6+6 b
Se sont abattus là par épais tourbillons ; 6+6 b
La plaine et le coteau, le fleuve et les vallons 6+6 b
20 Ruissellent du sang noir des bêtes et des hommes. 6+6 a
Le naphte, à flots huileux, par lugubres éclats, 6+6 a
Allume l'horizon des campagnes désertes, 6+6 b
Monte, fait tournoyer ses longues flammes vertes 6+6 b
Et brûle, face au ciel et paupières ouvertes, 6+6 b
25 Les cadavres couchés sur les hauts bûchers plats. 6+6 a
Allah ! dans la rumeur d'une foudre aux nuées, 6+6 a
À travers le buisson, le roc et le ravin, 6+6 b
Contre ces vils mangeurs de porc, gorgés de vin, 6+6 b
Nos vaillantes tribus, dix fois, toujours en vain, 6+6 b
30 Coup sur coup, et le rire aux dents, se sont ruées. 6+6 a
Et toi, vêtu de pourpre et de mailles d'acier, 6+6 a
Coiffé du cimier d'or hérissé d'étincelles, 6+6 b
Tel qu'un aigle, le vent de la victoire aux ailes, 6+6 b
La lame torse en main, tu volais devant elles, 6+6 b
35 Mohammed-al-Mançour, bon, brave et justicier ! 6+6 a
Brandissant la bannière auguste des Khalyfes, 6+6 a
Plus blanche que la neige intacte des sierras, 6+6 b
Tu foulais la panthère au poil luisant et ras 6+6 b
Qui sur le chaud poitrail, ainsi que font deux bras, 6+6 b
40 Éclatante, agrafait l'argent de ses dix griffes. 6+6 a
Devant le Paradis promis aux nobles morts, 6+6 a
Sans peur des hurlements de ces chacals voraces, 6+6 b
Qui d'entre nous, honteux de languir sur tes traces, 6+6 b
Conduit par ta lumière, Étoile des trois races, 6+6 b
45 N'eût lâché pour mourir les rênes et le mors ? 6+6 a
Torrent d'hommes qui gronde, écroulé d'un haut faîte, 6+6 a
Mer qui bat flot sur flot le roc dur et têtu, 6+6 b
Sur l'idolâtre impur, mille fois combattu, 6+6 b
Tu nous as déchaînés, ivres de ta vertu, 6+6 b
50 Glorieux fils d'Amer, ô Souffle du Prophète ! 6+6 a
Le choc terrible, plein de formidables sons, 6+6 a
A fait choir les vautours des roches ébranlées, 6+6 b
Et les aigles crier et s'enfuir par volées, 6+6 b
Et plus loin que les monts, les cités, les vallées, 6+6 b
55 Sans fin, s'est engouffré vers les quatre horizons. 6+6 a
Hélas ! les étalons, ployant leurs jarrets grêles, 6+6 a
De l'aube au soir, dans un âpre fourmillement, 6−6 b
Ont bondi, les crins droits et le frein écumant, 6+6 b
Leur naseau rose en feu, par masse, éperdument, 6+6 b
60 Comme un essaim strident d'actives sauterelles. 6+6 a
Ah ! vrais fils d'Al-Boraq la Vierge et de l'éclair, 6+6 a
Sûrs amis, compagnons des batailles épiques, 6+6 b
Joyeux du bruit des coups et des cris frénétiques, 6+6 b
Vous hennissiez, cabrés à la pointe des piques, 6+6 b
65 Vous enfonçant la mort au ventre, ô buveurs d'air ! 6+6 a
Vous mordiez les tridents, les fourches et les sabres 6+6 a
Et l'épieu des chasseurs de loup, d'ours et d'isard, 6+6 b
Muraille rude et sombre où flottaient au hasard 6+6 b
Les Lions de Castille et le jaune Lézard 6+6 b
70 De Compostelle et les Mains rouges des Cantabres. 6−6 a
Vous qui couriez, si beaux, des jardins de l'Été 6+6 a
Jusqu'aux escarpements neigeux des Asturies, 6+6 b
Vous dormez dans l'horreur des muettes tueries, 6+6 b
Et, tels qu'au chaud soleil les grenades mûries, 6+6 b
75 Sous les masses de fer vos fronts ont éclaté ! 6+6 a
Rien n'a rompu le bloc de ces hordes farouches. 6+6 a
Vers les monts, sans tourner le dos, lents, résolus, 6+6 b
Ils se sont repliés, rois, barons chevelus, 6+6 b
Soudards bardés de cuir, serfs et moines velus 6+6 b
80 Qui vomissent l'infect blasphème à pleines bouches. 6+6 a
Sinistres, non domptés, sinon victorieux, 6+6 a
Ils ont tous disparu dans la nuit solitaire, 6+6 b
Laissant les morts brûler et les râles se taire ; 6+6 b
Et nous pleurons autour de cette tente austère 6+6 b
85 Où l'Aigle de l'Islam ferme à jamais les yeux. 6+6 a
Pâle et grave, percé de coups, haché d'entailles, 6+6 a
Le Hadjeb immortel, comme il était écrit, 6+6 b
Pour monter au Djennet qui rayonne et fleurit, 6+6 b
Rend aux Anges d'Allah son héroïque esprit 6+6 b
90 Ceint des palmes et des éclairs de cent batailles. 6−6 a
L'âme est partie avec la pourpre du soleil. 6+6 a
Sous la peau d'un lion fauve à noire crinière, 6+6 b
Dans le coffre de cèdre où croissait la poussière 6+6 b
Recueillie en vingt ans sur l'armure guerrière, 6+6 b
95 Mohammed-al-Mançour dort son dernier sommeil. 6+6 a
Nos temps sont clos, voici les jours expiatoires ! 6+6 a
Ô race d'Ommyah, ton trône est chancelant 6+6 b
Et la plaie incurable est ouverte à ton flanc, 6+6 b
Puisque l'Homme invincible est couché tout sanglant 6+6 b
100 Dans la cendre de ses victoires ! 8 a
mètre profils métriques : 6−6, (8)
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