Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LEC_2/LEC133
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES TRAGIQUES
1884
Le Romance de Doña Blanca
OR, étant à Burgos, | en sa chambre royale, 6+6 a
Don Pedro fait mander | Juan de Hinestrosa : 6+6 b
— Ami Juan Fernandez, | dit le Roi, venez çà. 6+6 b
J'ai souci d'un cœur ferme | et d'une foi loyale. 6+6 a
5 Quand mes frères bâtards, | m'assaillant à l'envi, 6+6 a
Saccageaient mes châteaux | et me vidaient mes coffres, 6+6 b
Quasi seul, entre tous, | au mépris de leurs offres, 6+6 b
Vous me fûtes fidèle, | et m'avez bien servi. 6+6 a
Donc, je vous sais sans peur, | sans feintise ni trame, 6+6 a
10 Aimant l'homme non moins | que le roi, soucieux 6+6 b
De faire ainsi, tant que | vivrez, et pour le mieux. 6+6 b
Et c'est pourquoi, Don Juan, | je me fie en votre âme. 6+6 a
Voici. Prenez mon seing, | bouclez vos éperons, 6+6 a
Et courez au château | de Xerez où demeure 6+6 b
15 Dona Blanca. Je veux | qu'en secret elle meure. 6+6 b
Je vous remercierai | quand nous nous reverrons. — 6+6 a
Mais le bon chevalier | Juan Fernandez ne bouge : 6+6 a
— Sire Roi, mon épée | est vôtre, non l'honneur. 6+6 b
Je ne suis meurtrier, | ni vil empoisonneur ; 6+6 b
20 Ma lignée est trop haute | et mon sang est trop rouge. 6+6 a
Employez à cela | quelque autre, s'il en est 6+6 a
Qui le veuille. D'ailleurs, | Sire, prenez ma vie. 6+6 b
— Saint Jacques ! dit le Roi, | je n'en ai nulle envie. 6+6 b
La touche est sûre, et l'or | vierge s'y reconnaît. 6+6 a
25 Allez ! je suis content | de votre prud'homie. 6+6 a
Je riais. Pensez-vous | que je sois si méchant 6+6 b
De vous faire tuer | cette femme, sachant 6+6 b
Ce que vous êtes ? Non. | Surtout n'en parlez mie. 6+6 a
— Sire, j'ai bouche close | et vous baise les mains. 6+6 a
30 — C'est bien. — Hinestrosa | gravement le salue, 6+6 b
Et s'en va. Néanmoins, | la chose est résolue. 6+6 b
Ceux que hait Don Pedro | n'ont point de lendemains. 6+6 a
Il appelle un massier | de la garde, qu'on nomme, 6+6 a
Étant Aragonais, | Rebolledo Perez : 6+6 b
35 — Va-t'en tuer la Reine | au donjon de Xerez. 6+6 b
Ortiz, le châtelain | du lieu, n'est pas mon homme. 6+6 a
Voici l'ordre. Tu prends | sa place. Agis, sois prompt. 6+6 a
Tu diras qu'elle était | malade, et qu'elle est morte. 6+6 b
Sinon, je te fais mettre | en quatre, à chaque porte 6+6 b
40 De la ville, où corbeaux | et chiens te mangeront. 6+6 a
Écoute. D'une part, | or, fief, chevalerie 6+6 a
Et ma faveur ; de l'autre, | une hache, un billot, 6+6 b
Et la mise en quartiers. | Choisis. Quel est ton lot ? 6+6 b
Songe pourtant qu'il faut | celer cette tuerie. 6+6 a
45 Ni lutte, ni cris. Point | de vestige sanglant 6+6 a
Qui puisse après la mort | apparaître sur elle. 6+6 b
Qu'elle semble finir | de façon naturelle, 6+6 b
En proie à quelque mal | sans remède et très lent ! 6+6 a
As-tu compris ? Réponds. | — Ce m'est un jour de fête, 6+6 a
50 Sire ! J'obéirai, | dit le rude massier. — 6+6 b
Certe, à voir ce poil fauve | et cet œil carnassier, 6+6 b
Le Roi ne doute pas | que ce soit chose faite. 6+6 a
Pendant que le Perez | chevauche allègrement 6+6 a
Vers son crime, au grand trot | du genet qu'il active, 6+6 b
55 De châteaux en donjons | depuis dix ans captive, 6+6 b
La jeune Reine pleure | et plaint son long tourment. 6+6 a
Ortiz, qui la gardait, | noble de race et d'âme, 6+6 a
L'a quittée. Un grand mal | lentement la détruit, 6+6 b
Dit-on. Perez, un soir, | dans son retrait, sans bruit, 6+6 b
60 Entre : — Le Roi le veut, | il faut mourir, Madame. 6+6 a
— Jésus ! Ne puis-je au moins | confesser mes péchés ? 6+6 a
Faites venir un clerc | tonsuré qui m'envoie 6+6 b
Au Paradis, après | ma douloureuse voie. 6+6 b
— Confessez-vous à Dieu, | Madame, et dépêchez ! 6+6 a
65 — Ô douce France ! ô cher | pays où je suis née ! 6+6 a
Jamais plus, ô beau ciel, | ne te verront mes yeux ! 6+6 b
Ô royale Maison | des princes mes aïeux, 6+6 b
Dès mon aube pourquoi | t'avoir abandonnée ? 6+6 a
Que t'ai-je fait, Castille ? | et d'où vient mon malheur 6+6 a
70 Que mes seize ans n'ont pu | t'attendrir et te plaire ? 6+6 b
Mais, hélas ! par un vent | de haine et de colère 6+6 b
Ma rapide jeunesse | est fauchée en sa fleur ! 6+6 a
Pourtant, je n'ai failli | d'acte ni de pensée 6+6 a
Envers ce Roi cruel | qui me veut tant de mal. 6+6 b
75 Épouse, et vierge encor, | comme au jour baptismal, 6+6 b
Ô Jésus ! je descends | dans la terre glacée. 6+6 a
Et vous, Rayons vivants | de l'éternel Flambeau, 6+6 a
Anges du Paradis, | qui brûlez de saints zèles, 6+6 b
Dans la paix et l'amour | emportez sur vos ailes 6+6 b
80 Mon âme immaculée | au sortir du tombeau ! 6+6 a
Maintenant, Dieu m'assiste ! | Achève ma misère, 6+6 a
Ami ! Je te pardonne, | ainsi que je le dois. — 6+6 b
Alors le meurtrier | féroce, des dix doigts, 6+6 b
Prend le col délicat, | frêle et doux, et le serre. 6+6 a
85 Puis il clôt les yeux bleus | voilés de longs cils d'or, 6+6 a
Dispose la figure | au pâle lys pareille, 6+6 b
Et, livide, muet, | furtif, prêtant l'oreille, 6+6 b
Disparaît dans le noir | et profond corridor. 6+6 a
Telle, à Xerez, finit | Dona Blanca de France, 6+6 a
90 Dès le berceau vouée | au royal assassin ; 6+6 b
Dieu, qui peut tout, ayant, | dans un secret dessein, 6+6 b
Empli son peu de jours | d'angoisse et de souffrance. 6+6 a
Mais le Diable, qui sait | que son homme est à point, 6+6 a
Pousse déjà, du haut | des blanches Pyrénées, 6+6 b
95 Les Routiers dévalant | par bandes forcenées, 6+6 b
Et le Bâtard, la haine | au cœur et dague au poing. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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