Métrique en Ligne
LEC_2/LEC129
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES TRAGIQUES
1884
Le dernier Dieu
BIEN au delà des Jours, des Ans multipliés, 6+6 a
Du vertige des Temps dont la fuite est sans trêve, 6+6 b
Voici ce que j'ai vu, dans l'immuable rêve 6+6 b
Qui me hante, depuis les songes oubliés. 6+6 a
5 J'errais, seul, sur la Terre. Et la Terre était nue. 6+6 a
L'ancien gémissement de ce qui fut vivant, 6+6 b
Le sanglot de la mer et le râle du vent 6+6 b
S'étaient tus à jamais sous l'immobile nue. 6+6 a
Par le Vide sans fin, le globe décharné, 6+6 a
10 À bout de désespoir, de misère et de force, 6+6 b
Bossuant le granit de sa rugueuse écorce, 6+6 b
S'en allait, oublieux qu'un jour il était né. 6+6 a
Les Îles d'autrefois hérissaient de leurs cimes 6+6 a
Le gouffre monstrueux des océans taris, 6+6 b
15 Où s'étaient desséchés la fange et les débris 6+6 b
Des siècles engloutis au fond des vieux abîmes. 6+6 a
Funéraire flambeau d'un sépulcre muet, 6+6 a
Le soleil épuisé, pendu dans le ciel blême, 6+6 b
Baignait lugubrement de sa lueur suprême 6+6 b
20 L'immense solitude où rien ne remuait. 6+6 a
Et j'errais en esprit, Ombre qui rôde et passe, 6+6 a
Sans regrets, sans désirs, au hasard emporté, 6+6 b
Reste de l'éphémère et vaine humanité 6+6 b
Dont un souffle a vanné la cendre dans l'espace. 6+6 a
25 Et je vis, au plus haut d'un mont, silencieux, 6+6 a
Impassible, plus froid que la neige éternelle, 6+6 b
Un Spectre qui couvait d'une inerte prunelle 6+6 b
L'univers mort couché sous le désert des cieux. 6+6 a
Majestueux et beau, ce spectre, auguste image 6+6 a
30 Des Rois olympiens, enfants des siècles d'or, 6+6 b
Se dressait, tel qu'au temps où l'Homme heureux encor 6+6 b
Saluait leurs autels d'un libre et fier hommage. 6+6 a
Mais l'Arc, d'où jaillissaient les désirs créateurs, 6+6 a
Gisait parmi les blocs de neige, avec les Ailes 6+6 b
35 Qui portaient vos baisers, ô blanches Immortelles, 6+6 b
De la bouche des Dieux aux lèvres des pasteurs ! 6+6 a
Mais le front n'avait plus ses roses de lumière, 6+6 a
Mais rien ne battait plus dans le sein adoré 6+6 b
Qui versait sur le monde à son matin sacré 6+6 b
40 Tes flots brûlants et doux, ô Volupté première ! 6+6 a
Et le charme et l'horreur, le souvenir amer 6+6 a
Des pleurs sanglants après les heures de délice, 6+6 b
Tous les enivrements du céleste supplice 6+6 b
Me reprirent au cœur d'une étreinte de fer ; 6+6 a
45 Et je connus, glacé sur la terre inféconde, 6+6 a
Que c'était là, rigide, endormi sans retour, 6+6 b
Le dernier, le plus cher des Dieux, l'antique Amour, 6+6 b
Par qui tout vit, sans qui tout meurt, l'Homme et le monde. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
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