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LEC_2/LEC128
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES TRAGIQUES
1884
Le calumet du Sachem
LES cèdres et les pins, les hêtres, les érables, 6+6 a
Dans leur antique orgueil des siècles respecté, 6+6 b
Haussent de toutes parts avec rigidité 6+6 b
La noble ascension de leurs troncs vénérables 6+6 a
5 Jusqu'aux dômes feuillus, chauds des feux de l'été. 6+6 b
Sous l'enchevêtrement de leurs vastes ramures 6+6 a
La terre fait silence aux pieds de ses vieux rois. 6+6 b
Seuls, au fond des lointains mystérieux, parfois, 6+6 b
Naissent, croissent, s'en vont, renaissent les murmures 6+6 a
10 Que soupire sans fin l'âme immense des bois. 6+6 b
Transperçant çà et là les hautes nefs massives, 6+6 a
Dans l'air empli d'arome immobile et de paix, 6+6 b
L'invisible soleil darde l'or de ses rais, 6+6 b
Qui sillonnent d'un vol grêle de flèches vives 6+6 a
15 La sombre majesté des feuillages épais. 6+6 b
Les grands Élans, couchés parmi les cyprières, 6+6 a
Sur leurs dos musculeux renversent leurs cols lourds ; 6+6 b
Les panthères, les loups, les couguars et les ours 6+6 b
Se sont tapis, repus des chasses meurtrières, 6+6 a
20 Au creux des arbres morts ou dans les antres sourds. 6+6 b
Écureuils, perroquets, ramiers à gorge bleue 6+6 a
Dorment. Les singes noirs, du haut des sassafras, 6+6 b
Sans remuer leur tête et leurs reins au poil ras, 6+6 b
À la branche qui ploie appendus par la queue, 6+6 a
25 Laissent inertement aller leurs maigres bras. 6+6 b
Les crotales, lovés sous quelque roche chaude, 6+6 a
Attendent une proie errante, et, par moment, 6+6 b
De l'ombre où leurs fronts plats s'allongent lentement, 6+6 b
Le feu subtil de leurs prunelles d'émeraude 6−6 a
30 Luit, livide, et jaillit dans un pétillement. 6+6 b
Assis contre le tronc géant d'un sycomore, 6+6 a
Le cou roide, les yeux clos comme s'il dormait, 6+6 b
Une plume d'ara, jaune et pourpre, au sommet 6+6 b
Du crâne, le Sachem, le dernier Sagamore 6+6 a
35 Des Florides, est là, fumant son calumet. 6+6 b
Ses guerriers dispersés errent dans les prairies, 6+6 a
Par delà le grand Fleuve où boivent les bisons. 6+6 b
Loin du pays natal aux riches floraisons, 6+6 b
Comme le vent d'hiver fait des feuilles flétries, 6+6 a
40 L'exil les a chassés vers tous les horizons. 6+6 b
Devant l'homme à peau blême et son lâche tonnerre 6+6 a
Ils vont où le soleil tombe sanglant des cieux ; 6+6 b
Mais le Sachem têtu, seul des siens, et très vieux, 6+6 b
Tel que l'aigle attardé qui retourne à son aire, 6+6 a
45 Est revenu mourir au berceau des aïeux. 6+6 b
Des confins du couchant et des espaces mornes 6+6 a
Il a su retrouver, avec l'œil et le flair, 6+6 b
Sans halte, par la nuit profonde ou le ciel clair, 6+6 b
Les vestiges épars dans les plaines sans bornes 6+6 a
50 Et recueillir au vol les effluves de l'air. 6+6 b
Sa hache et son couteau, les armes du vrai brave, 6+6 a
Gisent sur ses genoux. Le Chef a dénoué 6+6 b
Sa ceinture, et, dressant son torse tatoué 6+6 b
D'ocre et de vermillon, il fume d'un air grave 6+6 a
55 Sans qu'un pli de sa face austère ait remué. 6+6 b
Il sait qu'au lourd silence épandu des ramées 6+6 a
Les sinistres rumeurs des nuits succéderont, 6+6 b
Qu'à l'odeur de sa chair, bossuant leur dos rond, 6+6 b
Vont ramper jusqu'à lui les bêtes affamées ; 6+6 a
60 Mais le vieux Chef se rit des dents qui le mordront. 6+6 b
L'ardente vision qui hante ses prunelles 6+6 a
Lui dérobe la terre et l'emporte au delà, 6+6 b
Dans les bois où l'esprit des Sachems s'envola 6+6 b
Et dans la volupté des chasses éternelles. 6+6 a
65 Viennent panthères, loups et couguars, le voilà ! 6+6 b
Et l'antique forêt qui rêve, où rien ne bouge, 6+6 a
Semble à jamais inerte, ainsi que maintenant, 6+6 b
Sauf la molle vapeur qui va tourbillonnant 6+6 b
Hors du long calumet de cette Idole rouge 6+6 a
70 Et monte vers la paix de midi rayonnant. 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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