Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LEC_2/LEC107
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES TRAGIQUES
1884
La Chasse de l'Aigle
L'AIGLE noir aux yeux d'or, | prince du ciel mongol, 6+6 a
Ouvre, dès le premier | rayon de l'aube claire, 6+6 b
Ses ailes comme un large | et sombre parasol. 6+6 a
Un instant immobile, | il plane, épie et flaire. 6+6 b
5 Là-bas, au flanc du roc | crevassé, ses aiglons 6+6 c
Érigent, affamés, | leurs cous au bord de l'aire. 6+6 b
Par la steppe sans fin, | coteau, plaine et vallons, 6+6 c
L'œil luisant à travers | l'épais crin qui l'obstrue, 6+6 a
Pâturent, çà et là, | des hardes d'étalons. 6+6 c
10 L'un d'eux, parfois, hennit | vers l'aube ; l'autre rue ; 6+6 a
Ou quelque autre, tordant | la queue, allègrement, 6+6 b
Pris de vertige, court | dans l'herbe jaune et drue. 6+6 a
La lumière, en un frais | et vif pétillement, 6+6 b
Croît, s'élance par jet, | s'échappe par fusée, 6+6 c
15 Et l'orbe du soleil | émerge au firmament. 6+6 b
À l'horizon subtil | où bleuit la rosée, 6+6 c
Morne dans l'air brillant, | l'aigle darde, anxieux, 6+6 a
Sa prunelle infaillible | et de faim aiguisée. 6+6 c
Mais il n'aperçoit rien | qui vole par les cieux, 6+6 a
20 Rien qui surgisse au loin | dans la steppe aurorale, 6+6 b
Cerf ni daim, ni gazelle | aux bonds capricieux. 6+6 a
Il fait claquer son bec | avec un âpre râle ; 6+6 b
D'un coup d'aile irrité, | pour mieux voir de plus haut, 6+6 c
Il s'enlève, descend | et remonte en spirale. 6+6 b
25 L'heure passe, l'air brûle. | Il a faim. À défaut 6+6 c
De gazelle ou de daim, | sa proie accoutumée, 6+6 a
C'est de la chair, vivante | ou morte, qu'il lui faut. 6+6 c
Or, dans sa robe blanche | et rase, une fumée 6+6 a
Autour de ses naseaux | roses et palpitants, 6+6 b
30 Un étalon conduit | la hennissante armée. 6+6 a
Quand il jette un appel | vers les cieux éclatants, 6+6 b
La harde, qui tressaille | à sa voix fière et brève, 6+6 c
Accourt, l'oreille droite | et les longs crins flottants. 6+6 b
L'aigle tombe sur lui | comme un sinistre rêve, 6+6 c
35 S'attache au col troué | par ses ongles de fer 6+6 a
Et plonge son bec courbe | au fond des yeux qu'il crève. 6+6 c
Cabré, de ses deux pieds | convulsifs battant l'air, 6+6 a
Et comme empanaché | de la bête vorace, 6+6 b
L'étalon fuit dans l'ombre | ardente de l'enfer. 6+6 a
40 Le ventre contre l'herbe, | il fuit, et, sur sa trace, 6+6 b
Ruisselle de l'orbite | excave un flux sanglant ; 6+6 c
Il fuit, et son bourreau | le mange et le harasse. 6+6 b
L'agonie en sueur | fait haleter son flanc ; 6+6 c
Il renâcle, et secoue, | enivré de démence, 6+6 a
45 Cette grande aile ouverte | et ce bec aveuglant. 6+6 c
Il franchit, furieux, | la solitude immense, 6+6 a
S'arrête brusquement, | sur ses jarrets ployé, 6+6 b
S'abat et se relève | et toujours recommence. 6+6 a
Puis, rompu de l'effort | en vain multiplié, 6+6 b
50 L'écume aux dents, tirant | sa langue blême et rêche, 6+6 c
Par la steppe natale | il tombe foudroyé. 6+6 b
Là, ses os blanchiront | au soleil qui les sèche ; 6+6 c
Et le sombre Chasseur | des plaines, l'aigle noir, 6+6 a
Retourne au nid avec | un lambeau de chair fraîche. 6+6 c
55 Ses petits affamés | seront repus ce soir. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université