Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LEC_2/LEC106
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES TRAGIQUES
1884
L'Holocauste
C'EST l'An de grâce mil | six cent dix-neuf, le seize 6+6 a
De juillet, en un vaste | et riche diocèse 6+6 a
Primatial. Le ciel | est pur et rayonnant. 6+6 b
Bourdons et cloches vont | sonnant et bourdonnant. 6+6 b
5 La Ville en fête rit | au clair soleil qui dore 6+6 a
Ses pignons, ses hauts toits | et son fleuve sonore, 6+6 a
Ses noirs couvents hantés | de spectres anxieux, 6+6 b
Ses masures, ses ponts | bossus, abrupts et vieux, 6+6 b
Et le massif des tours | aux assises obliques 6+6 a
10 Sous qui hurlaient jadis | les hordes catholiques. 6+6 a
Pareil au grondement | de l'eau hors de son lit, 6+6 b
Un long murmure, fait | de mille bruits, emplit 6+6 b
Berges et carrefours | et culs-de-sac et rue ; 6+6 a
Et la foule y tournoie | et s'y heurte et s'y rue 6+6 a
15 Pêle-mêle, les yeux | écarquillés, les bras 6+6 b
En l'air : moines blancs, gris | ou bruns, barbus ou ras, 6+6 b
Chaux ou déchaux, ayant | capes, frocs ou cagoules, 6+6 a
Vieilles femmes grinçant | des dents comme des goules, 6+6 a
Cavaliers de sang noble, | empanachés, pattus, 6+6 b
20 Rogues, caracolant | sur les pavés pointus, 6+6 b
Dames à jupe roide | en carrosses et chaises, 6+6 a
Gras citadins bouffis | dans la neige des fraises, 6+6 a
Avec la rouge fleur | des bons vins à la peau, 6+6 b
Estafiers et soudards, | et le confus troupeau 6+6 b
25 Des manants et des gueux | et des prostituées. 6+6 a
Plein de clameurs, de chants | d'église, de huées, 6+6 a
De rires, de jurons | obscènes, tout cela 6+6 b
Vient pour voir brûler vif | cet homme que voilà. 6+6 b
Debout sur le bûcher, | contre un poteau de chêne, 6+6 a
30 Les poings liés, la gorge | et le ventre à la chaîne, 6+6 a
Dans sa gravité sombre | et son mépris amer 6+6 b
Il regardait d'en haut | cette mouvante mer 6+6 b
De faces, d'yeux dardés, | de gestes frénétiques ; 6+6 a
Il écoutait ces cris | de haine, ces cantiques 6+6 a
35 Funèbres d'hommes noirs | qui venaient, deux à deux, 6+6 b
Enfiévrés de leur rêve | imbécile et hideux, 6+6 b
Maudire et conspuer | par delà l'agonie 6+6 a
Et de leurs sales mains | souffleter son génie, 6+6 a
Tandis que de leurs yeux | sinistres et jaloux 6+6 b
40 Ils le mangeaient déjà, | comme eussent fait des loups. 6+6 b
Et la honte d'être homme | aussi lui poignait l'âme. 6+6 a
Soudainement, le bois | sec et léger prit flamme, 6+6 a
Une langue écarlate | en sortit, et, rampant 6+6 b
Jusqu'au ventre, entoura | l'homme, comme un serpent. 6+6 b
45 Et la peau grésilla, | puis se fendit, de même 6+6 a
Qu'un fruit mûr ; et le sang, | mêlé de graisse blême, 6+6 a
Jaillit ; et lui, sentant | mordre l'horrible feu, 6+6 b
Les cheveux hérissés, | cria : — Mon Dieu ! mon Dieu ! — 6+6 b
Un moine, alors, riant | d'une joie effroyable, 6+6 a
50 Glapit : — Ah ! chien maudit, | bon pour les dents du Diable ! 6+6 a
Tu crois donc en ce Dieu | que tu niais hier ? 6+6 b
Va ! cuis, flambe et recuis | dans l'éternel Enfer ! — 6+6 b
Mais l'autre, redressant | par-dessus la fumée 6+6 a
Sa dédaigneuse face | à demi consumée 6+6 a
55 Qui de sueur bouillante | et rouge ruisselait, 6+6 b
Regarda l'être abject, | ignare, lâche et laid, 6+6 b
Et dit, menant à bout | son héroïque lutte : 6+6 a
— Ce n'est qu'une façon | de parler, vile brute ! — 6+6 a
Et ce fut tout. Le feu | le dévora vivant, 6+6 b
60 Et sa chair et ses os | furent vannés au vent. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université