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LEC_1/LEC81
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES BARBARES
1862
Les Ascètes
I
Depuis qu'au joug de fer blanche esclave enchaînée, 6+6 a
Hellas avait fini sa belle destinée, 6+6 a
Et qu'un dernier soupir, un souffle harmonieux 6+6 b
Avait mêlé son ombre aux ombres de ses Dieux, 6+6 b
5 Le César, dévoré d'une soif éternelle, 6+6 a
Tarissait le lait pur de l'antique Cybèle. 6+6 a
Pâle, la main sanglante et le cœur plein d'ennuis, 6+6 b
D'une vague terreur troublant ses longues nuits, 6+6 b
Il écoutait, couché sur la pourpre romaine, 6+6 a
10 Dans un sombre concert gémir la race humaine ; 6+6 a
Et, tandis que la Louve aux mamelles d'airain 6+6 b
Dormait, le dos ployé sous son pied souverain, 6+6 b
Il affamait, hâtant les jours expiatoires, 6+6 a
Les lions de l'Atlas au fond des vomitoires. 6+6 a
15 Inépuisable mer, du sommet des sept monts, 6+6 b
Couvrant l'empire entier de ses impurs limons, 6+6 b
Nue, horrible, tramant ses voluptés banales, 6+6 a
La débauche menait les grandes saturnales ; 6+6 a
Car c'était l'heure sombre où le vieil univers, 6+6 b
20 Ne pouvant oublier son opprobre et ses fers, 6+6 b
Gisait sans Dieu, sans force, et fatigué de vivre, 6+6 a
Comme un lâche qui craint de mourir et s'enivre. 6+6 a
Et c'est alors, plus haut que l'orgie aux bruits sourds, 6+6 b
Qu'on entendit monter l'appel des nouveaux jours, 6+6 b
25 Cri d'allégresse et cri d'angoisse, voix terrible 6+6 a
D'amour désespéré vers le monde invisible : 6+6 a
II
— Les bruits du siècle ont-ils étouffé votre voix, 6+6 b
Seigneur ? Jusques à quand resterez-vous en croix ? 6+6 b
En vain vous avez bu l'amertume et la lie : 6+6 a
30 Le monde se complaît dans sa vieille folie 6+6 a
Et s'attarde en chantant aux pieds de ses Dieux morts. 6+6 b
Au désert, au désert, les sages et les forts ! 6+6 b
Au désert, au désert, ceux que l'Esprit convie, 6+6 a
Ceux qu'a longtemps battus l'orage de la vie, 6+6 a
35 Ceux que l'impie enivre à ses coupes de feu, 6+6 b
Ceux qui dormaient hier dans le sein de leur Dieu ! 6+6 b
Au désert, au désert, les hommes et les femmes ! 6+6 a
Étouffons dans nos cœurs les voluptés infâmes ; 6+6 a
Vers la gloire des deux éternels déployons 6+6 b
40 L'extase aux ailes d'or sous la dent des lions. 6+6 b
Multipliez en nous vos douleurs adorables, 6+6 a
Seigneur ! Que nous soyons errants et misérables, 6+6 a
Qu'un soleil dévorant consume notre chair ! 6+6 b
Le mépris nous est doux, l'outrage nous est cher, 6+6 b
45 Pourvu que, gravissant la cime du supplice, 6+6 a
Nous puissions jusqu'au bout tarir votre calice, 6+6 a
Et, tout chargés d'opprobre et couronnés d'affronts, 6+6 b
D'une épine sanglante auréoler nos fronts ! 6+6 b
O morne solitude, ô grande mer de sables, 6+6 a
50 Assouvis nos regards de choses périssables ; 6+6 a
Balaye à tous les vents les vieilles vanités, 6+6 b
La poussière sans nom des Dieux et des cités ; 6+6 b
Et pour nous arracher à la matière immonde, 6+6 a
Ouvre ton sein de flamme aux transfuges du monde ! 6+6 a
55 Fuyons ! voici venir le Jour mystérieux 6+6 b
Où, comme un peu de cendre aux quatre vents des cieux, 6+6 b
La terre s'en ira par l'espace sublime. 6+6 a
Oh ! combien rouleront dans le brûlant abîme ! 6+6 a
Mais l'Ange par nos noms nous appellera tous, 6+6 b
60 Et la face de Dieu resplendira pour nous ! — 6+6 b
III
O rêveurs, ô martyrs, vaillantes créatures, 6+6 a
Qui, dans l'effort sacré de vos nobles natures, 6+6 a
Poussiez vers l'idéal un sanglot éternel, 6+6 b
Je vous salue, amants désespérés du ciel ! 6+6 b
65 Vous disiez vrai : le cœur de l'homme est mort et vide, 6+6 a
Et la terre maudite est comme un champ aride 6+6 a
Où la ronce inféconde, et qu'on arrache en vain, 6+6 b
Dans le sillon qui brûle étouffe le bon grain. 6+6 b
Vous disiez vrai : la vie est un mal éphémère, 6+6 a
70 Et la femme bien plus que la tombe est arrière ! 6+6 a
Aussi, loin des cités aux bruits tumultueux, 6+6 b
Avec le crucifix et le bâton noueux, 6+6 b
Et du nimbe promis illuminant vos têtes, 6+6 a
Vous fuyiez vers la mort, pâles anachorètes ! 6+6 a
75 Pour que nul œil humain ne vous revît jamais, 6+6 b
Vous montiez çà et là sur d'inféconds sommets, 6+6 b
Et, confiant votre âme aux souffles des orages, 6+6 a
Laissiez dormir vos os dans les antres sauvages ; 6+6 a
Ou parfois, en songeant, sur le sable embrasé, 6+6 b
80 Que tout lien charnel ne s'était pas brisé, 6+6 b
Que le siècle quitté recevait vos hommages, 6+6 a
Qu'un tourbillon lointain de vivantes images 6+6 a
D'un monde trop aimé repeuplait votre cœur, 6+6 b
Que le ciel reculait, que l'homme était vainqueur ; 6+6 b
85 Troublant de vos sanglots l'implacable étendue, 6+6 a
Vous déchiriez vos flancs d'une main éperdue, 6+6 a
Vous rougissiez le sol du sang des repentirs ; 6+6 b
Et le désert, blanchi d'ossements de martyrs, 6+6 b
Écoutant ses lions remuer vos reliques, 6+6 a
90 S'emplissait dans la nuit de visions bibliques. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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