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| = césure
LEC_1/LEC72
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES BARBARES
1862
A l'Italie
C'est la marque et la loi du monde périssable 6+6 a
Que rien de grand n'assied, avec tranquillité, 6+6 b
Sur un faite éternel sa fortune immuable. 6+6 a
Mais, homme ou nation, nul n'est si haut porté 6+6 b
5 Oui ne puisse, au plus bas des chutes magnanimes, 6+6 c
Donner un mâle exemple à la postérité. 6+6 b
Toi qui, du passé sombre illuminant les cimes, 6+6 c
Emportais l'âme humaine en ton divin essor, 6+6 a
O fille du soleil, mère d'enfants sublimes ! 6+6 c
10 Martyre au sein meurtri, qui palpites encor, 6+6 a
Toi qui tends vers des cieux muets et sans mémoire, 6+6 b
Dans un sanglot sans fin, Muse, tes lèvres d'or ! 6+6 a
Souviens-toi de ces jours sacrés de ton histoire 6+6 b
Où tu menais le chœur des peuples inhumains 6+6 c
15 De leur ombre sinistre à ton midi de gloire ; 6+6 b
Où la vie ample et forte emplissait tes chemins, 6+6 c
Où tu faisais jaillir de la terre sonore 6+6 a
D'éclatantes cités écloses sous tes mains ; 6+6 c
Où le vieil Orient, baigné par ton aurore, 6+6 a
20 Comme ses rois anciens au berceau de ton Dieu, 6+6 b
Faisait fumer l'encens à tes pieds qu'il adore ; 6+6 a
Où, le cœur débordant de passions en feu, 6+6 b
D'Hellas, morte à jamais, tu consolais le monde ; 6+6 c
Où tu courais, versant ta lumière en tout lieu ! 6+6 b
25 Oh ! comme tu nageais, jeune, ardente et féconde, 6+6 c
Dans ces flots immortels chers à la volupté ! 6+6 a
Comme tu fleurissais sur la neige de l'onde ! 6+6 c
Les peuples abondaient autour de ta beauté, 6+6 a
Pleins d'amour, allumant leur pensée à tes flammes, 6+6 b
30 Emportant ton parfum qui leur était resté ! 6+6 a
Comme ils ont écouté tes mille épithalames ! 6+6 b
Comme ils ont salué ce long enfantement, 6+6 c
Cet essaim glorieux de magnifiques âmes ! 6+6 b
Et comme tu disais impérissablement, 6+6 c
35 Sur des modes nouveaux, à la terre charmée, 6+6 a
T'élançant de l'Enfer jusques au firmament, 6+6 c
Des forêts de la Gaule aux sables d'idumée, 6+6 a
Les Anges, les damnés et les pieux combats 6+6 b
Et la tombe d'un Dieu de tes chants embaumée ! 6+6 a
40 Les siècles t'ont connue ; ils ne t'oublîront pas ! 6+6 b
Depuis la sainte Hellas, où donc est la rivale 6+6 c
Qui marqua comme toi l'empreinte de ses pas ? 6+6 b
Ah ! les destins t'ont fait une part sans égale ! 6+6 c
Vois ! dix siècles durant, des vieux soleils au tien, 6+6 a
45 La nuit silencieuse emplit tout l'intervalle ! 6+6 c
Et des esprits sacrés mystérieux lien, 6+6 a
Colombe, tu portais sur l'onde universelle 6+6 b
Le rameau d'olivier à l'univers ancien ! 6+6 a
Qui donc a su tenir, d'une puissance telle, 6+6 b
50 Trempé dans le soleil, ou plus proche des cieux, 6+6 c
Le pinceau rayonnant et la lyre immortelle ? 6+6 b
Abeille ! qui n'a bu ton miel délicieux ? 6+6 c
Reine ! qui n'a couvert tes pieds d'artiste et d'ange, 6+6 a
Dans un transport sacré, de ses baisers pieux ? 6+6 c
55 Mais puisque sur ce globe où tout s'écroule et change, 6+6 a
Vivante, tu tombas de ce faîte si beau, 6+6 b
Est-ce un gémissement qui lavera ta fange ? 6+6 a
Du jour où le Barbare, éteignant ton flambeau, 6+6 b
Ivre de ta beauté, sourd à ton agonie, 6+6 c
60 T'enferma dans l'opprobre ainsi qu'en un tombeau, 6+6 b
Bercés aux longs accents de ta plainte infinie, 6+6 c
Les peuples se sont fait un charme de tes pleurs, 6+6 a
Tant ta misère auguste est sœur de ton génie ! 6+6 c
Tant tu leur as chanté, dans tes belles douleurs, 6+6 a
65 Le cantique éternel des races flagellées, 6+6 b
Tant l'épine à ton front s'épanouit en fleurs ! 6+6 a
Fais silence, Victime aux hymnes désolées ! 6+6 b
Le silence convient aux sublimes revers, 6+6 c
Et l'angoisse terrible a les lèvres scellées ! 6+6 b
70 Farouche, le front pâle et les yeux grands ouverts, 6+6 c
Laisse se lamenter les nations serviles ; 6+6 a
Sois comme une épouvante au sceptique univers ! 6+6 c
Qu'il dise, contemplant de loin tes mornes villes, 6+6 a
Et tes temples muets, et ton sol infécond, 6+6 b
75 Et toi, tes longs cheveux souillés de cendres viles : 6+6 a
— Elle couve son mal en un repos profond ; 6+6 b
Elle ne pleure plus comme un troupeau d'esclaves ; 6+6 c
Et le fouet siffle et mord, et rien ne lui répond ! — 6+6 b
Mais plutôt, Italie ! ô nourrice des braves ! 6+6 c
80 Sous ce même soleil qui féconda tes flancs, 6+6 a
Ne gis plus, le cœur sombre et les bras lourds d'entraves. 6+6 c
De tes plus nobles fils les fantômes sanglants 6+6 a
Assiègent ton sommeil d'impérissables haines, 6+6 b
Et tu songes tout bas : Les dieux vengeurs sont lents ! 6+6 a
85 Les dieux vengeurs sont morts. Sèche tes larmes vaines ; 6+6 b
Ouvre le réservoir des outrages soufferts, 6+6 c
Verse les flots stagnants qui dorment dans tes veines. 6+6 b
Hérisse de fureur tes cheveux par les airs, 6+6 c
Reprends l'ongle et la dent de la louve du Tibre, 6+6 a
90 Et pousse un cri suprême en secouant tes fers. 6+6 c
Debout ! debout ! Agis ! Sois vivante, sois libre ! 6+6 a
Quoi ! l'oppresseur stupide aux triomphants hourras 6+6 b
Respire encor ton air qui parfume et qui vibre ! 6+6 a
Tu t'es sentie infâme, ô Vierge, entre ses bras ! 6+6 b
95 Il ronge ton beau front de son impure écume, 6+6 c
Et tu subis son crime, et tu le subiras ! 6+6 b
Ah ! par ton propre sang, ton noble sang qui fume, 6+6 c
Par tes siècles d'opprobre et d'angoisses sans fin, 6+6 a
Par tant de honte bue avec tant d'amertume ; 6+6 c
100 Par pitié pour tes fils suppliciés en vain, 6+6 a
Par ta chair maculée et ton âme avilie, 6+6 b
Par respect pour l'histoire et ton passé divin ; 6+6 a
Si tu ne peux revivre, et si le ciel t'oublie, 6+6 b
Donne à la liberté ton suprême soupir : 6+6 c
105 Lève-toi, lève-toi, magnanime Italie ! 6+6 b
C'est l'heure du combat, c'est l'heure de mourir, 6+6 c
Et de voir, au bûcher de tes villes désertes, 6+6 a
De ton dernier regard la vengeance accourir ! 6+6 c
Car peut-être qu'alors, sourde aux plaintes inertes, 6+6 a
110 Mais frappée en plein cœur d'un cri mâle jeté, 6+6 b
La France te viendra, les deux ailes ouvertes, 6+6 a
Par la route de l'aigle et de la Liberté ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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