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| = césure
LEC_1/LEC35
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES BARBARES
1862
La Ravine Saint-Gilles
La gorge est pleine d'ombre où, sous les bambous grêles, 6+6 a
Le soleil au zénith n'a jamais resplendi, 6+6 b
Où les filtrations des sources naturelles 6+6 a
S'unissent au silence enflammé de midi. 6+6 b
5 De la lave durcie aux fissures moussues, 6+6 a
Au travers des lichens l'eau tombe en ruisselant, 6+6 b
S'y perd, et, se creusant de soudaines issues, 6+6 a
Germe et circule au fond parmi le gravier blanc. 6+6 b
Un bassin aux reflets d'un bleu noir y repose, 6+6 a
10 Morne et glacé, tandis que, le long des blocs lourds, 6+6 b
La liane en treillis suspend sa cloche rose, 6+6 a
Entre d'épais gazons aux touffes de velours. 6+6 b
Sur les rebords saillants où le cactus éclate, 6+6 a
Errant des vétivers aux aloès fleuris, 6+6 b
15 Le cardinal, vêtu de sa plume écarlate, 6+6 a
En leurs nids cotonneux trouble les colibris. 6+6 b
Les martins au bec jaune et les vertes perruches, 6+6 a
Du haut des pics aigus, regardent l'eau dormir ; 6+6 b
Et, dans un rayon vif, autour des noires ruches, 6+6 a
20 On entend un vol d'or tournoyer et frémir. 6+6 b
Soufflant leur vapeur chaude au-dessus des arbustes, 6+6 a
Suspendus au sentier d'herbe rude entravé, 6+6 b
Des bœufs de Tamatave, indolents et robustes, 6+6 a
Hument l'air du ravin que l'eau vive a lavé ; 6+6 b
25 Et les grands papillons aux ailes magnifiques, 6+6 a
La rose sauterelle, en ses bonds familiers, 6+6 b
Sur leur bosse calleuse et leurs reins pacifiques 6+6 a
Sans peur du fouet velu se posent par milliers. 6+6 b
A la pente du roc que la flamme pénètre, 6+6 a
30 Le lézard souple et long s'enivre de sommeil, 6+6 b
Et, par instants, saisi d'un frisson de bien-être, 6+6 a
Il agite son dos d'émeraude au soleil. 6+6 b
Sous les réduits de mousse où les cailles replètes 6+6 a
De la chaude savane évitent les ardeurs, 6+6 b
35 Glissant sur le velours de leurs pattes discrètes, 6+6 a
L'œil mi-clos de désir, rampent les chats rôdeurs. 6+6 b
Et quelque Noir, assis sur un quartier de lave, 6+6 a
Gardien des bœufs épars paissant l'herbage amer, 6+6 b
Un haillon rouge aux reins, fredonne un air saklave, 6+6 a
40 Et songe à la grande Île en regardant la mer. 6+6 b
Ainsi, sur les deux bords de la gorge profonde, 6+6 a
Rayonne, chante et rêve, en un même moment, 6+6 b
Toute forme vivante et qui fourmille au monde ; 6+6 a
Mais formes, sons, couleurs, s'arrêtent brusquement. 6+6 b
45 Plus bas, tout est muet et noir au sein du gouffre, 6+6 a
Depuis que la montagne, en émergeant des flots, 6+6 b
Rugissante, et par jets de granit et de soufre, 6+6 a
Se figea dans le ciel et connut le repos. 6+6 b
A peine une échappée, étincelante et bleue, 6+6 a
50 Laisse-t-elle entrevoir, en un pan du ciel pur, 6+6 b
Vers Rodrigue ou Ceylan le vol des paille-en-queue, 6+6 a
Comme un flocon de neige égaré dans l'azur. 6+6 b
Hors ce point lumineux qui sur l'onde palpite, 6+6 a
La ravine s'endort dans l'immobile nuit ; 6+6 b
55 Et quand un roc miné d'en haut s'y précipite, 6+6 a
Il n'éveille pas même un écho de son bruit. 6+6 b
Pour qui sait pénétrer, Nature, dans tes voies, 6+6 a
L'illusion t'enserre et ta surface ment : 6+6 b
Au fond de tes fureurs, comme au fond de tes joies, 6+6 a
60 Ta force est sans ivresse et sans emportement. 6+6 b
Tel, parmi les sanglots, les rires et les haines, 6+6 a
Heureux qui porte en soi, d'indifférence empli, 6+6 b
Un impassible cœur sourd aux rumeurs humaines, 6+6 a
Un gouffre inviolé de silence et d'oubli ! 6+6 b
65 La vie a beau frémir autour de ce cœur morne, 6+6 a
Muet comme un ascète absorbé par son Dieu ; 6+6 b
Tout roule sans écho dans son ombre sans borne, 6+6 a
Et rien n'y luit du ciel, hormis un trait de feu. 6+6 b
Mais ce peu de lumière à ce néant fidèle, 6+6 a
70 C'est le reflet perdu des espaces meilleurs ! 6+6 b
C'est ton rapide éclair, Espérance éternelle, 6+6 a
Qui l'éveille en sa tombe et le convie ailleurs ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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