Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LEC_1/LEC33
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES BARBARES
1862
La Fontaine aux Lianes
Comme le flot des mers ondulant vers les plages, 6+6 a
O bois, vous déroulez, pleins d'arôme et de nids, 6+6 b
Dans l'air splendide et bleu, vos houles de feuillages ; 6+6 a
Vous êtes toujours vieux et toujours rajeunis. 6+6 b
5 Le temps a respecté, rois aux longues années, 6+6 a
Vos grands fronts couronnés de lianes d'argent ; 6+6 b
Nul pied ne foulera vos feuilles non fanées : 6+6 a
Vous verrez passer l'homme et le monde changeant. 6+6 b
Vous inclinez d'en haut, au penchant des ravines, 6+6 a
10 Vos rameaux lents et lourds qu'ont brûlés les éclairs ; 6+6 b
Qu'il est doux, le repos de vos ombres divines, 6+6 a
Aux soupirs de la brise, aux chansons des flots clairs ! 6+6 b
Le soleil de midi fait palpiter vos sèves ; 6+6 a
Vous siégez, revêtus de sa pourpre, et sans voix ; 6+6 b
15 Mais la nuit, épanchant la rosée et les rêves, 6+6 a
Apaise et fait chanter les âmes et les bois. 6+6 b
Par delà les verdeurs des zones maternelles 6+6 a
Où vous poussez d'un jet vos troncs inébranlés, 6+6 b
Seules, plus près du ciel, les neiges éternelles 6+6 a
20 Couvrent de leurs plis blancs les pics immaculés. 6+6 b
O bois natals, j'errais sous vos larges ramures ; 6+6 a
L'aube aux flancs noirs des monts marchait d'un pied vermeil 6+6 b
La mer avec lenteur éveillait ses murmures, 6+6 a
Et de tout œil vivant fuyait le doux sommeil. 6+6 b
25 Au bord des nids, ouvrant ses ailes longtemps closes, 6+6 a
L'oiseau disait le jour avec un chant plus frais 6+6 b
Que la source agitant les verts buissons de roses, 6+6 a
Que le rire amoureux du vent dans les forêts. 6+6 b
Les abeilles sortaient des ruches naturelles 6+6 a
30 Et par essaims vibraient au soleil matinal ; 6+6 b
Et, livrant le trésor de leurs corolles frêles, 6+6 a
Chaque fleur répandait sa goutte de cristal. 6+6 b
Et le ciel descendait dans les claires rosées 6+6 a
Dont la montagne bleue au loin étincelait ; 6+6 b
35 Un mol encens fumait des plantes arrosées 6+6 a
Vers la sainte nature à qui mon cœur parlait. 6+6 b
Au fond des bois baignés d'une vapeur céleste, 6+6 a
Il était une eau vive où rien ne remuait ; 6+6 b
Quelques joncs verts, gardiens de la fontaine agreste, 6+6 a
40 S'y penchaient au hasard en un groupe muet. 6+6 b
Les larges nénuphars, les lianes errantes, 6+6 a
Blancs archipels, flottaient enlacés sur les eaux, 6+6 b
Et dans leurs profondeurs vives et transparentes 6+6 a
Brillait un autre ciel où nageaient les oiseaux. 6+6 b
45 O fraîcheur des forêts, sérénité première, 6+6 a
O vents qui caressiez les feuillages chanteurs, 6+6 b
Fontaine aux flots heureux où jouait la lumière, 6+6 a
Éden épanoui sur les vertes hauteurs ! 6+6 b
Salut, ô douce paix, et vous, pures haleines, 6+6 a
50 Et vous qui descendiez du ciel et des rameaux, 6+6 b
Repos du cœur, oubli de la joie et des peines ! 6+6 a
Salut ! ô sanctuaire interdit à nos maux ! 6+6 b
Et, sous le dôme épais de la forêt profonde, 6+6 a
Aux réduits du lac bleu dans les bois épanché, 6+6 b
55 Dormait, enveloppé du suaire de l'onde, 6+6 a
Un mort, les yeux au ciel, sur le sable couché. 6+6 b
Il ne sommeillait pas, calme comme Ophélie, 6+6 a
Et souriant comme elle, et les bras sur le sein ; 6+6 b
Il était de ces morts que bientôt on oublie ; 6+6 a
60 Pâle et triste, il songeait au fond du clair bassin. 6+6 b
La tête au dur regard reposait sur la pierre ; 6+6 a
Aux replis de la joue où le sable brillait, 6+6 b
On eût dit que des pleurs tombaient de la paupière 6+6 a
Et que le cœur encor par instants tressaillait. 6+6 b
65 Sur les lèvres errait la sombre inquiétude. 6+6 a
Immobile, attentif, il semblait écouter 6+6 b
Si quelque pas humain, troublant la solitude, 6+6 a
De son suprême asile allait le rejeter. 6+6 b
Jeune homme, qui choisis pour ta couche azurée 6+6 a
70 La fontaine des bois aux flots silencieux, 6+6 b
Nul ne sait la liqueur qui te fut mesurée 6+6 a
Au calice éternel des esprits soucieux. 6+6 b
De quelles passions ta jeunesse assaillie 6+6 a
Vint-elle ici chercher le repos dans la mort ? 6+6 b
75 Ton âme à son départ ne fut pas recueillie, 6+6 a
Et la vie a laissé sur ton front un remord. 6+6 b
Pourquoi jusqu'au tombeau cette tristesse amère ? 6+6 a
Ce cœur s'est-il brisé pour avoir trop aimé ? 6+6 b
La blanche illusion, l'espérance éphémère 6+6 a
80 En s'envolant au ciel l'ont-elles vu fermé ? 6+6 b
Tu n'es pas né sans doute au bord des mers dorées, 6+6 a
Et tu n'as pas grandi sous les divins palmiers ; 6+6 b
Mais l'avare soleil des lointaines contrées 6+6 a
N'a pas mûri la fleur de tes songes premiers. 6+6 b
85 A l'heure où de ton sein la flamme fut ravie, 6+6 a
O jeune homme qui vins dormir en ces beaux lieux, 6+6 b
Une image divine et toujours poursuivie, 6+6 a
Un ciel mélancolique ont passé dans tes yeux. 6+6 b
Si ton âme ici-bas n'a point brisé sa chaîne, 6+6 a
90 Si la source au flot pur n'a point lavé tes pleurs, 6+6 b
Si tu ne peux partir pour l'étoile prochaine, 6+6 a
Reste, épuise la vie et tes chères douleurs ! 6+6 b
Puis, ô pâle étranger, dans ta fosse bleuâtre, 6+6 a
Libre des maux soufferts et d'une ombre voilé, 6+6 b
95 Que la nature au moins ne te soit point marâtre ! 6+6 a
Repose entre ses bras, paisible et consolé. 6+6 b
Tel je songeais. Les bois, sous leur ombre odorante, 6+6 a
Épanchant un concert que rien ne peut tarir, 6+6 b
Sans m'écouter, berçaient leur gloire indifférente, 6+6 a
100 Ignorant que l'on souffre et qu'on puisse en mourir. 6+6 b
La fontaine limpide, en sa splendeur native, 6+6 a
Réfléchissait toujours les cieux de flamme emplis, 6+6 b
Et sur ce triste front nulle haleine plaintive 6+6 a
De flots riants et purs ne vint rider les plis. 6+6 b
105 Sur les blancs nénuphars l'oiseau ployant ses ailes 6+6 a
Buvait de son bec rose en ce bassin charmant, 6+6 b
Et, sans penser aux morts, tout couvert d'étincelles, 6+6 a
Volait sécher sa plume au tiède firmament. 6+6 b
La nature se rit des souffrances humaines ; 6+6 a
110 Ne contemplant jamais que sa propre grandeur, 6+6 b
Elle dispense à tous ses forces souveraines 6+6 a
Et garde pour sa part le calme et la splendeur. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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