Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LEC_1/LEC21
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES BARBARES
1862
Nurmahal
A l'ombre des rosiersde sa frche terrasse, 6+6 a
Sous l'ample mousselineaux filigranes d'or, 6+6 b
Djihan-Guîr, fils d'Akbar,et le chef de sa race, 6+6 a
Est assis sur la tourqui regarde Lahor. 6+6 b
5 Deux Umrahs sont deboutet muets, en arrière. 6+6 a
Chacun d'eux, immobileen ses flottants habits, 6+6 b
L'œil fixe et le front haut,tient d'une main guerrière 6+6 a
Le sabre d'acier matau pommeau de rubis. 6+6 b
Djihan-Guîr est assis,rêveur et les yeux graves. 6+6 a
10 Le soleil le revêtd'éclatantes couleurs ; 6+6 b
Et le souffle du soir,chargé d'odeurs suaves, 6+6 a
Soulève jusqu'à luil'âme errante des fleurs. 6+6 b
Il caresse sa barbe,et contemple en silence 6+6 a
Le sol des Aryasconquis par ses aïeux, 6+6 b
15 Sa ville impériale,et l'horizon immense, 6+6 a
Et le profil des montssur la pourpre des cieux. 6+6 b
La terre merveilleuse germe l'émeraude 6+6 a
Et qui s'épanouitsous un dais de saphir, 6+6 b
Dans sa sérénitéresplendissante et chaude, 6+6 a
20 Pour saluer son mtreexhale un long soupir. 6+6 b
Un tourbillon légerde cavaliers Mahrattes 6+6 a
Roule sous les figuiersrougis par les fruits mûrs ; 6+6 b
Des éléphants, vêtusde housses écarlates, 6+6 a
Viennent de boire au fleuve,et rentrent dans les murs. 6+6 b
25 Aux carrefours l'œilde Djihan-Guîr s'égare, 6+6 a
Passe, auprès des Çudrâsau haillon indigent, 6+6 b
Le Brahmane trnépar les bœufs de Nagare, 6+6 a
Dont le poil est de neigeet la corne d'argent. 6+6 b
En leurs chariots basviennent les courtisanes, 6+6 a
30 Les cils teints de çurma,la main sous le menton ; 6+6 b
Et les fakirs, chantantles légendes persanes 6+6 a
Sur la citrouille sècheaux trois fils de laiton. 6+6 b
Là, les riches Babous,assis sous les varangues, 6+6 a
Fument des hûkas pleinsd'épices et d'odeurs, 6+6 b
35 Ou mangent le raisin,la pistache et les mangues 6+6 a
Tandis que les Çaïsveillent les chiens rôdeurs. 6+6 b
Et de noirs cavaliersaux blanches draperies 6+6 a
Escortent, au traversde la foule, à pas lents, 6+6 b
Sous le cône du daisbrodé de pierreries, 6+6 a
40 Le palankin dorédes Radjahs indolents. 6+6 b
Bercé des mille bruitsque la nuit proche apaise, 6+6 a
De son peuple innombrableet du monde oublieux, 6+6 b
Djihan-Guîr reste morne,et sa gloire lui pèse ; 6+6 a
Une larme furtiveerre au bord de ses yeux. 6+6 b
45 Des djungles du Pendj-Abaux sables du Karnate, 6+6 a
Il a pris dans son ombreun empire soumis 6+6 b
Et gravé le Koransur le marbre et l'agate ; 6+6 a
Mais, son âme est en proieaux songes ennemis. 6+6 b
Il n'aime plus l'éclairde la lance et du sabre, 6+6 a
50 Ni, d'une ardente écumeinondant l'or du frein, 6+6 b
Sa cavale à l'œil bleuqui hennit et se cabre 6+6 a
Au cliquetis vibrantdes cymbales d'airain ; 6+6 b
Il n'aime plus le rireharmonieux des femmes ; 6+6 a
La perle de Lankacharge son front lassé ; 6+6 b
55 Que le soleil éteigneou rallume ses flammes, 6+6 a
Le Roi du monde est triste,un désir l'a blessé. 6+6 b
Une vision luitdans son cœur, et le brûle ; 6+6 a
Mais du mal qu'il endureil ne craint que l'oubli : 6+6 b
Tous les biens qu'à ses piedsle destin accumule 6+6 a
60 Ne valent plus pour luice songe inaccompli. 6+6 b
Les constellationséclatent aux nuées ; 6+6 a
Le fleuve, entre ses bordsque hérissent les joncs, 6+6 b
Réfléchit dans ses eauxlentement remuées 6+6 a
La pagode aux toits lourdset les minarets longs. 6+6 b
65 Mais voici que, du seindes massifs pleins d'arôme 6+6 a
Et de l'ombre déjàle regard plonge en vain, 6+6 b
Une voix de cristalmonte de dôme en dôme 6+6 a
Comme un chant des hûrisdu Chamelier divin. 6+6 b
Jeune, éclatante et pure,elle emplit l'air nocturne, 6+6 a
70 Elle coule à flots d'or,retombe et s'amollit, 6+6 b
Comme l'eau des bassinsqui, jaillissant de l'urne, 6+6 a
Grandit, plane, et s'égrèneen perles dans son lit. 6+6 b
Et Djihan-Guîr écoute.Un charme l'enveloppe. 6+6 a
Son cœur tressaille et bat,et son œil sombre a lui : 6+6 b
75 Le tigre népâlaisqui flaire l'antilope 6+6 a
Sent de même un frissond'aise courir en lui. 6+6 b
Jamais, sous les berceauxque le jasmin parfume, 6+6 a
Aux roucoulements douxet lents des verts ramiers, 6+6 b
Quand le hûka royalen pétillant s'allume 6+6 a
80 Et suspend sa vapeuraux branches des palmiers ; 6+6 b
Quand l'essaim tournoyantdes Lall-Bibis s'enlace 6+6 a
Comme un souple pythonaux anneaux constellés ; 6+6 b
Quand la plus belle enfin,voluptueuse et lasse, 6+6 a
Vient tomber à ses pieds,pâle et les yeux troublés : 6+6 b
85 Jamais, au bercementdes chants et des caresses, 6+6 a
Baigné d'ardents parfums,d'amour et de langueur, 6+6 b
Djihan-Guîr n'a sentide plus riches ivresses 6+6 a
Telles qu'un flot de pourpreinonder tout son cœur. 6+6 b
Qui chante ainsi ? La nuita calmé les feuillages, 6+6 a
90 La tourterelle dorten son nid de çantal, 6+6 b
Et la Péri rayonneaux franges des nuages… 6+6 a
Cette voix est la tienne,ô blanche Nurmahal ! 6+6 b
Les grands tamarinierst'abritent de leurs ombres ; 6+6 a
Et, couchée à demisur tes soyeux coussins, 6+6 b
95 Libre dans ces beaux lieuxsolitaires et sombres, 6+6 a
Tu troubles d'un pied nul'eau vive des bassins. 6+6 b
D'une main accoudée,heureuse en ta mollesse, 6+6 a
De l'haleine du soirtu fais ton éventail ; 6+6 b
La lune glisse au borddes feuilles et caresse 6+6 a
100 D'un féerique baiserta bouche de corail. 6+6 b
Tu chantes Leïlah,la vierge aux belles joues, 6+6 a
Celle dont l'œil de jaisblessa le cœur d'un roi ; 6+6 b
Mais tandis qu'en chantanttu rêves et te joues, 6+6 a
Un autre cœur s'enflammeet se penche vers toi. 6+6 b
105 O Persane, pourquoit'égarer sous les arbres 6+6 a
Et répandre ces sonsvoluptueux et doux ? 6+6 b
Pourquoi courber ton frontsur la frcheur des marbres ? 6+6 a
Nurmahal, Nurmahal, donc est ton époux ? 6+6 b
Ali-Khan est parti,la guerre le réclame ; 6+6 a
110 Son trésor le plus cheren ces lieux est resté : 6+6 b
Mais le nom du Prophète,incrusté sur sa lame, 6+6 a
Garantit son retouret ta fidélité. 6+6 b
Car jusques au tombeautu lui seras fidèle, 6+6 a
Femme ! tu l'as jurédans vos adieux derniers ; 6+6 b
115 Et, pour aiguillonnerl'heure qui n'a plus d'aile, 6+6 a
Tu chantes Leïlahsous les tamariniers. 6+6 b
Tais-toi. L'âpre parfumdes amoureuses fièvres 6+6 a
Se mêle avec ton souffleà l'air tiède du soir. 6+6 b
C'est un signal de mortqui tombe de tes lèvres… 6+6 a
120 Djihan-Guîr pour l'entendreest venu là s'asseoir. 6+6 b
Au fond du harem frais,au mol éclat des lampes, 6+6 a
Laisse plutôt la gazeen ses plis caressants 6+6 b
Enclore tes cheveuxdénoués sur tes tempes, 6+6 a
Ouvre plutôt ton cœuraux songes innocents. 6+6 b
125 Un implacable amourplane d'en haut et gronde 6+6 a
Autour de toi, dans l'airfatal tu te plais. 6+6 b
Ne sois pas Nurdjéham,la lumière du monde ! 6+6 a
Sois toujours Nurmahal,l'étoile du palais ! 6+6 b
Mais va ! ta destinéeau ciel même est écrite. 6+6 a
130 Les jours se sont enfuis.Sous les arbres épais 6+6 b
Tu ne chanteras plusta chanson favorite ; 6+6 a
Djihan-Guîr sur sa tourne reviendra jamais. 6+6 b
Maintenant les saphirset les diamants roses 6+6 a
S'ouvrent en fleurs de flammeautour de ta beauté 6+6 b
135 Et constellent la soieet l'or tu reposes 6+6 a
Sous le dôme royalde ton palais d'été. 6+6 b
Deux rançons de radjahpendent à tes oreilles ; 6+6 a
Golkund et Viçapurruissellent de ton col ; 6+6 b
Tu sièges, ô Persane,au milieu des merveilles, 6+6 a
140 Auprès du fils d'Akbar,sur le trône mongol. 6+6 b
Et la maison d'Alidésormais est déserte. 6+6 a
Les jets d'eau se sont tusdans les marbres taris. 6+6 b
Plus de gais serviteurssous la varangue ouverte, 6+6 a
Plus de paons familierssous les berceaux flétris ! 6+6 b
145 Tout est vide et muet.La ronce et l'herbe épaisses 6+6 a
Hérissent les jardins le reptile dort. 6+6 b
Mais Nurmahal n'a pointparjuré ses promesses ; 6+6 a
Nurmahal peut régner,puisque Ali-Khan est mort ! 6+6 b
A travers le ciel purdes nuits silencieuses, 6+6 a
150 Sur les ailes du rêveil revenait vainqueur, 6+6 b
Et ton nom s'échappaitde ses lèvres joyeuses, 6+6 a
Quand le fer de la haineest entré dans son cœur. 6+6 b
Gloire à qui, comme toi,plus forte que l'épreuve, 6+6 a
Et jusqu'au bout fidèleà son époux vivant, 6+6 b
155 Par un coup de poignardà la fois reine et veuve, 6+6 a
Dédaigne de trahiret tue auparavant ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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