Métrique en Ligne
a voyelle stable
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e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LEC_1/LEC1
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES BARBARES
1862
QAÏN
En la trentième année,au siècle de l'épreuve, 6+6 a
Étant captif parmiles cavaliers d'Assur, 6+6 b
Thogorma, le Voyant,fils d'Élam, fils de Thur, 6+6 b
Eut ce rêve, couchédans les roseaux du fleuve, 6+6 a
5 A l'heure le soleilblanchit l'herbe et le mur. 6+6 b
Depuis que le ChasseurIahvèh, qui terrasse 6+6 a
Les forts et de leur chairnourrit l'aigle et le chien, 6+6 b
Avait lié son peupleau joug assyrien, 6+6 b
Tous, se rasant les poilsdu crâne et de la face, 6+6 a
10 Stupides, s'étaient tuset n'entendaient plus rien. 6+6 b
Ployés sous le fardeaudes misères accrues, 6+6 a
Dans la faim, dans la soif,dans l'épouvante assis, 6+6 b
Ils revoyaient leurs mursécroulés et noircis, 6+6 b
Et, comme aux crocs publicspendent les viandes crues, 6+6 a
15 Leurs princes aux gibetsdes Rois incirconcis- 6+6 b
Le pied de l'infidèleappuyé sur la nuque 6+6 a
Des vaillants, le saint temple priaient les aïeux 6+6 b
Souillé, vide, fumant,effondré par les pieux, 6+6 b
Et les vierges en pleurssous le fouet de l'eunuque, 6+6 a
20 Et le sombre Iahvèhmuet au fond des cieux. 6+6 b
Or, laissant, ce jour-là,près des mornes aïeules 6+6 a
Et des enfants couchésdans les nattes de cuir, 6+6 b
Les femmes aux yeux noirsde sa tribu gémir, 6+6 b
Le fils d'Élam, meurtripar la sangle des meules, 6+6 a
25 Le long du grand Khobarse coucha pour dormir. 6+6 b
Les bandes d'étalons,par la plaine inondée 6+6 a
De lumière, gisaientsous le dattier roussi, 6+6 b
Et les taureaux, et lesdromadaires aussi, 6−6 b
Avec les chameliersd'Iran et de Khaldée. 6+6 a
30 Thogorma, le Voyant,eut ce rêve. Voici : 6+6 b
C'était un soir des tempsmystérieux du monde, 6+6 a
Alors que du midijusqu'au septentrion 6+6 b
Toute vigueur grondaiten pleine éruption, 6+6 b
L'arbre, le roc, la fleur,l'homme et la bête immonde, 6+6 a
35 Et que Dieu haletaitdans sa création. 6+6 b
C'était un soir des temps.Par monceaux, les nuées, 6+6 a
Émergeant de la cuveardente de la mer, 6+6 b
Tantôt, comme des blocsd'airain, pendaient dans l'air ; 6+6 b
Tantôt, d'un tourbillonvéhément remuées, 6+6 a
40 Hurlantes, s'écroulaienten un immense éclair. 6+6 b
Vers le couchant rayéd'écarlate, un œil louche 6+6 a
Et rouge s'enfonçaitdans les écumes d'or, 6+6 b
Tandis qu'à l'orient,l'âpre Gelboé-hor, 6+6 b
De la racine au fteéclatant et farouche, 6+6 a
45 Flambait, bûcher funèbre le sang coule encor. 6+6 b
Et loin, plus loin, là-bas,le sable aux dunes noires, 6+6 a
Plein du cri des chacalset du renâclement 6+6 b
De l'onagre, et parfoistraversé brusquement 6+6 b
Par quelque monstre épaisqui grinçait des mâchoires 6+6 a
50 Et laissait après luicomme un ébranlement. 6+6 b
Mais derrière le hautGelboé-hor, chargées 6+6 a
D'un livide brouillardchaud des fauves odeurs 6+6 b
Que répandent les ourset les lions grondeurs, 6+6 b
Ainsi que font les merspar les vents outragées, 6+6 a
55 On entendait râlerde vagues profondeurs. 6+6 b
Thogorma dans ses yeuxvit monter des murailles 6+6 a
De fer d' s'enroulaientdes spirales de tours 6+6 b
Et de palais cerclésd'airain sur des blocs lourds ; 6+6 b
Ruche énorme, géhenneaux lugubres entrailles 6+6 a
60 s'engouffraient les Forts,princes des anciens jours. 6+6 b
Ils s'en venaient de lamontagne et de la plaine, 6−6 a
Du fond des sombres boiset du désert sans fin, 6+6 b
Plus massifs que le cèdreet plus hauts que le pin, 6+6 b
Suants, échevelés,soufflant leur rude haleine 6+6 a
65 Avec leur bouche épaisseet rouge, et pleins de faim. 6+6 b
C'est ainsi qu'ils rentraient,l'ours velu des cavernes 6+6 a
A l'épaule, ou le cerf,ou le lion sanglant. 6+6 b
Et les femmes marchaient,géantes, d'un pas lent, 6+6 b
Sous les vases d'airainqu'emplit l'eau des citernes, 6+6 a
70 Graves, et les bras nus,et les mains sur le flanc. 6+6 b
Elles allaient, dardantleurs prunelles superbes, 6+6 a
Les seins droits, le col haut,dans la sérénité 6+6 b
Terrible de la forceet de la liberté, 6+6 b
Et posant tour à tourdans la ronce et les herbes 6+6 a
75 Leurs pieds fermes et blancsavec tranquillité. 6+6 b
Le vent respectueux,parmi leurs tresses sombres, 6+6 a
Sur leur nuque de marbreerrait en frémissant, 6+6 b
Tandis que les paroisdes rocs couleur de sang, 6+6 b
Comme de grands miroirssuspendus dans les ombres, 6+6 a
80 De la pourpre du soirbaignaient leur dos puissant. 6+6 b
Les ânes de Khamos,les vaches aux mamelles 6+6 a
Pesantes, les boucs noirs,les taureaux vagabonds 6+6 b
Se hâtaient, sous l'épieu,par files et par bonds ; 6+6 b
Et de grands chiens mordaientle jarret des chamelles ; 6+6 a
85 Et les portes criaienten tournant sur leurs gonds. 6+6 b
Et les éclats de rireet les chansons féroces 6+6 a
Mêlés aux beuglementslugubres des troupeaux, 6+6 b
Tels que le bruit des rocssecoués par les eaux, 6+6 b
Montaient jusques aux tours, le poing sur leurs crosses, 6+6 a
90 Des vieillards regardaient,dans leurs robes de peaux ; 6+6 b
Spectres de qui la barbe,inondant leurs poitrines, 6+6 a
De son écume erranteargentait leurs bras roux, 6+6 b
Immobiles, de lourdscolliers de cuivre aux cous, 6+6 b
Et qui, d'en haut, dardaient,l'orgueil plein les narines, 6+6 a
95 Sur leur race des yeuxprofonds comme des trous. 6+6 b
Puis, quand tout, foule et bruitet poussière mouvante, 6+6 a
Eut disparu dans l'orbeimmense des remparts, 6+6 b
L'abîme de la nuitlaissa de toutes parts 6+6 b
Suinter la terreur vagueet sourdre l'épouvante 6+6 a
100 En un rauque soupirsous le ciel morne épars. 6+6 b
Et le Voyant sentitle poil de sa peau rude 6+6 a
Se hérisser tout droiten face de cela, 6+6 b
Car il connut, dans sonesprit, que c'était là 6−6 b
La Ville de l'angoisseet de la solitude, 6+6 a
105 Sépulcre de Qaïnau pays d'Hévila ; 6+6 b
Le lieu sombre , saignantdes pieds et des paupières, 6+6 a
Il dit à sa familleerrante : — Bâtissez 6+6 b
Ma tombe, car les tempsde vivre sont passés. 6+6 b
Couchez-moi, libre et seul,sur un monceau de pierres ; 6+6 a
110 Le Rôdeur veut dormir,il est las, c'est assez. 6+6 b
Gorges des monts déserts,régions inconnues 6+6 a
Aux vivants, vous m'avezvu fuir de l'aube au soir. 6+6 b
Je m'arrête, et voicique je me laisse choir. 6+6 b
Couchez-moi sur le dos,la face vers les nues, 6+6 a
115 Enfants de mon amouret de mon désespoir. 6+6 b
Que le soleil regardeet que l'eau du ciel lave 6+6 a
Le signe que la hainea creusé sur mon front ! 6+6 b
Ni les aigles, ni lesvautours ne mangeront 6−6 b
Ma chair, ni l'ombre aussine clora mon œil cave. 6+6 a
120 Autour de mon tombeaules lâches se tairont. 6+6 b
Mais le sanglot des vents,l'horreur des longues veilles, 6+6 a
Le râle de la soifet celui de la faim, 6+6 b
L'amertume d'hieret celle de demain, 6+6 b
Que l'angoisse du mondeemplisse mes oreilles 6+6 a
125 Et hurle dans mon cœurcomme un torrent sans frein ! — 6+6 b
Or, ils firent ainsi.Le formidable ouvrage 6+6 a
S'amoncela dans l'airdes aigles déserté. 6+6 b
L'Ancêtre se couchapar les siècles dompté, 6+6 b
Et, les yeux grands ouverts,dans l'azur ou l'orage, 6+6 a
130 La face au ciel, dormitselon sa volonté. 6+6 b
Hénokhia ! citémonstrueuse des Mâles, 6+6 a
Antre des Violents,citadelle des Forts, 6+6 b
Qui ne connus jamaisla peur ni le remords, 6+6 b
Telles du fils d'Élamfrémirent les chairs pâles, 6+6 a
135 Quand tu te redressasdu fond des siècles morts. 6+6 b
Abîme , loin des cieuxaventurant son aile, 6+6 a
L'Ange vit la beautéde la femme et l'aima, 6+6 b
le fruit qu'un divinadultère forma, 6+6 b
L'homme géant, brisala vulve maternelle, 6+6 a
140 Ton spectre emplit les yeuxdu Voyant Thogorma. 6+6 b
Il vit tes escalierspuissants bordés de torches 6+6 a
Hautes qui tournoyaient,rouges, au vent des soirs ; 6+6 b
Il entendit tes oursgronder, tes lions noirs 6+6 b
Rugir, liés de marcheen marche, et, sous tes porches, 6+6 a
145 Tes crocodiles geindreau fond des réservoirs ; 6+6 b
Et, de tous les recoinsde ta masse farouche, 6+6 a
Le souffle des dormeursdont l'œil ouvert reluit, 6+6 b
Tandis que çà et là,sinistres et sans bruit, 6+6 b
Quelques fantômes lents,se dressant sur leur couche, 6+6 a
150 Écoutaient murmurerles choses de la nuit. 6+6 b
Mais voici que du seindéchiré des ténèbres, 6+6 a
Des confins du désertcreusés en tourbillon, 6+6 b
Un Cavalier, sur unfurieux étalon, 6−6 b
Hagard, les poings roidis,plein de clameurs funèbres, 6+6 a
155 Accourut, franchissantle roc et le vallon. 6+6 b
Sa chevelure blême,en lanières épaisses, 6+6 a
Crépitait au traversde l'ombre horriblement ; 6+6 b
Et, derrière, en un rauqueet long bourdonnement, 6+6 b
Se déroulaient, selonla taille et les espèces, 6+6 a
160 Les bêtes de la terreet du haut firmament. 6+6 b
Aigles, lions et chiens,et les reptiles souples, 6+6 a
Et l'onagre et le loup,et l'ours et le vautour, 6+6 b
Et l'épais Béhémoth,rugueux comme une tour, 6+6 b
Maudissaient dans leur langue,en se ruant par couples, 6+6 a
165 Ta ville sombre, Hénokh !et pullulaient autour. 6+6 b
Mais dans leurs lits d'airaindormaient les fils des Anges. 6+6 a
Et le grand Cavalier,heurtant les murs, cria : 6+6 b
— Malheur à toi, monceaud'orgueil, Hénokhia ! 6+6 b
Ville du Vagabondrévolté dans ses langes, 6+6 a
170 Que le Jaloux, avantles temps, répudia ! 6+6 b
Sépulcre du Maudit,la vengeance est prochaine. 6+6 a
La mer se gonfle et gronde,et la bave des eaux 6+6 b
Bien au-dessus des montsva noyer les oiseaux. 6+6 b
L'exterminationsuprême se déchne, 6+6 a
175 Et du ciel qui s'effondrea rompu les sept sceaux. 6+6 b
La face du désertdira : Qu'est devenue 6+6 a
Hénokhia, semblableau Gelboé pierreux ? 6+6 b
Et l'aigle et le corbeauviendront, disant entre eux : 6+6 b
donc se dressait-elleautrefois sous la nue, 6+6 a
180 La Ville aux murs de ferdes géants vigoureux ? 6+6 b
Mais rien ne survivra,pas même ta poussière, 6+6 a
Pas même un de vos os,enfants du Meurtrier ! 6+6 b
Holà ! j'entends l'abîmeimpatient crier, 6+6 b
Et le gouffre t'attire,ô race carnassière 6+6 a
185 De Celui qui ne sutni fléchir ni prier ! 6+6 b
Qaïn, Qaïn, Qaïn !Dans la nuit sans aurore, 6+6 a
Dès le ventre d'Hévamaudit et condamné, 6+6 b
Malheur à toi par quile soleil nouveau-né 6+6 b
But, plein d'horreur, le sangqui fume et crie encore 6+6 a
190 Pour les siècles, au fondde ton cœur forcené ! 6+6 b
Malheur à toi, dormeursilencieux, chair vile, 6+6 a
Esprit que la vengeanceéternelle a sacré, 6+6 b
Toi qui n'as jamais cru,ni jamais espéré ! 6+6 b
Plus heureux le chien mortpourri hors de ta ville ! 6+6 a
195 Dans ton crime effroyableIahvèh t'a muré. — 6+6 b
Alors, au fte obscurde la cité rebelle, 6+6 a
Soulevant son dos largeet l'épaule et le front, 6+6 b
Se dressa lentement,sous l'injureet l'affront, 6+6 b
Le Géant qu'enfantapour la douleur nouvelle 6+6 a
200 Celle par qui les filsde l'homme périront. 6+6 b
Il se dressa deboutsur le lit granitique 6+6 a
, tranquille, depuisdix siècles révolus, 6+6 b
Il s'était endormipour ne s'éveiller plus ; 6+6 b
Puis il regarda l'ombreet le désert antique, 6+6 a
205 Et sur l'ampleur du seincroisa ses bras velus. 6+6 b
Sa barbe et ses cheveuxdérobaient son visage ; 6+6 a
Mais, sous l'épais sourcil,et luisant à travers, 6+6 b
Ses yeux, hantés d'un songeunique, et grands ouverts, 6+6 b
Contemplaient par delàl'horizon, d'âge en âge, 6+6 a
210 Les jours évanouiset le jeune univers. 6+6 b
Thogorma vit alorsla famille innombrable 6+6 a
Des fils d'Hénokh emplir,dans un fourmillement 6+6 b
Immense, palais, tourset murs, en un moment ; 6+6 b
Et, tous, ils regardaientl'Ancêtre vénérable, 6+6 a
215 Debout, et qui rêvaitsilencieusement. 6+6 b
Et les bêtes poussaientleurs hurlements de haine, 6+6 a
Et l'étalon, soufflantdu feu par les naseaux, 6+6 b
Broyait les vieux palmierscomme autant de roseaux, 6+6 b
Et le grand Cavaliergardien de la Géhenne 6+6 a
220 Mêlait sa clameur âpreaux cris des animaux. 6+6 b
Mais l'Homme violent,du sommet de son aire, 6+6 a
Tendit son bras noueuxdans la nuit, et voilà, 6+6 b
Plus haut que ce tumulteentier, comme il parla 6+6 b
D'une voix lente et graveet semblable au tonnerre, 6+6 a
225 Qui d'échos en échospar le désert roula : 6+6 b
— Qui me réveille ainsidans l'ombre sans issue 6+6 a
j'ai dormi dix foiscent ans, roide et glacé ? 6+6 b
Est-ce toi, premier cride la mort, qu'a poussé 6+6 b
Le Jeune Homme d'Hébronsous la lourde massue 6+6 a
230 Et les débris fumantsde l'autel renversé ? 6+6 b
Tais-toi, tais-toi, sanglot,qui montes jusqu'au fte 6+6 a
De ce sépulcre antique j'étais étendu ! 6+6 b
Dans mes nuits et mes joursje t'ai trop entendu. 6+6 b
Tais-toi, tais-toi, la choseirréparable est faite. 6+6 a
235 J'ai veillé si longtempsque le sommeil m'est dû. 6+6 b
Mais non ! Ce n'est point làta clameur séculaire, 6+6 a
Pâle enfant de la femme,inerte sur son sein ! 6+6 b
O victime, tu saisle sinistre dessein 6+6 b
D'Iahvèh m'aveuglantdu feu de sa colère. 6+6 a
240 L'iniquité divineest ton seul assassin. 6+6 b
Silence, ô Cavalierde la Géhenne ! O Bêtes 6+6 a
Furieuses, qu'il trneaprès lui, taisez-vous ! 6+6 b
Je veux parler aussi,c'est l'heure, afin que tous 6+6 b
Vous sachiez, ô hurleursstupides que vous êtes, 6+6 a
245 Ce que dit le VengeurQaïn au Dieu jaloux. 6+6 b
Silence ! Je revoisl'innocence du monde. 6+6 a
J'entends chanter encoreaux vents harmonieux 6+6 b
Les bois épanouissous la gloire des deux ; 6+6 b
La force et la beautéde la terre féconde 6+6 a
250 En un rêve sublimehabitent dans mes yeux. 6+6 b
Le soir tranquille unitaux soupirs des colombes, 6+6 a
Dans le brouillard doréqui baigne les halliers, 6+6 b
Le doux rugissementdes lions familiers ; 6+6 b
Le terrestre Jardinsourit, vierge de tombes, 6+6 a
255 Aux Anges endormisà l'ombre des palmiers. 6+6 b
L'inépuisable joieémane de la Vie ; 6+6 a
L'embrassement profondde la terre et du ciel 6+6 b
Emplit d'un même amourle cœur universel ; 6+6 b
Et la Femme, à jamaisvénérée et ravie, 6+6 a
260 Multiplie en un longbaiser l'Homme immortel. 6+6 b
Et l'aurore qui ritavec ses lèvres roses, 6+6 a
De jour en jour, en cetadorable berceau, 6−6 b
Pour le bonheur sans finéveille un dieu nouveau ; 6+6 b
Et moi, moi, je grandisdans la splendeur des choses, 6+6 a
265 Impérissablementjeune, innocent et beau ! 6+6 b
Compagnon des Espritscélestes, origine 6+6 a
De glorieux enfantscréateurs à leur tour, 6+6 b
Je sais le mot vivant,le verbe de l'amour ; 6+6 b
Je parle et fais jaillirde la source divine, 6+6 a
270 Aussi bien qu'Élohim,d'autres mondes au jour ! 6+6 b
Éden ! ô Visionéblouissante et brève, 6+6 a
Toi dont, avant les temps,j'étais déshérité ! 6+6 b
Éden, Éden ! voicique mon cœur irrité 6+6 b
Voit changer brusquementla forme de son rêve, 6+6 a
275 Et le glaive flamboieà l'horizon quitté. 6+6 b
Éden ! ô le plus cheret le plus doux des songes, 6+6 a
Toi vers qui j'ai pousséd'inutiles sanglots ! 6+6 b
Loin de tes murs sacréséternellement clos 6+6 b
La malédictionme balaye, et tu plonges 6+6 a
280 Comme un soleil perdudans l'abîme des flots. 6+6 b
Les flancs et les pieds nus,ma mère Héva s'enfonce 6+6 a
Dans l'âpre solitude se dresse la faim. 6+6 b
Mourante, échevelée,elle succombe enfin, 6+6 b
Et dans un cri d'horreurenfante sur la ronce 6+6 a
285 Ta victime, Iahvèh !celui qui fut Qaïn. 6+6 b
O nuit ! Déchirementsenflammés de la nue, 6+6 a
Cèdres déracinés,torrents, souffles hurleurs, 6+6 b
O lamentationsde mon père, ô douleurs, 6+6 b
O remords, vous avezaccueilli ma venue, 6+6 a
290 Et ma mère a brûléma lèvre de ses pleurs. 6+6 b
Buvant avec son laitla terreur qui l'enivre, 6+6 a
A son côté gisantlivide et sans abri, 6+6 b
La foudre a réponduseule à mon premier cri ; 6+6 b
Celui qui m'engendram'a reproché de vivre, 6+6 a
295 Celle qui m'a conçune m'a jamais souri. 6+6 b
Misérable héritierde l'angoisse première, 6+6 a
D'un long gémissementj'ai salué l'exil. 6+6 b
Quel mal avais-je fait ?Que ne m'écrasait-il, 6+6 b
Faible et nu sur le roc,quand je vis la lumière, 6+6 a
300 Avant qu'un sang plus chaudbrûlât mon cœur viril ? 6+6 b
Emporté sur les eauxde la Nuit primitive, 6+6 a
Au muet tourbillond'un vain rêve pareil, 6+6 b
Ai-je affermi l'abîme,allumé le soleil, 6+6 b
Et, pour penser : Je suis !pour que la fange vive, 6+6 a
305 Ai-je troublé la paixde l'éternel sommeil ? 6+6 b
Ai-je dit à l'argileinerte : Souffre et pleure ! 6+6 a
Auprès de la défenseai-je mis le désir, 6+6 b
L'ardent attrait d'un bienimpossible à saisir, 6+6 b
Et le songe immorteldans le néant de l'heure ? 6+6 a
310 Ai-je dit de vouloiret puni d'obéir ? 6+6 b
O misère ! Ai-je dità l'implacable Mtre, 6+6 a
Au Jaloux, tourmenteurdu monde et des vivants, 6+6 b
Qui gronde dans la foudreet chevauche les vents : 6+6 b
La vie assurémentest bonne, je veux ntre ! 6+6 a
315 Que m'importait la vieau prix tu la vends ? 6+6 b
Sois satisfait ! Qaïnest né. Voici qu'il dresse, 6+6 a
Tel qu'un cèdre, son frontpensif vers l'horizon. 6+6 b
Il monte avec la nuitsur les rochers d'Hébron, 6+6 b
Et dans son cœur rongéd'une sourde détresse 6+6 a
320 Il songe que la terreimmense est sa prison. 6+6 b
Tout gémit, l'astre pleureet le mont se lamente, 6+6 a
Un soupir douloureuxs'exhale des forêts, 6+6 b
Le désert va roulantsa plainte et ses regrets, 6+6 b
La nuit sinistre, en proieau mal qui la tourmente, 6+6 a
325 Rugit comme un lionsous l'étreinte des rets. 6+6 b
Et là, sombre, deboutsur la roche escarpée, 6+6 a
Tandis que la famillehumaine, en bas, s'endort, 6+6 b
L'impérissable ennuime travaille et me mord, 6+6 b
Et je vois la lueurde la sanglante Épée 6+6 a
330 Rougir au loin le cielcomme une aube de mort. 6+6 b
Je regarde marcherl'antique Sentinelle, 6+6 a
Le Khéroub chevelude lumière, au milieu 6+6 b
Des ténèbres, l'Espritaux six ailes de feu, 6+6 b
Qui, dardant jusqu'à moisa rigide prunelle, 6+6 a
335 S'arrête sur le seuilinterdit par son Dieu. 6+6 b
Il reluit sur ma faceirritée, et me nomme : 6+6 a
— Qaïn, Qaïn ! — Khéroubd'Iahvèh, que veux-tu ? 6+6 b
Me voici. — Va prier,va dormir. Tout s'est tu, 6+6 b
Le repos et l'oublibercent la terre et l'homme ; 6+6 a
340 Heureux qui s'agenouilleet n'a pas combattu ! 6+6 b
Pourquoi rôder toujourspar les ombres sacrées, 6+6 a
Haletant comme un loupdes bois jusqu'au matin ? 6+6 b
Vers la limpiditédu aradis lointain 6+6 b
Pourquoi tendre toujourstes lèvres altérées ? 6+6 a
345 Courbe la face, esclave,et subis ton destin. 6+6 b
Rentre dans ton néant,ver de terre ! Qu'importe 6+6 a
Ta révolte inutileà Celui qui peut tout ? 6+6 b
Le feu se rit de l'eauqui murmure et qui bout ; 6+6 b
Le vent n'écoute pasgémir la feuille morte. 6+6 a
350 Prie et prosterne-toi.— Je resterai debout ! 6+6 b
Le lâche peut rampersous le pied qui le dompte, 6+6 a
Glorifier l'opprobre,adorer le tourment, 6+6 b
Et payer le repospar l'avilissement ; 6+6 b
Iahvèh peut bénirdans leur fange et leur honte 6+6 a
355 L'épouvante qui flatteet la haine qui ment ; 6+6 b
Je resterai debout !Et du soir à l'aurore, 6+6 a
Et de l'aube à la nuit,jamais je ne tairai 6+6 b
L'infatigable crid'un cœur désespéré ! 6+6 b
La soif de la justice,ô Khéroub, me dévore. 6+6 a
360 Écrase-moi, sinon,jamais je ne plrai ! 6+6 b
Ténèbres, répondez !Qu'Iahvèh me réponde ! 6+6 a
Je souffre, qu'ai-je fait ?— Le Khéroub dit : — Qaïn ! 6+6 b
Iahvèh l'a voulu.Tais-toi. Fais ton chemin 6+6 b
Terrible. — Sombre Esprit,le mal est dans le monde, 6+6 a
365 Oh ! pourquoi suis-je né !— Tu le sauras demain. — 6+6 b
Je l'ai su. Comme l'oursaveuglé qui trébuche 6+6 a
Dans la fosse la mortl'a longtemps attendu, 6+6 b
Flagellé de fureur,ivre, sourd, éperdu, 6+6 b
J'ai heurté d'Iahvèhl'inévitable embûche ; 6+6 a
370 Il m'a précipitédans le crime tendu. 6+6 b
O jeune homme, tes yeux,tels qu'un ciel sans nuage, 6+6 a
Étaient calmes et doux,ton cœur était léger 6+6 b
Comme l'agneau qui sortde l'enclos du berger ; 6+6 b
Et Celui qui te fitdocile à l'esclavage 6+6 a
375 Par ma main violentea voulu t'égorger ! 6+6 b
Dors au fond du Schéol !Tout le sang de tes veines, 6+6 a
O préféré d'Héva,faible enfant que j'aimais, 6+6 b
Ce sang que je t'ai pris,je le saigne à jamais ! 6+6 b
Dors, ne t'éveille plus !Moi, je crîrai mes peines, 6+6 a
380 J'élèverai la voixvers Celui que je hais. 6+6 b
Fils des Anges, orgueilde Qaïn, race altière 6+6 a
En qui brûle mon sang,et vous, enfants domptés 6+6 b
De Seth, ô multitudeà genoux, écoutez ! 6+6 b
Écoutez-moi, Géants !écoute-moi, poussière ! 6+6 a
385 Prête l'oreille, ô Nuitdes temps illimités ! 6+6 b
Élohim, Élohim !Voici la prophétie 6+6 a
Du Vengeur, et je voisle cortège hideux 6+6 b
Des siècles de la terreet du ciel, et tous deux, 6+6 b
Dans cette visionlentement éclaircie, 6+6 a
390 Roulent sous ta fureurqui rugit autour d'eux. 6+6 b
Tu voudras vainement,assouvi de ton rêve, 6+6 a
Dans le gouffre des Eauxpremières l'engloutir ; 6+6 b
Mais lui, lui se riradu tardif repentir. 6+6 b
Comme Léviathanqui regagne la grève, 6+6 a
395 De l'abîme entr'ouverttu le verras sortir. 6+6 b
Non plus géant, semblableaux Esprits, fier et libre, 6+6 a
Et toujours indompté,sinon victorieux ; 6+6 b
Mais servile, rampant,rusé, lâche, envieux, 6+6 b
Chair glacée plus rienne fermente et ne vibre, 6+6 a
400 L'homme pullulerade nouveau sous les cieux. 6+6 b
Emportant dans son cœurla fange du Déluge, 6+6 a
Hors la haine et la peurayant tout oublié, 6+6 b
Dans les siècles obscursl'homme multiplié 6+6 b
Se précipiterasans halte ni refuge, 6+6 a
405 A ton spectre implacablehorriblement lié. 6+6 b
Dieu de la foudre, Dieudes vents, Dieu des armées, 6+6 a
Qui roules au désertles sables étouffants, 6+6 b
Qui te plais aux sanglotsd'agonie, et défends 6+6 b
La pitié, Dieu qui faisaux mères, affamées, 6+6 a
410 Monstrueuses, mangerla chair dé leurs enfants ! 6+6 b
Dieu triste, Dieu jalouxqui dérobes ta face, 6+6 a
Dieu qui mentais, disantque ton œuvre était bon, 6+6 b
Mon souffle, ô Pétrisseurde l'antique limon, 6+6 b
Un jour redresserata victime vivace. 6+6 a
415 Tu lui diras : Adore !Elle répondra : Non ! 6+6 b
D'heure en heure, Iahvèh !ses forces mutinées 6+6 a
Iront élargissantl'étreinte de tes bras ; 6+6 b
Et, rejetant ton jougcomme un vil embarras, 6+6 b
Dans l'espace conquisles choses déchnées 6+6 a
420 Ne t'écouteront plusquand tu leur parleras ! 6+6 b
Afin d'exterminerle monde qui te nie, 6+6 a
Tu feras ruisselerle sang comme une mer, 6+6 b
Tu feras s'acharnerles tenailles de fer, 6+6 b
Tu feras flamboyer,dans l'horreur infinie, 6+6 a
425 Près des bûchers hurlantsle gouffre de l'Enfer ; 6+6 b
Mais quand tes prêtres, loupsaux mâchoires robustes, 6+6 a
Repus de graisse humaineet de rage amaigris, 6+6 b
De l'holocauste offertdemanderont le prix, 6+6 b
Surgissant devant euxde la cendre des Justes, 6+6 a
430 Je les flagelleraid'un immortel mépris. 6+6 b
Je ressusciterailes cités submergées, 6+6 a
Et celles dont le sablea couvert les monceaux ; 6+6 b
Dans leur lit écumeuxj'enfermerai les eaux ; 6+6 b
Et les petits enfantsdes nations vengées, 6+6 a
435 Ne sachant plus ton nom,riront dans leurs berceaux ! 6+6 b
J'effondrerai des deuxla vte dérisoire. 6+6 a
Par delà l'épaisseurde ce sépulcre bas 6+6 b
Sur qui gronde le bruitsinistre de ton pas, 6+6 b
Je ferai bouillonnerles mondes dans leur gloire ; 6+6 a
440 Et qui t'y chercherane t'y trouvera pas. 6+6 b
Et ce sera mon jour !Et, d'étoile en étoile, 6+6 a
Le bienheureux Édenlonguement regretté 6+6 b
Verra rentre Abelsur mon cœur abrité ; 6+6 b
Et toi, mort et coususous la funèbre toile, 6+6 a
445 Tu t'anéantirasdans ta stérilité. — 6+6 b
Le Vengeur dit cela.Puis, l'immensité sombre, 6+6 a
Bond par bond, prolongea,des plaines aux parois 6+6 b
Des montagnes, l'échoviolent de la Voix 6+6 b
Qui s'enfonça longtempsdans l'abîme de l'ombre. 6+6 a
450 Puis, un Vent très amercourut par les cieux froids. 6+6 a
Thogorma ne vit plusni les bêtes hurlantes, 6+6 b
Ni le grand Cavalier,ni ceux d'Hénokhia. 6+6 a
Tout se tut. Le Silenceélargi déploya 6+6 a
Ses deux ailes de plombsur les choses tremblantes. 6+6 b
455 Puis, brusquement, le cielconvulsif flamboya. 6+6 a
Et, le sceau fut rompudes hautes cataractes. 6+6 a
Le poids supérieurfendit et crevassa 6+6 b
Le couvercle du monde.Un long frisson passa 6+6 b
Dans toute chair vivante ;et, par nappes compactes, 6+6 a
460 Et par torrents, la Pluiehorrible commença. 6+6 b
Puis, de tous les côtésde la terre, un murmure 6+6 a
Encore inentendu,vague, innommable, emplit 6+6 b
L'espace, et le fracasd'en haut s'ensevelit 6+6 b
Dans celui-là. La Mer,avec sa chevelure 6+6 a
465 De flots blêmes, hurlaiten sortant de son lit. 6+6 b
Elle venait, croissantd'heure en heure, et ses lames, 6+6 a
Toutes droites, heurtaientles monts vertigineux, 6+6 b
Ou, projetant leur courbeimmense au-dessus d'eux, 6+6 b
Rejaillissaient d'en basvers la nuée en flammes, 6+6 a
470 Comme de longs serpentsqui déroulent leurs nœuds. 6+6 b
Elle allait, arpentantd'un seul repli de houle 6+6 a
Plaines, vallons, déserts,forêts, toute une part 6+6 b
Du monde, et les citéset le troupeau hagard 6+6 b
Des hommes, et les crissuprêmes, et la foule 6+6 a
475 Des bêtes qu'aveuglaientla foudre et le brouillard. 6+6 b
Hérissés, et trouantl'air épais, en spirale, 6+6 a
De grands oiseaux, claquantdu bec, le col pendant, 6+6 b
Lourds de pluie et rompusde peur, et regardant 6+6 b
Les montagnes plongersous la mer sépulcrale, 6+6 a
480 Montaient toujours, suivispar l'abîme grondant. 6+6 b
Quelques sombres Esprits,balancés sur leurs ailes, 6+6 a
Impassibles témoinsdu monde enseveli, 6+6 b
Attendaient pour partirque tout fût accompli, 6+6 b
Et que sur le désertdes Eaux universelles 6+6 a
485 S'étendît pesammentl'irrévocable oubli. 6+6 b
Enfin, quand le soleil,comme un œil cave et vide 6+6 a
Qui, sans voir, regardaitles espaces béants, 6+6 b
Émergea des vapeursternes des oans ; 6+6 b
Quand, d'un dernier lien,le Suaire livide 6+6 a
490 Eut de l'univers mortserré les os géants ; 6+6 b
Quand le plus haut des picseut bavé son écume, 6+6 a
Thogorma, fils d'Élam,d'épouvante blêmi, 6+6 b
Vit Qaïn le Vengeur,l'immortel Ennemi 6+6 b
D'Iahvèh, qui marchait,sinistre, dans la brume, 6+6 a
495 Vers l'Arche monstrueuseapparue à demi. 6+6 b
Et l'homme s'éveilladu sommeil prophétique, 6+6 a
Le long du grand Khobar boit un peuple impur. 6+6 b
Et ceci fut écrit,avec le roseau dur, 6+6 b
Sur une peau d'onagre,en langue khaldaïque, 6+6 a
500 Par le Voyant, captifdes cavaliers d'Assur. 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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