Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LEC_1/LEC15
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES BARBARES
1862
La Mort de Sigurd
Le Roi Sigurd est mort. Un lourd tissu de laine 6+6 a
Couvre, du crâne aux pieds, le Germain au poil blond. 6+6 b
Son beau corps sur la dalle est couché, roide et long ; 6+6 b
Son sang ruisselle, tiède, et la salle en est pleine. 6+6 a
5 Quatre femmes sont là, quatre épouses de chefs ; 6+6 a
La Franke Gudruna, l'inconsolable veuve, 6+6 b
Et la reine des Huns, errant loin de son fleuve, 6+6 b
Et celle des Norrains, hardis monteurs de nefs. 6+6 a
Assises contre terre, aux abords du cadavre, 6+6 a
10 Tandis que toutes trois sanglotent, le front bas, 6+6 b
La Burgonde Brunhild, seule, ne gémit pas, 6+6 b
Et contemple, l'œil sec, l'angoisse qui les navre. 6+6 a
Herborga, sur son dos jetant ses cheveux bruns, 6+6 a
S'écrie à haute voix : — Ta peine est grande, certes, 6+6 b
15 O femme ! mais il est de plus amères pertes ; 6+6 b
J'ai subi plus de maux chez les cavaliers Huns. 6+6 a
Hélas ! n'ai-je point vu les torches et les glaives ? 6+6 a
Mes frères égorgés, rougissant nos vallons 6+6 b
De leurs membres liés aux crins des étalons, 6+6 b
20 Et leurs crânes pendus à l'arçon des Suèves ? 6+6 a
Moi-même, un chef m'a prise, et j'ai, durant six ans, 6+6 a
Sous sa tente de peaux nettoyé sa chaussure. 6+6 b
Vois ! n'ai-je point gardé l'immonde flétrissure 6+6 b
Du fouet de l'esclavage et des liens cuisants ? — 6+6 a
25 Herborga s'étant tue, Ullranda dit : — O Reines, 6+6 a
Que votre mal, auprès de mes maux, est léger ! 6+6 b
Ne dormirai-je point sous un sol étranger, 6+6 b
Exilée à jamais de nos plages Norraines ? 6+6 a
N'ai-je point vu mes fils, ivres des hautes mers, 6+6 a
30 Tendre la voile pleine au souffle âpre des brises ? 6+6 b
Ils ne reviendront plus baiser mes tresses grises : 6+6 b
Mes enfants sont couchés dans les limons amers ! 6+6 a
O femmes ! aujourd'hui que je suis vieille et seule, 6+6 a
Que l'angoisse a brisé mon cœur, courbé mon dos, 6+6 b
35 Je ne verrai jamais la moelle de mes os, 6+6 b
Mes petits-fils sourire à leur mourante aïeule ! — 6+6 a
Elle se tait. Brunhild se penche, et soulevant 6+6 a
Le drap laineux sous qui dort le roi des framées, 6+6 b
Montre le mâle sein, les bouches enflammées, 6+6 b
40 Tout l'homme, fier et beau, comme il l'était vivant. 6+6 a
Elle livre aux regards de la veuve royale 6+6 a
Les dix routes par où l'esprit a pris son vol, 6+6 b
Les dix fentes de pourpre ouvertes sous le col, 6+6 b
Qu'au héros endormi fit la mort déloyale. 6+6 a
45 Gudruna pousse trois véhémentes clameurs : 6+6 a
— Sigurd ! Sigurd ! Sigurd est mort ! Ah ! malheureuse ! 6+6 b
Que ne puis-je remplir la fosse qu'on lui creuse ! 6+6 b
Sigurd a rendu l'âme, et voici que je meurs ! 6+6 a
Quand vierge, jeune et belle, à lui, beau, jeune et brave, 6+6 a
50 Le col, le sein, parés d'argent neuf et d'or fin, 6+6 b
Je fus donnée, ô ciel ! ce fut un jour sans fin, 6+6 b
Et je dis en mon cœur : Fortune, je te brave ! 6+6 a
Femmes ! c'était hier ! et c'est hier aussi 6+6 a
Que j'ai vu revenir le bon cheval de guerre : 6+6 b
55 La fange maculait son poil luisant naguère, 6+6 b
De larges pleurs tombaient de son œil obscurci. 6+6 a
D'où viens-tu, bon cheval ? Parle ! qui te ramène ? 6+6 a
Qu'as-tu fait de ton maître ?— Et lui, ployant les reins, 6+6 b
Se coucha, balayant la terre de ses crins, 6+6 b
60 Dans un hennissement de douleur presque humaine. 6+6 a
— Va ! suis l'aigle à ses cris, le corbeau croassant, 6+6 a
Reine, me dit Hagen, le Frank au cœur farouche ; 6+6 b
Le roi Sigurd t'attend sur sa dernière couche, 6+6 b
Et les loups altérés boivent son rouge sang. — 6+6 a
65 Maudit ! maudit le Frank aux paroles mortelles ! 6+6 a
Ah ! si je vis, à moi la chair du meurtrier… 6+6 b
Mais pour vous, à quoi bon tant gémir et crier ? 6+6 b
Vos misères, au prix des miennes, que sont-elles ? — 6+6 a
Or, Brunhild brusquement se lève et dit : — Assez ! 6+6 a
70 C'est assez larmoyer, ô bavardes corneilles ! 6+6 b
Si je laissais hurler le sanglot de mes veilles, 6+6 b
Que deviendraient les cris que vous avez poussés ? 6+6 a
Écoute, Gudruna. Mes paroles sont vraies. 6+6 a
J'aimais le roi Sigurd ; ce fut toi qu'il aima. 6+6 b
75 L'inextinguible haine en mon cœur s'alluma ; 6+6 b
Je n'ai pu la noyer au sang de ces dix plaies. 6+6 a
Elle me brûle encore autant qu'au premier jour. 6+6 a
Mais Sigurd eût gémi sur l'épouse égorgée… 6+6 b
Voilà ce que j'ai fait. C'est mieux. Je suis vengée ! 6+6 b
80 Pleure, veille, languis, et blasphème à ton tour ! — 6+6 a
La Burgonde saisit sous sa robe une lame, 6+6 a
Écarte avec fureur les trois femmes sans voix, 6+6 b
Et, dans son large sein se la plongeant dix fois, 6+6 b
En travers, sur le Frank, tombe roide, et rend l'âme. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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