Métrique en Ligne
LCA_2/LCA81
Louis LE CARDONNEL
CARMINA SACRA
1912
CHANTS D'OMBRIE ET DE TOSCANE
JULIÆ VALENTIIÆ AUGUSTÆ
A Victor Colomb.
O Valence au grand cœur, toi qui m'as enfanté 6+6 a
A ces désirs du Beau, dont je suis tourmenté. 6+6 a
Et qui, me nourrissant d'une chaude lumière, 6+6 b
Dans mon âme éveillas le rythme la première : 6+6 b
5 Si quelque gravité se marque dans ma voix, 6+6 a
Si j'ai l'accent latin, Mère, je te le dois. 6+6 a
Sous mon front, j'emportais la rumeur de ton fleuve, 6+6 b
Afin d'en composer ma note antique et neuve ; 6+6 b
J'admirais, je touchais de mes pieuses mains, 6+6 a
10 Arrachés à ton sol, tes vestiges romains. 6+6 a
Et, romane, j'aimais ta belle cathédrale, 6+6 b
Où mon enfance avait reçu l'eau baptismale, 6+6 b
Ton Saint-Apollinaire au porche harmonieux. 6+6 a
Érigeant sa tour blanche et carrée en pleins cieux 6+6 a
15 Et pourtant, toi toujours présente à ma pensée, 6+6 b
Depuis sept ans déjà, Mère, je t'ai laissée ! 6+6 b
J'ai laissé sous ta garde, au sommet du coteau, 6+6 a
Dans l'enclos vert, planté d'ifs sombres, le tombeau 6+6 a
Où ce qui fut mon père et ma mère repose : 6+6 b
20 La maison du passé pour moi resterait close 6+6 b
Car, la maison natale, elle n'est plus à moi 6+6 a
Ma fortune a suivi la singulière loi 6+6 a
Qui préside au destin inquiet des poètes : 6+6 b
Quittez, leur dit le sort, la terre dont vous êtes. 6+6 b
Allez vers l'horizon !
25 Et moi je suis parti. 6+6 a
L'Italie au grand nom, tout de gloire serti, 6+6 a
Me tentait. J'ai couru par les côtes Ligures ; 6+6 b
J'ai vu les flots, les flots, les flots aux fraîcheurs pures, 6+6 b
Dans l'infini du soir s'élancer, écumeux ! 6+6 a
30 Gênes m'est apparue avec ses mille feux. 6+6 a
Mais l'Ombrie, endormie en son rêve tranquille, 6+6 b
M'invitait ; et, là-bas, cette mystique ville, 6+6 b
Assisi, pour toujours assise dans sa paix, 6+6 a
Sembla vouloir longtemps me garder à jamais. 6+6 a
35 Florence m'a tendu dans sa coupe élégante, 6+6 b
Sa coupe de Prêtresse et non pas de Bacchante, 6+6 b
Le philtre de beauté, d'un geste sculptural. 6+6 a
La Toscane aux cieux purs, conseilleurs d'idéal, 6+6 a
De sa noble lumière encore m'enveloppe ; 6+6 b
40 Et si je n'ai pas vu la vive Parlhénope, 6+6 b
Mon souhait est d'aller quelque jour y songer, 6+6 a
Dans l'éternel printemps, qui fleurit l'oranger. 6+6 a
Il me faudrait encor te dire ici, Valence, 6+6 b
Ce que Rome m'a dit, quand j'errais en silence, 6+6 b
45 Méditativement, du Tibre à l'Aventin. 6+6 a
Oui, la Ville, un peu triste, avec l'azur lointain 6+6 a
Des monts d'Albe, des monts de la douce Sabine, 6+6 b
La Ville solennelle au soleil qui s'incline, 6+6 b
Plus que l'hôte, j'en fus, de cœur, le citoyen ! 6+6 a
50 J'y souffris : mais souffrir, pour notre âme est un bien, 6+6 a
Quand la souffrance en elle éveille l'énergie 6+6 b
Et que, de ses douleurs, elle sort élargie. 6+6 b
Ainsi, dans l'Italie exquise, où m'a porté 6+6 a
Mon lyrique destin, je suis toujours resté. 6+6 a
55 Peut-être lentement ma fosse s'y prépare : 6+6 b
La charmeuse, elle a fait ma veine moins avare ! 6+6 b
Mais toi, pays natal, dis, ne verras-tu pas 6+6 a
L'exilé, quelque soir, reparaître, un peu las ? 6+6 a
Oui, ne voudra-t-il pas, fatigué de voyages. 6+6 b
60 Redemander la paix ancienne à tes feuillages, 6+6 b
Le long du Rhône, ainsi qu'autrefois s'égarer ; 6+6 a
Sur des tombeaux moussus, s'incliner et pleurer ? 6+6 a
Éveiller les échos divins de Faventine, 6+6 b
Comme aux temps effacés de l'extase enfantine ; 6+6 b
65 D'un pied redevenu léger, tout seul gravir, 6+6 a
Dans l'air limpide où bat l'aile du souvenir 6+6 a
Et tandis que rougit la mûre au bord des sentes, 6+6 b
Parmi des cris d'oiseaux, tes Baumes fleurissantes ? 6+6 b
Qui répondra ? Lui-même il ignore aujourd'hui 6+6 a
70 Ce que sera demain, l'obscur demain pour lui. 6+6 a
Mais, dans ce lumineux exil où tout l'enchante, 6+6 b
Il garde, il te l'a dit, ta mémoire vivante. 6+6 b
El, s'il ne revient pas, ton enfant, vers tes bords, 6+6 a
Embrasser les amis ou visiter les morts, 6+6 a
75 Toujours il t'enverra, dans sa tendresse émue, 6+6 b
Les hommages d'un cœur pieux qui te salue ; 6+6 b
Et, partis de si loin, purs et nombreux, ses vers. 6+6 a
Te sembleront plus doux, te resteront plus chers. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 39((aa))
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