Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAP_9/LAP119
Victor de LAPRADE
PERNETTE
1870
CHANT SIXIÈME
LES FRANCS-CHASSEURS
Vers les bois, à travers champs et chemins en pente, 6+6 a
Des hommes, du bétail, la foule au loin serpente ; 6+6 a
Les bâtons et les cris, le fouet des conducteurs, 6+6 b
Pressent les longs troupeaux du côté des hauteurs. 6+6 b
5 Tout se hâte et si bien, par les prés, par les landes, 6+6 a
Que vaches, ni brebis, ni les chèvres gourmandes 6+6 a
N’ont pu même, en longeant les ravins sinueux, 6+6 b
Tondre ou l’herbe odorante ou le bourgeon mielleux. 6+6 b
Chargés des fardeaux lourds, sur ce sol difficile, 6+6 a
10 Les mulets au pied sûr se suivent à la file ; 6+6 a
Les ânes, harcelés par de bruyants garçons, 6+6 b
Bercent dans leurs paniers mères et nourrissons. 6+6 b
Montés d’une fillette et d’un vieux patriarche, 6+6 a
Les chevaux écumeux trottent fermant la marche. 6+6 a
15 Sur les flancs, quelques chars à quatre forts taureaux, 6+6 b
Criant sur leurs essieux, contournent les coteaux. 6+6 b
Jusqu’au fond des forêts, nos bûcherons sauvages 6+6 a
Savent par où guider ces fauves attelages ; 6+6 a
Par les plus durs sentiers, ces bœufs aux cous tendus, 6+6 b
20 Trnant les longs sapins, sont souvent descendus. 6+6 b
Mais aujourd’hui, plus haut, vers les grottes celtiques, 6+6 a
Montez, tirez nos chars et leurs trésors rustiques, 6+6 a
Allez servir encore, ô nobles animaux ! 6+6 b
Dans sa fuite au désert, le peuple des hameaux. 6+6 b
25 Voici près des manoirs le meurtre et l’incendie ! 6+6 a
Résolus d’étouffer la révolte hardie, 6+6 a
Furieux, rugissant par la voix du tambour, 6+6 b
D’innombrables soldats marchent contre le bourg. 6+6 b
Hélas ! le fier tocsin n’a réveillé personne ! 6+6 a
30 Aux pas de l’étranger la terre s’abandonne ; 6+6 a
Nul volcan ne jaillit de nos vieux monts gaulois. 6+6 b
Des proscrits, des enfants frappés d’injustes lois, 6+6 b
Seuls de l’antique honneur ont entendu la plainte, 6+6 a
Et sur le sol natal tenté la guerre sainte ; 6+6 a
35 Attirant par ce coup sur leurs pauvres maisons 6+6 b
L’ennemi rassemblé de tous les horizons. 6+6 b
Alors, il fallut fuir ; vers nos cimes ardues 6+6 a
Par les noirs défilés, par les bois défendues. 6+6 a
On courut, on refit le chemin des aïeux, 6+6 b
40 Emmenant les troupeaux, les meubles précieux. 6+6 b
Ainsi qu’aux anciens jours, la race émigrait toute ; 6+6 a
Tout ce qui peut combattre, et tout ce qui redoute 6+6 a
Plus cruel que la mort un outrage insolent ; 6+6 b
Tout ce qui peut marcher d’un pas ferme ou tremblant. 6+6 b
45 Il ne demeure au bourg, dans les maisons sans maître, 6+6 a
Que d’infirmes vieillards sous la garde du prêtre, 6+6 a
Quelque être sans famille et qui veut mourir seul, 6+6 b
Quelques petits enfants soignés par un aïeul, 6+6 b
Tous ceux dont la faiblesse innocente et les larmes 6+6 a
50 À la fureur des forts ôtent parfois ses armes. 6+6 a
Or, nos braves d’hier, protégeant le départ, 6+6 b
Couvrent les fugitifs d’un mobile rempart. 6+6 b
Le fusil sur l’épaule et le front sans cocarde, 6+6 a
Pierre et ses compagnons forment l’arrière-garde. 6+6 a
55 Pâtres et laboureurs marchent à côté d’eux. 6+6 b
Jacque, enfin, retrouvait les hommes de l’an deux. 6+6 b
Un vouloir obsti se lit sur leurs visages ; 6+6 a
La gloire n’est pour rien dans ces mâles courages. 6+6 a
Aux périls de ton clan tu n’aurais pas manqué, 6+6 b
60 Brave docteur ! c’est là que ton poste est marqué. 6+6 b
Comme un vieux général qui de rien ne s’étonne, 6+6 a
Au galop de la Grise il parcourt sa colonne, 6+6 a
Inspecte, ordonne et gronde. À chacun paternel, 6+6 b
Il va, tantôt railleur et tantôt solennel, 6+6 b
65 Masque de gais propos le souci qui l’accable, 6+6 a
Et soutient les esprits par sa verve indomptable. 6+6 a
Prêt à porter encor conseils, ordres urgents, 6+6 b
Entre ses deux amis, parmi les jeunes gens, 6+6 b
Il rentrait, il marchait à pied, de verte allure ; 6+6 a
70 Le cavalier prudent soulageait sa monture. 6+6 a
Alors la causerie allait son plus grand train ; 6+6 b
Le vieux Jacque entonnait son magique refrain, 6+6 b
Et tous deux suscitaient dans l’âme populaire 6+6 a
Tantôt la bonne humeur et tantôt la colère. 6+6 a
75 « Bien, disait le docteur, nous avons du jarret ! 6+6 b
En trois pas nous serons chez nous, dans la forêt. 6+6 b
Nos vrais remparts sont là, sous ces vertes murailles ; 6+6 a
Nous pouvons, à coup sûr, y livrer nos batailles ; 6+6 a
Que l’étranger y monte, il n’en reviendra plus. 6+6 b
80 Défendons ces créneaux en hommes résolus. 6+6 b
Là, contre des soldats dressés dans une ville, 6+6 a
Aux mains du franc-chasseur un fusil en vaut mille. 6+6 a
Au bord de ces ravins où l’on rampe à genoux, 6+6 b
Chaque arbre nous connaît et combattra pour nous. 6+6 b
85 Bois sacrés, chemins verts, défilés des montagnes, 6+6 a
Où nous avons tous fait nos premières campagnes, 6+6 a
Où joyeux, oublieux du froid et de la faim, 6+6 b
Menant la chasse ardente ou les rêves sans fin, 6+6 b
Nous avons dans l’air vif trempé nos jeunes fibres 6+6 a
90 Et connu le bonheur d’être seuls, d’être libres ! 6+6 a
Tant que vous prêterez votre ombre à ces sommets, 6+6 b
L’étranger contre nous ne prévaudra jamais, 6+6 b
Et nul homme de cœur ne subira de maîtres, 6+6 a
S’il a pour vieux amis vos sapins et vos hêtres. 6+6 a
95 Respectez, laboureurs, ces forêts des hauts lieux ; 6+6 b
Gardez à vos enfants ce legs de vos aïeux ; 6+6 b
N’allons pas de nos mains, ô Celtes infidèles, 6+6 a
Démanteler, là-haut, nos vieilles citadelles ; 6+6 a
Conservons aux vaincus ces abris redoutés ! 6+6 b
100 Qui sape nos forêts, sape nos libertés. » 6+6 b
Sombre entre tous, chantant, jusqu’alors, sans mot dire, 6+6 a
Le vieux soldat du Rhin eut un amer sourire ; 6+6 a
Il secoua la tête et, d’un ton méprisant, 6+6 b
Il s’écria, honteux des hommes d’à présent : 6+6 b
105 « Les bois sont des remparts, mais il faut les défendre, 6+6 a
Et quand le tocsin parle il faut savoir comprendre. 6+6 a
Il faut qu’un peuple entier ne soit pas endormi, 6+6 b
Lorsque les gens de cœur marchent à l’ennemi. 6+6 b
Combien se sont levés dans toute notre France ? 6+6 a
110 Quel bourg a fortement voulu sa délivrance ? 6+6 a
Nous voilà seuls, trahis, pas un n’ose bouger ; 6+6 b
Comme un libérateur on reçoit l’étranger. 6+6 b
Toute la nation, dans ses cités en fêtes, 6+6 a
Semble se réjouir de ses propres défaites, 6+6 a
115 Je ne reconnais plus la terre où je suis né ! 6+6 b
A quoi, sur mes vieux jours, suis-je donc condamné ! 6+6 b
Moi, qui l’ai vu, ce peuple, en sa liberté fière, 6+6 a
De vingt rois en un jour nettoyer sa frontière ! 6+6 a
Le vieux Jacque en était, de ces durs bataillons. 6+6 b
120 Qui donc en chiens couchants m’a changé ces lions ? 6+6 b
Oui, certes, à défaut du plomb sur qui je compte, 6+6 a
Moi, qui vis ces temps-là, je mourrai de ma honte. » 6+6 a
Ces mots touchèrent droit chez l’indulgent docteur 6+6 b
Le seul ressentiment qui vibrât dans son cœur ; 6+6 b
125 Le seul nom qu’ici-bas il ne pouvait absoudre 6+6 a
Passa dans son esprit comme un feu sur la poudre ; 6+6 a
La colère éclata chez cet homme de paix ; 6+6 b
Ses yeux dardaient l’éclair sous leurs sourcils épais. 6+6 b
Et, quittant sa douceur et les notes frivoles, 6+6 a
130 Sa voix comme un clairon fit sonner ces paroles : 6+6 a
« Tu sais bien qui nous vaut cette honte et ce deuil ! 6+6 b
Quel est l’homme enivré de sang et fou d’orgueil, 6+6 b
Qui nous ôta l’honneur et corrompit l’histoire 6+6 a
En nous tenant quinze ans gorgés de fausse gloire ; 6+6 a
135 Qui courba tant de fronts fiers devant les bourreaux, 6+6 b
Qui fit tant de laquais avec tant de héros ; 6+6 b
Ce contempteur profond de la nature humaine 6+6 a
Qu’il nous faut, à jamais, charger de notre haine ! 6+6 a
L’invasion du sol, les périls d’aujourd’hui, 6+6 b
140 Nos propres lâchetés, tout est son œuvre à lui ! 6+6 b
Chacun, lui rétorquant sa première insolence, 6+6 a
A droit de lui crier : Qu’as-tu fait de la France ? 6+6 a
Mais laissons là cet homme et son trône abattu, 6+6 b
Nous chez qui le vieux sang garde quelque vertu, 6+6 b
145 Qui, sauvés à demi par notre solitude, 6+6 a
Sommes demeurés purs malgré la servitude ; 6+6 a
Oublions notre haine et ce joug détesté : 6+6 b
Montrons ce que l’on peut avec la liberté ! 6+6 b
Je sais qu’en ces déserts où Dieu seul nous contemple 6+6 a
150 Nous luttons ignorés, sans même être un exemple ! 6+6 a
Pour l’honneur du pays nos combats seront vains, 6+6 b
Mais notre propre honneur reste entier dans nos mains ; 6+6 b
Et plus d’un parmi nous va couronner sa vie 6+6 a
Par une de ces morts qu’à tout âge on envie. 6+6 a
155 Dieu veuille, mes enfants, se souvenir des vieux, 6+6 b
Et m’adresser un coup dont je serai joyeux ! 6+6 b
De par mes cheveux blancs j’ai droit de préséance ; 6+6 a
Je servais avant vous et j’adorais la France ; 6+6 a
Puissé-je, en vous léguant un avenir plus doux, 6+6 b
160 Moi, venu le premier, m’en aller avant vous ; 6+6 b
Heureux de voir crouler d’une chute profonde 6+6 a
Ce despote sanglant qui pesait sur le monde ! » 6+6 a
À ces mots du vieillard on ne répondit rien ; 6+6 b
Mais tous les cœurs battaient à l’unisson du sien, 6+6 b
165 Et d’un plus ferme pas le bataillon rustique, 6+6 a
Comme pour applaudir, frappa le sol antique. 6+6 a
Au fond de chaque mot sans pénétrer toujours. 6+6 b
Ces braves gens sentaient l’âme de ce discours : 6+6 b
À ces fières hauteurs ils s’élevaient sans peine. 6+6 a
170 Car c’est ainsi qu’on parle à la nature humaine : 6+6 a
Qu’on s’adresse aux plus grands, aux plus humbles esprits, 6+6 b
Plus le langage est noble et mieux il est compris. 6+6 b
Le docteur, soula de sa sainte colère, 6+6 a
Reprit ses doux besoins de gté familière, 6+6 a
175 Et, comme il le faisait à tout bout de chemin, 6+6 b
Sur l’épaule de Pierre il frappa de la main. 6+6 b
Sans perdre un seul accent du discours qui s’achève, 6+6 a
Le jeune chef semblait absorbé dans un rêve, 6+6 a
Tant ses yeux pleins d’éclairs rayonnaient vaguement 6+6 b
180 De sa troupe aux forêts, des prés au firmament… 6+6 b
Quelle est donc ta vertu d’embellir toutes choses, 6+6 a
O jeunesse, ô printemps qui mets partout des roses ? 6+6 a
Les plus sombres déserts, vus à tes blonds soleils, 6+6 b
S’ornent d’épis dorés et de raisins vermeils. 6+6 b
185 Ta faiblesse en remontre aux âmes les plus fortes ; 6+6 a
Les dévouements sacrés sont les fruits que tu portes ; 6+6 a
Tu fournis tes combats sans haine et sans orgueil. 6+6 b
Un espoir t’illumine à travers chaque deuil ; 6+6 b
La mort même t’invite, et, sans rien de farouche, 6+6 a
190 T’emporte en souriant, une fleur à la bouche. 6+6 a
Ainsi Pierre, enivré de sa sève d’avril, 6+6 b
Se sentait deux fois vivre à l’heure du péril ; 6+6 b
Jamais si large flot d’émotions sereines 6+6 a
N’avait si fortement palpité dans ses veines. 6+6 a
195 Avec tous ses amours, sous un ciel radieux, 6+6 b
Il s’avançait armé sur le sol des aïeux, 6+6 b
Libre en sa jeune audace et fier de ce qu’il ose ; 6+6 a
Prêt à livrer combat pour la plus sainte cause, 6+6 a
Chef élu de soldats qu’il sait tous par leurs noms, 6+6 b
200 Ayant pour vieux amis ses jeunes compagnons, 6+6 b
Entouré des lieux chers, des souvenirs d’enfance, 6+6 a
Et dans sa volon debout pour leur défense ! 6+6 a
Voici les bois connus, la croix sur le rocher, 6+6 b
Là-bas la maison blanche et la tour du clocher, 6+6 b
205 Son univers à lui tout entier le regarde… 6+6 a
Pernette est son témoin, Pernette est sous sa garde ! 6+6 a
Il va, l’amour le porte ; il va la joie au cœur, 6+6 b
Léger, tranquille, heureux comme un jeune vainqueur : 6+6 b
Des ardeurs de la lutte où sa vertu l’entraîne, 6+6 a
210 Il a gardé l’ivresse et dépouillé la haine ; 6+6 a
Il a même oublié, tant ses rêves sont hauts, 6+6 b
L’homme, l’homme fatal qui nous fit tous ces maux. 6+6 b
Il marchait, attentif aux vieillards, en silence, 6+6 a
Sans quitter le ciel pur où son âme s’élance ; 6+6 a
215 Et, jugeant, pour répondre, un discours superflu, 6+6 b
Il leur serra la main d’un geste résolu. 6+6 b
Déjà vers les hauteurs de pourpre ruisselantes, 6+6 a
Les heures s’inclinaient et paraissaient moins lentes ; 6+6 a
Tout se hâtait ; dé le rideau noir des ifs 6+6 b
220 Abritait de sa nuit le gros des fugitifs. 6+6 b
Sur les chaumes, encor, depuis le bord des vignes, 6+6 a
Femmes, enfants, montaient en sinueuses lignes. 6+6 a
Entre les derniers ceps, protégés de buissons, 6+6 b
Marchaient nos jeunes gens armés de cent façons ; 6+6 b
225 Les longs fusils brillaient sur l’églantier des haies, 6+6 a
Et les vaillants propos croisaient les chansons gaies. 6+6 a
Ils vont, ils ont bientôt laissé loin derrière eux 6+6 b
Les vignobles penchants bordés de chemins creux. 6+6 b
Sur ces verts parapets, une halte ordonnée 6+6 a
230 Retint quelques instants la troupe bien menée, 6+6 a
Durant que les troupeaux, les rustiques convois 6+6 b
Achevaient de gagner l’asile sûr des bois. 6+6 b
Seules restaient, portant l’aiguillon dans les âmes, 6+6 a
Près des hommes armés quelques vaillantes femmes ; 6+6 a
235 Comme, à tous nos combats mêlant tous nos amours, 6+6 b
Dès le temps des aïeux nous en vîmes toujours. 6+6 b
On se mêle, on s’assied ; on tire des corbeilles 6+6 a
Les miches de pain blanc, quelques vieilles bouteilles ; 6+6 a
On se refait le corps ; et la rouge liqueur 6+6 b
240 Et les mâles baisers refont aussi le cœur : 6+6 b
Et, là-bas, dans la plaine où leur blancheur rayonne, 6+6 a
On revoit sans pleurer les murs qu’on abandonne. 6+6 a
Pauvres murs, greniers pleins, manoirs, riches celliers, 6+6 b
Toit rouge où s’ébattaient les pigeons familiers, 6+6 b
245 Êtes-vous condamnés à la flamme, au pillage ? 6+6 a
Voilà que l’ennemi rentre dans le village ! 6+6 a
Le vent vers la montagne apporte des bruits sourds, 6+6 b
Roulement des canons, des fourgons, des tambours. 6+6 b
Les clairons, tout à coup, de leurs voix plus perçantes, 6+6 a
250 Jettent sur ces rumeurs des notes menaçantes. 6+6 a
Plus proche et plus strident et par l’écho redit, 6+6 b
Éclatant hors du bourg, le son vole et grandit ; 6+6 b
La troupe a dépassé la dernière muraille, 6+6 a
Et bientôt se déploie en ligne de bataille. 6+6 a
255 Des mille étroits sentiers bordés par les enclos, 6+6 b
Pressés, les noirs soldats sortaient comme des flots, 6+6 b
Jaloux de châtier par une attaque prompte 6+6 a
Tous ces vils paysans et de venger leur honte. 6+6 a
Alors tout se leva, là-haut ; le jeune chef, 6+6 b
260 Comme un vieux capitaine, ordonna d’un ton bref, 6+6 b
Et chacun, observant un terrible silence, 6+6 a
Se hâta vers son poste indiqué par avance. 6+6 a
Les femmes, à grands pas, dans les hauts genêts verts, 6+6 b
Priant et sanglotant par les sentiers couverts, 6+6 b
265 Joignirent les sapins, dernières citadelles. 6+6 a
Madeleine et sa bru marchaient loin derrière elles. 6+6 a
De nos braves amis, on n’en voyait plus un. 6+6 b
Les francs-chasseurs guettaient le moment opportun. 6+6 b
À genoux, accroupi, chacun reste immobile ; 6+6 a
270 Buissons et chemins creux cachent leur longue file ; 6+6 a
Distants de quelques pas, chaque homme à son créneau. 6+6 b
D’un rempart invisible ils bordaient le coteau ; 6+6 b
À peine respirant et prêts aux moindres signes… 6+6 a
Les Barbares montaient lentement par les vignes. 6+6 a
275 Muse des lieux que j’aime, esprit sombre des bois, 6+6 b
Qui sonnas le Bardit sous le grand chef gaulois, 6+6 b
Qui fis trembler César dans nos vallons arvernes, 6+6 a
Sors, après deux mille ans, de tes vieilles cavernes ! 6+6 a
Non pour dicter des vers qui vibrent un instant ; 6+6 b
280 Laisse là le chanteur et vole au combattant ! 6+6 b
Laisse-moi seul ! sois toute à nos vaillants ! Qu’importe 6+6 a
Que languisse ma voix, tant que leur âme est forte ? 6+6 a
Donne aux yeux de tes fils tes regards acérés, 6+6 b
À leurs reins la vigueur de nos chênes sacrés. 6+6 b
285 Fais que du plomb rapide, ou de l’acier tenace, 6+6 a
Chacun d’eux frappe au cœur l’ennemi de sa race. 6+6 a
L’étranger aux pas lourds s’étendait sans soupçons, 6+6 b
Devant nos chemins creux couverts par les buissons ; 6+6 b
Quand jaillit, à travers les ronces et les lierres, 6+6 a
290 Un sifflement aigu suivi de cent tonnerres… 6+6 a
L’écho crépite et gronde, et nos vaillants conscrits, 6+6 b
Dressés et triomphants, s’élancent à grands cris : 6+6 b
Pas un coup de fusil qui n’ait touché son homme, 6+6 a
Et la balle a choisi tous les chefs qu’on renomme ! 6+6 a
295 Surpris et foudroyé, le bataillon trop lent 6+6 b
Hésita, froids soldats, braves, mais sans élan. 6+6 b
Tandis qu’ils frappaient l’air d’une vaine riposte 6+6 a
Et s’alignaient chacun incertain de son poste, 6+6 a
Nos conscrits, bondissant à travers les halliers, 6+6 b
300 Fiers louveteaux à qui ces bois sont familiers. 6+6 b
Avaient refait, dans l’ombre, une halte invisible 6+6 a
Et répété trois fois la décharge terrible. 6+6 a
Le feu de nos chasseurs remontait par degré, 6+6 b
Pleuvait de chaque roche et de chaque fourré, 6+6 b
305 Et l’étranger laissait des morts sur chaque étage. 6+6 a
À chaque pas, du nombre il perdait l’avantage. 6+6 a
Il montait, mais d’un pied qui va se ralentir, 6+6 b
Chaque arbre recelait un coup prêt à partir ; 6+6 b
Et déjà, de très haut, dans leur savante fuite, 6+6 a
310 Nos chasseurs dominaient cette vaine poursuite. 6+6 a
Ils touchaient aux grands bois dont les troncs vénérés, 6+6 b
Comme des combattants étroitement serrés, 6+6 b
Autour des longs rochers, donjons à tête grise, 6+6 a
Font une palissade où tout assaut se brise. 6+6 a
315 De ces forts boucliers habile à se couvrir, 6+6 b
La troupe s’arrêta pour vaincre ou pour mourir. 6+6 b
Encor bien loin, là-bas, dans les ronces grimpantes, 6+6 a
L’étranger gravissait péniblement les pentes, 6+6 a
Harassé, décimé. Nos braves jeunes gens 6+6 b
320 L’écrasaient de leurs feux rapides et plongeants ; 6+6 b
Et, déjà, les rochers roulés, par intervalles, 6+6 a
Suffisaient, épargnant le trésor de nos balles. 6+6 a
Pierre en vieux capitaine avait conduit les siens. 6+6 b
Le front de la forêt, bordé d’arbres anciens, 6+6 b
325 Lançait des coups certains comme une citadelle. 6+6 a
Ces créneaux abritaient chacun sa sentinelle. 6+6 a
Mais cherchons dans l’horreur du combat meurtrier 6+6 b
Celles que Dieu destine à pleurer, à prier. 6+6 b
Je voudrais en lieu sûr, pour y reprendre haleine, 6+6 a
330 Conduire, pas à pas, Pernette et Madeleine. 6+6 a
L’obscurité des pins cachait depuis longtemps 6+6 b
Mères, filles et sœurs, bien loin des combattants ; 6+6 b
L’étranger, patient dans sa longue escalade, 6+6 a
Avec nos francs-tireurs croisait sa fusillade… 6+6 a
335 Les balles qui sifflaient, qui pleuvaient sur les monts, 6+6 b
Rien n’avait pu hâter celles que nous aimons. 6+6 b
Leur lenteur s’obstinait ; leurs yeux, de place en place, 6+6 a
Suivaient le jeune chef de leur rayon tenace ; 6+6 a
Comme si ce regard, couvant l’être chéri, 6+6 b
340 Pouvait doubler sa force ou lui donner abri. 6+6 b
Se réglant sur son pas, dans sa fuite intrépide, 6+6 a
Elles marchaient d’un pas plus lent ou plus rapide, 6+6 a
Faisant, ainsi que lui, des retours hasardeux, 6+6 b
Et, quand il s’arrêtait, s’arrêtant toutes deux. 6+6 b
345 Chacune, alors, montrait son âme tout entière : 6+6 a
L’une, en ses pâles mains jointes pour la prière, 6+6 a
Serrait son chapelet avec plus de ferveur, 6+6 b
Et, mère, elle invoquait la mère du Sauveur. 6+6 b
Mais Pernette ! on eût dit que, dans sa main crispée, 6+6 a
350 La vierge allait brandir ou la hache ou l’épée. 6+6 a
Debout et le front haut, elle avait dans les yeux 6+6 b
Cet éclair qu’adoraient nos farouches aïeux, 6+6 b
Quand, du fond des forêts, les fauves druidesses 6+6 a
Soufflaient le feu sacré des guerres vengeresses. 6+6 a
355 Elle ne quittait pas nos vaillants du regard ; 6+6 b
De la bataille ardente, elle aspirait sa part ; 6+6 b
Épiant, de là-haut, si quelque main frappée 6+6 a
Livrerait à la sienne une arme inoccupée ; 6+6 a
Prête, au fond de son cœur, à ces sombres exploits 6+6 b
360 Qui vous sont familiers, ô filles des Gaulois ! 6+6 b
Car, sous vos fronts charmants, Dieu mit de fortes âmes 6+6 a
Et fit ses plus grands coups par la main de nos femmes. 6+6 a
Chez nous et chez nous seuls, terribles aux bourreaux, 6+6 b
Les vierges aux doux yeux ont des cœurs de héros, 6+6 b
365 Et nul peuple, si loin que sa bannière flotte, 6+6 a
France ! n’eut comme toi sa Jeanne et sa Charlotte. 6+6 a
Or, des fauves Teutons toujours plus destructeur, 6+6 b
Pied à pied, le combat montait vers la hauteur. 6+6 b
Les femmes, avant nous, dans les forêts connues, 6+6 a
370 Parmi les hauts sapins sont déjà parvenues. 6+6 a
Déjà, nos francs-chasseurs aux créneaux de ces murs 6+6 b
S’embusquent à loisir et tirent à coups sûrs ; 6+6 b
C’est ici la victoire et la suprême halte ! 6+6 a
De nos soldats d’un jour le jeune orgueil s’exalte. 6+6 a
375 Contre un large sapin, Madeleine, à genoux, 6+6 b
Dit avec plus d’espoir son : Jésus, sauvez-nous ! 6+6 b
Et, toute à son ardeur amoureuse et guerrière, 6+6 a
Pernette a pris sa place au combat, près de Pierre. 6+6 a
Que d’ivresse à le voir, — mais aussi que d’effroi, — 6+6 b
380 Calme et fier, parlant haut, obéi comme un roi ! 6+6 b
Il semble que lui seul, de son bras noir de poudre, 6+6 a
De ces mille fusils secoue au loin la foudre ; 6+6 a
Mais, aussi, que le plomb, sifflant dans le fourré, 6+6 b
Ne s’adresse d’en bas qu’à ce cœur adoré. 6+6 b
385 Tout va bien ! tout va bien ! Le feu du lourd barbare, 6+6 a
Loin de se rapprocher, languit, déjà plus rare ; 6+6 a
Les quartiers de granit, le plomb de nos vaillants 6+6 b
Pleuvent à plus grands flots contre les assaillants ; 6+6 b
Malgré la voix des chefs leur bataillon s’arrête. 6+6 a
390 Enfin le clairon sonne, ordonnant la retraite… 6+6 a
Et, pour mieux l’assurer, mille coups à la fois 6+6 b
Roulent dans les échos, tonnant contre nos bois. 6+6 b
Les rameaux des sapins que leur grêle fracasse 6+6 a
Craquent, tels que, l’hiver, sous le givre et la glace. 6+6 a
395 Attentif et suivant l’ennemi du regard, 6+6 b
Pierre s’était penché hors de l’ombreux rempart ; 6+6 b
Tout à coup il se dresse, il tressaille, il chancelle ; 6+6 a
Sur sa large poitrine un flot de sang ruisselle… 6+6 a
Prompte comme le vent, Pernette est près de lui, 6+6 b
400 L’enlace… Et dans ses bras, ferme et flexible appui, 6+6 b
Lentement, sur la feuille et sur la mousse épaisse, 6+6 a
Les deux genoux ployés, le bien-aimé s’affaisse. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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