Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAP_9/LAP116
Victor de LAPRADE
PERNETTE
1870
CHANT TROISIÈME
LES RÉFRACTAIRES
Encor chargé du lit, des coffres, de la table, 6+6 a
Au milieu de la cour, le timon sur le sable, 6+6 a
Le char était penché ; les bœufs au poil fumant, 6+6 b
Déliés au soleil, ruminaient lentement. 6+6 b
5 Et du maïs en tas, près de l’étable ouverte, 6+6 a
Broutaient la feuille épaisse et la tige encor verte. 6+6 a
Servantes et valets, du char sur l’escalier 6+6 b
Transportaient les débris d’un humble mobilier ; 6+6 b
Et, mesurant aux bœufs l’herbe et la paille fraîche, 6+6 a
10 Le prudent maître errait du fenil à la crèche. 6+6 a
Là-haut, par le vitrail, une figure en pleurs, 6+6 b
Écartant le jasmin, s’encadre dans les fleurs : 6+6 b
C’est Pernette !… Elle ouvrait la chambre hospitalière 6+6 a
Où l’asile est offert à la mère de Pierre. 6+6 a
15 Bientôt, sur le plancher et dans chaque recoin, 6+6 b
Meubles, paquets étant déposés avec soin, 6+6 b
Tout fut mis en sa place et l’ordre vint à naître, 6+6 a
L’ordre élégant qui veut l’œil et la main du maître. 6+6 a
Pernette s’empressait, active à reployer 6+6 b
20 Habits et linge au fond des bahuts de noyer. 6+6 b
La veuve, alerte encore, aidait la jeune fille. 6+6 a
« Nous sommes, dit l’enfant, une seule famille ; 6+6 a
Mère, reposez-vous ! C’est moi, dès aujourd’hui, 6+6 b
Moi qui vous servirai, comme si c’était lui. 6+6 b
25 Malgré leur loi méchante, et qui vous a chassée, 6+6 a
Suis-je pas votre fille, étant sa fiancée ? 6+6 a
Je sais quel fut, chez vous, l’ordre qui vous plaisait, 6+6 b
Par quel art chaque meuble à sa place luisait ; 6+6 b
Tout sera fait selon vos avis, votre usage, 6+6 a
30 Et je tiendrai de vous la règle du ménage. 6+6 a
— Agissons, la douleur nous en fait un besoin, 6+6 b
Dit la mère, et pleurons toutes deux sans témoin. » 6+6 b
Et, marchant de concert, le travail et les larmes 6+6 a
Redoublaient d’heure en heure et se prêtaient des charmes, 6+6 a
35 Car les champs gardent l’homme en sa pleine vigueur, 6+6 b
Ses bras n’y tremblent pas des secousses du cœur ; 6+6 b
Nul œuvre n’y languit, rien ne s’y perd en rêve ; 6+6 a
La passion subsiste et le labour s’achève. 6+6 a
Ainsi, dans ce manoir, rien ne trahit un deuil ; 6+6 b
40 L’abondance et la grâce éclatent sur le seuil ; 6+6 b
Partout brille et sourit, sous la main des deux femmes 6+6 a
La propreté, miroir où se montrent les âmes. 6+6 a
Des soins promis au père, à l’enfant, à l’époux, 6+6 b
Tout ce logis témoigne, avec un art jaloux. 6+6 b
45 L’ordre en joyeux palais transforme un toit de chaume, 6+6 a
Et la reine s’y peint dans son petit royaume. 6+6 a
Or, tandis que cet art des cœurs simples et purs 6+6 b
D’un luxe à peu de frais égayait ces vieux murs, 6+6 b
Dans la cour retentit une voix claire et ferme 6+6 a
50 Et le pas d’un cheval bien connu dans la ferme. 6+6 a
Et chacun d’accourir : c’était le cher docteur ! 6+6 b
On s’empressait ; le maître aidait le serviteur, 6+6 b
Versait la fraîche avoine et tendait l’auge pleine 6+6 a
Au bon trotteur couvert d’un chaud tapis de laine. 6+6 a
55 Mais là-haut, chez la veuve, et loin des indiscrets, 6+6 b
Pernette a du goûter achevé les apprêts. 6+6 b
Près des fruits, du gâteau, retirés de la planche, 6+6 a
Le reflet du vin blanc dorait la nappe blanche. 6+6 a
Et l’hôte aimé de tous, de plus près entouré, 6+6 b
60 Ne laissa pas languir le récit désiré : 6+6 b
« Tout va bien ; nos forêts ne vendront pas leurs hôtes, 6+6 a
Et sur ces braves cœurs portent leurs têtes hautes. 6+6 a
Ah ! l’on peut, libre encor, sous nos sapins gaulois, 6+6 b
S’abriter des sergents et des mauvaises lois ! 6+6 b
65 Vrai ! si j’étais moins vieux, j’aimerais cette vie : 6+6 a
D’un nid au fond des bois j’ai toujours eu l’envie. 6+6 a
J’arrive et j’ai tout vu : on ne manque de rien. 6+6 b
Or, vous savez que moi, mon bidet et mon chien, 6+6 b
Sachant tous les sentiers, ne craignant gens ni bêtes, 6+6 a
70 Passons à travers tout, malgré vents et tempêtes… 6+6 a
— On vous aime partout, voilà votre secret, 6+6 b
Dit la mère… Et que font nos gars dans la forêt ? 6+6 b
— Certes, dit le docteur, leur existence est douce : 6+6 a
On chasse, on pêche, on dort, même on boit sur la mousse ; 6+6 a
75 On sculpte le tilleul et l’on tresse l’osier ; 6+6 b
On visite, au dessert, l’airelle et le fraisier. 6+6 b
Les bergers des chalets, peu soumis à la règle, 6+6 a
Dans les creux des rochers cachent des pains de seigle, 6+6 a
Des fromages, du lard ; et, malgré la saison, 6+6 b
80 On ne se prive pas d’un peu de venaison. 6+6 b
Là-haut, il est aussi des chevreuils réfractaires, 6+6 a
Nos derniers sangliers y vivent solitaires. 6+6 a
Quand le pain se fait dur, on va se promener, 6+6 b
Un bon coup de fusil complète le dîner ; 6+6 b
85 On sait tendre un lacet juste au gîte du lièvre ; 6+6 a
La grive au crin fatal se prend sur le genièvre. 6+6 a
Puis le docteur, trottant là-bas dans le ravin, 6+6 b
N’est-il pas accusé d’aimer fort le bon vin ? 6+6 b
N’a-t-il pas au logis quelques vieilles bouteilles 6+6 a
90 — Comme on dirait en vers — du pur esprit des treilles ? 6+6 a
S’il met dans chaque fonte un armement complet, 6+6 b
Deux flacons d’élixir au lieu d’un pistolet ; 6+6 b
Si, parvenu là-haut, et débridant sa Grise, 6+6 a
A travers les sapins ce savant herborise ; 6+6 a
95 Si, sous quelques rochers des chasseurs très connus 6+6 b
Il dépose en grimpant les flacons bienvenus ; 6+6 b
Si même, à quelque gars qui peut être un malade, 6+6 a
Il tâte le poignet et donne l’accolade 6+6 a
Et devise avec lui jusqu’au prochain sentier, 6+6 b
100 Où donc serait le mal ? il a fait son métier ! 6+6 b
Nuit et jour un docteur, muni de son remède, 6+6 a
Ne doit-il pas à tous ses conseils et son aide ? 6+6 a
C’est ainsi que je traite et guéris à la fois 6+6 b
Mes clients des châteaux et mes clients des bois ; 6+6 b
105 Et de ceux qui pour garde ont pris dame Nature 6+6 a
La santé me fera quelque honneur, je vous jure. » 6+6 a
Mais, dans les yeux distraits et fixés vaguement, 6+6 b
Le vrai souci des cœurs éclatait par moment. 6+6 b
Pernette, sans rougir, le trahit la première, 6+6 a
110 A voix haute et disant ces simples mots : « Et Pierre ? » 6+6 a
« Enfin ! ce pauvre Pierre, on pense à lui ! D’honneur, 6+6 b
J’ai cru qu’on l’oubliait ! — dit le malin docteur. 6+6 b
Eh bien ! comme partout, Pierre est roi de la fête ; 6+6 a
Et notre cher curé fut vraiment un prophète, 6+6 a
115 Quand il nous exhortait et d’un œil paternel 6+6 b
Voyait Pierre officier, peut-être colonel. 6+6 b
Il est mieux que cela ! chef élu d’une armée ; 6+6 a
Il est prince, il est roi, là-haut sous la ramée, 6+6 a
Par de gais lieutenants obéi sans terreur, 6+6 b
120 Moins flatté, moins volé que n’est un empereur. 6+6 b
Dans la libre forêt il arrivait à peine, 6+6 a
Que par droit de nature il était capitaine. 6+6 a
Un plus brave, un plus beau, dans tout notre canton, 6+6 b
— Demandez à Pernette — où le trouverait-on ? 6+6 b
125 Son ferme esprit s’impose aux têtes les plus chaudes ; 6+6 a
Dès lors tout est correct là-haut, plus de maraudes, 6+6 a
De querelles, de coups ; et jamais le soleil 6+6 b
N’a vu pour la sagesse un régiment pareil. 6+6 b
Mais parlez-moi de vous, Madeleine ! À l’avance, 6+6 a
130 Je sais trop ce qu’annonce ici votre présence. 6+6 a
— Oui, docteur, je n’ai plus de pain, plus de maison. 6+6 b
Tout un mois j’ai nourri, payé la garnison ; 6+6 b
Hormis mon pauvre linge, il m’a fallu tout vendre. 6+6 a
Ces hommes sont partis n’ayant plus rien à prendre ; 6+6 a
135 Et je me croyais quitte ; un ordre est arrivé 6+6 b
De me jeter, mon lit et moi, sur le pavé. 6+6 b
La vengeance des lois, pour ces crimes suprêmes, 6+6 a
A défaut du conscrit frappe les murs eux-mêmes. 6+6 a
Je suis seule et sans force, et rien ne me défend… 6+6 b
140 On est à démolir le toit de mon enfant ; 6+6 b
Comme d’autres parents, près d’ici, l’ont vu faire, 6+6 a
Coupables de cacher leur fils, un réfractaire ; 6+6 a
Comme on l’a fait là-bas, chez le pauvre Simon, 6+6 b
Qui deux ans réussit à sauver son garçon. 6+6 b
145 Trahi plus tard, jugé, condamné par surprise, 6+6 a
On fusilla l’enfant sous les murs de l’église. 6+6 a
A tous les insoumis promettant même sort, 6+6 b
On affiche partout des menaces de mort ; 6+6 b
Et ce soir le préfet, pour dernière infortune, 6+6 a
150 Vient, dit-on, semoncer et taxer la commune. 6+6 a
— Lui ! dit le médecin. Que vont-ils faire encor 6+6 b
Pour nous tirer du sang, des larmes et de l’or ? 6+6 b
Ah ! moi, je le connais, et d’une date ancienne, 6+6 a
Ce baron-là, ce chien couchant croisé d’hyène !… 6+6 a
155 Et le bras du vieillard tremblait, le poing serré ; 6+6 b
Une flamme brillait sur son front empourpré. 6+6 b
Et dans les traits si doux, si francs de ce visage, 6+6 a
Une sainte colère imprimait son passage. 6+6 a
N’étant pas de ces cœurs au sourire banal 6+6 b
160 Dont la bonté n’est rien qu’indifférence au mal, 6+6 b
Ardent, généreux, pur d’ambitions humaines, 6+6 a
Un vif amour faisait en lui les vives haines. 6+6 a
Mais quand sa voix tonnait, grondant comme l’airain, 6+6 b
De sa haute raison l’azur restait serein. 6+6 b
Donc, il reprit :
165 « J’ai vu dans son club, dans son bouge, 6+6 a
J’ai vu ce sénateur coiffé du bonnet rouge, 6+6 a
Effréné, dénonçant les lenteurs du couteau 6+6 b
À frapper sur le noble et les gens à château, 6+6 b
Sur ceux enfin dont lui, le citoyen Antoine, 6+6 a
170 Avait hier mangé le pain et bu l’avoine. 6+6 a
Car — on peut en juger à ses belles façons — 6+6 b
Il débuta valet de fort grandes maisons ; 6+6 b
De là, tribun poussé par son ardeur civique, 6+6 a
L’Empire le reçut chaud de la République. 6+6 a
175 Nul mieux que ce laquais, ancien tueur de rois, 6+6 b
Ne sait l’art d’être esclave et tyran à la fois ; 6+6 b
De ses anciens métiers il garde quelque chose, 6+6 a
Il est le même au fond, servant une autre cause, 6+6 a
Insolent et servile… aussi, point de pitié ! 6+6 b
180 Cet homme à deux tranchants ne fait rien à moitié. 6+6 b
S’il nous fallait fléchir chez quelque vieux stoïque 6+6 a
L’orgueil républicain ou la foi monarchique, 6+6 a
Même un homme tout neuf dressé par le pouvoir, 6+6 b
Que nul passé ne gêne et strict à son devoir, 6+6 b
185 Qui n’a jamais hurlé de phrases libérales 6+6 a
Et tonné pour les droits du peuple dans les halles, 6+6 a
Peut-être nous pourrions espérer, par hasard, 6+6 b
D’être un peu moins, nous peuple, immolés à César. 6+6 b
Mais, malheur ! nous voilà, bonnes gens, sous la patte 6+6 a
190 D’un préfet, d’un baron ci-devant démocrate ; 6+6 a
Craignons tout ! il n’est pas de plus âpre tyran 6+6 b
Qu’un Brutus en sabots devenu chambellan. 6+6 b
— Hélas ! dit Madeleine, en l’état où nous sommes, 6+6 a
Fût-il le plus méchant ou le meilleur des hommes, 6+6 a
195 Que craindre ou qu’espérer ? Je renonce à mon bien. 6+6 b
Me rendra-t-il l’enfant ?… Tout le reste n’est rien. 6+6 b
C’en est fini pour nous de la paix, de la joie ; 6+6 a
Jamais ce bras de fer lâche-t-il une proie ! » 6+6 a
Tandis qu’elle parlait et pleurait en parlant, 6+6 b
200 Un pas sur l’escalier résonna grave et lent. 6+6 b
On ouvre, et le soleil entre à pleines murailles : 6+6 a
C’était le bon pasteur visitant ses ouailles ; 6+6 a
Il paraît sur le seuil, et tous, jeunes et vieux, 6+6 b
Se lèvent devant lui pleins d’un respect joyeux. 6+6 b
205 « Mes enfants, dit le prêtre, à chaque jour sa peine ; 6+6 a
Le besoin de pleurer avec vous me ramène. 6+6 a
Pour adoucir le mal, hélas ! je puis bien peu ; 6+6 b
Que j’aide au moins vos cœurs à se tourner vers Dieu ! 6+6 b
Et que mon humble amour vous rappelle et vous nomme 6+6 a
210 Cet amour tout puissant veillant, là-haut, sur l’homme. » 6+6 a
En leur parlant ainsi, le pasteur bien aimé 6+6 b
Leur indiquait le ciel d’un geste accoutumé. 6+6 b
Il reprend :
« Madeleine, ici, chez votre fille, 6+6 a
Vous aurez un appui, vous vivrez en famille, 6+6 a
215 Dieu vous donne un doux gîte et des jours mieux remplis 6+6 b
Au lieu des murs déserts par la loi démolis. 6+6 b
— Curé, dit le bouillant docteur, je vous renie, 6+6 a
Si vous appelez loi pareille tyrannie. 6+6 a
Contre un joug aussi dur, dès qu’on peut le briser, 6+6 b
220 La révolte est de droit ! Il s’agit de l’oser. » 6+6 b
Alors, s’étant assis sur le fauteuil antique, 6+6 a
L’homme de Dieu leur dit de sa voix pacifique : 6+6 a
« Oui, d’une loi trop dure et d’un maître inclément 6+6 b
Naît la sédition, d’où naît le châtiment : 6+6 b
225 Affreux cercle d’airain qui, du chef implacable, 6+6 a
Roule au peuple en démence, et tous deux les accable ! 6+6 a
Mais comment rompre, hélas ! sur cette terre en deuil, 6+6 b
L’enchaînement fatal des haines à l’orgueil, 6+6 b
Et qui nous retiendra, courant à notre perte, 6+6 a
230 Entre l’injure à rendre et l’injure soufferte, 6+6 a
Si nul homme au pardon, de Dieu même enseigné, 6+6 b
N’ouvre une fois son cœur, doucement résigné ; 6+6 b
Si nous rendons toujours offense pour offense ; 6+6 a
Si nous n’essayons pas de l’oubli pour défense ; 6+6 a
235 Si l’humble charité n’efface un peu des cœurs 6+6 b
Et l’orgueil des vaincus et celui des vainqueurs ? 6+6 b
Ceux qui sèment le vent récoltent la tempête ; 6+6 a
Notre faute d’hier gronde sur notre tête. 6+6 a
Pour nos fils insoumis qui peuplent ces forêts 6+6 b
240 Le terrible chasseur dresse de nouveaux rets : 6+6 b
Voici que des soldats, sous un chef dur et sombre. 6+6 a
Vers le bourg, me dit-on, marchent en très grand nombre. 6+6 a
Comment feront, là-haut, pour éviter leurs coups, 6+6 b
Tous ces pauvres enfants, traqués comme des loups ? 6+6 b
245 — Pour ces chères brebis sans guide et sans apôtre, 6+6 a
Mon cœur s’effraye un peu, mais bien moins que le vôtre, 6+6 a
Cher curé, — répondit le médecin des bois, 6+6 b
Dans le péril toujours clairvoyant et narquois : — 6+6 b
J’ai ma nouvelle aussi, plus sûre et moins notoire. 6+6 a
250 César va, je le sais, de victoire en victoire ; 6+6 a
C’est affiché !… Pourtant je crois qu’il a besoin 6+6 b
De porter ses soldats loin de chez nous, fort loin ; 6+6 b
Et nos vieilles forêts, riant de vos alarmes, 6+6 a
Sont faites à narguer longtemps les bons gendarmes. 6+6 a
255 Mais il faut qu’un avis parte, et sans plus tarder 6+6 b
Enjoigne à nos enfants, là-haut, de se garder. 6+6 b
J’y vais par le plus court ; garnissant mes sacoches… 6+6 a
Ma Grise a le pied sûr, et bondit sur les roches, 6+6 a
Et vole infatigable à travers vaux et monts, 6+6 b
260 Quand je pique des deux vers ceux que nous aimons. 6+6 b
Mais le pasteur, plus sage, avec un fin sourire 6+6 a
Répondit :
« Toute armure a son défaut ; j’admire 6+6 a
Un général expert, à ce point endormi 6+6 b
De se croire invisible aux yeux de l’ennemi ! 6+6 b
265 S’il est quelqu’un, chez nous, qu’on guette et qu’on soupçonne, 6+6 a
C’est l’homme au franc parler, vous, docteur, en personne. 6+6 a
Entrer ici le soir, et remonter après 6+6 b
Vers les bois, c’est trahir nos gens et vos secrets ; 6+6 b
Il faut pour ce message, où l’on risque sa vie, 6+6 a
270 Un obscur envoyé dont nul ne se défie. » 6+6 a
Or, sans quitter l’ouvrage et sans rompre une fois 6+6 b
Le fil du lourd tricot sous ses agiles doigts, 6+6 b
Sans qu’un geste, un regard trahît son âme tendre, 6+6 a
Pernette écoutait tout, rapide à tout comprendre. 6+6 a
275 Tenant ses yeux baissés, calme et sans s’émouvoir, 6+6 b
Elle dit ces deux mots :
« J’irai, c’est mon devoir. 6+6 b
— Toi, mon enfant ! là-haut, dans les bois, toute seule, 6+6 a
Comme un noir bûcheron, comme une antique aïeule ? 6+6 a
Je t’ai cru plus de sens. Renonce à ton dessein ; 6+6 b
280 Crains le diable et les loups ! » dit le vieux médecin. 6+6 b
Alors se redressant et posant son ouvrage, 6+6 a
D’une voix haute et ferme, et sans trouble au visage, 6+6 a
La noble jeune fille, honneur de la maison, 6+6 b
Parla selon son cœur et selon sa raison : 6+6 b
285 « Par le choix de mon père et le don de mon âme, 6+6 a
Devant Dieu, devant vous, ne suis-je pas sa femme ? 6+6 a
Nous aurons même sort ! j’ai droit de partager, 6+6 b
A défaut de son nom, sa peine et son danger. 6+6 b
Je sais pour quels devoirs, femmes, nous sommes faites ; 6+6 a
290 Je sais que de soucis et combien peu de fêtes 6+6 a
Deux cœurs associés pour ce voyage humain, 6+6 b
Même bénis du ciel, trouvent sur leur chemin. 6+6 b
Une femme chrétienne et noblement jalouse, 6+6 a
Dans le péril surtout, songe à ses droits d’épouse : 6+6 a
295 Car nous venons, hélas ! dans ce monde fatal, 6+6 b
Moins donner le bonheur que consoler du mal. 6+6 b
Vous m’avez dit cela, vous, mère, et vous, saint prêtre ; 6+6 a
Et mon cœur me l’eût dit, à défaut de tout maître. 6+6 a
Donc, vers l’homme avec qui je dois vivre et mourir 6+6 b
300 J’irai seule : et, s’il est des risques à courir, 6+6 b
Me voyant femme forte et digne de lui-même, 6+6 a
Il m’en aimera plus, sachant mieux que je l’aime. 6+6 a
Que je parte, il m’attend ! Fille de ces forêts, 6+6 b
J’en connais les sentiers et les abords secrets, 6+6 b
305 Que de fois, tous les deux, sous le chêne ou le tremble, 6+6 a
N’avons-nous pas gravi ces sommets ! Il me semble, 6+6 a
Allant le retrouver, que nos bois, s’il le faut, 6+6 b
Tels que de vieux parents me défendront là-haut ; 6+6 b
Et, comme sous ce toit, à l’ombre de mon père, 6+6 a
310 Dieu parmi ces déserts me suivra, je l’espère. » 6+6 a
Et la vierge au grand cœur suppliait du regard 6+6 b
Son père et ses amis hésitants. Le vieillard 6+6 b
Troublé se recueillait ; le médecin rebelle 6+6 a
Allait darder son mot et pousser la querelle, 6+6 a
315 Quand le sage pasteur ajouta doucement : 6+6 b
« Respectons le désir qui parle en ce moment ! 6+6 b
C’est le cri d’un cœur chaste et d’une âme intrépide. 6+6 a
Laissons à cette enfant son noble instinct pour guide. 6+6 a
Oubliant les périls, voyons mieux le devoir. 6+6 b
320 Laissons sur nos terreurs cette foi prévaloir. 6+6 b
La foi, sur l’Océan, au bord du précipice, 6+6 a
Pose un pied qui jamais ne s’enfonce et ne glisse ; 6+6 a
Dieu, pour franchir l’abîme et planer sur les eaux, 6+6 b
Dieu prête au ferme espoir les ailes des oiseaux. 6+6 b
325 Moi, je le sens, pas un des dangers qu’on redoute 6+6 a
N’osera t’assaillir, vierge, sur cette route. 6+6 a
Celle qu’un amour pur arme de son acier 6+6 b
Sait marcher sans se prendre à nul piège grossier. 6+6 b
Va donc ! Tu braveras rôdeurs et sentinelle ; 6+6 a
330 Annonce à l’hôte aimé des forêts paternelles 6+6 a
L’orage qui s’avance et le flot débordé. 6+6 b
Va ! Tout ce que Dieu garde, enfant, est bien gardé. 6+6 b
Le conseil du pasteur fit loi dans la famille ; 6+6 a
Le bon Jacque en pleurant bénit sa noble fille, 6+6 a
335 Et chez ces gens, plus prompts aux actes qu’aux discours, 6+6 b
Du voyage permis les apprêts furent courts. 6+6 b
Elle partit, ayant un compagnon fidèle : 6+6 a
Vainement écarté, le chien nourri par elle 6+6 a
Revenait, s’élançait et flairait le chemin, 6+6 b
340 Muet, la regardait et lui léchait la main ; 6+6 b
Comme si du départ subit et solitaire 6+6 a
Son instinct eût compris la route et le mystère. 6+6 a
Par un étroit sentier, vers le but hasardeux, 6+6 b
La nuit étant sereine, ils montèrent tous deux. 6+6 b
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