Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAP_8/LAP97
Victor de LAPRADE
LES VOIX DU SILENCE
1864
V
RESURRECTURIS
AUX POLONAIS.
Pologne, encore un flot | de ce sang indompté 6+6 a
Si bien connu du Christ | et de la liberté ! 6+6 a
Ah ! jamais tes soldats, | tes martyrs que je prie, 6+6 b
N’ont mieux conquis le droit | d’avoir une patrie 6+6 b
5 Qu’à l’heure où, sans frapper | et sans parer les coups, 6+6 a
Ces vaillants pour mourir | se sont mis à genoux. 6+6 a
Non ! pas même en ces jours | de croisade sans trêve, 6+6 b
Où l’Occident chrétien | s’abritait sous ton glaive, 6+6 b
Ni quand tes fils, hélas ! | mal payés de retour, 6+6 a
10 Sous nos drapeaux ingrats | tombaient avec amour ; 6+6 a
Ni lorsqu’au noir Cosaque | ils arrachaient leur ville, 6+6 b
Jamais, en combattant, | vainqueurs un contre mille, 6+6 b
Leur sang n’aura coulé, | sous le fer ou le feu, 6+6 a
Plus sacré devant l’homme | et plus pur devant Dieu ! 6+6 a
15 Laisse dans le fourreau, | laisse ta grande épée ! 6+6 b
Ta résignation | ne sera pas trompée ; 6+6 b
Accepte le martyre | encor jusqu’à demain. 6+6 a
Nous avons vu le fer | à l’œuvre dans ta main ; 6+6 a
Et tu n’es pas de ceux | qu’un soupçon peut atteindre : 6+6 b
20 Nul ne t’accusera | de ruser et de craindre, 6+6 b
De ne vaincre jamais | que par le bras d’autrui, 6+6 a
Et d’insulter plus tard | les sauveurs d’aujourd’hui… 6+6 a
Va ! tu peux, une fois, | prendre pour seules armes 6+6 b
Le deuil et la prière, | et d’innocentes larmes ; 6+6 b
25 Ta gloire, et tous ces morts, | et la France ta sœur, 6+6 a
D’une ombre de faiblesse | absolvent ta douceur, 6+6 a
Tu peux tendre au bourreau | ta poitrine et ta joue, 6+6 b
Et porter ce gibet, | et souffrir qu’on t’y cloue ; 6+6 b
Seule et sans nul secours | des peuples ou des rois, 6+6 a
30 Tu sais, quand il le faut, | descendre de ta croix. 6+6 a
Oppose un jour, sans honte | et sans fierté vulgaire, 6+6 b
Les armes de la paix | à celles de la guerre ; 6+6 b
Enseigne aux opprimés | de ces coups de vertu 6+6 a
Par où l’on est vainqueur | sans avoir combattu. 6+6 a
35 A toi de nous montrer, | victime obéissante, 6+6 b
L’éternité du droit | et la force impuissante, 6+6 b
Et l’essor de l’esprit | qu’on ne peut étouffer, 6+6 a
Et la vigueur de l’âme | usant celle du fer. 6+6 a
Quelle arme les vaincra, | ces sublimes rebelles ? 6+6 b
40 Pour unique arsenal | ils ont pris leurs chapelles. 6+6 b
Nourris du Dieu martyr, | à ces combats nouveaux 6+6 a
Les hommes s’avançaient | plus doux que des agneaux ; 6+6 a
Calmes sous la menace | et sans cris de furie, 6+6 b
Opposant aux canons | un seul mot : La patrie ! 6+6 b
45 A pas lents, comme on suit | le dais et l’ostensoir 6+6 a
Dans une ville en fête | escortés jusqu’au soir, 6+6 a
Ils marchaient ; ils chantaient, | pareils à des Lévites, 6+6 b
Attendaient, à genoux, | les balles moscovites, 6+6 b
Offrant à l’ennemi, | d’un geste solennel, 6+6 a
50 Leurs cœurs pleins de pardon | et d’amour fraternel. 6+6 a
Ces cœurs de citoyens | égorgés sans murmure, 6+6 b
Voilà de tous les droits | la plus solide armure ! 6+6 b
Vous l’avez reconquise. |, et nous la garderons, 6+6 a
La force qui dans Rome | a vaincu les Nérons, 6+6 a
55 La force des enfants | et des vierges sereines, 6+6 b
Dont les lions léchaient | les pieds dans les arènes, 6+6 b
Dont l’innocent regard | lançait une terreur 6+6 a
A tenir hésitant | le tigre et l’empereur, 6+6 a
Vous aussi, vous saurez | vaincre par le martyre ! 6+6 b
60 Du glaive et du poignard | la trempe se retire ; 6+6 b
Leur fer va se briser, | s’il frappe une autre fois, 6+6 a
Sur vos fronts revêtus | du signe de la croix. 6+6 a
L’Europe, où retentit | le tocsin des alarmes, 6+6 b
O Pologne ! attendait | un éclair de tes armes. 6+6 b
65 Au bruit de nos canons, | les peuples en éveil 6+6 a
Avaient pris ton repos | pour le dernier sommeil. 6+6 a
Mais va ! dans nul combat, | ô fière Varsovie ! 6+6 b
Ton sang n’a mieux prouvé | ton indomptable vie ; 6+6 b
Jamais ton noble espoir, | qui sait se contenir, 6+6 a
70 N’a d’un plus ferme élan | bondi vers l’avenir. 6+6 a
Le Christ aux nations | donne une âme éternelle. 6+6 b
Pas de joug assez lourd, | d’armée en sentinelle, 6+6 b
De rocher sépulcral, | scellé comme le tien, 6+6 a
Que ne brise, à son heure, | un vrai peuple chrétien. 6+6 a
75 Moi, je sens qu’un écho | de cette sombre fête 6+6 b
A dans l’humble chanteur | suscité le prophète : 6+6 b
De ces illustres morts | naîtra la liberté ; 6+6 a
Chaque goutte de sang | a sa fécondité. 6+6 a
Lève-toi du cercueil, | dans ta vigueur première, 6+6 b
80 Lazare aimé du Christ, | et revois la lumière ! 6+6 b
Rejette le linceul | et l’esclavage étroit, 6+6 a
Car tu n’as pas douté | de Dieu, ni de ton droit. 6+6 a
Vous vaincrez ! J’en atteste, | ô soldats pacifiques ! 6+6 b
La terre où de vos os | vont germer les reliques, 6+6 b
85 Et les premiers martyrs, | ces vaincus immortels, 6+6 a
Par qui le Fils de l’Homme | a conquis ses autels. 6+6 a
J’en atteste la croix | debout au Colisée ; 6+6 b
L’arbre survit encore | à la hache brisée. 6+6 b
Vous vaincrez par l’exil, | par ses maux infinis ; 6+6 a
90 Vous vaincrez par la mort | et serez rajeunis. 6+6 a
Tant qu’un sang généreux | jaillira de vos veines, 6+6 b
Portez donc votre espoir | au niveau de vos peines : 6+6 b
La patrie est vivante | et prête à refleurir, 6+6 a
Lorsque les citoyens | savent si bien mourir. 6+6 a
95 Ah ! ce sang est versé | pour notre Europe entière ! 6+6 b
Entre les cœurs chrétiens | il n’est pas de frontière. 6+6 b
La liberté, qu’on souille | et qu’on étouffe ailleurs, 6+6 a
Aura pour vous des jours | et des soldats meilleurs. 6+6 a
Vous avez fait pour elle, | ô morts sans représailles ! 6+6 b
100 Plus en ce jour de foi | qu’en dix ans de batailles. 6+6 b
La Vierge qu’insulta | notre cynique ardeur 6+6 a
Retrouve enfin, chez vous, | sa divine pudeur ; 6+6 a
Grâce à vous seuls, le monde | a pu la revoir telle 6+6 b
Qu’il adorait du Christ | cette fille immortelle, 6+6 b
105 Blanche, et douce, et paisible | en son chaste maintien, 6+6 a
N’ayant jamais versé | d’autre sang que le sien ; 6+6 a
Telle que, dans le cirque, | à la mort entraînée, 6+6 b
En face des Césars | et de Rome étonnée, 6+6 b
Rayonnante, on la vit, | pour ses dogmes nouveaux, 6+6 a
110 Recruter des martyrs | jusque chez les bourreaux. 6+6 a
J’aime à la voir, ainsi, | triomphant d’elle-même, 6+6 b
N’ayant courbé son front | que sous l’eau du baptême, 6+6 b
Fière devant les rois, | humble dans le saint lieu… 6+6 a
Je n’ai compris jamais | la liberté sans Dieu. 6+6 a
115 Va ! la tienne a, pour vaincre | une force usurpée, 6+6 b
La croix qui la défend | aussi bien que l’épée, 6+6 b
Et l’essaim des martyrs | qui jaillit de ton flanc, 6+6 a
Pologne ! et ton nom pur | comme ton aigle blanc. 6+6 a
Dans nos jours incertains | semés de lueurs sombres, 6+6 b
120 Où le devoir lui-même | est environné d’ombres, 6+6 b
Où le droit, orageux | et qui déborde encor, 6+6 a
Roule tant de limon, | hélas ! avec tant d’or, 6+6 a
Toi seul, peuple martyr, | dans la noire mêlée, 6+6 b
Gardas sous l’œil de Dieu | ta cause immaculée. 6+6 b
125 Hormis tes oppresseurs, | frappés dans leur orgueil, 6+6 a
Jamais ta liberté | ne mit la terre en deuil ; 6+6 a
Jamais un droit ne fut, | sur des têtes royales, 6+6 b
Offensé par ton droit | et tes armes loyales ; 6+6 b
Jamais ta noble main | n’aiguisa le poignard ; 6+6 a
130 Jamais des vils poisons | tu n’as pratiqué l’art ; 6+6 a
Jamais tu n’as frappé | dans l’ombre et par derrière, 6+6 b
Et fait de l’amitié | la ruse meurtrière, 6+6 b
Et parjure, à l’abri | d’un encens odieux, 6+6 a
Dépouillé les autels | en saluant les dieux… 6+6 a
135 Poursuis donc, sans faiblesse | et sans vaine utopie, 6+6 b
Et tiens ta cause à part | de toute cause impie ; 6+6 b
Toujours prête à tenter | d’héroïques hasards, 6+6 a
Mais ne croyant pas plus | aux tribuns qu’aux Césars. 6+6 a
Ils ont tous, en flattant | une race oppressée, 6+6 b
140 Leurs projets tortueux | et leur double pensée… 6+6 b
Ne risquez point l’honneur | à ce funèbre jeu, 6+6 a
Ne comptez que sur vous, | Polonais, et sur Dieu. 6+6 a
Mais vous n’êtes pas seuls | livrés aux rois contraires, 6+6 b
Partout, à votre insu, | naissent pour vous des frères ; 6+6 b
145 D’invisibles amis, | avec vous conjurés, 6+6 a
Sans ligue et sans complot, | forment des nœuds sacrés ; 6+6 a
Tous ceux dont votre exemple | a retrempé la fibre, 6+6 b
Qui, sous un front chrétien, | portent une âme libre, 6+6 b
Et font par leur mépris, | calmes et désarmés, 6+6 a
150 Envier aux tyrans | le sort des opprimés. 6+6 a
Oui, loin des parvenus | et des foules stupides, 6+6 b
L’honneur, à petit bruit, | peuple des Thébaïdes ; 6+6 b
On y saura garder | le culte qui se perd, 6+6 a
Et des hommes, un jour, | sortiront du désert… 6+6 a
155 Croyez-en le poëte, | ami de ces retraites, 6+6 b
Qui lit avec son cœur | dans les choses secrètes, 6+6 b
Qui, pareil aux oiseaux, | du fond des horizons, 6+6 a
Voit poindre la beauté | des futures saisons ; 6+6 a
Qui dans l’âme et la plante, | à sa voix fécondées, 6+6 b
160 Entend courir la sève | et sourdre les idées ; 6+6 b
Qui, même en un cachot, | saurait dire, à coup sûr, 6+6 a
S’il se forme un orage, | ou si le ciel est pur. 6+6 a
Je vois, j’entends au loin, | dans la sphère des âmes, 6+6 b
Grandir et s’approcher | des rumeurs et des flammes, 6+6 b
165 S’amasser pour demain, | en un ciel sans courroux, 6+6 a
Les foudres de l’esprit | qui combattront pour vous ! 6+6 a
Tôt ou tard la justice | à ce monde s’impose ; 6+6 b
Un vengeur imprévu | naît à la sainte cause. 6+6 b
Peut-être que, ce soir, | au milieu des éclairs, 6+6 a
170 Un autre Labarum | paraîtra dans les airs… 6+6 a
Et le bourreau lui-même, | étonné de sa chute, 6+6 b
Tendra sa main sanglante | au Dieu qu’il persécute ; 6+6 b
Et brisant le sépulcre | où dort la liberté, 6+6 a
Le grand peuple martyr | sera ressuscité. 6+6 a
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