Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LAP_8/LAP108
Victor de LAPRADE
LES VOIX DU SILENCE
1864
XVI
AMENDE HONORABLE
O Dieu de mon berceau, sois le Dieu de ma tombe !
(LAMARTINEHymne au Christ.)
I
O Christ, ta passionsera donc éternelle ! 6+6 a
L’homme à percer ton cœurs’exerce chaque jour ; 6+6 b
Et l’affreux déicide,hélas ! se renouvelle 6+6 a
Sans lasser nos fureurs,pas plus que ton amour. 6+6 b
5 Toujours des voix en fouleacclament ton supplice ; 6+6 a
Toujours, pour le subir,tu redescends du ciel. 6+6 b
Au pied du Golgotha,dans ton amer calice, 6+6 a
Chaque siècle en passantvient exprimer son fiel. 6+6 b
On t’ôte, on te redonneun sceptre dérisoire 6+6 a
10 Qui sert à te meurtrirsur tes âpres chemins ; 6+6 b
Et Pilate, impassibleen son hideux prétoire, 6+6 a
Livre le sang du justeet s’en lave les mains. 6+6 b
Nous, indignes témoinsde la grande agonie, 6+6 a
Réveillés par trois fois,nous dormons lâchement ; 6+6 b
15 Et plus d’un faible amise cache ou te renie 6+6 a
Et ne t’avouera Dieuqu’à son dernier moment. 6+6 b
Donc tu mentais à l’homme,au ciel qui te délaisse : 6+6 a
L’arrêt en est portépar la foule et ses rois, 6+6 b
Et ce monde ironique,en raillant ta promesse, 6+6 a
20 Te crie : « O moribond,descends-tu de la croix ? » 6+6 b
L’orgueil du moindre enfantse rit de ta parole ; 6+6 a
Ta loi tombe à son toursous le niveau fatal, 6+6 b
Et le peuple, en travaild’une nouvelle idole, 6+6 a
Court adorer ses dieuxforgés dans le métal. 6+6 b
25 Te voilà donc vaincupar l’esprit, par le glaive ! 6+6 a
Eh bien ! ton lourd tombeautu le soulèveras ; 6+6 b
Entre tout ce qui tombeet tout ce qui s’élève, 6+6 a
Toi seul, ô divin mort,tu vis et tu vivras, 6+6 b
Tu t’es fait du Calvaireun trône impérissable ; 6+6 a
30 Et ton peuple, à genouxsur ces chastes hauteurs, 6+6 b
Verra tomber, ce soir,les empires de sable 6+6 a
Que dressaient contre Dieudes rois spoliateurs. 6+6 b
Même à cette heure, ô Christ,et sur tout notre globe, 6+6 a
Par delà ces docteursligués pour te honnir, 6+6 b
35 Tandis que les soldatstirent au sort ta robe, 6+6 a
Vois ces mille ouvriersde ton règne à venir ! 6+6 b
Partout l’âme est libre, la terre est féconde, 6+6 a
règne un autre Dieuque l’or ou le canon, 6+6 b
C’est ta loi qui demeure,ô Christ ! ou qui se fonde ; 6+6 a
40 Nos dernières vertusne germent qu’en ton nom. 6+6 b
Vainement s’unissaient,pour ébranler ton culte, 6+6 a
Le despote au sophisteet le peuple aux licteurs ; 6+6 b
Là-bas on meurt pour toi,si chez nous on t’insulte ; 6+6 a
Vois, combien de martyrspour un blasphémateur ! 6+6 b
45 Vois ces soldats enfants,ces vierges, ces lévites 6+6 a
Qui s’arment de ta croixet meurent sur l’autel ; 6+6 b
Tout ce peuple en pâtureaux Nérons moscovites, 6+6 a
Et qui, te prouvant Dieu,se démontre immortel. 6+6 b
Vois, par delà les mers,se choquer ces armées : 6+6 a
50 La servitude expireet fait place à ta loi. 6+6 b
Tant de sang, tant de pleurs,de luttes enflammées, 6+6 a
C’est pour la libertéje veux dire pour toi. 6+6 b
C’est pour toi, pour pansertes divines blessures, 6+6 a
Qu’autour des lits de mortet sur ces champs affreux 6+6 b
55 Des anges descendustouchent de leurs mains pures 6+6 a
Le sang noir des blesséset la chair des lépreux. 6+6 b
On les trouve à genouxsous les gibets infâmes, 6+6 a
Chez tous les délaissés,innocents ou pervers ; 6+6 b
Elles vont, sans frémir,humbles et fortes femmes, 6+6 a
60 Épouser tes douleursau bout de l’univers. 6+6 b
C’est pour planter ta croixqu’on découvre des mondes. 6+6 a
Vers l’antique Orientramenant nos vaisseaux, 6+6 b
La barque d’un apôtrey rend les mers fécondes. 6+6 a
Partout ton labarumprécéda nos drapeaux. 6+6 b
65 Ton astre, que suivaientles bergers et les mages, 6+6 a
Partout annonce à l’hommeune plus douce loi ; 6+6 b
Chez les peuples enfantsvisités par nos sages, 6+6 a
Le véritable journe luira qu’avec toi. 6+6 b
En vain nous y portonsnotre science humaine, 6+6 a
70 Nous leur prêtons nos arts,nos lois, nos chars de feu ; 6+6 b
La raison s’est éteinteet l’âme existe à peine 6+6 a
Dans ces mondes vieillisqui ne t’ont pas pour Dieu. 6+6 b
II
Et voilà qu’on proclame,ô siècle de chimères ! — 6+6 a
Que ta parole, ô Christ,pâlit à nos lumières ; 6+6 a
75 Voilà qu’au Dieu vivantle ver se dit pareil, 6+6 a
Et que la lampe insulteaux clartés du soleil ! 6+6 a
Ainsi tu fis de nouston image suprême 6+6 a
Pour aider notre orgueilà s’adorer lui-même ! 6+6 a
Ce ciel vide de toi,ces œuvres de ta main 6+6 a
80 N’ont pour veiller sur euxque le regard humain ! 6+6 a
Dans leur éternité,ces mers, ce monde immense, 6+6 a
Ce peuple de soleilsflottent sans providence ; 6+6 a
Nul n’a tracé leur routeet nul ne les connt, 6+6 a
Hors l’insecte pensantqui meurt sitôt qu’il nt ! 6+6 a
85 Le monde a pour raisonle seul esprit de l’homme, 6+6 a
Et Dieu tient tout entierdans le mot qui le nomme ! 6+6 a
Prenez-le donc ce mot,dans son inanité, 6+6 a
Et tâchez d’en nourrirla triste humanité, 6+6 a
Servez au lieu du Christ,au lieu du pain des anges, 6+6 a
90 Servez aux affamésvos formules étranges. 6+6 a
A qui pleure une mère,un enfant, une sœur, 6+6 a
Offrez ce Dieu sans voix,sans regard et sans cœur ; 6+6 a
Donnez-le pour richesseà ces pauvres chaumières, 6+6 a
A nos temps assombrisdonnez-le pour lumières ; 6+6 a
95 Donnez-le pour espoiraux veuves, aux mourants, 6+6 a
Pour seul juge aux vaincus,pour seul frein aux tyrans. 6+6 a
Tâchez que l’universun moment le proclame, 6+6 a
Ce Dieu que chacun faitet défait dans son âme, 6+6 a
Qui pense avec Socrateet meurt avec Caton, 6+6 a
100 Mais qui rugit aussidans le tigre et Néron ; 6+6 a
Qui chez un Attilase retrouve et s’adore ; 6+6 a
Qui, couvé dans la brute,en Marat vient éclore ; 6+6 a
Qui siffle avec le fouetdu planteur insolent, 6+6 a
Et, dans la main du Czar,s’allonge en knout sanglant. 6+6 a
105 Sur le trône du Christfaites qu’il règne une heure ; 6+6 a
Puis comptez nos vertus !Voyez ce qui demeure, 6+6 a
Et ce qu’un pareil Dieugarde à l’humanité 6+6 a
De justice et d’amour,surtout de liberté. 6+6 a
Prophètes du néant,voyez ! le ciel est vide ; 6+6 a
110 La prière taritsous votre souffle aride ; 6+6 a
Gardant pour dieux secretsle dédain et l’orgueil, 6+6 a
L’homme a la haine au cœuret l’ironie à l’œil. 6+6 a
Comme la feuille au vent,les âmes desséchées, 6+6 a
A l’arbre de la croixpar le doute arrachées, 6+6 a
115 Roulent en tourbillonssans guide et sans chemins. 6+6 a
Les peuplés ne sont plusque des sables humains ; 6+6 a
Et dans un noir déserttraversé de fantômes, 6+6 a
Un orage éternelemporte ces atomes. 6+6 a
Pulvérisez encore,ô funèbres vainqueurs, 6+6 a
120 Ce qui restait de Dieupour cimenter les cœurs ; 6+6 a
Écrasez sur leur croixle Christ et son Vicaire ; 6+6 a
Aplatissez le mondeen rasant le Calvaire, 6+6 a
Pour que les hauts Césarsdemeurent, parmi nous, 6+6 a
Les seules majestésqu’on adore à genoux ; 6+6 a
125 Que la chair et ses dieux,seuls debout dans nos temples, 6+6 a
Soient dotés chaque jourde domaines plus amples ; 6+6 a
Que les peuples, enfin,tous passés au niveau, 6+6 a
Sous le même boucherne forment qu’un troupeau. 6+6 a
III
 A genoux ! et veillons en armes 8 a
130  Autour de l’auguste rocher. 8 b
 Enfants, objets de mes alarmes, 8 a
 Venez défendre avec vos larmes 8 a
 Ce Dieu qu’on veut nous arracher. 8 b
 Vous verrez de tristes années : 8 a
135  Des hommes sans Dieu seront rois ; 8 b
 Les mœurs, les lois sont entrnées… 8 a
 Enfants ! de vos mains acharnées, 8 a
 Cramponnez-vous à cette croix. 8 b
 Tous les aïeux morts à son ombre, 8 a
140  Accourus vers le saint tombeau, 8 b
 Groupés sous ce ciel lourd et sombre, 8 a
 Vont faire un cortège sans nombre 8 a
 Au Christ qui saigne de nouveau. 8 b
 Leurs faces de pleurs sont trempées ; 8 a
145  De l’outrage, hélas ! avertis, 8 b
 Tous ont porté leurs mains crispées, 8 a
 Les uns à leurs grandes épées, 8 a
 D’autres à leurs rudes outils. 8 b
 Voici le chœur des saintes femmes 8 a
150  Avec des vases précieux : 8 b
 Sur les places des clous infâmes 8 a
 Elles versent, à pleines âmes, 8 a
 Des parfums rapportés des deux. 8 b
 Dans son angoisse maternelle 8 a
155  Chacune, au pied du crucifix, 8 b
 Regarde en tremblant autour d’elle, 8 a
 Si, parmi la troupe fidèle, 8 a
 Elle apeoit au moins son fils. 8 b
 De leur groupe qui se resserre 8 a
160  Ce cri s’élève et nous défend : 8 b
 « O Jésus, retiens le tonnerre 8 a
 Et n’abandonne pas la terre 8 c
 S’il nous y reste un seul enfant ! » 8 b
 Exauçons ce vœu de nos mères, 8 c
165  Et Dieu l’accomplira sur nous. 8 a
 Laissons au monde ses chimères, 8 b
 Ses fruits pleins de cendres amères… 8 b
 Voici la croix, tous à genoux ! 8 a
 Petits enfants à tête blonde, 8 a
170  Vous dont l’âme est un encensoir, 8 b
 Priez, la prière est féconde 8 a
 Un enfant peut sauver un monde, 8 a
 En joignant ses mains, chaque soir. 8 b
 Peut-être que Dieu veut encore, 8 a
175  Lorsque tant d’hommes sont menteurs, 8 b
 Prendre, au lieu d’oracle sonore, 8 a
 La voix d’un enfant qui l’adore 8 a
 Pour confondre les faux docteurs. 8 b
 Le soir, que, dans chaque famille, 8 a
180  Au pied de l’arbre des douleurs, 8 b
 L’enfant rose et la jeune fille, 8 a
 Pour tous ceux dont la loi vacille, 8 a
 Offrent leur prière et leurs pleurs ; 8 b
 Tandis qu’au fond du sanctuaire 8 a
185  Les apôtres en cheveux blancs, 8 b
 La recluse et le solitaire, 8 a
 Les voix qui ne peuvent se taire 8 a
 Chantent leurs hymnes vigilants. 8 b
 Vous qui savez parler aux chênes, 8 a
190  A la mer grondante, au ciel bleu, 8 b
 Qui forcez les cimes hautaines, 8 a
 Les oiseaux, les lis, les fontaines 8 a
 A confesser le nom de Dieu ; 8 b
 Tirez de toute créature, 8 a
195  Répandez sur tous les chemins 8 b
 Des fleurs, des larmes sans mesure, 8 a
 Et les remords de la nature 8 a
 Pour tant de blasphèmes humains. 8 b
 L’homme, hélas ! ce pauvre brin d’herbe, 8 a
200  A son orgueil s’est trop fié ; 8 b
 Qu’il revienne adorer le Verbe 8 a
 Prosterne-toi, raison superbe, 8 a
 Aux pieds du Dieu crucifié. 8 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
logo du CRISCO logo de l'université