Métrique en Ligne
LAP_8/LAP105
Victor de LAPRADE
LES VOIX DU SILENCE
1864
XIII
RETOUR AUX ALPES
Ô mes Alpes, salut ! En vain l’arrêt du monde 6+6 a
M’interdit vos sommets au nom du cœur humain, 6+6 b
Et m’invite à la plaine et veut que je réponde 6+6 a
Aux voix des vils passants, aux bruits du grand chemin : 6+6 b
5 Moi, je retourne à vous, au désert mon vieux maître, 6+6 a
Dans ces bois où j’entends un écho du saint lieu, 6+6 b
Pour mieux connaître l’homme, et pour l’aimer peut-être, 6+6 a
J’ai besoin de m’asseoir seul à seul avec Dieu. 6+6 b
Là-haut, sous les sapins, sur ces blocs en ruines, 6+6 a
10 Un mystère, ô nature ! entre nous s’accomplit ; 6+6 b
Mes Alpes ! portez-moi vers les choses divines ; 6+6 a
Rien d’humain n’est absent d’un cœur que Dieu remplit. 6+6 b
Sitôt qu’en votre azur près de lui je m’élève, 6+6 a
Tout grandit dans mon âme et tout monte avec moi ; 6+6 b
15 Je cueille en vos sentiers, où l’on dit que je rêve, 6+6 a
Des fleurs pour mes amours, des clartés pour ma foi. 6+6 b
Ma Muse a pris chez vous sa parure et ses armes ; 6+6 a
Des vivantes couleurs vous m’ouvrez le trésor. 6+6 b
Là j’ai trouvé peut-être, au lieu de vaines larmes, 6+6 a
20 Un vers âpre et nerveux vêtu de fer et d’or. 6+6 b
Sans doute aux jours d’enfance où l’on gémit sans causes, 6+6 a
J’aimai trop vos déserts de l’amour d’un banni ; 6+6 b
J’ai trop oublié l’âme en embrassant les choses, 6+6 a
J’ai trop méprisé l’homme au nom de l’infini. 6+6 b
25 Mais la vie a pour moi peuplé vos solitudes 6+6 a
D’êtres chers et sacrés, de bonheurs sans remords, 6+6 b
J’y rencontre en fuyant les viles multitudes 6+6 a
Des âmes que j’y cherche et l’esprit des grands morts. 6+6 b
Mais que je vienne ici pour rêver ou pour vivre, 6+6 a
30 Ou seul, ou deux à deux dans un oubli profond, 6+6 b
C’est toujours l’infini, sur vos monts, qui m’enivre ; 6+6 a
C’est toujours Dieu qui parle et l’amour qui répond. 6+6 b
Puis, quand il faut descendre et lutter dans les plaines, 6+6 a
Là-bas, dans leurs cités, dont le sang teint les flots, 6+6 b
35 La Muse oublie, alors, vos lis, et sur vos chênes 6+6 a
Saisit, quand je le veux, massue et javelots. 6+6 b
Dites, ô blancs sommets, rochers qu’on croit stériles, 6+6 a
Bois sombres dont l’amour est mon heureux travers, 6+6 b
Que ne vous dois-je pas de tendresses viriles, 6+6 a
40 De fierté dans mon cœur, de sève dans mes vers ? 6+6 b
Par vous, j’aime à braver ce que mon siècle loue, 6+6 a
Et ses lâches grandeurs et ses plaisirs épais ; 6+6 b
J’appris de votre neige à mépriser leur boue, 6+6 a
J’apprends de leur tumulte à chérir votre paix. 6+6 b
45 Vous m’avez enseigné l’horreur des choses viles, 6+6 a
Des idoles qu’encense un vulgaire hébété ; 6+6 b
Vous dressez, pour ma foi qui se perd dans les villes, 6+6 a
Deux autels : l’un à Dieu, l’autre à la liberté. 6+6 b
C’est chez vous que l’on fuit pour y rompre ses chaînes, 6+6 a
50 Pour y porter ses deuils ou ses bonheurs cachés ; 6+6 b
Là qu’on abrite mieux ses amours et ses haines : 6+6 a
Les cygnes ont vos lacs, les aigles vos rochers. 6+6 b
Tout homme qui frémit sous quelque joug infâme, 6+6 a
Dans vos libres déserts échappe à ses tyrans : 6+6 b
55 De ces chastes hauteurs où vous portez mon âme 6+6 a
Coulent de froids dédains que je verse à torrents. 6+6 b
Je voudrais, n’en déplaise à des Muses banales, 6+6 a
Pareil, comme on l’a dit, à ces monts nébuleux, 6+6 b
Suspendre ainsi dans l’air des glaces virginales, 6+6 a
60 Armé de l’avalanche et des fleuves comme eux. 6+6 b
Sur cet impur amas d’esclaves, de parjures, 6+6 a
Ma haine descendrait, comme un déluge amer ; 6+6 b
J’aurais vengé l’honneur de tant d’âpres injures, 6+6 a
Et j’aurais balayé cette fange à la mer. 6+6 b
65 Vienne un dernier rayon rougir nos cimes blanches 6+6 a
Et fondre à flots ma neige à son brasier vermeil ! 6+6 b
Et, pour lancer plus loin nos saintes avalanches, 6+6 a
Que la foudre nous frappe à défaut du soleil. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
schéma : 17(abab)
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