Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAP_7/LAP86
Victor de LAPRADE
IDYLLES HÉROÏQUES
1858
HERMAN
DÉDICACE
À LA JEUNESSE
On dit qu’impatients | d’abdiquer la jeunesse, 6+6 a
Aux sordides calculs | vous livrez vos vingt ans ; 6+6 b
Qu’à moins d’un sang nouveau | qui du vieux sol renaisse, 6+6 a
La France et l’avenir | ont perdu leur printemps. 6+6 b
5 À l’âge où nous errions, | livre en main, sous la haie, 6+6 a
Tout prêts à dépenser | notre cœur et nos jours, 6+6 b
On dit que vous savez | ce que vaut en monnaie 6+6 a
L’heureux temps des chansons, | des songes, des amours. 6+6 b
On dit que le franc rire | est absent de vos fêtes ; 6+6 a
10 Que l’ironie à flots | y coule par moments ; 6+6 b
Que chez vous le plaisir, | pour parer ses conquêtes, 6+6 a
Rêve, au mépris des fleurs, | l’or et les diamants ; 6+6 b
Que vous refuseriez | l’amour et le génie, 6+6 a
Si Dieu vous les offrait | avec la pauvreté ; 6+6 b
15 Que vous n’auriez jamais | pour la Muse bannie 6+6 a
Un seul regret, pas plus | que pour la liberté ! 6+6 b
On dit vos cœurs tout pleins | d’ambitions mort-nées ; 6+6 a
On dit que vos yeux secs | se refusent aux pleurs ; 6+6 b
Qu’avec vous le rameau | des nouvelles années 6+6 a
20 Porte un fruit corrompu, | sans avoir eu des fleurs. 6+6 b
Mais je vous connais mieux, | malgré votre silence ; 6+6 a
Le poëte a chez vous | bien des secrets amis. 6+6 b
D’autres vous ont crus morts | et vous pleurent d’avance, 6+6 a
Frères de Roméo, | vous n’êtes qu’endormis ! 6+6 b
25 Qu’importe un jour d’attente, | une heure inoccupée ! 6+6 a
Tous vos lauriers d’hier | peuvent encor fleurir ; 6+6 b
Vous qui portiez si bien | et la lyre et l’épée, 6+6 a
Vous qui saviez aimer, | vous qui saviez mourir ! 6+6 b
Hier, une étincelle | éveillait tant de flamme ! 6+6 a
30 Hier, c’était l’espoir | et non le doute amer ; 6+6 b
Un seul mot généreux, | tombé d’une grande âme, 6+6 a
Vous soulevait au loin | comme une vaste mer. 6+6 b
Aux buissons printaniers | tout en cueillant des roses, 6+6 a
Vous saviez des hauts lieux | gravir l’âpre chemin, 6+6 b
35 Et pour vous y conduire, | amants des saintes choses, 6+6 a
Elvire ou Béatrix | vous prenait par la main. 6+6 b
Vous les suivrez encor | sur la route choisie ! 6+6 a
Vous gardez pour flambeau | leurs regards fiers et doux ; 6+6 b
Celui qui cherchera | la fleur de poésie 6+6 a
40 Ne la pourra cueillir, | s’il n’est pareil à vous. 6+6 b
Aimez votre jeunesse, | aimez, gardez-la toute ! 6+6 a
Elle est de vos aînés | l’espoir et le trésor ; 6+6 b
Portez-la fièrement, | sans en perdre une goutte ; 6+6 a
Portez-la devant vous | comme un calice d’or. 6+6 b
45 Peut-être on vous dira | d’y boire avec largesse, 6+6 a
D’y verser hardiment | le vin des passions ; 6+6 b
D’autres vous prêcheront | l’égoïste sagesse 6+6 a
Qui rampe et se réserve | à ses ambitions. 6+6 b
Mais aux vils tentateurs | vous serez indociles ! 6+6 a
50 La Muse vous conseille, | et vous saurez choisir : 6+6 b
Restez dans le sentier | des vertus difficiles ; 6+6 a
Votre âge a des devoirs | plus doux que le plaisir. 6+6 b
À vous de mépriser | ce qu’un autre âge envie, 6+6 a
Tout bien et tout renom | qu’on acquiert sans efforts. 6+6 b
55 Dieu vous a faits si fiers, | si purs, si pleins de vie, 6+6 a
Pour les belles amours | et pour les belles morts. 6+6 b
Venez donc ! je vous suis, | et nous volons ensemble ; 6+6 a
Nous remontons le cours | du temps précipité ; 6+6 b
Vous me faites revoir | tout ce qui vous ressemble, 6+6 a
60 Toute chose où rayonne | un éclair de beauté. 6+6 b
Avec vous je suis jeune ; | avec vous j’ai des ailes, 6+6 a
Vos ailes de vingt ans, | l’espérance et la foi ! 6+6 b
Ces deux vertus des forts, | qui vous restent fidèles, 6+6 a
Me rouvrent votre Éden | déjà trop loin de moi : 6+6 b
65 Non pour nous endormir | sur ses tapis de mousse, 6+6 a
Pour y suivre, en rêveurs, | dans ces détours charmants, 6+6 b
Sous l’ombre où les oiseaux | chantent de leur voix douce, 6+6 a
Les méandres de l’onde | et les pas des amants ; 6+6 b
Non pour cueillir sans fin | la fleur d’or sur les landes 6+6 a
70 Pour perdre nos printemps | à tresser dans les bois, 6+6 b
À nouer de nos mains | tant de folles guirlandes 6+6 a
Qui, l’automne arrivé, | nous pèsent quelquefois. 6+6 b
Non ! c’est pour y tenter | la cime inaccessible 6+6 a
Où les héros d’Arthur | cherchaient le Saint-Graal. 6+6 b
75 À vous, audacieux | qui pouvez l’impossible, 6+6 a
À vous d’y découvrir, | d’y ravir l’idéal ! 6+6 b
Faisons, si vous voulez, | ce périlleux voyage, 6+6 a
Loin du sentier banal | où notre ardeur se perd. 6+6 b
Montons, pour respirer | la pureté sauvage, 6+6 a
80 L’héroïque vigueur | qu’on retrouve au désert. 6+6 b
Venez vers ces sommets | inondés de lumière ; 6+6 a
L’extase y descendra | sur votre front bruni. 6+6 b
Sous ces chênes, vêtus | de leur beauté première. 6+6 a
Imprégnez-vous là-haut | d’un souffle d’infini. 6+6 b
85 Et, dans votre âme, avec | le concert qui s’élève. 6+6 a
Avec le bruit du vent | et l’odeur des ravins, 6+6 b
Quand vous aurez senti | couler comme une sève 6+6 a
Tout ce que la nature | a d’éléments divins, 6+6 b
Vous irez moissonner | dans un autre domaine. 6+6 a
90 Dans un autre infini | qu’on n’épuise jamais, 6+6 b
Les œuvres des penseurs | vous ouvrent l’âme humaine ; 6+6 a
Visitez avec eux | l’histoire et ses sommets. 6+6 b
Là, vous évoquerez | les héros et les sages : 6+6 a
Vous y respirerez | leur âme et leur vertu. 6+6 b
95 Gravez dans votre cœur | leurs augustes images ; 6+6 a
Haïssez avec eux | ce qu’ils ont combattu ; 6+6 b
Mangez un pain vivant | pétri de leur exemple, 6+6 a
Si bien que, nourris d’eux | plus calmes et plus forts, 6+6 b
Les portant comme un dieu | dont vous seriez le temple, 6+6 a
100 Vous sentiez vivre en vous | tous ces illustres morts. 6+6 b
Puis, sans vous arrêter, | même à ces temps sublimes, 6+6 a
Au réel trop étroit | par votre essor ravis, 6+6 b
Toujours plus haut, toujours | plus avant sur les cimes, 6+6 a
Lancez dans l’idéal | vos cœurs inassouvis, 6+6 b
105 Plus haut ! toujours plus haut, | vers ces hauteurs sereines 6+6 a
Où nos désirs n’ont pas | de flux et de reflux, 6+6 b
Où les bruits de la terre, | où le chant des sirènes, 6+6 a
Où les doutes railleurs | ne nous parviennent plus ! 6+6 b
Plus haut dans le mépris | des faux biens qu’on adore, 6+6 a
110 Plus haut dans ces combats | dont le ciel est l’enjeu. 6+6 b
Plus haut dans vos amours. | Montez, montez encore 6+6 a
Sur cette échelle d’or | qui va se perdre en Dieu. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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