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P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAP_7/LAP85
Victor de LAPRADE
IDYLLES HÉROÏQUES
1858
ROSA MYSTICA
LIVRE CINQUIÈME
Il est frappé, Konrad, | sous le drapeau qu’il aime ; 6+6 a
Il tombe dans sa force ; | et le combat suprême 6+6 a
Apporte au fier vaincu, | fauché dans son printemps, 6+6 b
La belle mort qu’on rêve | et qu’on cherche à vingt ans. 6+6 b
5 Qui vous prend jeune et pur, | encoreencor digne d’envie, 6+6 c
La mort qui doit guérir | et couronner la vie. 6+6 c
La mort vient, mais trop lente ; | au soldat resté seul 6+6 d
Les cadavres sanglants | font un épais linceul, 6+6 d
Et Konrad, dans l’horreur | de ce morne supplice, 6+6 e
10 Du dernier abandon | vide l’affreux calice. 6+6 e
Pas un ami, pas même | un étranger pieux 6+6 f
Pour soulever sa tête | en lui montrant les cieux. 6+6 f
Nul espoir d’obtenir | d’une balle plus prompte 6+6 g
La fin des longs tourments | et des heures qu’il compte. 6+6 g
15 La neige, à travers l’ombre, | en tourbillons descend 6+6 h
Épaisse, et va rougir | sur les mares de sang. 6+6 h
Accourus à l’odeur, | de toute la contrée, 6+6 j
Les loups ont commencé | leur horrible curée. 6+6 j
Les pieds des noirs oiseaux | qui se croisent dans l’air 6+6 k
20 En font pleuvoir du fiel | et des lambeaux de chair. 6+6 k
Mais, l’âme de Konrad, | libre dans la torture, 6+6 l
Domine la souffrance | et dompte la nature, 6+6 l
Et sa fière agonie ; | à la face du ciel, 6+6 m
Atteste encor le droit | vaincu, mais éternel ; 6+6 m
25 Sa lèvre, où vibre encor | un nom, un cri suprême, 6+6 a
N’a pas avec son sang | laissé fuir un blasphème ; 6+6 a
Humble et simple croyant, | mais soldat indompté, 6+6 n
Il meurt, sans avoir craint | et sans avoir douté, 6+6 n
Ferme en sa juste cause | et s’offrant pour victime. 6+6 o
30 Il garde, il garde aussi | la vision intime ; 6+6 o
L’amour lui parle encor | plus haut que ses douleurs 6+6 p
Et ses yeux vaguement | cherchent des yeux en pleurs. 6+6 p
Or, le don de souffrir | avec le sang s’épuise, 6+6 e
Dans ce corps déchiré | que la vertu maîtrise ; 6+6 e
35 De l’esprit survivant | à ce dernier effort 6+6 q
Une clarté sereine | approche avec la mort, 6+6 q
Et du monde invisible | illumine l’entrée ; 6+6 j
Cette âme, enfin, des sens | à demi délivrée, 6+6 j
Voit commencer pour elle, | aux portes du tombeau, 6+6 r
40 La seconde naissance | et le monde nouveau. 6+6 r
Konrad, autour de lui, | sent frémir dans l’espace, 6+6 s
Comme un grand chœur d’oiseaux | qui passe et qui repasse 6+6 s
À tous les horizons | il entend à la fois 6+6 t
Chanter et palpiter | des ailes et des voix. 6+6 t
45 Chère et sainte musique | à son cœur familière ! 6+6 v
C’est l’accent des soupirs, | le vol de la prière 6+6 v
Que sa mère et sa sœur, | — infatigable amour ! — 6+6 w
Lancent pour lui vers Dieu, | supplié nuit et jour. 6+6 w
Il voit monter, monter | de ces âmes fidèles 6+6 x
50 L’essaim de leurs vertus, | paré de blanches ailes, 6+6 x
Les travaux, les douleurs, | trésor accoutumé 6+6 n
Offert pour la rançon | de l’enfant bien-aimé. 6+6 n
L’air en est tout peuplé | de ses saintes colombes, 6+6 y
Il s’en est envolé | de tant de chères tombes ! 6+6 y
55 Et tant d’humbles vertus, | qu’on découvre aujourd’hui, 6+6 z
À la porte du ciel | s’en vont frapper pour lui. 6+6 z
Or, une voix vibrait | dans ces accords mystiques, 6+6 a
Claire et d’un timbre d’or | dominait les cantiques ; 6+6 a
Son lointain que le vent | jetait dans ce concert, 6+6 b
60 Sur des flots de parfums | apportés du désert. 6+6 b
Les steppes d’Orient, | du milieu des bruyères 6+6 c
Les avait vus monter | ces longs flots de prières 6+6 c
Qu’en sa ferveur d’amante | exhalait, chaque soir, 6+6 d
Une âme ardente et pure | ainsi qu’un encensoir. 6+6 d
ROSA MYSTICA
65 Mon âme est la sœur | de cette âme en peines, 5+5 e
Donnez-moi, mon Dieu, | sa part de douleurs ; 5+5 p
Pour vous la payer, | je viens les mains pleines. 5+5 e
S’il vous faut du sang, | prenez dans mes veines ; 5+5 e
Prenez dans mes yeux | s’il vous faut des pleurs. 5+5 p
70 Quand vous répandez | vos grâces divines, 5+5 f
Remplissez son cœur | aux dépens du mien. 5+5 g
Que toute ma sève | aille à ses racines ; 5+5 f
Les roses pour lui, | pour moi les épines ; 5+5 f
J’accepte tout mal, | s’il en a le bien. 5+5 g
75 Cultivez en moi, | pour qu’il les moissonne, 5+5 h
Les belles vertus, | les beaux épis d’or. 5+5 i
Labourez mon cœur, | je vous l’abandonne ; 5+5 h
Pourvu que, là-haut, | la même couronne 5+5 h
À vos pieds, mon Dieu, | nous unisse encor. 5+5 i
80 Cette voix a changé | l’agonie en extase, 6+6 s
Et Konrad a cru voir, | dans l’azur qui s’embrase, 6+6 s
Rosa, la fleur mystique, | aux paroles de miel. 6+6 m
Sur un sentier d’or pur | elle descend du ciel ; 6+6 m
Elle vient, conduisant | les patronnes qu’elle aime ; 6+6 a
85 Car cette mort sanglante | est un dernier baptême, 6+6 a
Où les saints, accourus | vers le soldat martyr. 6+6 j
Lavent d’un flot vermeil | l’âme prête à partir. 6+6 j
SAINTE ÉLISABETH
Prends, pour t’en revêtir, | prends ces vivantes roses, 6+6 k
Ces vertus de l’amante | à mon sourire écloses, 6+6 k
90 Et ces perles, don précieux 8 f
Fait des pleurs tombés de ses yeux. 8 f
Prends la couronne d’or | et la palme et le trône, 6+6 l
Joyaux du paradis | ciselés par l’aumône, 6+6 l
Ces bouquets d’épis et de fleurs 8 p
95 Cueillis au champ de ses douleurs. 8 p
Porte-les devant Dieu ! | Je les ai reçus d’elle 6+6 m
Pour en former au ciel | sa parure immortelle ; 6+6 m
C’est elle, au jour de l’abandon, 8 n
C’est elle, ami, qui t’en fait don. 8 n
SAINTE THÉRÈSE
100 J’ai versé, dans ton cœur en flamme. 8 o
Ma charité, ce vif encens. 8 b
L’amour pur, tel que je le sens, 8 b
Donna des ailes à ton âme. 8 o
Monte, aujourd’hui, vers le ciel bleu 8 p
105 Comme l’odorante fumée, 8 j
Vole, avec la fleur bien-aimée, 8 j
Au terme du désir… en Dieu. 8 p
SAINTE VICTOIRE
J’ai pleuré, j’ai souffert | et la douleur m’attire. 6+6 q
J’ai compté vos tourments, | les luttes de ton cœur, 6+6 r
110 Et, comme un digne prix, | en te voyant vainqueur, 6+6 r
J’ai demandé pour toi | la mort et le martyre. 6+6 q
Les anges font, là-haut, | votre place auprès d’eux ; 6+6 f
Partagez-vous ce soir | les palmes que j’apporte ; 6+6 s
Dès que ces rameaux d’or | auront touché sa porte, 6+6 s
115 Le ciel, d’où je descends, | s’ouvrira pour vous deux. 6+6 f
SAINTE MARIE
À ton cou sanglant | je vois son rosaire, 5+5 v
Par elle attaché | le jour des adieux ; 5+5 f
Ta main presse encor | la croix séculaire, 5+5 v
Ces grains qu’ont usés | les doigts des aïeux. 5+5 f
120 À moi seul, à moi | tu peux me le rendre ; 5+5 t
Je ne romprai pas | ce tendre lien ; 5+5 g
À ton cou sanglant | je vais le reprendre 5+5 t
Et tout rouge encor | le remettre au sien. 5+5 g
En lui présentant | la croix bien connue, 5+5 u
125 De ta sainte mort | j’irai l’avertir ; 5+5 j
Elle bénira | l’heure enfin venue, 5+5 u
Me tendra les mains | et voudra partir. 5+5 j
Et moi, l’enlaçant | avec mes longs voiles, 5+5 v
Lui montrant le ciel, | terme des ennuis, 5+5 w
130 Je l’emporterai | parmi les étoiles 5+5 v
Qui vous souriaient | dans vos chastes nuits. 5+5 w
Fiers de nous aider | de leurs ailes promptes, 5+5 x
Les blonds séraphins, | soumis à ma loi, 5+5 y
Lui feront franchir | l’azur où tu montes 5+5 x
135 Et toucher le but | aussitôt que toi. 5+5 y
Soudain, avec un bruit | d’aile qui se déploie 6+6 z
De zéphyr engouffré | sous de longs plis de soie, 6+6 z
L’ardente vision | part et monte dans l’air 6+6 k
Et, dans le sombre azur, | s’éteint comme l’éclair. 6+6 k
140 Déjà, lourd des vapeurs | de la nuit qui commence, 6+6 a
Le regard du blessé | flotte en un vide immense ; 6+6 a
Son esprit se débat | et se perd, un moment, 6+6 b
Dans l’ombre ainsi mêlée | à l’éblouissement. 6+6 b
Il cherche dans le ciel, | d’où tombent ces voix pures 6+6 c
145 Quelques derniers rayons | de ces chastes figures ; 6+6 c
Il s’élance ; il voudrait | suivre dans leur essor 6+6 i
Ces âmes qu’il entend, | mais de trop loin encor. 6+6 i
À l’horizon, bientôt, | comme un feu qui s’allume 6+6 d
Rouge et qui s’agrandit | en sillonnant la brume 6+6 d
150 Comme si de l’éther | une étoile en son vol 6+6 e
S’arrachait et glissait | effleurant notre sol, 6+6 e
Une forme éclatante, | aussitôt reconnue, 6+6 u
Apparaît à Konrad | et descend de la nue. 6+6 u
C’est l’astre souriant, | c’est le premier soleil 6+6 m
155 Qui de son âme en pleurs | hâta le doux réveil, 6+6 m
La sainte Béatrix, | au désert rencontrée, 6+6 j
Qui d’un monde inconnu | lui découvrit l’entrée, 6+6 j
Lui barra le chemin | de la forêt des sens. 6+6 b
Et tourna vers le ciel | ses désirs grandissants. 6+6 b
160 C’est elle, en sa beauté | qui subjugue et qui flatte, 6+6 f
Avec son regard d’aigle | et sa robe écarlate, 6+6 f
La vierge qui nous ouvre, | au fond du paradis, 6+6 w
Les cercles radieux | aux vivants interdits, 6+6 w
Celle qui lui versa | l’ardeur des grandes choses, 6+6 k
165 Et, le touchant au front | de ses mystiques roses, 6+6 k
Le força de gravir, | par les sentiers étroits, 6+6 t
Ces sommets de l’amour | couronnés par la croix. 6+6 t
L’allégresse entrevue | et longtemps poursuivie 6+6 c
Apparaît sur le seuil | de la nouvelle vie ; 6+6 c
170 L’ange qui fait choisir | entre les deux chemins, 6+6 g
Se penchant sur Konrad, | saisit ses pâles mains ; 6+6 g
Et, comme un fils en pleurs | tiré d’un mauvais rêve, 6+6 h
Dans la réalité | le réveille et l’enlève. 6+6 h
Il monte, il voit là-bas | fuir nos sanglants sommets 6+6 i
175 Témoins des noirs combats | terminés à jamais ; 6+6 i
Il respire, et baigné | d’une clarté croissante, 6+6 j
Se sent vivre, étonné | de la douleur absente. 6+6 j
Il monte, il monte ; il voit, | dans son joyeux essor, 6+6 i
Tourbillonner sous lui, | comme une neige d’or, 6+6 i
180 Tout ruisselants de vie | et pressés dans l’espace, 6+6 s
Les rapides soleils | qu’en son vol il dépasse. 6+6 s
En mille sons divers, | vibrant sur leurs essieux, 6+6 f
De leur musique immense | ils remplissent les cieux. 6+6 f
Sur ce clavier, docile | aux doigts de l’invisible. 6+6 k
185 Plane de Béatrix | la voix pure et paisible ; 6+6 k
Et l’esprit de Konrad, | libre enfin de son corps, 6+6 l
S’élève, enveloppé | de ces divins accords. 6+6 l
BÉATRIX
Gloire au cœur téméraire | épris de l’impossible. 6+6 k
Qui marche, dans l’amour, | au sentier des douleurs, 6+6 p
190 Et fuit tout vain plaisir | au vulgaire accessible. 6+6 k
Heureux qui sur sa route, | invité par les fleurs, 6+6 p
Passe et n’écarte point | leur feuillage ou leurs voiles, 6+6 v
Et, vers l’azur lointain, | tournant ses yeux en pleurs, 6+6 p
Tend ses bras insensés | pour cueillir les étoiles. 6+6 v
195 Une beauté, cachée | aux désirs trop humains, 6+6 g
Sourit à ses regards, | sur d’invisibles toiles ; 6+6 v
Vers ses ambitions | lui frayant des chemins, 6+6 g
Un ange le soutient | sur des brises propices ; 6+6 m
Les astres bien-aimés | s’approchent de ses mains ; 6+6 g
200 Les lis du paradis | lui prêtent leurs calices. 6+6 m
Béatrix ouvre un monde | à qui la prend pour sœur, 6+6 r
À qui lutte et se dompte | et souffre avec délices, 6+6 m
Et goûte à s’immoler | sa plus chère douceur ; 6+6 r
Et, joyeux, s’élançant | au delà du visible, 6+6 k
205 De la porte du ciel | s’approche en ravisseur. 6+6 r
Gloire au cœur téméraire | épris de l’impossible ! 6+6 k
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