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LAP_7/LAP82
Victor de LAPRADE
IDYLLES HÉROÏQUES
1858
ROSA MYSTICA
LIVRE DEUXIÈME
La prison de Konrad est sombre ; éclairs funèbres. 6+6 a
Ses regards de courroux sillonnent les ténèbres. 6+6 a
Soldat vaincu d’un droit qui succombe avec lui, 6+6 a
Et doutant de ses dieux, insultés aujourd’hui, 6+6 a
5 Il maudit cette foule au cœur bas et frivole, 6+6 a
Qui fait du crime heureux une insolente idole. 6+6 a
Blessé sous le drapeau dont il porte le deuil, 6+6 a
Il saigne dans sa chair, comme dans son orgueil. 6+6 a
Mais son mal le plus âpre est dans l’âme elle-même ; 6+6 a
10 C’est un vide rongeur à la place où l’on aime, 6+6 a
Un désir qui survit, couvrant plus d’un remord 6+6 a
Jeune, il invoque, hélas ! et redoute la mort ; 6+6 a
Indigné de sentir que l’épreuve du glaive 6+6 a
En le laissant vaincu n’a pas tranché son rêve 6+6 a
15 Mais un son de voix doux comme la charité 6+6 a
Parvient, dans le cachot, à son cœur agité. 6+6 a
ROSA MYSTICA
Je viens, dans la prison plaintive, 8 a
Veiller au chevet des douleurs ; 8 b
C’est le jardin que je cultive, 8 a
20 J’y prends mes perles et mes fleurs. 8 b
Si je n’en peux briser la porte, 8 a
J’y laisse après moi, chaque soir, 8 b
Pour prix des joyaux que j’emporte, 8 a
Le pain, la prière et l’espoir. 8 b
25 Un songe heureux vers toi m’appelle ; 8 a
Quatre saintes m’ont dit ton nom ; 8 b
Je sais qu’une fleur immortelle 8 a
Éclôt dans ton noir cabanon. 8 b
Je veux cueillir sur tes blessures 8 a
30 Les larmes du juste affligé, 8 b
Et, si mes mains sont assez pures. 8 a
Toucher à ton cœur soulagé. 8 b
KONRAD
À d’aussi nobles mains un miracle est possible. 6+6 a
Mes fers peuvent tomber, ma prison peut s’ouvrir, 6+6 b
35 Mon flanc, qui saigne encor, devenir insensible 6+6 a
Mais tu parais trop tard, mon cœur ne peut guérir. 6+6 b
Pour fuir de son cachot, mon âme n’a plus d’aile, 6+6 a
Je souffre de ma nuit sans désirer le jour ; 6+6 b
J’admire encor le bien, mais j’ai perdu son zèle, 6+6 a
40 Et je crois à ton Dieu, mais j’y crois sans amour. 6+6 b
ROSA
Tu sais aimer, puisque tu pleures. 8 a
Tu sais prier, puisque tu crois ! 8 b
Je viendrai, dans tes sombres heures, 8 a
T’ouvrir les deux bras de la croix. 8 b
45 C’est peu de souffrir sans révolte, 8 a
Sachons féconder chaque pleur ; 8 b
Aimons Dieu ! l’amour seul récolte 8 a
Les fruits semés par la douleur. 8 b
Peut-être que ta gerbe est mûre, 8 a
50 S’il y pleut une larme encor ; 8 b
Tu risquerais, par un murmure, 8 a
De flétrir ses mille épis d’or. 8 b
KONRAD
Il est des maux portant avec eux leurs délices, 6+6 a
Où des belles vertus les germes sont semés… 6+6 b
55 Nulle fleur n’éclora dans mes âpres calices ; 6+6 a
Leur poison m’est venu des cœurs les plus aimés. 6+6 b
Sous le fer des méchants je tombai sans blasphème. 6+6 a
Mais, par des coups secrets que je ne puis trahir, 6+6 b
J’ai souffert trop souvent des vertus elles-mêmes… 6+6 a
60 Je veux les oublier !… et crains de les haïr. 6+6 b
ROSA
J’ai vu répandre bien des larmes 8 a
À de pauvres yeux délaissés ; 8 b
Par le sourire, ou d’autres armes, 8 a
J’ai connu bien des cœurs blessés. 8 b
65 Jamais à panser une plaie 8 a
Je n’ai pleuré comme aujourd’hui ! 8 b
Dieu veut, sans doute, que j’essaie 8 a
D’adoucir ta coupe d’ennui. 8 b
Pour que ton cœur, sans méfiance, 8 a
70 Cherche, au fond du vase de fiel. 8 b
Cette fleur de la patience 8 a
Qui manque à ta couronne au ciel. 8 b
KONRAD
Parlant du ciel ainsi, tu l’habites sans doute, 6+6 a
Toi dont chaque regard éclaire ma prison ! 6+6 b
75 La colère en mon cœur s’endort, quand je t’écoute. 6+6 a
J’y sens se réveiller la voix de l’oraison. 6+6 b
Ta sereine beauté, chassant l’ombre et la crainte, 6+6 a
Luit en des traits si purs qu’ils n’ont rien de mortel ; 6+6 b
Sous ses longs cheveux noirs, ton front est d’une sainte. 6+6 a
80 Dis s’il faut qu’on t’adore, et monte sur l’autel ! 6+6 b
ROSA
L’humble culte qu’il faut me rendre, 8 a
C’est un peu de douce pitié. 8 b
Offre à Dieu ta ferveur si tendre ; 8 a
Garde pour moi ton amitié. 8 b
85 Mes jours, comme tes jours sans trêve, 8 a
Sont pleins d’ennemis dangereux. 8 b
Et mon front n’a touché qu’en rêve 8 a
Au nimbe d’or des bienheureux. 8 b
Mes pieds ont peine à me conduire 8 a
90 Sur un sentier matériel ; 8 b
Mais je suis pareille au navire, 8 a
Ma force est dans le vent du ciel. 8 b
C’est le nom du Dieu que je prie 8 a
Qui donne à ma voix sa douceur, 8 b
95 Et, dans ton âme endolorie, 8 a
M’annonce à toi comme une sœur. 8 b
Si mon front a quelque noblesse, 8 a
Je la reçus avec la foi ; 8 b
Je n’ai que ma chaste faiblesse 8 a
100 Et mon cœur qui soient bien à moi. 8 b
Dieu me vit tremblante et courbée ; 8 a
Un piège était sur mon chemin, 8 b
Et mon âme y serait tombée, 8 a
Sans un miracle de sa main. 8 b
KONRAD
105 Si des pleurs à tes yeux je ne voyais les traces, 6+6 a
Je te croirais un ange et n’oserais parler. 6+6 b
Ton cœur, que la tristesse embellit de ses grâces, 6+6 a
S’il n’avait pas souffert ne saurait consoler. 6+6 b
Non moins que ta beauté cette douleur m’attire, 6+6 a
110 M’apprenant que ton sein palpita comme nous. 6+6 b
Ce front charmant, peut-être, est fait pour le martyre 6+6 a
Mais il est fait, encor, pour qu’on l’aime à genoux. 6+6 b
Puisque de ma prison tu sais ouvrir les portes, 6+6 a
Délivre aussi mon âme esclave en ce bas lieu ; 6+6 b
115 Tends à mes faibles mains la palme que tu portes, 6+6 a
M’élevant jusqu’à toi pour m’approcher de Dieu. 6+6 b
ROSA
Je n’ai la palme, ni les ailes, 8 a
Ni l’esprit fier et triomphant ; 8 b
J’ai l’amour et l’espoir fidèles. 8 a
120 J’ai l’humble foi qui me défend. 8 b
Pour l’emporter dans la lumière, 8 a
Mon bras est trop débile encor ; 8 b
Mais vois-tu, là-haut, la prière 8 a
Qui nous tend son échelle d’or ? 8 b
125 Il faut l’escalader ensemble ! 8 a
Oublions les pleurs essuyés… 8 b
Tu me soutiendras si je tremble ; 8 a
Montons ! l’un sur l’autre appuyés. 8 b
KONRAD
Ah ! lorsque je rêvais, dans mes saisons bénies, 6+6 a
130 De planer dans la sphère où s’allume le jour, 6+6 b
De plonger jusqu’au fond des choses infinies, 6+6 a
En traversant le ciel dans un essor d’amour ; 6+6 b
L’ange qui m’entraînait sur ses ailes de flamme 6+6 a
Avait ces yeux, ce front, ces lèvres, cette voix… 6+6 b
135 La rencontrai-je, enfin, cette sœur de mon âme, 6+6 a
Tardive Béatrix, est-ce vous que je vois ? 6+6 b
Venez-vous me ravir, éperdu, sur les cimes 6+6 a
De ce chaste idéal objet de mon tourment ; 6+6 b
M’apportez-vous la fleur des voluptés sublimes 6+6 a
140 Que je veux respirer jusqu’à l’enivrement ? 6+6 b
ROSA
Au nom des promesses divines 8 a
Je viens pour t’aider à souffrir ; 8 b
Ma tendre couronne d’épines 8 a
Est la fleur que je dois t’offrir. 8 b
145 De mon front qui saigne et se penche, 8 a
Pour la partager si tu veux, 8 b
J’en vais détacher une branche 8 a
Et l’enlacer à tes cheveux. 8 b
Le Dieu clément qui nous l’impose, 8 a
150 Pour des jours bientôt révolus. 8 b
De chaque dard fait une rose 8 a
Et la fixe au front des élus. 8 b
KONRAD
Donne-moi, donne-moi ce pâle diadème, 6+6 a
La ronce aux mille dards dont ta chair a saigné ; 6+6 b
155 Son charme a pénétré dans ma douleur que j’aime ; 6+6 a
De fleurs et de parfums je sens mon front baigné. 6+6 b
Oui, c’est là Béatrix ! ses pleurs et son sourire 6+6 a
Réveillent en mon cœur d’ineffables accords ; 6+6 b
Et l’éclair de ses yeux, dardé pour me conduire, 6+6 a
160 Me lance vers le ciel et m’arrache à mon corps. 6+6 b
Qu’importe le passé ! je sens tomber mes chaînes ; 6+6 a
Comme d’un frais berceau je sors de ma prison ; 6+6 b
Je respire, déjà, dans les saisons prochaines, 6+6 a
Un souffle d’infini qui passe à l’horizon. 6+6 b
165 Partons, ô Béatrix, je te suis dans la nue ! 6+6 a
Mais je veux, pour ta gloire, écrire, auparavant, 6+6 b
Sur les murs du cachot où je t’ai reconnue : 6+6 a
« Entré mort en ces lieux, Konrad en sort vivant. » 6+6 b
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