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LAP_7/LAP81
Victor de LAPRADE
IDYLLES HÉROÏQUES
1858
ROSA MYSTICA
LIVRE PREMIER
À cet âge où, des sens brisant la verte écorce, 6+6 a
La fleur de l’âme éclate et brille dans sa force, 6+6 a
Où tout prend une voix et, d’un accent vainqueur, 6+6 a
Parlant hier aux yeux frappe aujourd’hui le cœur, 6+6 a
5 Écolier, dans les bois il marchait plein de rêves. 6+6 a
Respirant le soleil et le parfum des sèves, 6+6 a
Il oubliait son livre entre ses mains ouvert, 6+6 a
Et lisait le printemps aux pages du désert. 6+6 a
C’était un jeune sage ; en ces riants portiques 6+6 a
10 Tout à l’heure il songeait des demi-dieux antiques : 6+6 a
Soldat, il triomphait aux champs de Marathon, 6+6 a
Ou, vaincu, libre et fier, tombait avec Caton ; 6+6 a
Poëte, il ravissait, près de la source ardente, 6+6 a
Le rameau d’or cueilli par Virgile et par Dante ; 6+6 a
15 Entre ces deux lauriers s’exerçait à choisir, 6+6 a
Et sur les grandes morts il pleurait de désir. 6+6 a
Le jour, filtrant par goutte aux voûtes des allées, 6+6 a
Sème de diamants les mousses constellées, 6+6 a
Et, jaspant de vermeil le tronc du chêne obscur, 6+6 a
20 Fait sourire, à ses pieds, la pervenche œil d’azur. 6+6 a
C’est midi ; la forêt croise en détours sans nombre 6+6 a
Ses chemins, clairs sillons tracés sous des flots d’ombre. 6+6 a
Au hasard l’enfant marche, absorbé tout entier 6+6 a
Dans son rêve sans terme ainsi que le sentier. 6+6 a
25 Bientôt avec l’odeur qui sort de chaque tige, 6+6 a
Il subit du printemps l’invincible vertige, 6+6 a
Les folles visions, voltigeant par essaims, 6+6 a
Rompent en lui le fil des austères desseins. 6+6 a
Parti du Capitole, épris des vieux trophées, 6+6 a
30 Le mobile songeur s’égare chez les fées. 6+6 a
Il touche à ces jardins où s’endort la raison 6+6 a
Sous d’attrayants rameaux dont l’ombre est un poison. 6+6 a
Un murmure joyeux l’invite ! il va sans crainte, 6+6 a
Il fait un dernier pas vers le noir labyrinthe. 6+6 a
35 Mais, tout à coup, tenant une rose à la main, 6+6 a
Grande et belle une femme a barré le chemin. 6+6 a
Au doux vent de ses pas la feuille à peine bouge, 6+6 a
Et s’embrase aux reflets de son vêtement rouge ; 6+6 a
Le concert de sa voix, des grâces de son corps, 6+6 a
40 De ce printemps perfide étouffe les accords ; 6+6 a
Elle parle et sourit, l’éclair de sa paupière 6+6 a
Brille et du ciel ardent éclipse la lumière. 6+6 a
BÉATRIX
Reconnais-moi ! je donne au cœur des ailes d’or. 6+6 a
Nul à ces grands sommets dont tu cherches la voie 6+6 b
45 N’atteindra si mes yeux n’éclairent son essor. 6+6 a
J’apporte à mes élus la force dans la joie ; 6+6 b
Et, sous des noms divers, je viens pour eux du ciel, 6+6 c
Leur frayant le retour vers le Dieu qui m’envoie. 6+6 b
Je suis la Béatrix aux paroles de miel 6+6 c
50 Révélant les secrets du bienheureux empire ; 6+6 d
J’y prépare, à qui m’aime, un laurier éternel. 6+6 c
Beaux combats et beaux vers, c’est moi qui les inspire. 6+6 d
Ayant dit, à l’enfant elle adresse un regard 6+6 a
Qui dans le vif du cœur pénètre comme un dard, 6+6 a
55 Et, sur ce front tremblant, d’un doigt calme elle applique 6+6 a
La rose préparée à ce baiser mystique. 6+6 a
Soudain, les lits de mousse et l’églantier vermeil, 6+6 a
Le chêne aux feuilles d’or miroitant au soleil, 6+6 a
Les magiques appels des fleurs et de la brise, 6+6 a
60 Ces doux pièges des bois par qui l’âme est surprise, 6+6 a
Toute la terre, enfin, disparaît. Le rêveur, 6+6 a
Saisi par Béatrix dans ce baiser sauveur, 6+6 a
Plus haut que la nature, en son essor paisible, 6+6 a
Monte et ses yeux guéris s’ouvrent sur l’invisible. 6+6 a
65 Il voit le paradis, le bonheur des élus 6+6 a
Embelli, ce jour-là, par un amour de plus. 6+6 a
Une âme y vient de naître, une vierge innocente, 6+6 a
Gardant du sein de Dieu l’empreinte éblouissante, 6+6 a
Rayonnante à la fois de force et de douceur, 6+6 a
70 Pareille à Béatrix comme une jeune sœur. 6+6 a
Un rosier sans épine est son lit ; deux beaux anges 6+6 a
De leurs robes d’azur ont fait ses premiers langes. 6+6 a
Le chant des séraphins, mélodieux ruisseau, 6+6 a
Coule comme un lait pur autour de son berceau. 6+6 a
75 Quatre saintes, debout, marraines et patronnes, 6+6 a
Filant l’or de ses jours en tressent des couronnes, 6+6 a
Et, lui versant les flots dont on baptise aux cieux, 6+6 a
Répandent leurs vertus sur ce front gracieux. 6+6 a
SAINTE MARIE
Reçois mon nom, mon nom sans tache. 8 a
80 Tu me le rendras aussi pur, 8 b
Sans qu’une ombre en ta vie attache 8 a
Un seul nuage à cet azur. 8 b
Je te prends, rose de mystère, 8 a
Pour t’abriter de ma pudeur ; 8 b
85 Dieu seul, sous ton feuillage austère. 8 a
Saura quelle est ta douce odeur. 8 b
Sous d’autres feux que ceux de l’âme 8 a
Jamais tu ne voudras fleurir ; 8 b
Mais tu connaîtras, pauvre femme, 8 a
90 Tous les amours qui font souffrir. 8 b
Tu boiras à l’éponge amère 8 a
Qui m’abreuve au pied de la croix ; 8 b
Et le glaive en ton cœur de mère 8 a
Comme au mien plongera sept fois 8 b
SAINTE VICTOIRE
95 La vie en fleurs m’offrit ses plus chères délices. 6+6 a
Quand tout me souriait, jeunesse, honneurs, beauté, 6+6 b
J’ai des mornes prisons choisi la volupté ; 6+6 b
J’ai pris Dieu pour époux, dans l’horreur des supplices. 6+6 a
Plus cruels à mon cœur que le fer et le feu, 6+6 a
100 J’ai subi les assauts de deux amours contraires : 6+6 b
Ma foi m’a fait trembler pour mon père et mes frères. 6+6 b
J’ai vu ceux que j’aimais ennemis de mon Dieu. 6+6 a
Mais le ciel m’a rendu ma maison douce et calme ; 6+6 a
Mon sang a racheté tous ceux que j’ai chéris ; 6+6 b
105 Dans le salut des miens j’en ai reçu le prix 6+6 b
Je te lègue, à présent, mon martyre et ma palme. 6+6 a
SAINTE THÉRÈSE
Dans un corps admiré cacher un cœur de flammes, 6+6 a
Comme un brasier trop plein sous l’or de l’encensoir, 6+6 b
C’est un don périlleux… tu peux le recevoir ! 6+6 b
110 Tu seras belle et pure entre toutes les femmes. 6+6 a
Car le feu dont ta grâce embrasera les âmes 6+6 a
Consume en ses ardeurs tout criminel espoir ; 6+6 b
Qui te chérit s’enchaîne aux rigueurs du devoir, 6+6 b
Il apprend à servir le Dieu que tu proclames. 6+6 a
115 Et toi, tu meurs d’amour ; mais d’un amour sacré 6+6 a
Qu’un terrestre désir n’a jamais effleuré, 6+6 a
Dont nul ne troublera les extases divines, 6+6 a
Tu poursuis, à jamais, d’un chaste emportement, 6+6 b
Tu prends, ainsi que moi, pour éternel amant, 6+6 b
120 Jésus en croix, saignant et couronné d’épines. 6+6 a
SAINTE ÉLISABETH
Dieu montre à qui se perd, pour le gagner aux cieux, 6+6 a
Ta vertu souriante, 6 b
Étoile aimable et sûre invitant tous les yeux, 6+6 a
Astre où l’on s’oriente. 6 b
125 Chacun t’apportera sa lèpre et ses douleurs. 6+6 a
Sans que tu t’en effraies ; 6 b
Car ton doigt délicat, fait pour cueillir des fleurs, 6+6 a
Aime à panser des plaies. 6 b
Le pauvre, à tes genoux, recevra, sans fierté, 6+6 a
130 L’aumône qu’il repousse ; 6 b
Tu sauras embellir même la charité 6+6 a
D’une beauté plus douce. 6 b
Une grâce est cachée aux plis de ton manteau. 6+6 a
Transformant toutes choses ; 6 b
135 De ton voile, entr’ouvert sur ton pieux fardeau 6+6 a
Tu fais pleuvoir des roses. 6 b
Ainsi, les bienheureux, égrenant leurs fleurons. 6+6 a
Sèment sur nos berceaux les perles de leurs fronts, 6+6 a
Et font, dès sa naissance, à l’âme de tout homme 6+6 a
140 Un germe de vertus des noms dont il se nomme. 6+6 a
À peine elle a reçu ce grain des fleurs du ciel, 6+6 a
Dont la terre à sa lèvre empruntera le miel, 6+6 a
La sœur de Béatrix, la rose bien nommée, 6+6 a
Se lève dans l’azur comme une aube enflammée. 6+6 a
145 Tout l’horizon s’embrase à sa vive rougeur ; 6+6 a
Son sourire a plongé dans les yeux du songeur, 6+6 a
Et, pour garder cette âme, active sentinelle, 6+6 a
La vision s’y fixe en sa grâce éternelle. 6+6 a
Par le songe ébloui, sitôt qu’à son réveil 6+6 a
150 L’adolescent revoit la terre et le soleil. 6+6 a
Il croit, au bord des prés, trouvant l’herbe si pâle. 6+6 a
Que la nuit s’y promène en ses sentiers d’opale. 6+6 a
En vain, pour l’attirer, les grands lis importuns 6+6 a
De leur robe d’argent agitent les parfums. 6+6 a
155 En vain sourit, tout près, la pourpre des cerises ; 6+6 a
Sous l’ambre et le carmin les fleurs lui semblent grises, 6+6 a
Si fort brille, à ses yeux, de l’éclat d’un brasier, 6+6 a
La rose ardente au sein du mystique rosier. 6+6 a
mètre profils métriques : 8, 6, 6+6
forme globale type : suite de strophes
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