Métrique en Ligne
LAP_7/LAP78
Victor de LAPRADE
IDYLLES HÉROÏQUES
1858
FRANTZ
III
LES VENDANGES
Hier on cueillait à l’arbre une dernière pêche, 6+6 a
Et ce matin voici, dans l’aube épaisse et fraîche, 6+6 a
L’automne qui blanchit sur les coteaux voisins. 6+6 b
Un fin givre a ridé la pourpre des raisins. 6+6 b
5 Là-bas voyez-vous poindre, au bout de la montée 6+6 a
Les ceps aux feuilles d’or dans la brume argentée ? 6+6 a
L’horizon s’éclaircit en de vagues rougeurs, 6+6 b
Et le soleil levant conduit les vendangeurs. 6+6 b
Avec des cris joyeux ils entrent dans la vigne : 6+6 a
10 Chacun, dans le sillon que le maître désigne, 6+6 a
Serpe en main, sous l’arbuste a posé son panier. 6+6 b
Honte à qui reste en route et finit le dernier ! 6+6 b
Les rires, les clameurs stimulent sa paresse. 6+6 a
Aussi comme chacun dans sa gaîté se presse ! 6+6 a
15 Presqu’au milieu du champ, déjà brille, là-bas, 6+6 b
Plus d’un rouge corset entre les échalas. 6+6 b
Voici qu’un lièvre part ; on a vu ses oreilles. 6+6 a
La grive au cri perçant fuit et rase les treilles. 6+6 a
Malgré les rires fous, les chants à pleine voix, 6+6 b
20 Tout panier s’est déjà vidé plus d’une fois, 6+6 b
Et bien des chars, ployant sous l’heureuse vendange, 6+6 a
Escortés des enfants, sont partis pour la grange. 6+6 a
Au pas lent des taureaux, les voilà revenus, 6+6 a
Rapportant tout l’essaim des marmots aux pieds nus. 6+6 a
25 On descend, et la troupe à grand bruit s’éparpille, 6+6 b
Va des chars aux paniers, revient, saute et grappille ; 6+6 b
Près des ceps oubliés se livre des combats. 6+6 a
Qu’il est doux de les voir, si vifs dans leurs ébats, 6+6 a
Préludant par des pleurs à de folles risées, 6+6 b
30 Tout empourprés du jus des grappes écrasées. 6+6 b
BERTHE
Vois ces garçons frais et joyeux ; 8 a
Le plus beau, c’est encor le nôtre ; 8 b
Comme il sourit de ses grands yeux ! 8 a
Comme il nous cherche l’un et l’autre ! 8 b
35 Depuis que Dieu me l’a donné, 8 a
Ce fils, ta souriante image, 8 b
Je crois dans mon cœur étonné 8 a
Que je t’aime encor davantage. 8 b
FRANTZ
Oui, notre âme agrandie est plus pleine d’amour. 6+6 a
40 Dieu nous a fait largesse. 6 b
Ma maison et mon cœur ont reçu dès ce jour 6+6 a
La suprême richesse. 6 b
Sois bénie à jamais avec ton fruit charmant, 6+6 a
Ô branche maternelle ! 6 b
45 Viens t’enlacer au cou du père et de l’amant, 6+6 a
Viens, tous les jours plus belle ! 6 b
Baise aux bras de l’époux notre ange au front vermeil, 6+6 a
Ce fils qu’on nous envie, 6 b
Et qui fait rayonner d’espoir et de soleil 6+6 a
50 L’automne de ma vie. 6 b
L’ENFANT
L’enfant est roi parmi nous 7 a
Sitôt qu’il respire ; 5 b
Son trône est sur nos genoux 7 a
Et chacun l’admire. 5 b
55 Il est roi, le bel enfant ! 7 c
Son caprice est triomphant 7 c
Dès qu’il veut sourire. 5 b
C’est la gaîté du manoir. 7 a
Jadis solitaire ; 5 b
60 Ses yeux éclipsent, le soir, 7 a
Notre lampe austère. 5 b
C’est la primeur du verger, 7 c
L’agneau blanc cher au berger, 7 c
La fleur du parterre. 5 b
65 Il fait de ses cheveux d’or 7 a
L’anneau qui nous lie ; 5 b
Il fait qu’on espère encor 7 a
Il fait qu’on oublie. 5 b
Lorsqu’un orage a grondé, 7 c
70 Que les pleurs ont débordé, 7 c
Il réconcilie. 5 b
C’est pour lui qu’on a semé, 7 a
Qu’on remplit la grange ; 5 b
Le pain blanc reste enfermé 7 a
75 Pour le petit ange. 5 b
C’est pour lui, joyeux garçon, 7 c
Que chacun dit sa chanson. 7 c
Pour lui qu’on vendange. 5 b
UN VENDANGEUR
Fêtez les raisins mûrs ! venez de toutes parts, 6+6 a
80 Enfants ! Sur les tonneaux qui sonnent dans les chars 6+6 a
Grimpez, ô blonde fourmilière ! 8 b
C’est votre fête à vous quand on cueille ce fruit ; 6+6 c
C’est le Jour du fou rire et des chants et du bruit 6+6 c
Venez, ceints de pampre et de lierre. 8 b
85 Dansez, garçons joufflus, une grappe à la main ; 6+6 a
À la cuve, au pressoir ne manquez pas demain ; 6+6 a
Suivez la vendange à la trace. 8 b
Tendez l’écuelle au vin qui jaillit violet : 6+6 c
Le raisin doit donner, bientôt après le lait, 6+6 c
90 À boire au fils de bonne race. 8 b
Pour qu’il soit brave, un jour, à la guerre, au travail, 6+6 a
Mouillons, dès qu’il est né, sa lèvre de corail 6+6 a
D’un vin pur ; il faudra qu’il l’aime. 8 b
Le vin fait notre sang plus riche et plus joyeux. 6+6 c
95 Apportez-nous l’enfant ! et d’un flot de vin vieux 6+6 c
Donnons-lui gaîment son baptême. 8 b
UN SOLDAT
Un feu sacré, sur nos coteaux, 8 a
Jaillit des fermes aux châteaux, 8 a
Et le cep aux longs bras s’élance. 8 b
100 Les bons soldats et les bons vins 8 c
Sont issus de nos champs divins, 8 c
Les soldats et les vins de France. 8 b
Tant que la France et le soleil 8 a
Produiront ce fruit sans pareil, 8 a
105 Que la vigne sera féconde, 8 b
Les premiers en guerre, en amour, 8 c
Nos enfants seront, tour à tour, 8 c
La joie et la terreur du monde. 8 b
Je suis soldat et vigneron ; 8 a
110 Si, demain, le bruit du clairon 8 a
Vient encore à se faire entendre, 8 b
J’ai sur mon bahut de noyer 8 c
Sabre et fusil, près du foyer ; 8 c
Je saurai bien les y reprendre. 8 b
CHŒUR
115 Le ciel perd, avec l’été, 7 a
Sa gaîté ; 3 a
Craignez l’hiver monotone. 7 b
Mais, pour réveiller le cœur, 7 c
Ma liqueur 3 c
120 Coule des doigts de l’automne. 7 b
Viens, de la cuve au pressoir 7 a
Recevoir 3 a
Jusqu’à sa goutte dernière ; 7 b
Tiens fermé, jusqu’en avril, 7 c
125 Le baril 3 c
Où la sève est prisonnière. 7 b
Puis, sous un cristal épais, 7 a
Couche en paix 3 a
Le vin qui mûrit à l’ombre. 7 b
130 Laissons vieillir endormi 7 c
Cet ami, 3 c
Pour le trouver au temps sombre. 7 b
Dans ces flots couleur de feu, 7 a
Le bon Dieu 3 a
135 Mit pour nous d’ardentes flammes ; 7 b
Quand il fait froid, quand le soir 7 c
Est bien noir, 3 c
C’est du soleil pour nos âmes. 7 b
FRANTZ
Suivez les chars au pas des taureaux familiers, 6+6 a
140 Chanteurs ! Bénissez Dieu, la saison est féconde ; 6+6 b
La maison sera pleine ainsi que les celliers 6+6 a
La famille est nombreuse, et la vendange abonde 6+6 b
Laissez grandir l’enfant, laissez vieillir le vin ! 6+6 c
Pour qu’au déclin des jours ce fils, en qui j’espère, 6+6 a
145 Verse une ardeur encore avec ce jus divin 6+6 b
Dans le sang rajeuni de l’aïeul et du père 6+6 a
Laissez grandir l’enfant, laissez vieillir le vin ! 6+6 b
mètre profils métriques : 8, 6, 7, 5, 3, 6+6
forme globale type : suite de strophes et distiques
schéma : 15((aa)) 6(abab) 4(ababccb) 10(aabccb) 1(ababc)
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