Métrique en Ligne
LAP_7/LAP77
Victor de LAPRADE
IDYLLES HÉROÏQUES
1858
FRANTZ
II
LES MOISSONS
CHANT DU COQ
Levez-vous, moissonneurs, alerte ! 8 a
Le coq a chanté sur le toit. 8 b
D’ombre encor la plaine est couverte, 8 a
Mais l’aube vient, le coq la voit ; 8 b
5 Quittez vos lits de mousse verte. 8 a
Alerte, moissonneurs, alerte ! 8 a
Le coq a chanté sur le toit. 8 b
Le coq, horloge de la grange. 8 a
Sent marcher l’heure et le soleil. 8 b
10 Avant que l’horizon se frange 8 a
D’un fil d’écarlate et d’orange, 8 a
Qu’un bout du clocher soit vermeil, 8 b
Le coq, horloge de la grange, 8 a
Sonne à tous un joyeux réveil. 8 b
15 Le coq vaillant chante avec joie 8 a
L’amour, la guerre et le travail. 8 b
Si l’épervier là-haut tournoie, 8 a
Lui, sous son casque de corail, 8 b
Fier, il vaincra l’oiseau de proie. 8 a
20 Le coq vaillant chante avec joie 8 a
L’amour, la guerre et le travail. 8 b
Les blés hauts et dorés, que le vent touche à peine, 6+6 a
Comme un jaune océan ondulent sur la plaine ; 6+6 a
D’un long ruban de pourpre agité mollement. 6+6 b
25 L’aurore en feu rougit ces vagues de froment. 6+6 b
Et, dans l’air, l’alouette, en secouant sa plume, 6+6 c
Chante, et comme un rubis dans le ciel bleu s’allume. 6+6 c
Mais déjà la faucille est au pied des épis. 6+6 a
Les souples moissonneurs, sur le chaume accroupis, 6+6 a
30 Sont cachés tout entiers, comme un nageur sous l’onde ; 6+6 b
Leur front noir reparaît parfois sur la mer blonde. 6+6 b
Plongeant leurs bras actifs dans les flots de blé mûr, 6+6 a
Ils avancent toujours de leur pas lent, mais sûr ; 6+6 a
Leur fer tranchant et prompt, à tous les coups qu’il frappe 6+6 b
35 Rétrécit devant eux l’or de l’immense nappe. 6+6 b
Derrière eux, le sillon reparaît morne et gris, 6+6 a
Les bluets sont tombés et les pavots fleuris ; 6+6 a
Et le soleil de juin, piquant comme la flèche, 6+6 b
Sur leur couche de paille à l’instant les dessèche. 6+6 b
40 Le sol brûle ; on dirait que la flamme a passé 6+6 a
Sur le terrain, déjà blanchâtre et crevassé. 6+6 a
Les faux marchent toujours, allongeant derrière elles 6+6 b
Les rangs d’épis tombés en réseaux parallèles, 6+6 b
Et qui semblent de loin, tissu fauve et doré, 6+6 a
45 Des toiles de lin neuf qu’on blanchit sur le pré. 6+6 a
Dans l’air lourd plus de voix, hors le bruit des cigales 6+6 a
Frappant le ciel cuivré de leurs notes égales. 6+6 a
Entre les moissonneurs plus de joyeux propos ; 6+6 b
Il est temps que midi sonne enfin le repos. 6+6 b
50 L’œuvre languit ; la main, en essuyant la tempe 6+6 a
Retombe mollement avec l’eau qui la trempe. 6+6 a
Les yeux cherchent ; voici, travailleurs aux abois, 6+6 b
Que vous voyez venir, par le sentier du bois, 6+6 b
Les rouges tabliers, les corbeilles couvertes 6+6 a
55 D’un linge blanc qui luit entre les feuilles vertes, 6+6 a
Des cris ont salué l’espoir du gai repas. 6+6 b
Vers l’ombre, au bout du champ, chacun marche à grands pas ; 6+6 b
On s’assied. Les grands pains sont étalés sur l’herbe. 6+6 a
Le maître fait les parts, trônant sur une gerbe. 6+6 a
60 La fermière a servi les rustiques apprêts 6+6 b
Et rempli d’un vin clair les écuelles de grés. 6+6 b
Mais, déjà, sous le chêne où la mousse l’invite, 6+6 a
Pressant comme la soif, le sommeil descend vite. 6+6 a
Près de l’homme endormi, les marmots en éveil 6+6 b
65 Font leur moisson d’ivraie et de pavot vermeil. 6+6 b
Là, debout, lui montrant sa terre et sa chaumière, 6+6 a
Le fermier prend la main de la brune fermière. 6+6 a
FRANTZ
Vois ces riches moissons ; vois sous ces flots de blé 6+6 a
Notre champ qui se dore : 6 b
70 D’une moisson d’amour le printemps a comblé 6+6 a
Mon cœur plus riche encore ! 6 b
Viens ! pour payer les fleurs que tu m’offrais hier, 6+6 a
Qu’aujourd’hui tu me donnes, 6 b
Je veux, en épis mûrs, à ton front doux et fier 6+6 a
75 Rendre ici des couronnes. 6 b
BERTHE
Quand tu fuyais, sombre et cherchant 8 a
Un désert et des fleurs nouvelles, 8 b
Je t’ai dit : Ma vigne et mon champ, 8 a
Mes prés en cachent de plus belles. 8 b
80 Rien, dans ces lointains merveilleux, 8 a
Ne vaut les fruits, les blés qu’on sème 8 b
Dans le sillon de ses aïeux. 8 a
Et qu’on partage à ceux qu’on aime. 8 b
FRANTZ
C’est par toi que ces champs ont porté fruits et fleurs, 6+6 a
85 Ma belle ménagère ! 6 b
Tu prends avec amour ta part de mes labeurs, 6+6 a
La mienne est plus légère. 6 b
Ces travaux sont moins durs que n’étaient mon repos, 6+6 a
Ma solitude oisive ; 6 b
90 Je sens, à tes côtés, mon cœur jeune et dispos ; 6+6 a
Ta grâce me ravive. 6 b
BERTHE
Avant de trouver ton appui, 8 a
Mon cœur, sous sa gaîté frivole, 8 b
Succombait à ce vague ennui 8 a
95 Qu’une mère à peine console. 8 b
Mais aujourd’hui je sens par toi, 8 a
Sous ton regard qui me caresse, 8 b
Un bonheur pur de tout effroi, 8 a
Calme et fort comme ta tendresse. 8 b
LES JEUNES FILLES
100 Nous avons cueilli sur les prés 8 a
L’aubépine en fleur qui s’y penche. 8 b
Et, dans les gazons diaprés, 8 a
Choisi la pâquerette blanche. 8 b
Nous avons fait des fleurs d’avril 8 c
105 Au parfum léger et subtil, 8 c
À la couleur pâle et charmante, 8 d
Nous avons fait des fleurs d’avril 8 c
Ton bouquet de vierge et d’amante. 8 d
Et nous voulons tresser encor 8 a
110 De rose ardente et parfumée, 8 b
De pavot rouge et d’épis d’or, 8 a
Ta couronne d’épouse aimée. 8 b
Avec les fleurs de nos chansons, 8 c
Posons l’or des jeunes moissons, 8 c
115 Et, triant bien l’ivraie amère, 8 d
Posons l’or des jeunes moissons 8 c
Sur ton front d’épouse et de mère. 8 d
Mêlez des branches de rosier 8 a
Au flexible sarment des treilles ; 8 b
120 Taillez dans le saule et l’osier ; 8 a
Il faut à nos fruits des corbeilles. 8 b
Courbez les branches en cerceau, 8 c
Il faut à l’enfant un berceau 8 c
Et des paniers à la vendange ; 8 d
125 Courbez les branches en cerceau, 8 c
Faites sa couche au petit ange. 8 d
Sur les chars empourprés des derniers feux du jour, 6+6 a
Gerbes et moissonneurs sont rentrés dans la cour. 6+6 a
Déjà dans l’avenue, en face de la grange, 6+6 b
130 Sonne la cornemuse, et la troupe s’y range. 6+6 b
Le plus vieux, qui maintient le rite coutumier, 6+6 a
A réglé le cortège et marche le premier. 6+6 a
Il porte, heureux trésor acquis par tant de peine, 6+6 b
La couronne d’épis sur une croix de chêne. 6+6 b
135 Un ruban d’écarlate enroule au bois grossier 6+6 a
Les fleurs que l’été mêle au froment nourricier ; 6+6 a
Et l’emblème sacré de joie et d’abondance 6+6 b
Du travail et de Dieu parle avec évidence. 6+6 b
On part ; la voix éclate, et les vieilles chansons 6+6 a
140 Escortent noblement le bouquet des moissons. 6+6 a
Le soir dore les murs de la ferme qui brille. 6+6 b
Là, debout sur le seuil, le père de famille 6+6 b
Attend paisible et fier tout son peuple assemblé, 6+6 c
Et reçoit dans ses mains les prémices du blé. 6+6 c
145 Bientôt les épis d’or et la croix qui les porte 6+6 a
Comme un signe de Dieu sont cloués sur la porte ; 6+6 a
Ils y doivent rester jusqu’à l’autre saison, 6+6 b
Pour garder de tout mal les champs et la maison. 6+6 b
Or, pour les moissonneurs, la journée étant faite, 6+6 a
150 Commence le plaisir de la rustique fête, 6+6 a
La danse et le repas où le maître joyeux 6+6 b
Écoute leurs chansons et s’assied avec eux. 6+6 b
UN MOISSONNEUR
La montagne a ses prairies, 7 a
Le lait pur des vacheries, 7 a
155 Des sources à chaque pas, 7 b
Des bouleaux et des mélèzes, 7 c
Et des fraises 3 c
Mais le froment n’y vient pas. 7 b
Là, j’ai mon taillis de hêtre, 7 a
160 Un troupeau dont je suis maître, 7 a
Un grand chalet de sapin. 7 b
Là, j’ai nombreuse famille 7 c
Ma faucille 3 c
Sait où lui trouver du pain. 7 b
165 La plaine en doux fruits abonde, 7 a
D’épis elle est toute blonde ; 7 a
Le blé rentre à plein portail ; 7 b
Mais la montagne a des hommes, 7 c
Et nous sommes 3 c
170 Les plus braves au travail. 7 b
L’air est chaud comme à la forge, 7 a
La soif nous serre la gorge ; 7 a
Mais la moisson va son train ; 7 b
Puis, au bout de la semaine, 7 c
175 On ramène 3 c
Son mulet chargé de grain. 7 b
Mes fils, au bruit de ses cloches, 7 a
Légers, glissant sur les roches, 7 a
Viennent se pendre à mon flanc, 7 b
180 Fêtant de leurs allégresses 7 c
Mes caresses, 3 c
Et l’espoir du bon pain blanc. 7 b
CHŒUR
Moissonneurs ! sans plaindre vos peines, 8 a
Cueillez les blés mûrs dans les plaines, 8 a
185 Le blé, notre bien le plus cher ! 8 b
Ce grain d’or, sous sa pâle écorce. 8 c
C’est le germe de notre force ; 8 c
C’est notre sang et notre chair. 8 b
Pour le pauvre, en liant la gerbe, 8 a
190 Laissez quelques épis dans l’herbe ; 8 a
Qu’il glane un peu de ce bon grain. 8 b
Puissions-nous, dans un champ prospère, 8 c
Voir tous les fils du même père 8 c
Unis autour du même pain ! 8 b
FRANTZ
195 La maison, tout en fête, avec amour décore 6+6 a
L’heureux char des moissons qui s’est rempli pour nous ; 6+6 b
La maison, tout en fête et plus joyeuse encore, 6+6 a
A vu l’épouse entrer et sourire à l’époux. 6+6 b
Dieu fait mûrir les blés ; c’est la femme économe 6+6 a
200 Qui mélange un sel pur au pain de chaque jour ; 6+6 b
C’est elle, en souriant, qui donne au cœur de l’homme 6+6 a
Son aliment sacré d’allégresse et d’amour. 6+6 b
Comme ce blond froment, elle est l’or véritable ; 6+6 a
Elle est le chaste orgueil du maître et du manoir, 6+6 b
205 Le joyau qu’on admire, accoudé sur la table, 6+6 a
Le flambeau du foyer quand le ciel se fait noir. 6+6 b
La maison, tout en fête, avec amour décore 6+6 a
L’heureux char des moissons qui s’est rempli pour nous 6+6 b
La maison, tout en fête et plus joyeuse encore, 6+6 a
210 A vu l’épouse entrer et sourire à l’époux. 6+6 b
mètre profils métriques : 8, 6, 7, 3, 6+6
forme globale type : suite de strophes et distiques
schéma : 2(ababaab) 1(abaabab) 2(aabbcc) 20((aa)) 1(aabbaa) 1(aa) 12(abab) 3(ababccdcd) 3(aabb) 7(aabccb)
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