Métrique en Ligne
LAP_7/LAP74
Victor de LAPRADE
IDYLLES HÉROÏQUES
1858
FRANTZ
DÉDICACE
AU PAYS DE FOREZ
Cher pays de Forez, je te dois une offrande ! 6+6 a
Terre où, dans mon berceau, les chênes m’ont parlé, 6+6 b
Ta sève et ton murmure en ma veine ont coulé ; 6+6 b
Il faut qu’un cri d’amour, aujourd’hui, te les rende. 6+6 a
5 C’est toi qui, la première, au sentier du désert, 6+6 a
Fis marcher, pas à pas, mon enfance inquiète, 6+6 b
Qui m’as nourri d’un miel dans les bois découvert, 6+6 a
Et, dans l’eau du torrent, m’a baptisé poëte. 6+6 b
C’est ton doigt maternel qui dirigea mes yeux 6+6 a
10 Sur l’alphabet sacré des couleurs ou des formes, 6+6 b
Et, dans l’accent divers des sapins et des ormes, 6+6 b
M’apprit à pénétrer des mots mystérieux. 6+6 a
Par toi, dans l’ombre sainte, enfant des vieux Druides, 6+6 a
J’ai connu des grands bois le sublime frisson ; 6+6 b
15 Poursuivant l’infini des horizons fluides, 6+6 a
Par toi, des hauts sommets je fus le nourrisson. 6+6 b
Mon aile s’est ouverte au vent que tu déchaînes ; 6+6 a
Enivré de ton souffle, à l’odeur des prés verts, 6+6 b
J’ai senti circuler, de mon sang à mes vers, 6+6 b
20 L’esprit qui fait mugir les taureaux et les chênes. 6+6 a
Près d’une eau qui frémit sur son lit de gravier, 6+6 a
Sous l’aune où le geai siffle, où se rit la linotte, 6+6 b
De l’hymne universel m’enseignant chaque note, 6+6 b
Tu conduisis mes doigts sur ton vaste clavier. 6+6 a
25 Tu fus mon premier livre et mon premier solfège ; 6+6 a
Écolier, j’ai reçu mes plus sages leçons 6+6 b
De ces voix qu’on écoute en longeant les buissons ; 6+6 b
Tes soleils m’ont tiré de la nuit du collège. 6+6 a
J’appris des laboureurs et des batteurs de grain 6+6 a
30 Ce rhythme indéfini qui dans l’écho s’achève ; 6+6 b
Que de soirs j’ai trouvé, dans ce vague refrain, 6+6 a
Enfant un doux sommeil, jeune homme un plus doux rêve ! 6+6 b
Le foyer et le champ, les récits de l’aïeul, 6+6 a
Tout ce qui pour le cœur compose la patrie, 6+6 b
35 Tous ces trésors que j’aime avec idolâtrie, 6+6 b
Cher pays de Forez, je les tiens de toi seul. 6+6 a
Tous mes fruits ont germé sur tes douces collines ; 6+6 a
Ma sève ne sort pas d’une immonde cité ; 6+6 b
Si je fleuris au sol où je fus transplanté, 6+6 b
40 C’est que je garde encor ta terre à mes racines. 6+6 a
Un sang paisible et fort, pur de tous vils penchants, 6+6 a
Est transmis à tes fils, chaste et verte contrée 6+6 b
Où d’Urfé promenait les bergers de l’Astrée, 6+6 b
Et dont la ville encor garde les mœurs des champs ! 6+6 a
45 Par toi je fus poëte, et d’un plus fier langage, 6+6 a
Peut-être, sous mes doigts, la harpe des forêts 6+6 b
Parla mieux d’idéal et sut mieux tes secrets 6+6 b
Mais cette œuvre est la tienne et je t’en fais hommage. 6+6 a
Reçois-le sans l’ouvrir, ce livre d’un songeur, 6+6 a
50 Trop plein des visions de ce siècle malade ; 6+6 b
Reste à chanter encor quelque vieille ballade, 6+6 b
Et garde bien tes fils de son doute rongeur. 6+6 a
Quand de revoir ton sol Dieu m’accorde la fête, 6+6 a
Je veux qu’aux verts détours des sentiers réjouis 6+6 b
55 Tous ceux que je rencontre, ignorant le poëte, 6+6 a
Tendent leur main calleuse à l’enfant du pays. 6+6 b
Que nul, pour me complaire, en s’efforçant, n’y cause 6+6 a
De, livres et d’auteurs, de systèmes nouveaux ; 6+6 b
Mais admire avec moi sa terre et ses travaux, 6+6 b
60 Et, sur chaque rosier me coupant une rose, 6+6 a
Me dise ses projets pour le futur printemps, 6+6 a
Combien de chars de blé sont entrés dans ses granges, 6+6 b
Quel nectar il espère aux prochaines vendanges, 6+6 b
Quel miracle aux pêcheurs promettent ses étangs. 6+6 a
65 Chez toi, je ne viens pas pour glaner quelque feuille 6+6 a
De ces douteux lauriers tressés d’un doigt moqueur ; 6+6 b
Plus saine, ô cher pays ! et plus douce à mon cœur, 6+6 b
Dieu me fait la moisson qu’en tes champs je recueille. 6+6 a
Sur la bruyère en fleur, sous les pins odorants, 6+6 a
70 J’y respire à longs traits l’air pur et la lumière ; 6+6 b
Dans l’enclos séculaire, autour des bancs de pierre, 6+6 b
J’y vais interroger l’ombre des vieux parents. 6+6 a
C’est là qu’ils ont vécu comme je voudrais vivre, 6+6 a
Laborieux et fiers, obscurs, mais sans remords, 6+6 b
75 Traçant devant leurs fils le sillon qu’il faut suivre, 6+6 a
Et marchant, le front calme, à d’héroïques morts. 6+6 b
Si, chez toi, loin du siècle et des modernes fanges, 6+6 a
Je vivais de repos, d’ombre et de souvenir. 6+6 b
Mon livre, sous ce chêne où je viens rajeunir, 6+6 b
80 Serait digne de l’œil des enfants et des anges. 6+6 a
Jamais je n’ai subi les orages du cœur 6+6 a
Sous ces rameaux sacrés dont j’aspirais la sève ; 6+6 b
Dans nos sentiers amis quand je retourne en rêve, 6+6 b
Je n’y revois passer que ma mère et ma sœur. 6+6 a
85 Ignore, ô cher pays ! mes vers et mon nom même ; 6+6 a
Mais donne-moi ma part de soleil et d’air pur. 6+6 b
Où l’on se sent heureux, il est doux d’être obscur : 6+6 b
Garde-moi seulement le cœur de ceux que j’aime. 6+6 a
Si pourtant de l’oubli mon œuvre se défend, 6+6 a
90 S’il s’attache à mon nom quelque gloire modeste, 6+6 b
Alors rappelle-toi que je suis ton enfant, 6+6 a
Que tu m’as fait poëte, et que l’honneur t’en reste. 6+6 b
Donne à mon souvenir quelque humble monument ; 6+6 a
Que la mort me ramène en un lit que j’envie, 6+6 b
95 Au pied des monts si chers d’où m’a chassé la vie, 6+6 b
Et vers qui mon espoir s’élance à tout moment. 6+6 a
Là, j’ai rêvé la tombe où je voudrais descendre ; 6+6 a
Là, d’avance, implorant le suprême repos, 6+6 b
Je voudrais rapporter la maternelle cendre, 6+6 a
100 Pour que les os des miens s’y mêlent à mes os. 6+6 b
Toi, dont le vieux granit survit à tous les marbres, 6+6 a
Terre où nous dormirons dans l’éternelle paix, 6+6 b
Fais sur nous verdoyer tes gazons plus épais ; 6+6 b
Fais, dans l’air frémissant, chanter tes plus grands arbres. 6+6 a
105 Que tout, ruches et nids, fourmille en ce beau lieu ; 6+6 a
Que la vie en sa fleur fête ma sépulture, 6+6 b
Pour que mon âme, encore, entende au sein de Dieu 6+6 a
Tes voix que j’essayai de traduire, ô Nature ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de strophes
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