Métrique en Ligne
LAP_6/LAP60
Victor de LAPRADE
LES SYMPHONIES
1855
LIVRE DEUXIÈME
VII
À UN MORT
À LA MÉMOIRE DE MON AMI BARTHÉLEMY TISSEUR
Sur sa tombe lointaine et que rien ne protège, 6+6 a
Entassant la poussière et les rameaux flétris, 6+6 b
Dix ans viennent de fuir, fertiles en débris ; 6+6 b
Dix ans sur sa mémoire ont répandu leur neige. 6+6 a
5 Son nom, toujours présent et baigné de nos pleurs, 6+6 a
Reste écrit dans ma vie à la plus belle page. 6+6 b
Ami ! mon cœur, si plein de nouvelles douleurs, 6+6 a
Garde encore une place où saigne votre image. 6+6 b
Que de fois dans ce cœur vous fûtes invoqué ! 6+6 a
10 À chaque jour d’épreuve, à chaque éclair de joie ! 6+6 b
En ces temps où tout homme hésite sur sa voie, 6+6 b
Ô ferme esprit, combien vous nous avez manqué ! 6+6 a
J’aimais cette raison puissante et familière ; 6+6 a
J’avais en vous la force appuyant le conseil, 6+6 b
15 Car l’amitié du sage est comme le soleil ; 6+6 b
Elle a sa chaleur vive et sa douce lumière, 6+6 a
Dans votre âme, ô penseur avant l’heure endormi ! 6+6 a
Pour l’âge des moissons germaient de grandes choses ; 6+6 b
Vous abondiez de fleurs qui ne sont point écloses 6+6 b
20 Nul ne l’a su, peut-être, excepté votre ami. 6+6 a
Vous aviez la sagesse et l’esprit d’harmonie ; 6+6 a
Vous deviez les répandre, et vous l’avez tenté, 6+6 b
Poëte mort dans l’ombre et sans avoir chanté ! 6+6 b
Mais Dieu fit pour lui seul votre amoureux génie. 6+6 a
25 Et la mort vous a pris ! je vous ai plaint longtemps ; 6+6 a
Le combat de la vie a ses heures de trêve ; 6+6 b
Vous aimiez nos soleils, nos grands bois où je rêve, 6+6 b
Où nous allions tous deux respirer le printemps. 6+6 a
Désormais un printemps plus sûr et plus paisible 6+6 a
30 Exhale autour de vous ses parfums sans tarir, 6+6 b
Vous couronne de fleurs que rien ne peut flétrir, 6+6 b
Et dévoile à vos yeux le soleil invisible. 6+6 a
Entre nous tous, c’est vous que Dieu prit en pitié ! 6+6 a
Du jour de votre mort ma jeunesse est finie ; 6+6 b
35 Vous eussiez d’un autre âge écarté l’ironie 6+6 b
Et préservé d’aigreur le miel de l’amitié. 6+6 a
Dieu cueille ses élus dans leurs fraîches années. 6+6 a
Vous avez emporté vos fleurs de l’âge d’or ; 6+6 b
Vous aimiez, vous croyiez, vous espériez encor ; 6+6 b
40 Vous n’aviez pas subi nos sinistres journées. 6+6 a
Vous étiez, en partant, plein de votre idéal, 6+6 a
N’ayant vu que le bien au fond de toutes choses, 6+6 b
Confiant au succès des généreuses causes, 6+6 b
Et, même en vos douleurs, ferme à nier le mal. 6+6 a
45 Nulle idole d’un jour n’avait eu votre culte ; 6+6 a
Vous rêviez pour vos dieux un avenir vainqueur, 6+6 b
À la religion que vous portiez au cœur 6+6 b
Les hommes et les temps ne jetaient point l’insulte. 6+6 a
Désespérant du bien, plaignant ceux qui naîtront, 6+6 a
50 Sondant les profondeurs de la bassesse humaine, 6+6 b
Vous n’avez pas vécu la honte sur le front 6+6 a
Vous-même, ô cœur sans fiel, auriez connu la haine ! 6+6 b
Mais, du chaste séjour où vous êtes monté, 6+6 a
Vous n’apercevez plus rien de triste et d’infâme ; 6+6 b
55 L’atmosphère d’amour enveloppe votre âme, 6+6 b
Et vous garde à jamais votre sérénité. 6+6 a
Restez dans votre azur au sein des harmonies, 6+6 a
Assis et souriant sur des rayons vermeils ; 6+6 b
Plongez du cœur au fond des choses infinies, 6+6 a
60 Et mesurez l’espace où flottent les soleils. 6+6 b
Détournez vos regards des cités où nous sommes ; 6+6 a
Vos dieux en sont partis et leur culte s’y perd 6+6 b
Mais vous viendrez toujours visiter le désert, 6+6 b
Et j’y retrouverai votre esprit, loin des hommes. 6+6 a
65 Car c’est là que mon cœur aime à se souvenir ; 6+6 a
Là j’ai versé pour vous mes plus fécondes larmes : 6+6 b
Ami, vous m’y rendez du courage et des armes, 6+6 b
Sous ces chênes sacrés qui parlent d’avenir. 6+6 a
Quand je m’enivrerai de leurs accords sublimes, 6+6 a
70 Quand tout sera musique et parfum sous les cieux, 6+6 b
Quand tous les horizons s’étendront à mes yeux, 6+6 b
Quand je serai baigné de soleil sur les cimes ; 6+6 a
Dans ces jours où le monde est tout de flamme et d’or, 6+6 a
Où l’ardente couleur sur les formes ruisselle, 6+6 b
75 Où toute aile palpite et prend un large essor, 6+6 a
Où l’on boit à grand flot la vie universelle, 6+6 b
Si je sens sur mon front un esprit frémissant, 6+6 a
Si je respire l’être à plus larges haleines, 6+6 b
Si l’amour dans mon âme et le sang dans mes veines 6+6 b
80 Coulent en un accord plus calme et plus puissant ; 6+6 a
Si le rayon d’en haut m’éclaire avec largesse, 6+6 a
Si quelque mot d’espoir doucement soupiré 6+6 b
Fait entendre à mon cœur la voix de la sagesse 6+6 a
Je saurai que c’est vous et je vous bénirai. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de strophes
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