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LAP_6/LAP56
Victor de LAPRADE
LES SYMPHONIES
1855
LIVRE DEUXIÈME
III
L’ALPE VIERGE
À LA JUNGFRAU
I
Un esprit gardien de toute pureté 6+6 a
Habite les glaciers et la neige éternelle. 6+6 b
L’air qu’on respire autour de ce faîte argenté 6+6 a
Rajeunit l’âme et jette une lumière en elle. 6+6 b
5 Ô vierge ! cette nuit, dans son fluide azur, 6+6 a
Semble exprès pour mes yeux dissiper tous tes voiles ; 6+6 b
J’adore en sa blancheur ton front chargé d’étoiles. 6+6 b
En toi, jusqu’à ton nom, tout est splendide et pur ! 6+6 a
Le ciel seul boit ton souffle à ta lèvre sacrée ; 6+6 a
10 Ton sein veiné d’azur, rougissant au réveil, 6+6 b
Laisse à Dieu seul cueillir sur sa neige empourprée 6+6 a
Les roses d’Orient qu’y sème le soleil. 6+6 b
Toi seule entre les monts as préservé ta face 6+6 a
De l’affront qu’aux sommets imprime un pied humain. 6+6 b
15 Partout survient la fange où se forme un chemin : 6+6 b
Tu dois de rester pure à tes remparts de glace. 6+6 a
Par eux tes flancs sacrés conservent leur candeur. 6+6 a
Le soir, lorsqu’à tes pieds tous le pays est sombre, 6+6 b
De l’azur infini perçant la profondeur, 6+6 a
20 Des sommets fréquentés ton front domine l’ombre. 6+6 b
Toi-même as cependant tes vallons ténébreux, 6+6 a
Et tu tiens par ta base aux régions impures 6+6 b
Où l’eau du ciel se trouble à laver nos souillures, 6+6 b
Où l’homme teint de sang un sillon douloureux. 6+6 a
25 Mais au-dessus de tous, belle vierge de neige, 6+6 a
Attirant le premier l’onde et les feux du ciel, 6+6 b
Ton front chaste et hautain garde le privilège 6+6 a
De porter l’invisible et l’immatériel. 6+6 b
Dieu pour trône, ici-bas a pris ta blanche cime, 6+6 a
30 Seul séjour assez pur pour qu’il s’y daigne asseoir ; 6+6 b
C’est lui, dans tes splendeurs, qui m’apparaît ce soir, 6+6 b
C’est sa voix que j’entends sur ton glacier sublime. 6+6 a
II
Tu portes, ô mon âme ! un sommet tout pareil, 6+6 a
Un sommet virginal plus haut que tous nuages, 6+6 b
35 Et qui toujours reflète un peu du vrai soleil, 6+6 a
Quand ta plaine assombrie est en proie aux orages. 6+6 b
Tu n’as que trop, aussi, d’infimes régions. 6+6 a
Noirs marais dont chacun cache une hydre rampante ; 6+6 b
Chemins à tous venant où la fange serpente, 6+6 b
40 Et qu’en troupeaux impurs foulent les passions. 6+6 a
Oui, ta vallée ouverte est basse, humide, obscure, 6+6 a
Ô cœur par les désirs, par l’ennui fréquenté ! 6+6 b
Mais vous savez, mon Dieu, si l’humaine souillure 6+6 a
Jusqu’au sacré sommet a jamais remonté. 6+6 b
45 Parfois une vapeur sort d’en bas et le cache : 6+6 a
Je ne vois plus briller sa neige à l’horizon ; 6+6 b
Mais elle reste vierge, ô divine raison ! 6+6 b
Ta splendeur reluira sur ce glacier sans tache 6+6 a
Nul impur voyageur du pied ne l’a terni. 6+6 a
50 À l’homme inférieur par moments invisible 6+6 b
Ô région sereine où siège l’infini, 6+6 a
Ta cime aux passions demeure inaccessible ! 6+6 b
C’est toujours l’Alpe vierge au front éblouissant, 6+6 a
Dont la chaste hauteur ne peut être abaissée, 6+6 b
55 Tabernacle où de Dieu réside la pensée, 6+6 b
Échelle de cristal par où l’esprit descend. 6+6 a
Oui, j’ai gardé ta neige en sa fierté suprême, 6+6 a
Oui, ton faîte est debout ! je le dis humblement : 6+6 b
Car j’en reviens toujours indigné de moi-même, 6+6 a
60 Quand mon cœur, de là-haut, se mesure un moment. 6+6 b
Et j’offre à cet autel splendide et vierge encore 6+6 a
Mon culte et le tribut de mes jours les meilleurs ; 6+6 b
Sa beauté luit en moi, mais elle vient d’ailleurs ; 6+6 b
En l’adorant, c’est vous, ô mon Dieu ! que j’adore. 6+6 a
65 En vous est la hauteur de ce front radieux ; 6+6 a
En vous est sa blancheur où l’arc-en-ciel se joue : 6+6 b
Dans l’homme seul est l’ombre, en lui sont les bas lieux. 6+6 a
À vous la neige, à moi la poussière et la boue. 6+6 b
Si ce mont reste pur, c’est que vous l’habitez : 6+6 a
70 Toute virginité n’est que votre présence. 6+6 b
L’homme, s’il eût trouvé ces cimes sans défense, 6+6 b
Eût traîné là sa fange et ses obscurités. 6+6 a
À l’abri de moi-même, ô Père ! et de la foule, 6+6 a
Garde donc l’Alpe vierge où luit ton tribunal, 6+6 b
75 Ce sommet de mon cœur d’où ta grâce découle ; 6+6 a
Renforce chaque nuit son rempart glacial ; 6+6 b
Pour qu’au-dessus, toujours, des lieux sombres, immondes, 6+6 c
Brille un degré du ciel que je puis entrevoir, 6+6 d
Et qu’aux feux de midi ce divin réservoir 6+6 d
80 M’abreuve tout entier de ses fertiles ondes. 6+6 c
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
schéma : 9(abab) 9(abba) 1(ababcddc)
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