Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAP_6/LAP54
Victor de LAPRADE
LES SYMPHONIES
1855
LIVRE DEUXIÈME
I
SYMPHONIE DU TORRENT
À MON AMI A. BRIZEUX
LE POÈTE
Ô nature ! en ton sein où l’ennui me ramène. 6+6 a
Je sens une âme triste ainsi que l’âme humaine ; 6+6 a
Tu gémis : c’est pourquoi je t’apporte mon cœur. 6+6 a
Toi, du moins, tu n’as pas de sourire moqueur, 6+6 a
5 Jamais ton doux regard ne lance l’ironie, 6+6 a
Et ton front porte haut sa tristesse infinie. 6+6 a
L’homme croit se guérir s’il peut cacher son mal ; 6+6 a
La froide raillerie est son masque banal. 6+6 a
Mais toi, dans la douleur, tu restes calme et vraie ; 6+6 a
10 Tu n’as pas dans les yeux ce rire qui m’effraie ; 6+6 a
Je viens mêler mes pleurs à tes pleurs sans orgueil, 6+6 a
Car je me reconnais dans ta figure en deuil. 6+6 a
Oui, nous avons tous deux notre peine secrète, 6+6 a
La mienne en tes soupirs trouve son interprète ; 6+6 a
15 Ta voix semble un écho de mon gémissement. 6+6 a
La nature et mon cœur, tout parle tristement. 6+6 a
LE PÂTRE
Dans la douce rumeur des forêts, des fontaines, 6+6 a
J’ai distingué ta voix et des plaintes humaines, 6+6 a
Étranger ! et de loin je t’ai vu, tout le soir, 6+6 a
20 Marcher sans but, courir ou brusquement t’asseoir, 6+6 a
Frapper ton front, tes mains, comme un homme qui souffre 6+6 a
Et parfois te pencher sur le bord de ce gouffre. 6+6 a
J’accours ; te voilà pâle, immobile, égaré, 6+6 a
Et je vois dans tes yeux qu’ils ont beaucoup pleuré. 6+6 a
25 Malade ou malheureux, l’un et l’autre, peut-être, 6+6 a
Jeune homme, car mon âge a le don de connaître, 6+6 a
Dispose du vieux pâtre en sa rude amitié ; 6+6 a
Le désert et mon Dieu m’enseignent la pitié. 6+6 a
Viens et dors, cette nuit, sous mon abri de chaume ; 6+6 a
30 Tout l’été, d’un air pur respire ici le baume. 6+6 a
À bien des affligés conduits sur ces hauteurs, 6+6 a
Il fut bon d’habiter la hutte des pasteurs. 6+6 a
Un vigoureux sommeil émané de l’étable. 6+6 a
Le lait et le pain noir de ma rustique table, 6+6 a
35 Et les belles chansons et la sainte g 6+6 a
Rendirent à plus d’un la joie et la santé. 6+6 a
Sur ces sommets, d’ailleurs, un art héréditaire 6+6 a
M’apprit à découvrir chaque herbe salutaire. 6+6 a
Tout mal a son remède au sein de quelque fleur : 6+6 a
40 J’en connais pour guérir ta chétive pâleur. 6+6 a
Sois docile au vieillard, viens, et par moi renaisse, 6+6 a
Renaisse dans ton cœur la divine jeunesse ! 6+6 a
LE POÈTE
Ton âme hospitalière, ô généreux pasteur ! 6+6 a
De la crèche et des bois l’énergique senteur, 6+6 a
45 Le souffle de tes bœufs, la sève de tes plantes 6+6 a
Seraient un vain remède à mes peines brûlantes. 6+6 a
Mon mal est trop profond ; mais, pour le soulager, 6+6 a
Avec d’autres douleurs je viens le partager. 6+6 a
Je viens mêler mon deuil au deuil de la nature. 6+6 a
50 J’entends ici l’écho des tourments que j’endure, 6+6 a
La voix de l’univers n’est qu’un gémissement ; 6+6 a
Mes pleurs unis aux siens coulent plus doucement, 6+6 a
Et je sens plus de calme et plus de patience 6+6 a
Quand je me plonge à fond dans sa tristesse immense. 6+6 a
LE PÂTRE
55 Je cherche autour de nous ces gémissantes voix. 6+6 a
Et ces mornes tableaux, et ce deuil que tu vois : 6+6 a
Un large rayon d’or flotte sur les fougères ; 6+6 a
L’alouette s’égaye en ses notes légères ; 6+6 a
La cloche tinte au cou de mes taureaux joyeux, 6+6 a
60 Et les prés, tout en fleurs, réjouissent mes yeux. 6+6 a
LE POÈTE
La nature se plaint : sa voix, terrible ou tendre, 6+6 a
Parle d’une souffrance à qui sait bien l’entendre. 6+6 a
Tout menace ou gémit. De la source au torrent, 6+6 a
Le flot, qui va gronder, s’écoule en murmurant. 6+6 a
65 Comme un soupir sans fin qui remplit tout l’espace, 6+6 a
Dans les sapins tremblants le vent passe et repasse ; 6+6 a
Et, même aux plus beaux jours, la voix qui sort des mers 6+6 a
Atteste un mal obscur dans leurs gouffres amers. 6+6 a
Ici, dans cette paix des douces bergeries, 6+6 a
70 Écoute ces taureaux et ces brebis chéries, 6+6 a
Ton chien, tes blonds ramiers posés sur ces vieux ifs, 6+6 a
Et tes agneaux bêlants… Tous ces bruits sont plaintifs. 6+6 a
LE PÂTRE
J’entends, je vois partout s’appeler, se poursuivre, 6+6 a
Les animaux joyeux du seul bonheur de vivre. 6+6 a
75 Tous semblent, à tes yeux, ou tristes ou méchants, 6+6 a
Jeune homme aux blanches mains, qui crois aimer les champs 6+6 a
Quel noir démon t’invite à ces pensers moroses, 6+6 a
Enfant ? Et tu n’as vu que la saison des roses ! 6+6 a
La neige des hivers où nous marchons pieds nus, 6+6 a
80 Nos soucis, nos travaux, te sont tous inconnus ! 6+6 a
LE POÈTE
Toi, tu ne connais pas la volupté des larmes ! 6+6 a
Ces pleurs de la nature en sont pour moi les charmes ; 6+6 a
Vous l’aimez pour les fruits que vous lui dérobez, 6+6 a
Avides laboureurs sur la moisson courbés ! 6+6 a
85 Moi, conduit aux déserts par la haine du monde, 6+6 a
J’y goûte leur douleur en sagesse féconde. 6+6 a
LE PÂTRE
J’aime le champ natal et non pas les déserts 6+6 a
J’ai là, dans ce vallon, j’ai des trésors bien chers : 6+6 a
Mes souvenirs d’enfant et le toit de mes pères, 6+6 a
90 Mon vieux clocher, ma vigne et mes vergers prospères. 6+6 a
J’habite en paix leur ombre, et jamais je n’appris 6+6 a
Des hommes nos pareils la haine et le mépris. 6+6 a
Ami de ces forêts, frère des vieux érables 6+6 a
J’aime nos bois sacrés bien moins que mes semblables, 6+6 a
95 Et quoique sur ces monts, tout l’été, sans ennuis, 6+6 a
Je sache vivre seul bien des jours, bien des nuits, 6+6 a
C’est un bonheur plus grand, dès qu’arrive l’automne, 6+6 a
De rentrer dans le bourg que le pampre festonne. 6+6 a
Là, par mes compagnons, dans leur franche gté, 6+6 a
100 Du pâtre et du troupeau le retour est fêté ; 6+6 a
La table fume, et l’âtre est tout rouge de braise, 6+6 a
Et, le verre à la main, tous les soirs, à notre aise, 6+6 a
Nous chantons ; le vin vieux, à défaut de soleil, 6+6 a
Pendant les noirs hivers tient les cœurs en éveil. 6+6 a
105 Ainsi chaque saison, qu’un Dieu bon nous ramène, 6+6 a
Nous apporte un plaisir aussi bien qu’une peine. 6+6 a
LE POÈTE
Ah ! j’ai trop éprou quel partage inégal, 6+6 a
En mesurant nos jours, grossit la part du mal ! 6+6 a
Les hommes sont mauvais, et les destins sont pires, 6+6 a
110 Mais la nature, au moins, n’a pas de faux sourires ; 6+6 a
Vois-tu le vague ennui sur son front répandu ? 6+6 a
Moi, je n’y cherche pas l’espoir que j’ai perdu ; 6+6 a
Mais, à défaut d’une onde où je me désaltère, 6+6 a
Le désert à ma soif offre une ivresse austère, 6+6 a
115 Et, plongé dans son sein par l’inconnu rempli, 6+6 a
J’y respire à longs traits le vertige et l’oubli. 6+6 a
LE PÂTRE
Ta voix me trouble, ami, ta parole est funeste. 6+6 a
Tu souffres, je le vois ; ta pâleur me l’atteste ; 6+6 a
Tu souffres, je te plains et ne te comprends pas. 6+6 a
120 Le remède à ton mal. Dieu me le cache, hélas ! 6+6 a
Je te plains ; mais pourquoi, dans tes peines sans cause, 6+6 a
Ne rien voir que le mal au sein de toute chose ? 6+6 a
La nature, où tu viens savourer tes douleurs, 6+6 a
Sourit quand ton orgueil lui commande les pleurs ; 6+6 a
125 Tu l’aimes, sois joyeux ! car elle est toute en joie ; 6+6 a
Regarde à l’horizon ces feux qu’elle déploie. 6+6 a
Laisse ton cœur s’ouvrir au coucher du soleil ; 6+6 a
Et de ce grand spectacle emporte un bon conseil. 6+6 a
LE POÈTE
La nature m’invite à sa douce tristesse : 6+6 a
130 La résignation fait toute sa sagesse ; 6+6 a
Obéir sans révolte à de sinistres lois, 6+6 a
C’est le morne conseil, ami, que j’en reçois. 6+6 a
LE PÂTRE
Non, la voix du désert, qu’il pleure ou qu’il sourie, 6+6 a
Ne t’a pas conseillé l’inerte rêverie ! 6+6 a
135 La nature m’enseigne, en ses chères leçons, 6+6 a
La vie et le travail égayé de chansons. 6+6 a
LE POÈTE
Écoute, dans ces bois déjà pleins de ténèbres, 6+6 a
Du zéphyr qui s’endort les murmures funèbres ! 6+6 a
LE PÂTRE
J’entends plus près de nous, sur le frêne voisin, 6+6 a
140 Siffler le joyeux merle enivré de raisin. 6+6 a
LE POÈTE
Écoute ce torrent : quelle douleur profonde 6+6 a
Exhalent à nos pieds les soupirs de son onde ! 6+6 a
LE PÂTRE
J’entends sur les cailloux le bruit clair du ruisseau, 6+6 a
Du ruisseau qui gazouille aussi gai que l’oiseau ; 6+6 a
145 Chacun se réjouit d’en habiter la rive ; 6+6 a
Car l’eau donne à ses bords une voix toujours vive. 6+6 a
Mais toi, pâle étranger, si triste en l’écoutant, 6+6 a
Explique en sa chanson ce que ton âme entend. 6+6 a
LE POÈTE
Voici ce que nous dit la voix, proche ou lointaine, 6+6 a
150 Qui coule avec les eaux, torrent, fleuve et fontaine : 6+6 a
LE TORRENT
Le sourd travail des eaux a fendu le rocher : 6+6 a
Ma source, en murmurant, fuit des plus minces veines, 6+6 b
Comme une larme, aux yeux qui la voudraient cacher, 6+6 a
Jaillit d’un cœur mi par de secrètes peines. 6+6 b
155 Mais bientôt je reçois et j’emporte en courant 6+6 a
Et la neige et la grêle, et des flots d’eau fangeuse, 6+6 b
Et les mille débris de ma vie orageuse… 6+6 b
J’enfle dans la tempête, et je suis le torrent ! 6+6 a
Sur l’or d’un sable pur, sur les fines pelouses, 6+6 a
160 Le flot n’a qu’un murmure, et jamais de chanson. 6+6 b
J’entends à mes côtés, dans l’herbe et le buisson, 6+6 b
Mille gais sifflements dont les eaux sont jalouses. 6+6 a
Il est des bruits joyeux même au fond des grands bois : 6+6 a
Je mêle à ces accords ma rumeur incessante ; 6+6 b
165 L’eau fait dans leur concert la note gémissante. 6+6 b
L’homme devient rêveur, s’il ne pleure, à ma voix. 6+6 a
Je vois naître et mourir la brise passagère 6+6 a
Et les oiseaux rieurs dont la voix lui répond ; 6+6 b
Pour avoir, même un jour, cette gté légère, 6+6 a
170 Je descends de trop haut et viens de trop profond. 6+6 b
L’eau circule depuis que la nature existe. 6+6 a
J’ai pénétré la terre et j’ai tout visité ; 6+6 b
Un douloureux secret remplit l’immensité, 6+6 b
Moi, j’en murmure un mot : c’est pourquoi je suis triste. 6+6 a
175 J’en parle aux jours sereins, j’en parle aux sombres nuits 6+6 a
Le vent, parfois, retient sa voix intermittente ; 6+6 b
Dans ses rares fureurs, la foudre est inconstante ; 6+6 b
Moi, je suis éternel, ainsi que tes ennuis. 6+6 a
Mon flot dit, à travers le calme ou la tempête, 6+6 a
180 Ce mot affreux : toujours ! de tant de pleurs baigné ; 6+6 b
Ce mot, par la souffrance aux humains enseigné, 6+6 b
Je l’appris de la mort, et je vous le répète. 6+6 a
À ce bruit de mes flots parfois tu t’endormis : 6+6 a
Mais ce n’est pas la paix que ce sommeil te verse ; 6+6 b
185 Tu le sais, ô penseur ! les rêves que je berce 6+6 b
Ne sont rien moins pour toi que des rêves amis. 6+6 a
L’excès de la douleur, dans une âme affaissée, 6+6 a
Apporte aux malheureux un repos tout pareil ; 6+6 b
C’est en abolissant ta force et ta pensée 6+6 a
190 Que la rumeur de l’onde engendre ce sommeil. 6+6 b
LE PÂTRE
Voici ce que nous dit la voix, proche ou lointaine, 6+6 a
Qui coule avec les eaux, torrent, fleuve ou fontaine ; 6+6 a
Voici ce que nous dit le bruit clair du ruisseau, 6+6 a
Du ruisseau qui gazouille aussi gai que l’oiseau : 6+6 a
LE TORRENT
195 L’eau jaillit ! la roche déserte 8 a
Va répondre aux chansons des bois. 8 b
Je donne aux prés leur robe verte ; 8 a
Ils sont muets, je suis leur voix. 8 b
La vie autour de moi fourmille ; 8 a
200 Elle coule avec les ruisseaux. 8 b
J’abrite une immense famille ; 8 a
Un peuple entier vit sous mes eaux. 8 b
Sous chaque roche un hôte habite 8 a
Là, dans l’ombre et dans la fraîcheur, 8 b
205 Le saumon, l’anguille et la truite 8 a
Invitent la main du pêcheur. 8 b
De mes bords chérissant la zone, 8 a
Les arbres croissent par milliers ; 8 b
Le merle bleu siffle sur l’aune, 8 a
210 Le vent berce les peupliers. 8 b
Toute chose que Dieu féconde, 8 a
Prête à chanter, prête à fleurir, 8 b
Aime le vif accent de l’onde, 8 a
Aime à voir le ruisseau courir. 8 b
215 Quand de la ruche printanière 8 a
L’essaim s’est échappé dans l’air, 8 b
Il vole, au bruit de la rivière, 8 a
Vers le frêne au feuillage clair. 8 b
Ma rive a d’heureuses retraites 8 a
220 Où s’échangent de longs serments ; 8 b
J’y couvre sous mes voix discrètes 8 a
Les douces plaintes des amants. 8 b
La génisse, au bruit de sa cloche, 8 a
Conduit vers moi de gais troupeaux. 8 b
225 En chantant le berger s’approche 8 a
Et prend sa flûte à mes roseaux. 8 b
C’est moi qui fais tourner la roue 8 a
Du meunier conteur et malin. 8 b
Ma voix l’accompagne et se joue 8 a
230 Au joyeux tic-tac du moulin. 8 b
À vos travaux je m’associe : 8 a
Je bats le fer du forgeron ; 8 b
Je meus l’infatigable scie 8 a
Sous le toit du vieux bûcheron. 8 b
235 À travers le roc et l’argile 8 a
L’eau glisse et creuse incessamment ; 8 b
C’est moi, sur la terre immobile, 8 a
C’est moi qui suis le mouvement. 8 b
L’onde vierge à grands flots m’arrive, 8 a
240 Quand l’été ronge le glacier ; 8 b
L’écume alors blanchit ma rive 8 a
Comme la lèvre du coursier. 8 b
Si parfois mon flot déracine 8 a
L’épi d’un imprudent sillon, 8 b
245 Le sol que j’ôte à la colline, 8 a
Je le restitue au vallon. 8 b
L’eau dans son sein, rapide ou lente, 8 a
Tient tous les germes en éveil ; 8 b
Pour donner la sève à la plante, 8 a
250 Elle se marie au soleil. 8 b
La chanson du torrent convie 8 a
Chaque être à sortir du repos. 8 b
J’appelle au travail, à la vie. 8 a
Les fleurs, les hommes, les troupeaux. 8 b
255 Je dis : Suivez mes flots rapides, 8 a
Quittez avec moi ce haut lieu ; 8 b
Marchez, voyageurs intrépides, 8 a
Sur les chemins tracés par Dieu. 8 b
Suivez les torrents et les fleuves, 8 a
260 Ô flot des générations ! 8 b
Enrichissez de races neuves 8 a
Les plaines et les nations. 8 b
Placez vos tentes sur ma rive ; 8 a
Un secours vous viendra des eaux ; 8 b
265 Je tournerai la meule active, 8 a
Je porterai vos lourds vaisseaux. 8 b
Avec moi cheminez en foule : 8 a
Et chantez, peuple industrieux ! 8 b
Dieu vous dit dans mon flot qui coule 8 a
270 Travaillez et soyez joyeux. 8 b
LE POÈTE
Pauvre cœur, dupe, hélas ! de ta propre imposture, 6+6 a
Tu n’entends que toi-même à travers la nature ! 6+6 a
L’esprit qui t’a parlé de joie et d’avenir 6+6 a
T’a promis, ô pasteur ! ce qu’il ne peut tenir. 6+6 a
275 Ainsi, pour t’affranchir de l’ennui qui te ronge, 6+6 a
Ô folle humanité, tu n’as que le mensonge ! 6+6 a
Je trouve ta g plus triste que mes pleurs, 6+6 a
Et mon front ne veut pas de ces trompeuses fleurs. 6+6 a
Va donc, et suis la voix de l’antique Sirène ; 6+6 a
280 Suis ton illusion qui parle et qui t’entraîne. 6+6 a
Au but de ton travail, à travers les chansons 6+6 a
Cours le long de ces flots, docile à leurs leçons ! 6+6 a
Crois l’homme juste et bon ; crois les saisons propices, 6+6 a
Et joue avec les fleurs au bord des précipices. 6+6 a
285 La mer, la mer se creuse et va nous recevoir 6+6 a
Engloutis dans le flot qui te parlait d’espoir ; 6+6 a
Vous tomberez tous deux au noir abîme où gronde 6+6 a
Le terrible inconnu que j’entends sous cette onde. 6+6 a
LE PÂTRE
L’inconnu qui me parle est un Dieu bienfaisant. 6+6 a
290 Accomplissons d’abord la tâche du présent ! 6+6 a
La nature l’enseigne à la sagesse humaine : 6+6 a
À chaque jour suffit le fardeau de sa peine, 6+6 a
Et, pour le cœur sincère et simple en ses désirs, 6+6 a
Chaque jour que Dieu fait offre aussi ses plaisirs. 6+6 a
LE POÈTE
295 Adieu ! Reste, ô berger ! dans l’erreur qui t’est douce : 6+6 a
L’ignorance est un lit plus tendre que la mousse ; 6+6 a
Reste, au bord de cette onde, à voir tes prés fleurir 6+6 a
À vivre sans penser, pour vivre sans souffrir. 6+6 a
LE PÂTRE
Ami, qu’un Dieu propice, à ma voix, te délivre 6+6 a
300 Du démon qui t’a dit : Reste à rêver sans vivre ! 6+6 a
LE POÈTE
Ah ! puissé-je abdiquer, au sein de quelque fleur, 6+6 a
De ce cœur importun la vie et la chaleur ! 6+6 a
Pour la sève paisible en ces chênes dormante 6+6 a
Que j’échangerais bien l’âme qui me tourmente, 6+6 a
305 Que je voudrais jeter tout mon être à ce vent ! 6+6 a
Je souffre, ami, tu vois que je suis bien vivant. 6+6 a
LE PÂTRE
Tu souffres d’un corps faible et d’une âme impuissante, 6+6 a
Le mal dont tu te plains, c’est la vigueur absente. 6+6 a
Je le vois, dans tes yeux, sur ton front sans couleur, 6+6 a
310 C’est un fruit de l’orgueil que ta lâche douleur. 6+6 a
Abdique ta mollesse et ces larmes superbes ; 6+6 a
Il est temps d’amasser quelques solides gerbes. 6+6 a
Ô rêveur ! sors enfin de ton sommeil fatal !… 6+6 a
Mais tu ne peux guérir, car tu chéris ton mal. 6+6 a
mètre profils métriques : 8, 6+6
logo du CRISCO logo de l'université