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| = césure
LAP_6/LAP53
Victor de LAPRADE
LES SYMPHONIES
1855
LIVRE PREMIER
V
CONSOLATION
À MON AMI P. CHENAVARD
Tous les fruits du verger ne sont pas mûrs encor 6+6 a
Mais l’automne apparaît dans les bois jaunes d’or ; 6+6 a
La brume se répand, grise comme la cendre, 6+6 a
Au pied de ce coteau que tu vas redescendre. 6+6 a
5 Sur la pierre annonçant la moitié du chemin, 6+6 a
Que fait cet homme assis et le front dans sa main ? 6+6 a
Il écoute les voix de la saison extrême 6+6 a
Gémir dans la forêt et parler dans lui-même. 6+6 a
I
La nature se plaint ; un long gémissement 6+6 a
10 Aux larmes nous convie ; 6 b
Et ce bruit douloureux reste, éternellement, 6+6 a
Le son que rend la vie. 6 b
Le sort frappe ses coups ; plus riche est le métal, 6+6 a
Plus haut la cloche tinte ; 6 b
15 L’homme jette, entre tous, sous le marteau fatal, 6+6 a
Une plus vive plainte. 6 b
Laisse-toi donc gémir, ô sombre voyageur ! 6+6 a
Toi qui sors de la flamme ; 6 b
Je sais quels coups, lancés par le divin forgeur, 6+6 a
20 Font retentir ton âme. 6 b
Je sais, moi, le désert, moi, confident sacré 6+6 a
De tous les cœurs qui saignent, 6 b
Moi, l’écho toujours prêt du rêveur igno 6+6 a
Que les foules dédaignent, 6 b
25 Je sais ton mal secret ! Ta fierté cache un deuil ; 6+6 a
J’aperçois, quand tu railles, 6 b
Le renard acharné, sous ton manteau d’orgueil, 6+6 a
À ronger tes entrailles. 6 b
Je connais tout de toi, fautes et châtiment, 6+6 a
30 Illusions diverses ; 6 b
O fier vaincu ! je sais s’ils coulent justement 6+6 a
Tous les pleurs que tu verses. 6 b
L’ardent besoin du vrai, dès l’enfance, a veillé, 6+6 a
La nuit dans ton alcôve ; 6 b
35 De ses froides sueurs ton front trop tôt mouillé 6+6 a
À vingt ans resta chauve. 6 b
Tu convoquas, pour fuir les vulgaires erreurs, 6+6 a
Tous les guides célèbres ; 6 b
Et tu vas, assié de doute et de terreurs, 6+6 a
40 Perdu dans les ténèbres. 6 b
Tu pouvais, comme un autre, amoureux du loisir, 6+6 a
Goûter les folles joies, 6 b
Vivre au moins et rêver… mais tu voulus choisir 6+6 a
L’art et ses rudes voies ; 6 b
45 Et tu t’es mis à l’œuvre, épris d’un idéal ; 6+6 a
Espérant à la foule 6 b
Faire un jour adorer le glorieux métal 6+6 a
Dont ton âme est le moule. 6 b
L’étude à ta jeunesse a fait un lourd tombeau 6+6 a
50 De ton atelier sombre ; 6 b
Et voilà que tes mains, ô poursuivant du beau, 6+6 a
S’attachaient à son ombre ! 6 b
Pour en saisir la trace, oh ! pleure ; il est trop tard ; 6+6 a
Plus rien qui lui ressemble ! 6 b
55 L’automne a sur tes yeux mis son premier brouillard ; 6+6 a
Voilà ta main qui tremble. 6 b
Ah ! vieillir, sentir poindre en son cœur la saison 6+6 a
Stérile et monotone ; 6 b
Voir déjà, quand l’é fut sans fleur ni moisson, 6+6 a
60 Neiger un froid automne ! 6 b
Tu n’as pas de tes jours bu la douce liqueur, 6+6 a
Tu vas goûter la lie ; 6 b
Tu bois ce fond amer qui reste sur le cœur 6+6 a
Et jamais ne s’oublie. 6 b
65 Tu rêvas tout ! l’amour, la vertu, le savoir, 6+6 a
Et l’épée et la lyre. 6 b
L’amour ! Était-ce lui ?… Tu subis son pouvoir 6+6 a
Assez pour le maudire. 6 b
Il t’a brisé ! tu fuis ; ta stoïque raison 6+6 a
70 Le juge et le déteste ; 6 b
Il t’abreuva de fiel… et de son doux poison 6+6 a
L’ardente soif te reste. 6 b
Lui qui t’a si souvent baigné de pleurs amers, 6+6 a
Brûlé d’un flot de lave ; 6 b
75 Lui qui sur tes beaux jours a fait peser des fers 6+6 a
Et t’a vu son esclave, 6 b
Il te reste ignoré !… Tu t’en vas, désormais, 6+6 a
Enviant ceux qu’il trompe ; 6 b
Te voilà de son temple exilé pour jamais, 6+6 a
80 Sans avoir vu sa pompe. 6 b
Du royaume interdit, où tous auront vécu, 6+6 a
Tu sors sans le connaître ; 6 b
Gardant une blessure, ô douloureux vaincu !… 6+6 a
Et des remords peut-être ! 6 b
85 Mais, royaume ou prison, ton cœur s’en est banni ; 6+6 a
Voici les froides heures. 6 b
Hélas ! ce mal de moins laisse un vide infini, 6+6 a
Et déjà tu le pleures. 6 b
Rien au fond de ton âme et rien autour de toi ! 6+6 a
90 La nuit, la nuit commence ; 6 b
La nuit d’hiver, dont l’homme aborde avec effroi 6+6 a
La solitude immense. 6 b
Ici, l’horrible mort moissonna sans pitié 6+6 a
Dans le champ de ta race ; 6 b
95 Là, tu lis, sur les fronts, que la sainte amitié 6+6 a
Fuit sans laisser de trace. 6 b
Va, pleure et ne crains pas ! Ta voix au loin se perd : 6+6 a
Car l’oubli t’environne. 6 b
Tes sanglots, éclatant sur ton chevet désert, 6+6 a
100 N’éveilleront personne. 6 b
Pleure ! nul front craintif, endormi près du tien, 6+6 a
N’est mouillé de tes larmes. 6 b
Sur tes nuits sans repos, jamais doux entretien 6+6 a
N’aura versé des charmes. 6 b
105 Quand tu t’endormiras d’un sommeil étouffant, 6+6 a
Il faudra qu’il s’achève ; 6 b
Jamais, en ton angoisse, un joyeux cri d’enfant 6+6 a
N’interrompra ton rêve. 6 b
La flamme va s’éteindre au paternel foyer ; 6+6 a
110 Les récits vont se taire. 6 b
Tiens-toi prêt à vieillir sans bras pour t’appuyer ; 6+6 a
Voilà l’hiver austère. 6 b
Déjà le fiel se glisse en ton sang qui tarit, 6+6 a
Ta veine s’est glacée ; 6 b
115 Et la noire tristesse, à travers ton esprit, 6+6 a
Coule avec la pensée. 6 b
Tu vis avec effort ; Dieu semble te nier 6+6 a
Ce qu’il donne à chaque être, 6 b
Ce doux réveil de l’âme au soleil printanier 6+6 a
120 Où l’on se sent renaître. 6 b
L’air libre du désert, où jadis, en rêvant, 6+6 a
Tu pansais tes blessures, 6 b
Brûle aujourd’hui ta lèvre ; et les baisers du vent 6+6 a
Sont pour toi des morsures. 6 b
125 Souffrir, toujours souffrir ! du travail, du repos ! 6+6 a
Le feu qui te dévore 6 b
Circule sourdement de ton âme à tes os, 6+6 a
Et Dieu l’attise encore. 6 b
Tout croule autour de toi ! rien qui fasse espérer ; 6+6 a
130 L’antique foi succombe. 6 b
L’air du siècle où tu vis est triste à respirer 6+6 a
Comme une odeur de tombe. 6 b
Toute vie est douleur ; tout gémit ici-bas, 6+6 a
La nature et toi-même. 6 b
135 Connais-tu des échos où ne raisonnent pas 6+6 a
La plainte et le blasphème ? 6 b
Pleure sur ce qui meurt et sur ce qui grandit ; 6+6 a
C’est ta loi ; pleure, ô maître ! 6 b
Et lance l’anathème à ce monde maudit, 6+6 a
140 À Dieu qui t’a fait naître. 6 b
II
C’est ainsi qu’il entend, au coucher du soleil, 6+6 a
Parler ses passions et les échos du monde ; 6+6 b
Mais bientôt, en lui-même, une voix plus profonde 6+6 b
Oppose au désespoir un plus ferme conseil : 6+6 a
145 Oui, si j’écoute en moi les sens et la nature, 6+6 a
Tout ce qui doit finir, 6 b
Je pleure et je maudis, ou du moins je murmure, 6+6 a
Quand je devrais bénir. 6 b
Cependant, au plus fort du blasphème et du doute, 6+6 a
150 Dans ma plus sombre nuit, 6 b
Une infaillible voix me parle et je l’écoute, 6+6 a
Une clarté me luit. 6 b
C’est toi, saint idéal, c’est toi qui m’illumines ! 6+6 a
J’ai gardé ton flambeau ; 6 b
155 C’est toi qui fais briller, du sein de mes ruines, 6+6 a
L’astre éclatant du beau. 6 b
Par toi m’est révé notre but invisible. 6+6 a
À ton amour divin, 6 b
Mon cœur, libre des sens et désormais paisible, 6+6 a
160 N’aspire pas en vain. 6 b
J’oublie à t’entrevoir mes souvenirs funèbres. 6+6 a
Mes doutes pleins d’effroi ; 6 b
Et, comme l’aigle, heureux en sortant des ténèbres, 6+6 a
Je m’élance vers toi. 6 b
165 Beauté, splendeur du vrai ! ton infaillible oracle, 6+6 a
Qui me parle en tout lieu, 6 b
Habite ma raison, passager tabernacle, 6+6 a
Mais il s’appelle Dieu. 6 b
Rayon de l’idéal, un cœur à qui tu restes 6+6 a
170 A gardé son trésor ; 6 b
Tôt ou tard, s’arrachant à ses ombres funestes, 6+6 a
Il reprendra l’essor. 6 b
En vain je sens gronder, dans cette chair flétrie, 6+6 a
Le mal accusateur. 6 b
175 Et l’horrible souffrance en vain blasphème et crie 6+6 a
Contre le Créateur ; 6 b
En vain, faisant tonner sa menace infinie 6+6 a
Sur les pâles mortels, 6 b
Une voix, jusqu’à Dieu lançant la calomnie, 6+6 a
180 Sort même des autels… 6 b
L’esprit consolateur, siégeant au sanctuaire 6+6 a
De l’auguste raison, 6 b
L’éternel idéal, à travers ma misère, 6+6 a
Vous affirme, ô Dieu bon ! 6 b
185 La douleur devant vous passera comme une ombre, 6+6 a
Comme un songe au réveil ; 6 b
Oui, dans un ciel sans borne et pour des jours sans nombre 6+6 a
J’attends votre soleil. 6 b
L’esprit qui parle en nous raconte votre gloire, 6+6 a
190 Votre immense bonté ; 6 b
Il m’ordonne l’amour et me défend de croire 6+6 a
À d’autre éternité. 6 b
Avant que votre foi dans mon cœur soit troublée. 6+6 a
Dieu bon et triomphant, 6 b
195 Les Alpes crouleront sur leur base ébrane 6+6 a
Par le doigt d’un enfant. 6 b
Tant que je porterai ce rayon de vous-même, 6+6 a
Qui résiste à tout vent, 6 b
Tant que j’apercevrai dans la raison que j’aime 6+6 a
200 Votre Verbe vivant, 6 b
Je puis souffrir ! je puis, plaignant vos créatures, 6+6 a
Errer sous ce ciel noir ; 6 b
Je suis sûr de rester, au milieu des tortures, 6+6 a
Plein d’amour et d’espoir. 6 b
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