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12 longueur métrique
6-6 mètre
LAP_6/LAP51
Victor de LAPRADE
LES SYMPHONIES
1855
LIVRE PREMIER
III
LES DEUX MUSES
À MON AMI ULRIC GUTTINGUER
L’AVEUGLE
L’aveugle a devinéque la Muse, ô pasteurs, 6+6 a
Conserve encore icideux jeunes serviteurs ; 6+6 a
Démêlant de vos voixl’harmonieuse trame. 6+6 a
Déjà dans votre accentj’ai lu toute votre âme. 6+6 a
5 Vous êtes doux et fiers ;et, puisque vous chantez, 6+6 a
Enfants, vous honorezles dieux et respectez 6+6 a
Les vieillards qu’on mépriseen ces jours de délire ; 6+6 a
Car toutes les vertussont filles de la lyre. 6+6 a
Vous m’exaucerez donc :je fus poëte aussi ; 6+6 a
10 Peut-être on sait encormes chansons loin d’ici. 6+6 a
Mais, trop vieux aujourd’hui,des saintes mélodies 6+6 a
L’urne d’or reste closeà mes mains engourdies ; 6+6 a
Et, par mes yeux éteints,mais non taris de pleurs, 6+6 a
La Muse ne fait plussa moisson de couleurs. 6+6 a
15 Ce matin, l’air plus tiède,arrivant sous mon chaume, 6+6 a
Me guida vers ces prés le zéphyr s’embaume ; 6+6 a
L’aveugle y vient encore,une dernière fois. 6+6 a
Respirer le printempsdans l’haleine des bois. 6+6 a
Chantez pour moi, bergers,ces beaux lieux qui vous plaisent 6+6 a
20 Ce n’est pas le printempssi les oiseaux se taisent. 6+6 a
Pour l’aveugle, chantez !pour lui qui ne peut voir 6+6 a
Les cieux de rose ou d’orfleurir matin et soir. 6+6 a
Redonnez-moi l’aspectde là nature absente ; 6+6 a
Qu’aux clartés de vos versmon âme encor la sente. 6+6 a
25 Ces bois si chers, ces présde soleil éclatants. 6+6 a
Faites-les-moi revoirpar vos yeux de vingt ans. 6+6 a
Dites-moi la natureet la saison nouvelle 6+6 a
Et le charme secretqui vous attire en elle. 6+6 a
Rendez-moi, tous les deuxà ce hêtre adossés, 6+6 a
30 Ces combats si charmants,hélas ! et délaissés, 6+6 a
les bergers, rivauxd’amour et de génie, 6+6 a
D’une double chansonmariaient l’harmonie. 6+6 a
La Muse aime les chantsalternés ; les beaux vers 6+6 a
Sonnent mieux balancéssur deux modes divers. 6+6 a
35 Ouvrez la lutte, enfants !pour prix de la victoire. 6+6 a
Je réserve au vainqueurune lyre d’ivoire, 6+6 a
Présent d’un dieu pasteurqui vécut parmi nous. 6+6 a
L’heureux vaincu prendracette coupe de houx 6+6 a
Ciselée avec art,de vin vieux imprégnée ; 6+6 a
40 En un pareil combat,jadis, je l’ai gagnée. 6+6 a
ADMÈTE
Salut, printemps, salut !c’est toi qui fais aimer. 6+6 a
Salut aux champs, aux boisque tu viens ranimer ; 6+6 a
, sous chaque rameau,la volupté palpite. 6+6 a
Je cherche les forêts,car l’amour les habite. 6+6 a
45 L’odeur des prés m’attireet les vives couleurs ; 6+6 a
Car j’y trouve une enfantplus douce que les fleurs. 6+6 a
ERWYNN
Ô nature, salut !c’est toi seul, ô ma mère ! 6+6 a
C’est toi que je visiteen ton palais charmant ; 6+6 b
Je n’y viens pas, éprisd’une idole éphémère, 6+6 a
50 Chercher d’un autre amourl’asile et l’ornement. 6+6 b
ADMÈTE
Dans un sentier discretde ce taillis d’yeuse, 6+6 a
Rose comme une nympheet comme elle joyeuse, 6+6 a
Moi, j’apeus Myrtopour la première fois ; 6+6 a
J’aime depuis ce tempsla campagne et les bois. 6+6 a
ERWYNN
55 Ton vrai charme, ô Nature !est dans ta solitude ; 6+6 a
Quand j’erre au sein des boissans guide et sans chemins, 6+6 b
Je m’y sens préservéde toute lassitude ; 6+6 a
J’aime avant tout chez toil’absence des humains. 6+6 b
J’y dépose la vieet la charge commune ; 6+6 a
60 Tout vain désir s’y calmeet cède à ton attrait ; 6+6 b
Devant tes doux tableauxtoute image importune, 6+6 a
Tout fantôme d’amours’efface et dispart. 6+6 b
ADMÈTE
Aux pieds des frais buissonsl’oubli des soins moroses 6+6 a
Se respire au soleilavec l’odeur des roses ; 6+6 a
65 Et la gté captive,ainsi qu’un Jeune oiseau. 6+6 a
Chante et nargue en fuyantla cage de roseau. 6+6 a
Dans ces flots de parfumque l’air des prés balance, 6+6 a
Mon âme tout entièrehors de mon sein s’élance. 6+6 a
Et ne songeant à rienqu’à jouir des beaux jours, 6+6 a
70 Comme une abeille aux fleurs,vole toute aux amours. 6+6 a
ERWYNN
Oui, plus libre en ces bois,mon âme y rompt les chnes 6+6 a
Dont l’homme et les destinsavaient su me lier. 6+6 b
Oui, l’oubli se respireavec l’ombre des chênes, 6+6 a
Sur les grèves des lacs…j’y viens pour oublier. 6+6 b
75 Tandis qu’au bruit des flotset des forêts que j’aime, 6+6 a
La voix des passionss’adoucit et se perd. 6+6 b
Mon âme en ces beaux lieuxse retrouve elle-même, 6+6 a
Et grandit dans sa forceen touchant au désert. 6+6 b
ADMÈTE
Ah ! le désert est douxpour être deux ensemble ; 6+6 a
80 J’y chéris, ô Myrto,tout ce qui te ressemble ; 6+6 a
C’est toi qui m’embellisla taille du palmier, 6+6 a
Et l’œil de la gazelleet le cou du ramier. 6+6 a
La nature me plt,la nature est charmante ! 6+6 a
Mais d’un charme empruntédes grâces de l’amante. 6+6 a
85 Aveugle avant d’aimer,dans mes rudes penchants, 6+6 a
Je ne me doutais pasde la beauté des champs. 6+6 a
ERWYNN
Quels yeux ont des regardsprofonds comme ces ondes 6+6 a
Sur qui le noir sapins’incline échevelé ? 6+6 b
Quel front si pur de viergea, sous ses tresses blondes, 6+6 a
90 De ces sommets neigeuxl’éclat immaculé ? 6+6 b
Quelle voix a l’accentdu flot baisant les rives ? 6+6 a
Quel amoureux silenceest plus délicieux 6+6 b
Et verse un plus long rêveaux âmes attentives 6+6 a
Que l’entretien muetdes bois silencieux ? 6+6 b
ADMÈTE
95 Au bord du lac, un jour,sous l’aune et sous le frêne, 6+6 a
Belle et sans voile, ainsiqu’une jeune sirène, 6+6 a
J’ai vu Myrto tordantl’or de ses longs cheveux : 6+6 a
Des perles en tombaientet ridaient les flots bleus. 6+6 a
La blancheur de son corpspar les rameaux couverte 6+6 a
100 Rend l’eau plus sombre autouret la feuille plus verte, 6+6 a
Et sur ses pieds de rosearrive en surnageant 6+6 a
Parmi l’or d’un fin sableune écume d’argent. 6+6 a
De ses yeux, de son seinet de ses tresses blondes 6+6 a
Un reflet émanéflotte au-dessus des ondes ; 6+6 a
105 Et des ombres du bainsous le roc abrité 6+6 a
Cette molle lueurremplit l’obscurité. 6+6 a
Moi, je bénis tout basl’invitante Naïade, 6+6 a
Et Pan qui me cachasous cette ombreuse arcade, 6+6 a
Et les ardeurs de l’airet la frcheur de l’eau. 6+6 a
110 Les saules sur le bainétendus en berceau, 6+6 a
Tous les dieux de l’été,ces conseillers propices, 6+6 a
Des larcins de l’amourjoyeux d’être complices, 6+6 a
Et par qui, sans combats,des voiles trop discrets 6+6 a
La beauté se désarmeà l’abri des forêts. 6+6 a
ERWYNN
115 Un jour, des passionsbrisant la coupe amère, 6+6 a
Las des bonheurs humainsavec ennui gtés, 6+6 b
Des promesses du cœurétouffant la chimère, 6+6 a
J’ai fui cet air épaisqu’on respire aux cités. 6+6 b
J’ai cherché le désert,poussé vers la Nature 6+6 a
120 Par cet attrait sans nomdes parfums, des couleurs, 6+6 b
Par ce charme qui tient,malgré toute culture, 6+6 a
L’homme vers le soleiltourné comme les fleurs. 6+6 b
J’avais des vains plaisirspris et laissé l’amorce 6+6 a
Ayant usé de toutje croyais tout savoir ; 6+6 b
125 Docile au sens bornéqui s’arrête à l’écorce, 6+6 a
Ivre de vains désirs,j’avais nié l’espoir. 6+6 b
Tout le néant du mondeet de sa folle pompe 6+6 a
S’étalait dans son videà mon œil ébloui ; 6+6 b
Sa sagesse qui mentet sa vertu qui trompe, 6+6 a
130 L’amour même, l’amours’était évanoui ! 6+6 b
Eh bien, je n’avais vuqu’un seul aspect des choses, 6+6 a
Avant de les sonderavec l’œil du rêveur ; 6+6 b
Je n’allais pas plus loinque le parfum des roses, 6+6 a
Je n’avais jugé riendes fruits que la saveur. 6+6 b
135 Mais quand les bois sacrésm’ouvrirent leurs arcades, 6+6 a
Quand sous les noirs sapinsj’eus gravi les hauts lieux, 6+6 b
Sur les glaciers, au bruitdes vents et des cascades, 6+6 a
L’invisible apparutet dessilla mes yeux. 6+6 b
Dès lors à ce soleilsans nuage et sans tache, 6+6 a
140 Mon âme voit des champsplus touffus et plus verts ; 6+6 b
Sous les flots et les fleurssentant ce qui se cache, 6+6 a
Pour son hôte inconnuj’aime cet univers. 6+6 b
ADMÈTE
En aimant ces beaux lieux,moi, c’est Myrto que j’aime ; 6+6 a
J’y cueille pas à passes traces qu’elle y sème ; 6+6 a
145 C’est dans les champs surtoutqu’absente je la vois ; 6+6 a
J’entends ses pieds courirsur la mousse des bois ; 6+6 a
La menthe et le rosierm’apportent son haleine ; 6+6 a
Ces épis en flots d’orondulant sur la plaine. 6+6 a
C’est l’or de ces cheveux ;la neige a sa blancheur ; 6+6 a
150 L’alouette a sa voix,la colombe est sa sœur ; 6+6 a
La source est un miroirqui retient son image ; 6+6 a
Le soupir de la vagueen mourant sur la plage, 6+6 a
Ces feuillages émusqui parlent mollement. 6+6 a
C’est, parmi nos baisers,son doux gémissement. 6+6 a
ERWYNN
155 Le magique pouvoirqui t’a soumis mon âme 6+6 a
N’est pas en d’autres yeuxni dans une autre main ; 6+6 b
Ta beauté ne tient pasaux traces d’une femme, 6+6 a
Ce que je cherche en toin’est pas l’aspect humain ; 6+6 b
Tu ne dois rien à l’homme,et ton charme, ô Nature ! 6+6 a
160 Vient d’ailleurs que des traitsentre vous deux pareils 6+6 b
Une âme s’est écriteen ta large structure, 6+6 a
Une âme a pris pour corpstes fleurs et tes soleils. 6+6 b
Non, tu n’as pas à l’hommeemprunté cette grâce, 6+6 a
C’est lui qui te dérobeet doit suivre ta loi ; 6+6 b
165 Il n’est beau qu’en portantimprimé sur sa face 6+6 a
Un peu de l’infiniqui rayonne de toi. 6+6 b
ADMÈTE
L’homme n’est jamais seuldans les lieux solitaires ; 6+6 a
J’y sais mille témoinsdes amoureux mystères. 6+6 a
Chaque arbre et chaque flota son hôte divin. 6+6 a
170 J’ai surpris dans les boisla Nymphe et le Sylvain. 6+6 a
Sous l’écorce j’ai vule Faune en embuscade 6+6 a
De ses longs bras tortusenlacer la Dryade. 6+6 a
Les tritons argentés,les nymphes aux yeux verts, 6+6 a
Souriant aux pêcheurs,s’ébattent sur les mers. 6+6 a
175 J’ai vu mes gais chevreauxet mes brebis paisibles 6+6 a
Souvent bondir au sonde pipeaux invisibles ; 6+6 a
Puis un Satyre, au loin,apparaissait dansant. 6+6 a
J’ai vu, parfois glissersur l’herbe, au jour naissant, 6+6 a
La Napée y semantle safran et la rose. 6+6 a
180 Pareils à nous, ces dieuxnous donnent toute chose ; 6+6 a
Nous leur devons la flûteavec l’art des chansons, 6+6 a
Et surtout de l’amourles fécondes leçons. 6+6 a
ERWYNN
L’ineffable habitantqu’enveloppe le monde 6+6 a
Sous mille aspects diversest le même en tous lieux ; 6+6 b
185 Il chante avec la feuilleet voit à travers l’onde ; 6+6 a
Partout présent, cet hôteéchappe à tous les yeux. 6+6 b
Mais, si profond qu’il soitdans sa vaste demeure, 6+6 a
Quoique baissés toujoursses voiles sont légers ; 6+6 b
À nos cœurs par les sensil s’adresse à toute heure, 6+6 a
190 Il communique à nouspar mille messagers. 6+6 b
Les bois, les vents, les flotssont pleins d’esprits sonores ; 6+6 a
De vivantes odeursvoltigent sur les prés ; 6+6 b
L’âme luit à traversles yeux des météores. 6+6 a
Je sens, je vois, j’entendsces envoyés sacrés. 6+6 b
195 Un souffle, des forêtsagitant les grands dômes, 6+6 a
Verse en moi des accordsle fécondant essaim. 6+6 b
Dans l’or de ce rayondes tourbillons d’atomes, 6+6 a
Avec l’air respirés,viennent vivre en mon sein. 6+6 b
Au penchant du coteau,des mains aériennes 6+6 a
200 Éffeuillent mon bouquetet mêlent mes cheveux. 6+6 b
Écrivent leur penséeou dessinent les miennes 6+6 a
Sur les horizons d’or je lis quand je veux. 6+6 b
À ces pouvoirs de l’airsitôt que je me livre, 6+6 a
Sans rien faire souventque respirer et voir, 6+6 b
205 Je sens mes bras plus forts,mon cœur prêt à revivre, 6+6 a
Comme un arbre arrosédes pleurs secrets du soir, 6+6 b
De quelques noms diversque la langue les nomme ; 6+6 a
Ces esprits d’une autre âmeémanent chaque jour ; 6+6 b
Venus de l’invisibleet se montrant à l’homme, 6+6 a
210 Tous me parlent ainsid’un mystère d’amour. 6+6 b
Tous semblent me poussersur une même route, 6+6 a
D’ le vulgaire impurs’est lui-même banni, 6+6 b
Sur ces échelons d’or,renversés par le doute. 6+6 a
Qui vont du globe à Dieu,du cœur à l’infini. 6+6 b
ADMÈTE
215 Par des liens plus douxla campagne m’attache, 6+6 a
J’aime en toi ce qu’on voitet non ce qui se cache, 6+6 a
Ô Nature ! et ces donsprêts pour chaque désir, 6+6 a
Que dispense ta mainet que je puis saisir. 6+6 a
J’aime ce que la fleurparfumée et vermeille 6+6 a
220 Dit aux yeux, et le chantdes oiseaux à l’oreille. 6+6 a
J’aime, pour tous les fruitsdont tu les as chargés. 6+6 a
Ces coteaux généreuxet gment vendangés ; 6+6 a
Ce bois, parce qu’il prêteune ombre harmonieuse 6+6 a
Au sommeil, à l’amour,à la danse joyeuse ; 6+6 a
225 Ces eaux pour rafrchirma coupe, et pour y voir 6+6 a
Rire avec moi Myrto,qui les prend pour miroir. 6+6 a
ERWYNN
La terre a d’autres fruitsque les fruits que tu cueilles. 6+6 a
Plus doux que les raisinsdont tu bois la liqueur, 6+6 b
Un breuvage, émanédes rayons et des feuilles, 6+6 a
230 Sans passer par ma lèvreenivre aussi mon cœur. 6+6 b
L’oiseau n’a pas de chants,dans sa voix printanière, 6+6 a
Divins comme les bruitsdu silence écouté. 6+6 b
Les clartés que je voisen fermant la paupière 6+6 a
De l’aube orientaleeffacent la clarté. 6+6 b
ADMÈTE
235 Surtout j’aime, ô campagne !en tes vertes retraites, 6+6 a
L’asile et l’ornementqu’à nos amours tu prêtes ; 6+6 a
Tu répands à plaisirtes parfums sur le lit 6+6 a
dorment les amours,car l’amour t’embellit. 6+6 a
Pour qui n’y porte pasl’image d’une amante 6+6 a
240 Les champs mettraient en vainleur parure charmante ; 6+6 a
De mille fleurs, en vain,le vallon est semé ; 6+6 a
Nulle terre n’est belle l’on a pas aimé. 6+6 a
Mais l’amour s’est sevréde voluptés sans nombre, 6+6 a
S’il n’a connu jamaisles bois, la mousse et l’ombre ; 6+6 a
245 Si jamais au printemps,sous ses frches splendeurs, 6+6 a
Un vallon des plaisirsn’abrita les ardeurs. 6+6 a
Oui, qui n’a pas, à deux,marché par les prairies. 6+6 a
N’a jamais su du cœurles douces rêveries. 6+6 a
Oui, malgré les baisers,les pleurs, les noms touchants, 6+6 a
250 Nul ne sent bien l’amours’il ne le gte aux champs. 6+6 a
ERWYNN
Tu sers l’amour aux champs,et les champs m’en délivrent. 6+6 a
Si je chéris ces boiset le désert lointain, 6+6 b
C’est que les voluptésdont les forêts m’enivrent 6+6 a
M’ouvrent contre l’amourun refuge certain. 6+6 b
255 Sois bénie, ô Nature !et reste souveraine. 6+6 a
Toi qui, pour des beautésque rien ne peut flétrir, 6+6 b
Me souffla cette ardeurprofonde, mais sereine, 6+6 a
La seule dont le cœurn’a jamais à souffrir » 6+6 b
Oui, j’ai subi l’amour,j’ai vécu de ses flammes ; 6+6 a
260 Oui, je sais qu’au désertil a mille ornements ; 6+6 b
Qu’il agrandit parfoisles ailes de nos âmes ; 6+6 a
J’ai connu son délireet ses ravissements. 6+6 b
Mais quel tumulte, hélas !la passion déchne ! 6+6 a
N’es-tu donc rien, Amour,qu’un orage éternel ? 6+6 b
265 Amour, on te diraittoujours mêlé de haine ; 6+6 a
Tu t’aigris parmi nouscomme un levain mortel ! 6+6 b
Oui, le fiel est au fondde ta coupe épuisée, 6+6 a
Même quand deux grands cœursse la versent entre eux ; 6+6 b
Tu n’es que la douleurun instant déguisée, 6+6 a
270 Qui reprend tôt ou tardses droits sur les heureux. 6+6 b
Mais toi, culte paisible,amour de la Nature, 6+6 a
Tu n’as pas de souons,pas de haine à souffler ; 6+6 b
L’âme en te respirantse console et s’épure ; 6+6 a
Tes pleurs sur notre fronttombent sans le brûler. 6+6 b
275 D’un lien éternelquoique tu nous enchnes, 6+6 a
Jamais l’injuste ennuin’en alourdit le poids : 6+6 b
Amour doux à portercomme l’ombre des chênes 6+6 a
Dans ces chères prisonsque je demande aux bois ! 6+6 b
ADMÈTE
La forêt n’a d’ombrageet de grottes profondes 6+6 a
280 Que pour donner asileaux amours vagabondes. 6+6 a
Pour qui tous ces parfumset tous ces nids charmants 6+6 a
Nature, s’ils ne sontpour les heureux amants ? 6+6 a
Qu’importeraient les fleurssi d’une bien-aimée 6+6 a
Nul n’en venait tresserla couronne embaumée ! 6+6 a
285 Pourquoi la mousse épaisseet la frcheur des eaux ? 6+6 a
Pourquoi les voix de l’ondeet le chant des oiseaux, 6+6 a
Si, de hêtres touffusdiscrètement couverte, 6+6 a
La couche au fond des boisdevait rester déserte ? 6+6 a
Si le flot qui murmureautour des verts tapis 6+6 a
290 N’y berce mollementdes couples assoupis ; 6+6 a
Et si l’oiseau d’amourpar son chant plus sonore 6+6 a
Pour des baisers nouveauxne les réveille encore, 6+6 a
Tandis que l’air chargéd’enivrantes odeurs 6+6 a
De leur lèvre altéréeavive les ardeurs ? 6+6 a
ERWYNN
295 Les ombres sur la mousseen réseaux découpées, 6+6 a
Les monts rayés de boisplus jaunis ou plus verts, 6+6 b
Les fleurs qu’un art secretparmi l’herbe a groupées, 6+6 a
Le nuage mobileaux mille tons divers, 6+6 b
Les sinueux détoursdes flots qui se poursuivent, 6+6 a
300 Le vol des grands oiseaux,les tourbillons du vent 6+6 b
Tracent au sein des airset sur la terre écrivent, 6+6 a
Pour qui sait bien les lire,un langage vivant. 6+6 b
Ce bruit vague des airs,des oiseaux et de l’onde 6+6 a
Éveille mes penséesen éveillant tes sens ; 6+6 b
305 Ces parfums exhalantle désir qui t’inonde 6+6 a
Versent aussi dans moides désirs plus puissants. 6+6 b
Ces souffles, ces rayons,ces chœurs de voix lointaines 6+6 a
M’arrachent à ce monde,importune prison ; 6+6 b
Ils me font pressentirdes amours plus qu’humaines 6+6 a
310 En m’ouvrant l’invisibleet son large horizon. 6+6 b
ADMÈTE
Charme invitant des bois,douce odeur, douce brise, 6+6 a
Va près d’elle, ô printemps,souffle et me favorise ! 6+6 a
Amenez-moi Myrto,sentiers qu’elle connt, 6+6 a
Champs comme les fleursl’amour germe et rent ; 6+6 a
315 Par votre charme il fautqu’en mes bras elle vienne, 6+6 a
Brûlante d’une ardeurvive comme la mienne. 6+6 a
Ô vents, semez près d’elle,en allant y gémir, 6+6 a
Ces parfums qu’on ne peutrespirer sans frémir ! 6+6 a
Qu’au plus secret du boiselle coure éperdue, 6+6 a
320 M’implorant et craignantparfois d’être entendue, 6+6 a
Et qu’au premier abordsentant ma main brûler, 6+6 a
Pâle, elle me sourieet ne puisse parler ! 6+6 a
ERWYNN
Désert, Nature, asile l’être se transforme, 6+6 a
Dans tes chastes séjoursreçois mon cœur lassé ; 6+6 b
325 Éloigne de mon âme,afin qu’elle s’endorme, 6+6 a
Et les bruits de la vieet l’écho du passé ! 6+6 b
La plus sainte vertuque possède ton onde, 6+6 a
Ce que je vais chercherdans ton sein, c’est l’oubli. 6+6 b
Ce doux sommeil par quis’éveille un autre monde, 6+6 a
330 Lorsqu’en ta longue paixon reste enseveli. 6+6 b
Parlez donc, ô désert,ô voix de l’invisible, 6+6 a
Bois tout autre amoura pour moi son tombeau, 6+6 b
Chantez de l’infinile cantique paisible, 6+6 a
Ô Nature ! et bercezen moi l’homme nouveau. 6+6 b
L'AVEUGLE
335 Sur un mode inconnuta chanson se déploie, 6+6 a
Ô pasteur ! et pourtantje t’écoute avec joie. 6+6 a
Avant d’être fermésau splendide univers, 6+6 a
Mes yeux ne l’ont pas vutel que le font tes vers, 6+6 a
Mais mon âme apeoitdes régions plus belles 6+6 a
340 Surgir à la clartéde ces hymnes nouvelles. 6+6 a
Je vois qu’un dieu, manquantau ciel ionien, 6+6 a
Enrichit d’un accordton luth aérien. 6+6 a
À mon cœur de vieillardcette nature est douce ; 6+6 a
Je connais cet ennuiqui vers elle te pousse. 6+6 a
345 Il semble que ce luth,au son triste et charmant, 6+6 a
Je l’entendis en moimurmurer vaguement. 6+6 a
Sois salué, vainqueur !c’est à toi que j’accorde, 6+6 a
Puisque toi seul tu peuxl’enrichir d’une corde, 6+6 a
Ma lyre d’Ionie,antique et saint trésor, 6+6 a
350 Qu’Athènes ciseladans l’ivoire et dans l’or. 6+6 a
Jeune homme, elle est aussid’origine céleste ; 6+6 a
Moi, je meurs ! oh ! prends-la !le don sacré lui reste 6+6 a
D’imprimer aux accordsd’harmonieux contours ; 6+6 a
De tes vagues chansonsplie à ses lois le cours ; 6+6 a
355 Et qu’un doigt plus soigneuxsur ta toile agrandie 6+6 a
Brode en vives couleursla chaste mélodie. 6+6 a
Toi, prends la coupe, Admète,et le don plus joyeux 6+6 a
Qui verse une autre ivresseet vient aussi des dieux ; 6+6 a
Partage-lui tes fleursainsi que tes caresses ; 6+6 a
360 Son bois gardera mieuxles roses que tu tresses 6+6 a
Que le front de Myrtoprête, hélas ! dès demain, 6+6 a
À s’orner d’un bouquetreçu d’une autre main. 6+6 a
Dans cette coupe, alors,près de quelque autre belle 6+6 a
Va boire un vin plus vieuxà ton amour nouvelle. 6+6 a
365 J’aime aussi ta chanson !j’entendais autrefois 6+6 a
Les flutes des bergersla dire autour des bois ; 6+6 a
C’est d’un tel souvenirque coule cette larme. 6+6 a
Mais, d’un dieu je subissans doute ici le charme, 6+6 a
Pour un autre est le prix,puisque autres sont les temps. 6+6 a
370 Je te l’aurais donnési j’avais eu vingt ans ! 6+6 a
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